14/08/2020

La princesse de Bénévent 1/2

 


Son Altesse Sérénissime la princesse de Bénévent


Le prince de Bénévent partit danser à Vienne en septembre 1814. Il devait y représenter la France et surtout éviter qu’elle ne fut dépecée. Il aurait dû partir en compagnie de son épouse; il choisit sa nièce.




“Le Congrès s’amuse”

Caricature de l’époque


Talleyrand était bien et légalement marié selon les lois françaises, pas forcément selon les lois de l’Eglise.


Il convient de s’attarder un moment sur Son Altesse Sérénissime la princesse de Bénévent. Qui était-elle ?



La princesse de Bénévent en 1805

par Gérard


Le 10 septembre 1802 à Paris a été célébré le mariage de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, ci-devant évêque d’Autun, présentement ministre de Affaires extérieures et Catherine Noël Worlee, divorcée de Georges-François Grand.




Talleyrand peu après son mariage


Le contrat de mariage avait été signé le 9 septembre, en présence, outre des deux notaires, des deux frères du fiancé, Archambaud et Boson, de la citoyenne Bonaparte, des trois consuls, Bonaparte, Cambacérès et Lebrun, et enfin Maret chef de cabinet du Premier Consul. Les témoins du mariage ne sont pas moins importants que ceux du contrat. Ils sont Pierre-Louis Roederer, chef de l’Instruction publique, Étienne Eustache Bruix, amiral et conseiller d’état,  Pierre Riel de Beurnonville, ambassadeur de France, Maximilien Radix de Sainte-Foix et le prince Charles-Henri-Othon de Nassau-Siegen, ces derniers amis du fiancé.

Ce mariage célébré en grande compagnie, amis dans la discrétion, est l’aboutissement d’une histoire rocambolesque.




Le citoyen Bonaparte, Premier Consul

par Gros



La citoyenne Bonaparte en 1801


Comme Madame Bonaparte, la mariée n’est pas un prix de vertu. Née près de Pondichéry, un des cinq comptoirs français en Inde, le 21 novembre 1762 ( elle a donc 40 ans et lui 48 ans), Catherine Noël Worlee, fille de Jean-Pierre Werlée, capitaine du port de Chandernagor, chevalier de l’Ordre de Saint-Louis, et de sa seconde épouse Laurence Alleigne, épousa en 1777 George-François Grand, officier de la Compagnie des Indes, sujet britannique. D’une grande beauté, Catherine ne peut se contenter d’être une épouse fidèle. Sa liaison avec son premier amant Sir Philip Francis, membre du Conseil Suprême du Bengale, lui vaut d’être envoyée en Angleterre par son mari avec le consentement de son amant. Cet exil n’a pas dû lui déplaire. Après Londres où elle devint la maîtresse entretenue de  deux riches anglais, ce fut Paris, où elle fut remarquée pour sa beauté et entretenue par le banquier Valdec de Lessart. 



Claude Antoine de Valdec de Lessart 

par Quentin-Latour


Elle loua un petit hôtel particulier, rue d’Artois et fit des dettes, 4816 livres chez un bijoutier du Palais-Royal. Madame Grand était si à la mode et si belle qu’Elisabeth Vigée-Lebrun en fit le portrait. A la même époque, elle était aussi peintre de la reine et des grandes dames de la cour. Madame Grand était une courtisane. 




Madame Grand en 1783

par Elisabeth Vigée-Lebrun



« Elle était grande et avait toute la souplesse et la grâce si communes aux femmes nées en Orient »  a dit d’elle Madame de Rémusat. Son amant banquier, devenu ministre des Affaires étrangères, étant très lié à Talleyrand, nommé en poste à Londres, semble les avoir présentés. Il mourut sur l’échafaud le 9 septembre 1792, victime des “Massacres de septembre”. Soupçonnée en 1798 d’être un agent de l’ennemi, à savoir l’Angleterre, car elle entretenait une correspondance avec un de ses amants, le vicomte de Lambertye, qui y était émigré, la belle Madame Grand fût arrêtée. Et Talleyrand la sortit de prison par une supplique à Barras, le 23 mars 1798 : “ Citoyen Directeur, on vient d’arrêter Madame Grand comme conspiratrice. C’est la personne du monde la plus éloignée, la plus incapable de se mêler d’aucune affaire; c’est une Indienne très belle, bien paresseuse, la plus désoccupée de toutes les femmes que j’ai rencontrées. Je vous demande intérêt pour elle, je suis sûr qu’on ne lui trouvera point l’ombre de prétexte pour terminer cette petite affaire à laquelle je serais fâché que l’on mit de l’éclat. Je l’aime et je l’atteste à vous, d’homme à homme, que de sa vie elle ne s’est jamais mêlée et n’est en état de se mêler d’aucun affaire. C’est une véritable Indienne et vous savez à quel degré cette espèce de femme est loin de toute intrigue. Salut et attachement” ( Cité par Jean Odieux - Talleyrand, Flammarion 1970) Il y a dans cette supplique une déclaration d’amour étonnante chez son auteur mais qui explique peut-être leur mariage et leur vie commune ultérieure. Il semble bien qu’il l’ait aimée, à sa manière.

Beaucoup de choses ont été dites sur elle. Elle avait de l’esprit “comme une rose” disait d’elle son nouvel amant. Quand on lui demandait d’où elle venait, elle aurait répondu “Je suis d’Inde” ( et c’est de cela surtout dont se souvient la postérité ). On disait aussi que c’était “la belle et la bête ensemble.” Madame Grand passait donc pour une ravissante idiote. Quoiqu’il en soit, Talleyrand l’installe dans un hôtel particulier rue du Bac et elle y reçoit pour lui en maîtresse de maison. Elle lui fait connaître aussi le plaisir des sens, peut-être pour la première et unique fois. La liaison avec Madame Grand fut un mystère pour tous. Leur mariage plongea la société dans des abimes d’incompréhension. Comment Talleyrand, puissant, déjà riche à millions, en 1802, a-t-il accepté de l’épouser sur un ordre de Bonaparte ? Le Traité d’Amiens vient d’être signé, la paix est rétablie en Europe, Bonaparte crée l’Ordre de la Légion d’Honneur; il rétablit l’esclavage dans les colonies françaises, le Concordat a été signé avec l’Eglise. 





Caricature du Traité d’Amiens par James Gillray

« Le premier baiser depuis dix ans ! ou la rencontre entre Britannia et le Citoyen français. » Le Citoyen français : « Madame, permettez-moi de témoigner de ma profonde estime envers votre charmante personne et de sceller sur vos lèvres divines mon attachement éternel ! » Britannia : « Monsieur, vous êtes un gentleman vraiment bien élevé ! Bien que vous me fassiez rougir, vous embrassez si délicatement que je ne puis rien vous refuser, même si j'étais certaine que vous me tromperiez encore ! ».