28/06/2020

La Courlande à Paris 1/2


Talleyrand en quasi-majesté
Huit jours après la célébration du mariage, la duchesse de Courlande et sa fille, la comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord, arrivent à Paris, seules. Son époux n’a pas accompagné Dorothée. Le mariage à peine célébré, l’officier a été rappelé à ses devoirs et est parti pour Ratisbonne, en Bavière. En effet il est membre de l’état-major du Maréchal Berthier, prince de Neuchâtel. Il n’était pas question pour un officier de l’armée impériale de ne pas participer à la gloire de l’épopée. Edmond participera à la batailles d’Essling les 21 et 22 mai 1809. La cinquième coalition contre Napoléon se prépare et bientôt Berthier sera fait prince puis duc de Wagram, à la suite de la victoire contre les Autrichiens les 5 et 6 juillet 1809. Malgré les premiers déboires en Espagne, l’Empire n’est pas encore à son apogée car la gloire impériale continue de monter. 

Maréchal Berthier, duc de Wagram
Les deux femmes sont accueillies par le prince de Bénévent dans son hôtel du 23 de la rue de Varenne. Cette ancienne résidence du prince de Monaco, est devenue la propriété de Talleyrand. Elle est aujourd’hui sous le numéro 57, la résidence du premier ministre de la France. Depuis le 28 janvier, l’étoile du prince de Bénévent a pâli. Il avait intrigué pour offrir la régence de l’empire à l’impératrice Joséphine, alors que l’on était sans nouvelles de Napoléon, cru mort en Espagne. 
Le 17 janvier 1809, en Espagne, Napoléon apprend la conjuration et accourt à Paris, arrivant le 23.  Le 27, durant trente minutes, il abreuve Talleyrand d'injures ordurières à l'issue d'un conseil restreint de circonstance : « Vous êtes un voleur, un lâche, un homme sans foi ; vous ne croyiez pas à Dieu ; vous avez, toute votre vie, manqué à tous vos devoirs, vous avez trompé, trahi tout le monde ; il n'y a pour vous rien de sacré ; vous vendriez votre père. Je vous ai comblé de biens et il n'y a rien dont vous ne soyez capable contre moi » Disgracié, il aurait dit à la sortie dudit conseil : « Quel dommage, Messieurs, qu'un aussi grand homme ait été si mal élevé”. 
Lorsque qu’est décidé de manière définitive le mariage de Dorothée avec son neveu, il n’est plus grand chambellan de l’empire mais il a conservé ses autres postes et prébendes, et surtout l’oreille de son maître. Il reste encore le personnage le plus influent du paysage politique français et donc européen. Le mariage de Dorothée n’est donc pas un mariage de dupes. 

