08/06/2020

La comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord - 1/2


Alexandre Ier, Napoléon et les souverains de Prusse à Tilsit

Alexandre Ier, autocrate de toutes les Russies avait décidé d’être le bienfaiteur de la famille de la duchesse de Courlande. 
“Une lettre de l’empereur Alexandre annonça à ma mère que d’Erfurt, où il était alors, il viendrait la voir; il la prévenait qu’il ne lui demanderait qu’à dîner et qu’il ne serait accompagné que du prince Troubetzkoï ( peut-être l’ex-mari de la princesse Whilihelmine, sœur de aînée de Dorothée ), son aide de camp et de Mr de Caulaincourt (duc de Vicence, ambassadeur à St Pétersbourg à ambassadeur de France), qui retournait avec lui à Pétersbourg.  

Le marquis de Caulaincourt, duc de Vicence (1773-1827) par Gérard
En effet, le 16 octobre 1808, l’empereur arriva à Löbikau, à cinq heures du soir. Ma mère insista pour que je sortisse de ma retraite ce jour-là; j’obéis. Elle était entourée de sa sœur,  de ses filles, la princesse de Hohenzollern, la duchesse d’Acerenza et moi…et d’un grand nombre de personnes que la curiosité avait attirées. L’empereur fut plein de grâces pour tout le monde et voulut surtout être occupée de moi. Il me dit qu’il me trouvait grandie, embellie et ajouta, en plaisantant, qu’il savait que j’étais comme Pénélope, entourée de beaucoup de prétendants qui se plaignaient de mes rigueurs. J’étais si éloigne de supposer qu’il fut venu avec l’intention de fixer le choix de ma mère, que je répondis sans embarras à cette plaisanterie qui dura assez longtemps.  A table ma mère et Mr de Caulaincourt me séparaient de l’empereur…Tout à coup l’empereur me demanda si je n’étais pas frappé d’une sorte de ressemblance entre le prince Czartoryski et Mr de Périgord. “De qui Votre Majesté veut-elle parler ? répondis-je en rougissant de m’entendre interpellée par uenn question que j’aurais plus délicat de ne pas m’adresser - Mais de ce jeune homme assis là-bas, du neveu du prince de Bénévent, qui accompagne le duc de Vicence à Pétersbourg, fut la réponse de l’empereur - Pardon Sire, je n’avais pas remarqué l’aide de camp du duc de Vicence, et j’ai la vue si basse qu’il m’est impossible, d’ici, de reconnaître ses traits.” 



Edmond de Talleyrand-Périgord
Ma mère eut l’air mécontent. L’empereur se tut…Après le dîner, l’empereur pria ma mère de passer dans son cabinet ; ils y restèrent enfermés deux heures. En quittant le salon ma mère me dit : “Soyez polie pour le duc de Vicence, causez avec lui, vous savez que l’empereur le traite comme son ami. Je n’ai pas obtenu de vos soeurs qu’elles lui adressassent la parole; votre tante partage toutes les ridicules préventions dont il est l’objet; mais vous qui êtes trop jeune pour avoir des opinions politiques, ou du moins, pour en montrer, je vous charge de vous occuper de Mr de Caulaincourt, car je ne veux pas qu’il parte mécontent” ( Duchesse de Dino - Souvenirs et chronique - Editions Robert Laffont - Collection Bouquins - Paris 2016) Plutôt que de s’adresser au duc de Vicence, Dorothée devait, sans le savoir, en fait s’adresser, par personne intermédiaire au comte Edmond de Talleyrand-Périgord.


Archambaud de Talleyrand-Périgord (1762-1838)
La présentation du jeune homme est facile. Né en 1787, Alexandre Edmond de Talleyrand-Périgord, il a donc vingt ans lors de la rencontre, est le fils d’Archambaud, comte de Talleyrand-Périgord (1762-1838) et de Madeleine Olivier de Senozan de Viriville (1764-1794). Les Talleyrand-Périgord sont une des premières familles de l’aristocratie française, d’extraction chevaleresque remontant au XIIe ou XIIIe siècle. Grignols à l’origine, leur patrionyme devint Talleyrand qu’au début du XIVe siècle et Périgord en 1613, en qualité déclarée de descendant des comtes de Périgord. Le généalogiste d’Hozier conteste cette parenté et Louis XVIII eut le mot suivant : « M. de Talleyrand ne se trompe que d’une lettre dans ses prétentions ; il est du Périgord et non de Périgord. » 


Charles-Daniel de Talleyrand-Périgord (1734-1788)
Quoiqu’il en soit, il s’agit d’une famille de premier plan, on compte dans son ascendance des Rochechouart de Mortemart, des Damas d’Antigny, des Chastellux, des Colbert, et encore plus de premier plan en 1807. L’oncle du jeune homme n’est autre que de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent et de l’Empire, grand chambellan de l’empereur des Français, prince vice-grand-électeur, Grand Aigle de la Légion d’Honneur, Sénateur etc.… Il est impossible de s’étendre sur la carrière du personnage mais nous le retrouverons bientôt, tout au long de la vie de Dorothée, duc de Talleyrand et de Dino, pair de France etc…

Le récit que fait Dorothée de sa rencontre avec celui qu’on lui destine est charmant de naïveté. La réalité fut encore plus pragmatique qu’elle l’imaginait. Lors de son séjour à Berlin en 1807, Talleyrand, qui cherchait une riche héritière pour son neveu Edmond de Talleyrand-Périgord, entendit parler de la dernière fille à marier de la duchesse de Courlande et de sa richesse. 

