16/07/2021

Les Wendel - Une dynastie d'acier et d'argent - Cinquième partie : Les turbulences de François II de Wendel

 Au XIXe siècle, les Wendel étaient admirés. Au XXe, ils furent vilipendés. Du capitalisme triomphant, on était passé au capitalisme chaotique. 


La grande-bourgeoisie capitaliste au début du siècle

Henri de Wendel et ses enfants


François II de Wendel est, pour la famille, le grand homme de la période de la fin d’une guerre à l’autre. Il est non seulement le chef de la famille mais le chef incontesté de l’entreprise.


Comme ses ancêtres, François I et Charles II, il est tenté par la politique et à leur différence, il s’y impliquera à fond, ne se contentant pas uniquement de siéger au Parlement mais aussi, et surtout, en tentant d’avoir une influence sur la vie politique d’un pays, où tout est remis en question d’une année sur l’autre.



La Chambre des Députés


A la Chambres des Députés, il est membre de l’Action Nationale Républicaine, elle-même membre du Bloc National Républicain. Il est difficile d’entrer dans les méandres de la vie politique de la IIIe République. Disons, pour simplifier, qu’il s’agit d’un groupe de centre droit républicain, hostile aux idées monarchistes comme aux idées socialistes, et pire encore communistes. Le président du groupe est François Arago (1862-1937 ), vice-président de la  Chambres des Députés. 



François Arago (1862-1937)


On peut lire dans les liste des députés de cette législature de 1919 à 1924, trente-cinq noms aristocratiques, parmi lesquels La Ferronays, Menthon, Rodez-Bénavent, Talhouet-Roy, Castellane, Castelnau, Juigné, Monti de Rézé etc… Il y a aussi Léon Blum, Marc Sangnier le créateur du Sillon, Briand et tant d’autres noms qui ont fait la IIIe République. Maurice de Rothschild en fait également partie.  



Maurice de Rothschild (1881-1957)


Les combinaisons se succèdent les unes aux autres. Il est impossible de former une majorité et droite, centre et gauche tentent tant bien que mal de s’entendre sur des programmes de gouvernement, à géométrie variable. Et ce sans compter avec le Sénat, tout aussi diversifié.


François II de Wendel suscite la méfiance. Il a trop d’argent, son nom est synonyme de pouvoir industriel et financier. N’est-il pas une figure éminente, presque un roi, de toute une province, la Lorraine ?  



François II de Wendel

Archives de la Chambre des Députés


Il n’est pas un homme de droite. Il est avant tout un nationaliste, comme Raymond Poincaré, lorrain également. Il se veut libéré de toute influence cléricale. La monarchie est du passé et l’Eglise doit rester à la place qui lui a été fixée en 1905. Cela au grand scandale de sa famille !

Il soutient l’occupation de la Ruhr, décidée par Poincaré, en vue d’obliger l’Allemagne à passer ses dettes de guerre.  



Raymond Poincaré (1860-1934)


Il subit immédiatement la première attaque durant l’été 1923. Pour “L’Humanité”, le journal du Parti Communiste, sa position ne se justifie que par une entente secrète avec les Krupp. Les sidérurgistes des deux côtés de la frontière vont se partager le gâteau. Et Poincaré n’aurait décidé l’occupation de la Ruhr que pour leur faire plaisir. Tout ceci, bien entendu, est faux. Il s’agit d’une décision purement politique à laquelle François II de Wendel a  adhéré. 

 


Occupation de la Ruhr

 



Manifestation en Allemagne contre l’occupation


En 1929, surgit le problème de la dette française vis-à-vis des Etats-Unis. Il n’est pas contre le remboursement mais à ses yeux, tant que la France, n’a pas reçu des dommages de guerre de l’Allemagne, il est hors de question de rembourser les Etats-Unis. Les dettes de guerre sont un tout. 

Les crises monétaires sont aussi très présentes. Le franc se dévalue par rapport à la livre sterling. Elle cotait à 81,13 fin 1923, elle montera à 106,53 le 4 mars 1924. Le franc a perdu un quart de sa valeur face à la livre.

Pour rétablir la situation, le gouvernement demande à la Banque de France de piocher dans le stock d’or de la France. Deux régents, François II de Wendel et Edouard de Rothschild s’y opposent. Il n’est pas question de donner l’or français en garantie des prêts demandés aux banques anglaises et américaines. On ne se sépare pas aussi facilement des joyaux de famille. 



Edouard de Rothschild (1868-1949)


Monétaristes, attachés à la valeur du franc, Wendel et Rothschild, acceptent seulement que la Banque de France intervienne directement sur le marché des changes en injectant 100 000 dollars, garantis par le gouvernement français au moyen d’émission de Bons du Trésor. Cette décision fait retomber la livre au cours de 70 francs en avril 1924. 

La prise de pouvoir par le Cartel des Gauches, présidé par Edouard Herriot, n’est pas du goût de François II de Wendel. Il y a plus de billets en circulation qu’il ne convient. Le Trésor est à nouveau vide et le franc s’effondre. François II de Wendel fera tomber le gouvernement Herriot, qui se dire victime du “mur d’argent”, c’est à dire de la Banque de France et de ses régents. 