Hôtel de Matignon
Trois personnages, Son Altesse Sérénissime le prince de Bénévent, 55 ans, Son Altesse Sérénissime la duchesse de Courlande, 48 ans et Son Altesse Sérénissime la princesse Dorothée de Courlande, comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord, 15 ans, se voient ensemble pour la première fois. Lui, à la démarche claudicante, semble froid et distant, elle la duchesse, une des plus belles femmes de son temps, et elle la jeune comtesse, à peine nubile, “maigre, un pruneau, petite figure animée par des yeux inquiets, tristes.” forment un trio inattendu. Pourtant à eux trois ils symbolisent le pouvoir et l’argent.
Talleyrand n’est pas du tout séduit par sa nièce, mais par la mère de celle-ci. Outre la beauté, la fortune, une réputation de “femme à tempérament”, la duchesse est une femme souveraine, dans ses manières et ses attitudes. Elle est de la trempe des reines. De plus, elle connaît  intimement toutes les têtes couronnées, à commencer par la famille de Prusse et le tsar de Russie. Elle est au fait de toutes les intrigues, politiques ou non, de son époque. Bref, elle a tout pour séduire Talleyrand. Lui, maître souterrain de l’Europe, supposé riche à millions, aux grandes manières, ne pouvait que la séduire à son tour. Et ce ne fut pas difficile. Ces deux êtres étaient le pur produit de la société aristocratique du XVIIIe siècle, d’une grande élégance et sans beaucoup de morale, fort peu de foi, adonnés à l’intrigue et prêts à tout pour occuper la première place. La pauvre Dorothée, la moins satisfaite des trois de la situation, n’avait pour elle que sa fortune et un mari qu’elle n’aimait pas. Elle a dû assister au ballet de séduction que se sont faits le prince et la duchesse avec la plus grande surprise. Les premières années de sa vie à Paris seront éclipsées par la splendeur du couple que formèrent sa mère et son oncle. 
La comtesse de Boigne en 1810 par Isabey
La comtesse de Boigne dans ses Mémoires : “Madame Edmond, devenu un personnage presque historique sous le nom de duchesse de Dino, était, à peine au sortir de l’enfance, excessivement jolie, prévenante et gracieuse; déjà la distinction de son esprit perçait brillamment. Elle possédait tous les agréments, hormis le naturel; malgré l’absence de ce plus grand des charmes de la jeunesse, elle me plaisait beaucoup…Le ciel l’avait créée jolie femme et spirituelle, mais la partie morale, l’éducation pratique avaient manqué, ou plutôt ce qu’une intelligence précoce avait pu lui faire apercevoir autour d’elle n’était pas de nature à lui donner des idées bien saines sur les devoirs qu’en femme est appelée à remplir. Peut-être aurait-elle échappé à ces premiers dangers si son mari avait été à la hauteur de sa propre capacité et qu’elle eût pu l’aimer et l’honorer. Cela était impossible; la distance était trop grande entre eux.” ( Mémoires de la comtesse de Boigne - Mercure de France - 1986) C’est un portrait contrasté que nous donne la comtesse de Boigne. Dorothée est belle et intelligente mais elle manque de morale. Elle est somme toute semblable à sa mère et à beaucoup de dames de l’époque.
La duchesse de Courlande
La duchesse de Courlande devient rapidement un centre d’attraction mondaine. Elle reçoit toute la cour impériale lors d’un bal magnifique qu’elle donne. Son nom est désormais associé à celui de Talleyrand. Et ce fut le début d’un grand amour.  Une grande complicité les unit, entente de l’esprit et entente du corps. A en croire les contemporains, et à la lecture de leur correspondance, il s’agit aussi d’une véritable frénésie sexuelle. On pourra lire sous la plume du prince de Bénévent, dont la duchesse conserva la correspondance, malgré l’ordre qu’il lui avait donné de brûler chacune de ses lettres, des secrets d’état ou privés, des révélations sur la situation et sur les individus. Mais on pourra aussi lire : “« Je vous aime de toute mon âme. Je trouve tout supportable quand je suis près de vous. Vous ! Vous ! Vous ! Voilà ce que j'aime le plus au monde » ( Cité par Georges Lacourt-Gayet dans son ouvrage sur Talleyrand) On imagine mal Talleyrand, personnage si froid en apparence, sujet à un amour si passionné. 
Leur relation est favorisée par l’installation de la duchesse de Courlande, et de sa fille, dans la demeure de son amant. Ce dernier avait reçu l’ordre de l’empereur de tenir table ouverte et d’y recevoir tous ceux qui pourraient aider le pouvoir en place. Son cuisinier, le célèbre Carême ( 1784-1833), est pour beaucoup dans la réussite des dîners du prince de Bénévent. Les affaires ne se traitent-elles pas mieux autour d’une belle table, bien garnie en mets de haute qualité et en bouteilles de vin rare.
Pièces montées imaginées par Carême
On croisait au 23 rue de Varenne, aux salons somptueusement meublés, non seulement des diplomates de haut rang, comme le prince de Metternich ambassadeur d’Autriche en France de 1806 à 1809, la nouvelle noblesse d’empire mais aussi la noblesse de l’Ancien Régime comme les duchesses de Luynes, de Fitz-James, les princesses de Vaudémont et de Bauffremont, et bien d’autres grand noms, Laval, La Tour du Pin, Coigny etc…
Salon de l’Hôtel Matignon
Beaucoup de ces dames ont eu une affaire avec Talleyrand et la duchesse de Courlande eut un peu de mal à conquérir la première place dans ce que l’on appelait “Le Sérail”. Mais elle y réussit jusqu’à en devenir “La Sultane”.
Dorothée, sa mère et le prince s’installèrent fin mai pour l’été au château de Rosny, près de Mantes-La-Jolie, propriété du comte Edmond de Talleyrand-Périgord. Il l’avait reçu dans l’héritage de sa mère dont la famille, les Sénozan, l’avait acheté de la famille du Grand Sully,  qui avait fait construire le château à la fin du XVIe siècle. Il sera plus tard la résidence d’été du duc et de la duchesse de Berry ( voir http://www.noblesseetroyautes.com/le-chateau-de-rosny-sur-seine/). Dorothée y est chez elle. C’est elle la maîtresse de maison, et non sa mère. Elle s’y plut  et continua à résider après le départ de sa mère et de son oncle pour le château de ce dernier où ils pouvaient vivre leur passion sans se soucier de la jeune femme.
Le château de Rosny
La nouvelle famille de Dorothée est totalement indifférente à son égard. Son beau-père, Archambaud, présent au mariage, n’a que faire d’elle. Selon ses contemporains, il est aussi beau que bête. Sa belle-mère a été guillotinée en 1794. Sa belle-soeur Mélanie, future duchesse de Mouchy, ne lui manifeste aucun intérêt. Son mari Antoine Just de Noailles, futur  prince de Poix, fait comte de l’Empire en 1810, et elle ont une vie mondaine dans laquelle une toute jeune femme n’a pas encore de part. Dorothée est donc bien seule. 