« J’avais souvent entendu parler, en Allemagne et en Pologne, de la duchesse de Courlande. Je savais qu'elle était distinguée par la noblesse de ses sentiments, par l’élévation de son caractère et par les qualités les plus aimables et les plus brillantes. La plus jeune de ses filles était à marier... Ce choix ne pouvait que plaire à Napoléon. Il ne lui enlevait point un parti pour ses généraux qui auraient été refusés, et il devait même flatter la vanité qu’il mettait à attirer en France les grandes familles étrangères…Je résolus donc de demander pour mon neveu la princesse Dorothée de Courlande et pour que l’Empereur Napoléon ne pût revenir, par réflexion ou par caprice, sur une approbation donnée, je sollicitai de l’empereur Alexandre, ami particulier de la duchesse de Courlande, de demander lui-même la main de sa fille pour mon neveu » (Propos de Talleyrand rapportés par F. de Bernardy )
 La duchesse de Courlande et sa fille Dorothée par Grassi
On disait “ Mademoiselle Batowski (et non la princesse Dorothée de Courlande) est une mine du Pérou.” Personne ne semblait avoir de doute sur son père biologique et personne n’en semblait gêné ni offusqué, le duc de Courlande l’ayant reconnue et lui ayant laissé une partie de son immense fortune.
Talleyrand intervint donc auprès du tsar, durant l'entrevue d’Erfurt, qui lui intervint auprès de la duchesse de Courlande. Le destin de Dorothée était fixé avant même d’avoir aperçu Edmond de Talleyrand-Périgord. Sa mère accepta la proposition. Bien que Talleyrand-Périgord ne fût pas d’extraction royale ou princière comme ses autres gendres, il était au coeur même du nouveau pouvoir qui à l’époque accédait à son zénith. 
Le lendemain de sa visite, Caulaincourt écrivait à Talleyrand : “ La belle Dorothée a quinze ans; elle paraît fort bien élevée. Nous avons trouvé le château rempli d’épouseurs mais le grand rival n’y était pas.” Czatoryski était bien loin.
L’abbé Piattoli, dûment chapitré par la duchesse de Courlande, lorsque Dorothée lui demanda des nouvelles du prince, répondit : “Je n’en ai point, ce silence doit vous prouver, ma chère enfant, que nos rêves étaient des chimères - A Dieu ne plaise, m’écria-je - N’en parlons plus, reprit-il avec émotion, ce sujet de conversation me fait mal.” (Id )
Au château de Löbikau, Dorothée a la surprise de voir le comte polonais, Batowski, dont la présence inattendue lui déplut. “Il me semblait tomber des nues; je ne pouvais deviner le motif qui le faisait arriver tout droit de Paris, au coeur de l’hiver ( c’était en février 1809) dans un lieu qui ne pouvait lui offrir ni intérêt ni amusant.” (id) Dorothée ne semble pas vraiment attachée à celui que la société lui donne pour père naturel. 
Comte Batowski par Antoni Brodowski
Batowski semblait être destiné à jouer les intermédiaires. Il venait d’être le porte-parole du gouvernement polonais, auprès de Talleyrand. Afin que Napoléon offre des conditions plus favorables à la Pologne lors de la constitution du Grand-duché de Varsovie, Batowski avait apporté à Talleyrand, quatre millions de florins. Il était maintenant le porte-parole de Talleyrand auprès de la duchesse de Courlande. 


Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord
Prince de Bénévent
Il ne précédait Edmond de Talleyrand-Périgord que de quelques jours. Son arrivée au son du cor de sa voiture ne fut pas du goût de Dorothée qui comprit enfin à l’énoncé du nom du visiteur les allusions  du tsar lors de sa visite.

Le lendemain, elle fut convoquée par sa mère, dans sa chambre. Entourée des lettres qu’elle avait reçues la veille, la duchesse attaqua : “Il est temps de vous faire connaître le véritable motif fr la visite que l’empereur de Russie m’a faite ici, à son retour d’Erfurt. Il croit avoir de grandes obligations au prince de Bénévent et il voudrait les reconnaître; Sa Majesté ayant témoigné à ce prince le désir de lui être agréable, celui-ci l’a prié de protéger auprès de moi, la demande qu’il voulait faire de votre main pour son neveu. L’empereur a donné sa parole que ce mariage aurait lieu; il est venu me le dire, en ajoutant qu’il comptait trop sur mon amitié pour ne pas être sûr que je l’aiderais à donner à un homme qu’il aime et qu’il lui importe de satisfaire, la seule preuve d’amitié qu’il eût l’air de désirer.” (id)

 Le château de Löbickau


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