La dévaluation reste maintenant la seule solution. Sur le principe, il y est opposé mais il comprend que Poincaré n’a pas d’autre solution. 

Le 25 juin 1928, le gouvernement français dévalue le franc des 4/5e de sa valeur. La monnaie nationale ne vaut plus que le cinquième de la contrepartie en or du franc d'avant 1914, le franc germinal, créé par Napoléon Bonaparte un siècle plus tôt. Cette dévaluation massive met un terme à la crise financière qui agite l'État. Elle est le résultat d'une politique courageuse menée envers et contre tous par le président du Conseil, l’autre lorrain aux commandes, un conservateur austère et sans charisme de 67 ans, qui a déjà eu l'écrasante responsabilité de présider la République française tout au long de la Grande Guerre.  


Le Franc Germinal et le Franc Poincaré

Le franc pèse désormais 65,5 milligrammes d'or au titre de 900 millièmes, contre 322,58 milligrammes d'or lors de sa création par Bonaparte par la loi du 7 germinal an XI (27 mars 1803). On a désormais environ une livre pour 125 francs et un dollar pour 25 francs. La mesure permet de restaurer la convertibilité du franc en lui donnant une valeur réaliste. Les comptes publics et les échanges se redressent et l'année 1929 se présente sous les meilleurs auspices.

Les problème monétaires résolus, il va falloir à la France, comme au reste du monde affronter la crise économique, née un fameux “Jeudi Noir”, le 24 octobre 1929. Il est inutile de s’étendre sur les causes et les conséquences de la crise, elles sont aujourd’hui connues de tous. Mais qu’en est-il des Wendel ?

Il est difficile de répondre à la question car les bilans des entreprises Wendel pour la période n’ont jamais été publiés. Leur activité a, bien entendu, été ralentie. 40% en moins pour la production des voies de chemins de fer. L’intégration de la production de la mine aux hauts-fourneaux, une fois de plus, a permis la survie des Wendel. Ils ont eu des difficultés de trésorerie. Il faut dire à leur actif, que s’ils sont restés discrets sur les chiffres, ils n’en ont pas moins continué leur politique sociale, en évitant au maximum les licenciements et en continuant leurs oeuvres sociales.  


 Les usines Wendel à Jœuf vers 1930  





Hayange - Usine St Jacques

En 1932, François II de Wendel est élu sénateur. Il ne sera jamais ministre mais il sera toujours un homme d’influence. Et c’est bien ce qui lui sera reproché. On lui donne le pouvoir de déterminer la politique de la France à son profit. Tout ceci est faux. il n’a jamais pu être prouvé qu’il ait agi dans l’intérêt de ses entreprises. 




Hayange - le château à la même époque

Mais richissime, député, sénateur, régent de la Banque de France, président du Comité des Forges et patron de presse, cela peut susciter des envies et bien des calomnies.

Avec la Banque Rothschild, il a acheté en 1927, “Le Journal des Débats”, l’organe de presse qui fait quasiment l’opinion. En 1929, il prend une participation majoritaire dans le journal “Le Temps” qui, lui, est quasiment la voix officieuse de la France. Il possède aussi deux journaux mineurs “La Nation” et “L’Avenir”. Tout ceci accrédite l’homme à l’influence majeure dans la vie politique française. Mais outre le fait qu’il a englouti des fortunes, sans retour sur investissement, il n’aura jamais la possibilité de faire l’opinion. Le souhaitait-il ? Le résultat sera en réalité qu’il deviendra le bouc émissaire auquel on fera supporter les erreurs politiques de la France.  


L’équipe du Journal des Débats en 1921

En 1935, la crise monétaire est de nouveau présente. Il faut dévaluer à nouveau et l’opinion s’y refuse. Marcel Déat (1894-1955) le socialiste qui fera carrière ensuite dans la collaboration avec l’Allemagne, écrit : “ Nous avons eu le sentiment qu’à côté des forces politiques…des forces extérieures et assurément plus fortes sont entrées en jeu…en particulier du côté de la Banque de France” ( cité par Yves Guéna) 


Marcel Déat (1894-1955)

et Léo Lagrange (1900-1940) socialiste, futur ministre des Loisirs du gouvernement Blum en rajoute : “Depuis un mois le franc est en péril…la presse est inquiète, l’opinion est complaisamment invitée…à la panique…Pourquoi ? Par qui ? parce ce que deux cents familles qui règnent sur notre pays n’acceptent pas la mise en discussion de leurs principes et, contre la monnaie nationale, organisent l’émigration ( des capitaux ). Par qui ? Par M. de Wendel et M. de Rothschild…” ( cité par Yves Guéna)  


Léon Blum( 1872-1950) en 1936

Et Blum pour finir : “ Nous sommes en présence d’une véritable conspiration…contre le Parlement et contre la volonté souveraine du pays.” Deux cents familles ! Le slogan est lancé et collera pour toujours aux Wendel et aux Rothschild. Pourquoi “Deux Cent Familles” ? Parce que lors de la création de la Banque de France en 1800, l’article 11 de ses statuts dispose que “les 200 actionnaires qui composeront l'Assemblée générale seront ceux qui seront constatés être, depuis six mois révolus, les plus forts propriétaires de ses actions”. 