Just de Noailles, duc de Mouchy
Peu après le mariage Edmond de Talleyrand-Périgord acheta un hôtel particulier au 2 rue de la Grange-Batelière, qui serait aujourd’hui le 2 rue Drouot, à proximité de l’Hôtel d’Augny, actuellement la mairie du IXème arrondissement de Paris. Cet hôtel, qui avait été la résidence du prince Metternich lors de sa première ambassade, n’existe plus.
La duchesse de Courlande s’était installée au 103 rue St Dominique, proche de la résidence de Talleyrand.
La fin de l’année 1809 vit le divorce de Napoléon et de Joséphine. Le mariage avec l’archiduchesse Marie-Louise donna l’occasion de fêtes splendides et celles données par la duchesse de Courlande furent courues par tous. La mère brillait de tout son éclat, la fille faisait pâle figure à ses côtés. 
« La duchesse était sur le retour, mais elle gardait des restes de beauté qui lui assuraient de tardifs succès. Tout le monde briguait la faveur de lui être présenté. Il était convenu d'admirer tout ce que la duchesse faisait. On admirait surtout ses élégantes toilettes et ses diamants. Je l'ai vu souvent, plus d'une fois, arriver à minuit, elle venait montrer sa robe de bal ou un bijou nouveau, ainsi qu'aurait pu le faire une femme de vingt ans. Son vieil adorateur (le prince) l'attendait toujours et la contemplait avec une admiration propre à faire mourir de jalousie tout son sérail, dont ma tante Tyszkiewicz faisait partie» ( Mémoires de la comtesse Potocka)


La duchesse de Courlande, médaille de 1812
L’empereur avait conservé à la nouvelle impératrice les dames de la Maison de l’ancienne, parmi lesquelles figuraient les plus grands noms de l’ancienne aristocratie française , Mortemart, Montmorency, Talhouët, Lauriston, Montalivet, mais aussi étrangère comme Lascaris, Brignole, et Gentile, ces dernières étant des familles génoises. A la fin de 1810, il décida de leur adjoindre d’autres dames, des belges, des toscanes et Dorothée, princesse de Courlande, qui venait d’avoir 17 ans. Les émoluments dévolus aux dames d’honneur, 3000 francs par an, ont du paraître bien ridicule à la nouvelle promue. 
“Toute jeune qu'elle était, la comtesse Dorothée de Périgord laissait deviner la femme remarquable qu'elle devait être, car elle réunissait les dons les plus rares de beauté, d'élégance et d'esprit ; mais, à la Cour, une intelligence aussi sérieuse, cultivée et indépendante, n'avait point de place et, en se contentant alors de s'établir en grande élégance et de prendre sa large part des fêtes, Mme de Périgord, qui se tenait un peu dans l'ombre de sa mère, s'arrangea pour n'inspirer aucune inquiétude et ne point faire soupçonner qu'elle eût des idées.” ( Frédéric Masson - L’impératrice Marie-Louise - Goupil et cie, éditeurs-imprimeurs, Paris 1902)


Ces deux témoignages donnent une idée de la distance qui séparait la mère de la fille. 


