08/07/2018

Marie, reine des Deux-Siciles, Quatrième partie




Marie Sophie

1848 - A l’Europe de la Saint-Alliance issue du Congrès de Vienne en 1814, l’Europe des Princes, et imposée par le chancelier Metternich, succéda l’Europe des Nations. Ce fut l’année du Printemps de Peuples. En l’espace de quelques mois, des révolutions éclatant un peu partout changèrent la donne.

Tout d’abord à Paris, Louis-Philippe, qui avait succédé à Charles X en 1830, fut renversé. Puis ce furent en Italie, Palerme, Naples, Milan, Florence qui virent la remise en cause de leurs souverains, tous liés au système autrichien et aux Habsbourg par mille liens familiaux. 


Metternich
A Vienne, Metternich dut s’enfuir sous les quolibets de la foule, lâché par la famille impériale qui, à son tour dut quitter sa capitale. En Hongrie, la République est proclamée par Kossuth, après la déchéance de la dynastie. La Pologne se révolta également contre l’autorité du Tsar. 

Ces mouvements, profonds dans leur idéaux, ne durèrent pas et la répression fut sévère dans tous les états qui finirent par rétablir les dynasties sur leurs trônes. François-Joseph succéda à Ferdinand en Autriche, la répression s’abattit sur la Hongrie. Dans les Deux-Siciles Ferdinand II retrouva un trône perdu fort peu de temps. La répression s’abattit sur Palerme et sur Messine. En France, la royauté fut abolie au profit de la République, dont le nouveau président, Louis-Napoléon Bonaparte, devint rapidement empereur.



L’Italie en mars 1860

Le calme revenu dans les états de Naples et de Sicile n’empêche pas le développement des idées nouvelles ailleurs dans la péninsule. L’idée nationale se développe autour de l’antique dynastie des Savoie, qui règne sur les royaumes de Piémont et de Sardaigne. 

Si l’histoire de Marie Sophie, et son destin, sont intimement liés à ce mouvement, il serait trop long d’exposer ici l’histoire de l’Unité italienne, faite grâce à Napoléon III au profit du Royaume de Piémont-Sardaigne et aux dépens de l’Autriche, des Etats Pontificaux et des Bourbons des Deux-Siciles. 

En 1860, toutefois, la situation à Naples n’est pas encore défavorable aux Bourbons. François II a rejeté les offres de Cavour et Marie Sophie peut être la reine incontestée des Deux-Siciles, rôle auquel elle s’est merveilleusement adaptée. Contrairement à sa soeur Elisabeth, la vie de cour et ses contraintes ne lui pèsent pas. Elisabeth ne voulait pas devenir impératrice, Marie Sophie a voulu être reine des Deux-Siciles. 

C’était sans compter avec l’esprit du siècle qui refusait désormais l’idée de monarchie absolue. L’empire français lui-même d’autoritaire devenait libéral. Et dans l’ombre italienne guettait un personnage fort connu en Europe et en Amérique depuis 1830, Giuseppe Garibaldi (1807-1882). Pour lui aussi, il est impossible de s’étendre sur sa vie dans cet article. 

Garibaldi à Palerme en 1860

En 1860, le républicain convaincu, qu’il était, avait accepté l’idée que l’unité italienne, son idée majeure, ne pouvait passer que par l’acceptation de la monarchie des Savoie, étendue à toute la péninsule, idée à laquelle Cavour n’était pas encore totalement favorable. Cavour et Garibaldi se sont bien trouvés sur le plan de l’opportunisme politique. Les divergences qu’ils pouvaient avoir quant à la forme de l’état, monarchie ou république, s’effaçaient devant leur idée commune d’une Italie unifiée. Et Cavour, une fois convaincu, sut parfaitement utiliser les capacités de Garibaldi à réaliser ce rêve, quitte ensuite à le renvoyer dans ses foyers. Et ce qui arriva.

Garibaldi avait dès le début des hostilités entre le Piémont et la France d’un côté et l’Autriche de l’autre, organisé un corps de volontaires, qui, le 28 mai 1859, battirent les Autrichiens à Varese. Les troupes franco-piémontaises, de leur côté, battirent les Autrichiens à Magenta le 4 juin 1859 et à Solférino le 24 juin, après être entrés dans Milan, capitale du royaume lombardo-vénitien, le 7 juin. 