Affiche du Front Populaire contre les 200 familles

Ces deux cents membres de l'Assemblée générale avaient ainsi le pouvoir de désigner les quinze membres du Conseil de Régence de la Banque de France. Ce pouvoir est toutefois tempéré par les lois de 1803 et 1806 : le gouvernement nommera une partie (minoritaire) de membres du Conseil général, dont le gouverneur et les deux sous-gouverneurs. Mais la réalité du pouvoir ne réside pas au sein de l'Assemblée générale mais à la direction même de la Banque de France. Il faut considérer les banquiers régents de sa direction comme les représentants actifs des “Deux cents familles” et de de leur périphérie.  


Edouard Daladier en 1933

Il y avait une réalité dans le chiffre 200 mais il n’y en avait pas dans le pouvoir que l’on leur prêtait. Edouard Daladier, le négociateur des Accords de Munich en 1938, dira en 1934 : « Ce sont deux cents familles qui, par l'intermédiaire des Conseils d'administration, par l'autorité grandissante de la banque qui émettait les actions et apportait le crédit, sont devenues les maîtresses indiscutables, non seulement de l'économie française mais de la politique française elle-même. Ce sont des forces qu'un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n'eût pas tolérées dans le royaume de France. L'empire des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent leurs mandataires dans les cabinets politiques. Elles agissent sur l'opinion publique car elles contrôlent la presse.» 



Les chefs des 200 familles avec en tête François de Wendel

Accuser François II de Wendel de favoriser la dévaluation est une absurdité. Au lieu de dévaluer on procèdera, suivant son conseil, à une diminution des traitements des fonctionnaires, des pensions et des rentes. Ce fut une grave erreur et c’est plutôt cela qu’on devrait lui reprocher.

On oublie facilement à son sujet qu’il n’a cessé de dénoncer l’Allemagne hitlérienne avec une lucidité remarquable. La vague d’antisémitisme en Allemagne, depuis la Nuit de Cristal, le 9 novembre 1938, ne le prit pas au dépourvu. En mars 1933, il avait écrit : “ L’Allemagne que l’on accuse souvent de manquer de psychologie…et qui depuis quinze ans semblait au contraire en avoir montré beaucoup plus, vient, enfin!, de faire la forte gaffe…! L’Allemagne dresse aujourd’hui contre elle les Juifs de tous les pays…” Et au lendemain du 6 février 1934 François II de Wendel demandera au Parlement de proscrire tout antisémitisme. 

La réoccupation de la Rhénanie par Hitler le 7 mars 1936, suivant la remilitarisation de l’Allemagne en 1935, eut comme conséquence de faire accepter par Wendel le rapprochement de la France avec l’Union Soviétique. Il a pris conscience que la Russie soviétique est moins dangereuse pour le moment que l’Allemagne hitlérienne. Sa prise de position lui fut reprochée par l’ensemble de la droite. Quant à la gauche, elle l’accusera de fausseté et de collusion avec l’Allemagne nazie, servant ainsi ses intérêts industriels. 

L’Anschluss, c’est-à-dire l’union entre l’Allemagne et l’Autriche ( ce qui avait été la hantise des derniers Habsbourg)  le  12 mars 1938, permise par la lâcheté de 1936, puis les Accords de Munich, le 29 septembre 1938, et abandonnant la Tchécoslovaquie à Hitler, ont fait dire à François II de Wendel : “ Il y a actuellement un danger bolchévique intérieur et un danger allemand extérieur. Pour moi le second est plus grand que le premier et je désapprouve nettement  ceux qui règlent leur attitude sur la conception interne. Il ne tient qu’à la France elle-même d’échapper au bolchevisme. Le danger allemand est là, à côté de nous et nous n’y pouvons rien…”  


Les   Accords de Munich en 1938

de gauche à droite : Chamberlain, Daladier, Hitler, Mussolini et le comte Ciano

Lui, un Wendel, le capitaliste par excellence, avait une lucidité que la gauche n’avait pas, ou ne voulait pas avoir. Laval, socialiste, Déat, socialiste, Doriot, communiste, ne vont pas tarder à s’engager dans la collaboration avec l’ennemi. Il n’y aura jamais chez les Wendel aucune compromission avec l’Allemagne nazie. Le chef de la famille était aussi son  porte-parole. 


Le Déshonneur

A la déclaration de guerre, le 2 septembre 1939, les Usines Wendel tournent de nouveau à plein régime. Le 14 juin 1940, le gouvernement français donne l’ordre d’abandonner la Lorraine, d’arrêter les usines et de renvoyer le personnel. Les Wendel honoreront les salaires des 16 000 ouvrier travaillant pour eux.  Et une fois de plus Hayange, Jœuf, Moyeuvres et les autres lieux Wendel passeront aux mains de l’ennemi.

François II de Wendel avait bien eu raison de se méfier de l’Allemagne.



La Lâcheté