Revers de la même médaille

15/06/2020

La comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord - 2/2

La duchesse de Courlande avait de grandes obligations envers le Tsar qui lui faisait verser des indemnités énormes à la suite de l’abandon par son mari de ses droits souverains sur le duché au profit de la Russie. Elle fit semblant de résister en évoquant le caractère indépendant de sa fille, sur laquelle elle prétendait n’avoir que peu d’influence. Elle évoqua les fiançailles officieuses de celle-ci avec le prince Czartoryski. Si sa fille le préfère à tout autre, la duchesse n’est pas ravie de son choix comme elle l’avoue au tsar. 
Prince Adam Czartoryski
Alexandre Ier répondit à ces arguments : “..Adam Czartoryski se soucie nullement de se marier et qu’il se laissera toujours gouverner par sa mère, qui est une vieille polonaise intrigante et dangereuse. Je ne vois dans tout ceci qu’en jeune tête que l’on s’est plu à exalter, car Adam est un excellent homme, sans doute, mais il est devenu si sauvage et si triste que rien en lui ne me semble propre à séduire une personne de quinze ans. Enfin, ma chère duchesse,  je n’accepte aucune excuse, j’ai donné ma parole ; je demande la vôtre, et je la demande comme un témoignage de l’amitié que vous m’avez promise et que je crois mériter.”  (id )La mère était face à un ultimatum doublé de chantage. Ou Dorothée se soumettait au désir du tsar, où la duchesse perdait tous les avantages que le tsar lui avait procurés. Se posant en victime de l’autocrate, la duchesse n’en était pas moins ravie. Le mariage de sa fille avec le neveu de l’homme le plus puissant d’Europe, après Napoléon, allait lui fournir l’occasion de vivre à Paris  dans le cercle le plus haut du pouvoir. En lui demandant de “ ne pas refuser sans avoir bien pesé les avantages qui peuvent résulter les avantages qui peuvent résulter pour toute votre famille de cette alliance.” (id)
C’était un ordre. Dans la société de l’époque, il était impensable qu’une fille refusât le parti proposé par ses parents. Et en Russie, il était impensable qu’une famille refuse d’obéir à un ordre du tsar. Il fallait à Dorothée pour pouvoir se marier l’autorisation de sa mère et de l’empereur. Mais Dorothée résiste, évoquant son engagement auprès du prince Czartoryski, veux de trois ans, ayant confiance en lui et ses intentions. Profondément mécontente, sa mère lui répondit qu’elle ne répondrait à la demande de Talleyrand que dans trois jours. Elle lui demanda d’être poli face le comte de Périgord. Elle lui donnait un délai. Le comte Batowski s’évertua à lui vanter non seulement les vertus du jeune homme mais aussi la qualité et l’ancienneté de sa famille. Edmond de Talleyrand se trouvait dans une situation ridicule et il en avait conscience, aussi restait-il muet la plupart du temps. 
Une lettre de l’abbé Piattoli brisa la résistance de la jeune princesse : “Toutes nos espérance sont détruites; j’ai enfin reçu des nouvelles de la Pologne; elles ne sont pas du prince Adam mais d’un ami commun qui m’annonce que le mariage du prince avec Mademoiselle Matuschewitz est arrangé, que tout Varsovie en parle, et que la vieille princesse est enchantée.” (id)
Pour Dorothée, c’était la fin de ses espérances. Le prince Adam Czartoryski ne se maria qu’en 1817 avec une princesse Sapiezanska. Cette nouvelle était fausse. La lettre avait été inspirée à l’abbé Piattoli par la duchesse et le comte Batowski. L’abbé se laissa persuadé que son élève ne pourrait jamais être heureuse dans une famille qui ne voulait pas d’elle. Il mentit pour le bien de Dorothée. Une amie de sa mère, la comtesse Olinska, en rajouta donnant des détails sur le mariage projeté. Dorothée n’eut alors plus d’hésitation. Celui qu’elle aimait l’avait trahi, elle était donc libre d’épouser qui elle voulait et pourquoi pas Edmond de Talleyrand-Périgord dont l’union avec lequel offrait tant d’avantages et satisferait au moins deux personnes, le tsar et sa mère. 
Signature du contrat de mariage
“J’espère, Monsieur, que vous serez heureux dans le mariage que l’on a arrangé pour nous. Mais je dois vous dire, moi-même, ce que vous savez sans doute déjà, c’est que je cède au désir de ma mère, sans répugnance à la vérité, mais avec la plus parfaite indifférence pour vous. Peut-être serai-je heureuse, je veux le croire mais vous trouverez, je pense, mes regrets de quitter ma patrie et mes amis tout simples et ne m’en voudrez pas de la tristesse que vosu pourrez, dans les premiers temps du moins, remarquer en moi. - Mon Dieu, me répondit M.Edmond, cela me paraît tout naturel. D’ailleurs moi aussi, je ne me marie que parce que mon oncle le veut, car à mon âge on aime bien mieux la vie de garçon.” (id)
Il était difficile d’être moins romantique dans ce premier échange entre les futurs époux.
Le mariage de Dorothée eut lieu le 23 avril 1809 à Francfort, sans ses sœurs qui étaient hostiles aux Français et à cette union et sans Talleyrand qui avait initié ce mariage. Francfort avait été choisi car le prince-primat, Charles-Théodore de Dalberg, ami de Talleyrand avait accepté de célébrer l’union d’un catholique et d’une protestante. Etaient présents le père du marié, Archambaud de Talleyrand-Périgord, la mère de la mariée, la duchesse de Courlande qui accompagnait sa fille à Paris. Les témoins étaient M. d’Hédouville, M. de Salignac-Fénelon, M.Rapp, et le comte Léopold de Beust. 
 Général-comte Rapp (1771-1821)
témoin au mariage