Ces victoires successives mirent en fuite le grand-duc de Toscane, le duc de Parme et le duc de Modène. A la suite de plébiscites, leurs états, y compris la Romagne, état pontifical, et une partie de la Lombardie se réunirent au royaume de Sardaigne.

Elles donnaient un sens aux paroles de Metternich, « L'Italie est comme un artichaut qu'il faut manger feuille à feuille» mais pas comme il l’avait espéré. 

Garibaldi prit alors la décision qu’il fallait unir à l’Italie naissante le royaume des Deux-Siciles qui constituait la partie géographique et politique la plus importante de la péninsule.

Il rassembla mille volontaires qui partageaient ses vues, les fameux “Mille” avec leur chemises rouges. Venus de Gênes, ils débarquèrent à Marsala, le 11 mai 1860, pour porter secours aux insurgés de Messine et de Palerme. Parmi les Mille, on comptait 46 napolitains et une cinquante de Siciliens, mais aussi quelques étrangers parmi lesquels des Anglais. 

Embarquement des Mille à Gênes

L’essentiel de la troupe était originaire de Gênes, Bergame, Brescia et Pavie. C’était une arme improbable composée de 150 avocats, 100 étudiants en médecine, des commerçants, de ingénieurs, des propriétaires terriens. Leur armement dans son ensemble était ancien, voire obsolètes. Seuls 200 carabiniers étaient correctement équipés. 

Les Chemises Rouges de Garibaldi

Mais aussi hétéroclite et peu formée qu’elle ait été, en peu de temps, quatre mois, la troupe de Garibaldi s’empara de la Sicile, puis du Basilicate, de la Campanie et enfin de Naples où elles entrèrent le 7 septembre 1860. C’en était fini du royaume des Deux-Siciles, François II et sa famille avaient quitté la capitale la veille. Les 21 et 22 octobre 1860, par plébiscite le royaume fut annexé par la nouvelle Italie. 

Le film de Visconti, “Le Guépard” évoque magnifiquement cette période, de la prise de Palerme, au plébiscite. 

A  Naples, dans les mois qui précédèrent la catastrophe, jamais la vie sociale ne fut aussi brillante. A l’initiative de Marie Sophie qui aimait être la reine, la mondanité prit un tour extraordinaire, contrastant avec le règne précédent. Le théâtre San Carlo brilla de tous se feux, comme les salons de la résidence royale. Le 1er janvier une cérémonie énorme, dite “du baise-main” réunit toute l’aristocratie venue présenter ses hommages aux souverains qui les reçurent dans la salle du trône. Puis le 16 janvier, ce fut l’anniversaire de François II et deux jours après le lancement de la frégate “Borbone”, bateau à vapeur de 68 mètres, armé de soixante canons, en présence des souverains. Elle fut ensuite rebaptisée “Garibaldi”.

La frégate « Borbone »

La semaine sainte donna aussi l’occasion de fêtes somptueuses de piété. Marie Sophie présidait à toutes ces cérémonies resplendissante de beauté. Elle n’avait rien à envier à Elisabeth dans ce domaine. Elle était toujours vierge, au grand étonnement de la cour, de la ville voire de l’Europe. Mais toujours entourée de beaux cavaliers, la rumeur lui prêta des amants. Par eux, le marquis Salvador Bermudez de Castro, le bel et entreprenant ambassadeur d’Espagne,  qui avait publié des poèmes remarqués en 1841, ami de François II qui le créa duc de Ripalta. Mais personne n’a jamais pu prouver qu’à cette époque Marie Sophie trompait son mari. Le marquis de Castro, un ami pour elle, fut quelques années après l’amant de sa soeur Mathilde, devenue sa belle-soeur, comme comtesse de Trani.

Marie Sophie

François II que d’aucuns, à commencer par sa famille, jugeaient imbéciles ne l’était pas. Mais il était timide, voire peureux, et fuyant. Et il était surtout entouré de courtisans et de généraux incapables et corrompus. Marie Sophie lui dit un jour “ Tu devrais pas donner à certains l’Ordre de San Janvier, mais l’Ordre de Sauve qui peut”. 