Quand le prince de Bénévent vit enfin sa nouvelle nièce, il fut déçu par elle qu’il trouva maigre et chétive mais séduit par la mère  « à la peau d’une blancheur éblouissante, l’ oeil vif et caressant, il trouva charmante cette grande dame rompue aux intrigues amoureuses comme aux intrigues politiques et bientôt une tendre intimité s’établit entre eux, elle se transforma bientôt en une longue liaison, passionnée et jalouse du coté de la duchesse, sensuelle chez Talleyrand »   (F. de Bernardy)

Les dames de Courlande entraient dans la famille de Talleyrand par la grande porte mais surtout par le lit.
La comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord à 17 ans

08/06/2020

La comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord - 1/2


Alexandre Ier, Napoléon et les souverains de Prusse à Tilsit

Alexandre Ier, autocrate de toutes les Russies avait décidé d’être le bienfaiteur de la famille de la duchesse de Courlande. 
“Une lettre de l’empereur Alexandre annonça à ma mère que d’Erfurt, où il était alors, il viendrait la voir; il la prévenait qu’il ne lui demanderait qu’à dîner et qu’il ne serait accompagné que du prince Troubetzkoï ( peut-être l’ex-mari de la princesse Whilihelmine, sœur de aînée de Dorothée ), son aide de camp et de Mr de Caulaincourt (duc de Vicence, ambassadeur à St Pétersbourg à ambassadeur de France), qui retournait avec lui à Pétersbourg.  

Le marquis de Caulaincourt, duc de Vicence (1773-1827) par Gérard
En effet, le 16 octobre 1808, l’empereur arriva à Löbikau, à cinq heures du soir. Ma mère insista pour que je sortisse de ma retraite ce jour-là; j’obéis. Elle était entourée de sa sœur,  de ses filles, la princesse de Hohenzollern, la duchesse d’Acerenza et moi…et d’un grand nombre de personnes que la curiosité avait attirées. L’empereur fut plein de grâces pour tout le monde et voulut surtout être occupée de moi. Il me dit qu’il me trouvait grandie, embellie et ajouta, en plaisantant, qu’il savait que j’étais comme Pénélope, entourée de beaucoup de prétendants qui se plaignaient de mes rigueurs. J’étais si éloigne de supposer qu’il fut venu avec l’intention de fixer le choix de ma mère, que je répondis sans embarras à cette plaisanterie qui dura assez longtemps.  A table ma mère et Mr de Caulaincourt me séparaient de l’empereur…Tout à coup l’empereur me demanda si je n’étais pas frappé d’une sorte de ressemblance entre le prince Czartoryski et Mr de Périgord. “De qui Votre Majesté veut-elle parler ? répondis-je en rougissant de m’entendre interpellée par uenn question que j’aurais plus délicat de ne pas m’adresser - Mais de ce jeune homme assis là-bas, du neveu du prince de Bénévent, qui accompagne le duc de Vicence à Pétersbourg, fut la réponse de l’empereur - Pardon Sire, je n’avais pas remarqué l’aide de camp du duc de Vicence, et j’ai la vue si basse qu’il m’est impossible, d’ici, de reconnaître ses traits.” 



Edmond de Talleyrand-Périgord
Ma mère eut l’air mécontent. L’empereur se tut…Après le dîner, l’empereur pria ma mère de passer dans son cabinet ; ils y restèrent enfermés deux heures. En quittant le salon ma mère me dit : “Soyez polie pour le duc de Vicence, causez avec lui, vous savez que l’empereur le traite comme son ami. Je n’ai pas obtenu de vos soeurs qu’elles lui adressassent la parole; votre tante partage toutes les ridicules préventions dont il est l’objet; mais vous qui êtes trop jeune pour avoir des opinions politiques, ou du moins, pour en montrer, je vous charge de vous occuper de Mr de Caulaincourt, car je ne veux pas qu’il parte mécontent” ( Duchesse de Dino - Souvenirs et chronique - Editions Robert Laffont - Collection Bouquins - Paris 2016) Plutôt que de s’adresser au duc de Vicence, Dorothée devait, sans le savoir, en fait s’adresser, par personne intermédiaire au comte Edmond de Talleyrand-Périgord.


Archambaud de Talleyrand-Périgord (1762-1838)
La présentation du jeune homme est facile. Né en 1787, Alexandre Edmond de Talleyrand-Périgord, il a donc vingt ans lors de la rencontre, est le fils d’Archambaud, comte de Talleyrand-Périgord (1762-1838) et de Madeleine Olivier de Senozan de Viriville (1764-1794). Les Talleyrand-Périgord sont une des premières familles de l’aristocratie française, d’extraction chevaleresque remontant au XIIe ou XIIIe siècle. Grignols à l’origine, leur patrionyme devint Talleyrand qu’au début du XIVe siècle et Périgord en 1613, en qualité déclarée de descendant des comtes de Périgord. Le généalogiste d’Hozier conteste cette parenté et Louis XVIII eut le mot suivant : « M. de Talleyrand ne se trompe que d’une lettre dans ses prétentions ; il est du Périgord et non de Périgord. » 


Charles-Daniel de Talleyrand-Périgord (1734-1788)
Quoiqu’il en soit, il s’agit d’une famille de premier plan, on compte dans son ascendance des Rochechouart de Mortemart, des Damas d’Antigny, des Chastellux, des Colbert, et encore plus de premier plan en 1807. L’oncle du jeune homme n’est autre que de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, prince de Bénévent et de l’Empire, grand chambellan de l’empereur des Français, prince vice-grand-électeur, Grand Aigle de la Légion d’Honneur, Sénateur etc.… Il est impossible de s’étendre sur la carrière du personnage mais nous le retrouverons bientôt, tout au long de la vie de Dorothée, duc de Talleyrand et de Dino, pair de France etc…

Le récit que fait Dorothée de sa rencontre avec celui qu’on lui destine est charmant de naïveté. La réalité fut encore plus pragmatique qu’elle l’imaginait. Lors de son séjour à Berlin en 1807, Talleyrand, qui cherchait une riche héritière pour son neveu Edmond de Talleyrand-Périgord, entendit parler de la dernière fille à marier de la duchesse de Courlande et de sa richesse. 