François II

Toutes ces festivités ne pouvaient cacher la réalité de ce qui se préparait en Italie et l’imminence de l’attaque qui allait emporter le royaume. Garibaldi était tout sauf discret et son débarquement en Sicile ne fut une surprise pour personne. Le roi savait qu’il arrivait et où il devait arriver. Il savait aussi que Garibaldi agissait avec l’accord tacite de Cavour, même si ce dernier ne souhaitait pas en fait la disparition des Deux-Siciles. Mais il valait mieux pour lui, un Garibaldi, resté malgré tout républicain, dirigeant son énergie contre Naples et Palerme que contre Turin. 


Soldats de l’armée royale des Deux-Siciles

Face aux Mille que pouvait opposer François ?  93 00 hommes, soit le contingent le plus puissant de tous les états italiens, une flotte, la plus puissante de la Méditerranée, avec 11 frégates, 2 corvettes, 11 aviso et autres vaisseaux tous parfaitement armés. Le roi comptait sur cette armée formidable, dont le chef de la marine était son oncle, Louis de Bourbon-Siciles, comte d’Aquila (1824-1897), vice amiral. Ce dernier conseillait la fermeté à son neveu face à Garibaldi mais le roi le prit mal, pensant qu’il voulait prendre le pouvoir et se faire nommer régent. Il lui ordonna de quitter le royaume le 17 août 1860. Le comte d’Aquila, et son épouse, née princesse impériale du Brésil, finirent leur vie en exil à Paris.

Louis de Bourbon, comte d’Aquila

Il n’y avait hélas personne autour de lui pour conseiller le roi et dont il eut bien voulu écouter les conseil, le prince Filangieri, ayant compris le caractère hésitant voire faux de François II, avait donné sa démission, persuadé que rien ne pouvait plus être fait pour sauver les Deux-Siciles. 

La surprise vint que cette armée puissante fut défaite par une bande d’intellectuels à peine armés, dirigés certes par un homme de talent, voire de génie, mais si inférieure en nombre et en armement. 


Parcours de Mille


Le Piémont qui transporta Les Mille


Le roi et ses conseillers savaient donc que Garibaldi et ses Mille approchaient les côtes siciliennes. Il fallait organiser la défense de l’île mais la panique gagnait la capitale, le gouvernement et la famille royale. La nomination du général Landi, âgé de 72 ans, en fut le premier signe. Quand Marie Sophie l’interrogea sur ce choix, François lui répondit qu’il était le plus avancé en grade et donc que c’était à lui qu’incombait le devoir de commander l’armée. Marie Sophie lu conseilla de monter à cheval et de se montrer à la tête de ses troupes. Elle était plus que disposée à l’accompagner. Mais François rechignait à quitter la capitale.


Les bateaux des Mille devant Marsala


Bataille de Calatafamini

Les troupes de Landi, trois mille hommes, rencontrèrent celles de Garibaldi, mille cinq cents hommes, à Calatafimi le 15 mai 1860. Les troupes royales suivaient les rebelles depuis leur débarquement à Marsala, le 11 mai, sans jamais attaquer. Et quand Garibaldi prit l’initiative, Landi se mit sur la défensive et se retira devant l’ennemi. Il ouvrit la voie de Palerme sans pratiquement combattre. Il fut par la suite accusé d’avoir trahi au profit du Piémont. Il semble plus simplement qu’un certain nombre d’erreurs stratégiques aient été la cause de cette défaite. 

La nouvelle de cette défaite, suivie de la prise de Palerme, prit de court le roi et son gouvernement. Le prince Filangieri, à nouveau sollicité sur le conseil de Marie Sophie, accepta de prendre à nouveau les affaires en main, à la condition que d’une part le roi proclame enfin une constitution et que d’autre part, il aille rejoindre les troupes à Messine avec un renfort de quarante mille hommes, lui Filangeri assumant le pouvoir à Naples.