« J’avais souvent entendu parler, en Allemagne et en Pologne, de la duchesse de Courlande. Je savais qu'elle était distinguée par la noblesse de ses sentiments, par l’élévation de son caractère et par les qualités les plus aimables et les plus brillantes. La plus jeune de ses filles était à marier... Ce choix ne pouvait que plaire à Napoléon. Il ne lui enlevait point un parti pour ses généraux qui auraient été refusés, et il devait même flatter la vanité qu’il mettait à attirer en France les grandes familles étrangères…Je résolus donc de demander pour mon neveu la princesse Dorothée de Courlande et pour que l’Empereur Napoléon ne pût revenir, par réflexion ou par caprice, sur une approbation donnée, je sollicitai de l’empereur Alexandre, ami particulier de la duchesse de Courlande, de demander lui-même la main de sa fille pour mon neveu » (Propos de Talleyrand rapportés par F. de Bernardy )
 La duchesse de Courlande et sa fille Dorothée par Grassi
On disait “ Mademoiselle Batowski (et non la princesse Dorothée de Courlande) est une mine du Pérou.” Personne ne semblait avoir de doute sur son père biologique et personne n’en semblait gêné ni offusqué, le duc de Courlande l’ayant reconnue et lui ayant laissé une partie de son immense fortune.
Talleyrand intervint donc auprès du tsar, durant l'entrevue d’Erfurt, qui lui intervint auprès de la duchesse de Courlande. Le destin de Dorothée était fixé avant même d’avoir aperçu Edmond de Talleyrand-Périgord. Sa mère accepta la proposition. Bien que Talleyrand-Périgord ne fût pas d’extraction royale ou princière comme ses autres gendres, il était au coeur même du nouveau pouvoir qui à l’époque accédait à son zénith. 
Le lendemain de sa visite, Caulaincourt écrivait à Talleyrand : “ La belle Dorothée a quinze ans; elle paraît fort bien élevée. Nous avons trouvé le château rempli d’épouseurs mais le grand rival n’y était pas.” Czatoryski était bien loin.
L’abbé Piattoli, dûment chapitré par la duchesse de Courlande, lorsque Dorothée lui demanda des nouvelles du prince, répondit : “Je n’en ai point, ce silence doit vous prouver, ma chère enfant, que nos rêves étaient des chimères - A Dieu ne plaise, m’écria-je - N’en parlons plus, reprit-il avec émotion, ce sujet de conversation me fait mal.” (Id )
Au château de Löbikau, Dorothée a la surprise de voir le comte polonais, Batowski, dont la présence inattendue lui déplut. “Il me semblait tomber des nues; je ne pouvais deviner le motif qui le faisait arriver tout droit de Paris, au coeur de l’hiver ( c’était en février 1809) dans un lieu qui ne pouvait lui offrir ni intérêt ni amusant.” (id) Dorothée ne semble pas vraiment attachée à celui que la société lui donne pour père naturel. 
Comte Batowski par Antoni Brodowski
Batowski semblait être destiné à jouer les intermédiaires. Il venait d’être le porte-parole du gouvernement polonais, auprès de Talleyrand. Afin que Napoléon offre des conditions plus favorables à la Pologne lors de la constitution du Grand-duché de Varsovie, Batowski avait apporté à Talleyrand, quatre millions de florins. Il était maintenant le porte-parole de Talleyrand auprès de la duchesse de Courlande. 


Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord
Prince de Bénévent
Il ne précédait Edmond de Talleyrand-Périgord que de quelques jours. Son arrivée au son du cor de sa voiture ne fut pas du goût de Dorothée qui comprit enfin à l’énoncé du nom du visiteur les allusions  du tsar lors de sa visite.

Le lendemain, elle fut convoquée par sa mère, dans sa chambre. Entourée des lettres qu’elle avait reçues la veille, la duchesse attaqua : “Il est temps de vous faire connaître le véritable motif fr la visite que l’empereur de Russie m’a faite ici, à son retour d’Erfurt. Il croit avoir de grandes obligations au prince de Bénévent et il voudrait les reconnaître; Sa Majesté ayant témoigné à ce prince le désir de lui être agréable, celui-ci l’a prié de protéger auprès de moi, la demande qu’il voulait faire de votre main pour son neveu. L’empereur a donné sa parole que ce mariage aurait lieu; il est venu me le dire, en ajoutant qu’il comptait trop sur mon amitié pour ne pas être sûr que je l’aiderais à donner à un homme qu’il aime et qu’il lui importe de satisfaire, la seule preuve d’amitié qu’il eût l’air de désirer.” (id)

 Le château de Löbickau