Prise de Palerme



Palerme après la bataille

Le comte de Chambord, consulté par François, lui conseilla aussi de monter à cheval et de rejoindre son armée. Mais François ne le voulut pas et les généraux qu’il consulta pour remplacer Landi se récusèrent, à l’exception du général Lanza, âgé de 73 ans. 

François, suivant l’avis du pape Pie IX, accepta toutefois l’idée de proclamer une constitution. Furieuse, la reine douairière, Marie-Thérèse, l’insulta lors d’un conseil d’état. Elle lui reprocha son manque de courage et de bon sens, son incapacité à gouverner, son manquement à la parole donnée à son père de ne jamais accepter de constitution. Elle le tutoya en l’appelant par son prénom. Marie Sophie prit la parole en lui disant : “Vos propos vous déshonorent. Vous n’avez aucun droit de vous adresser à Sa Majesté sur ce ton. Il est votre roi. Respectez le et cessez de l’appeler par son prénom comme s’il était votre sujet.”

Marie-Thérèse se leva et, avant de quitter la salle avec ses enfants, dit : “Je ne vous appellerai jamais Majesté, Altesse.”

François II, le 25 juin 1860, proclama enfin la constitution. Mais comme c’était la quatrième que les Bourbons des Deux-Siciles proclamaient depuis 1812, cela n’eut pas l’effet attendu car au lieu de l’explosion de joie qu’attendaient le roi et la reine, il n’y eut que de l’indifférence. Et pire, Naples commençait à sombrer dans l’anarchie  dans l’opposition, voire bagarres,  entre libéraux et réactionnaires. 

François II nomma le 14 juillet comme ministre de l’intérieur et chef de la police, Liborio Romano (1793-1867), un aristocrate acquis aux idées libérales. Le choix ne fut pas des plus heureux car le nouveau ministre fit appel à la Camora, la mafia napolitaine, pour maintenir l’ordre dans la ville, et voyant la remontée de la péninsule par les Mille, prit  des contacts secret avec Cavour et Garibaldi lui-même. Il conseilla enfin à François II de quitter la ville et de se réfugier à Gaète.

Outre la nomination de généraux âgés et incompétent, le roi ajouta à ses erreurs celle d’un ministre qui le trahit immédiatement.

Liborio Romano

La famille royale était toujours divisée en deux parties, d’un côté le roi et Marie Sophie qui tentaient de résister et de l’autre Marie-Thérèse qui se préparait à quitter Naples pour Gaète. Elle y établit une deuxième cour composée de ministres et de prêtres réactionnaires. 

La population napolitaine devant cette confusion commençait à rêver à un nouvel ordre sous la couronne des Savoie, qui les sauverait de l’anarchie.

Marie Sophie continua tout au long du mois d’août 1860 à mener la même vie, jugée extravagante. Elle continua à monter à cheval entourée de beaux cavaliers, à se baigner dans le port de Naples, comme par bravade face aux évènements qui se préparaient. François, de son côté, avait enfin compris qu’il lui fallait se rapprocher des Savoie qui ne voyaient pas l’aventure de Garibaldi d’un bon oeil, et ce d’autant moins qu’ils savaient que Mazzini (1805-1872), le chantre, très actif, de la révolution et de la république, était derrière le mouvement. 

Mais une fois de plus François II se trompait car les agents à Naples du roi de Sardaigne renseignaient Cavour et ce dernier finit par être convaincu que le royaumes des Deux-Siciles était condamné à disparaître et que rien ne le sauverait. L’idée monarchique ne pouvait être sauvée en Italie que par l’Unité.

Cavour écrira : “Quand le peuple a peur par les fantômes sortis de la réclusion à perpétuité lorsque l'armée est érodée par l'espionnage, par la méfiance à l'égard de ses chefs et par la dévalorisation des faveurs accordées aux troupes mercenaires, quand deux ou trois générations de soldats  ne se sont jamais mesurées à d'autres ennemis que leur propre peuple, l’édifice s’écroule, non par faute de puissance matérielle, mais par une  absence totale de tout sentiment généreux, de toute force morale.”

Et c’était bien la situation du royaume qui avait tant fait rêver Marie Sophie.


Affiche du Guépard, film de Lucchino Visconti