07/11/2013

Lucrèce Borgia, un destin royal


Lucrèce Borgia 
peinte par Bartolomeo Veneto
Née à Subiaco en Italie dans la province du Latium, le 18 avril 1480, Lucrèce Borgia était la fille naturelle de Roderic Llançol i de Borja (1431-1503), de noble famille espagnole, archevêque titulaire de Valence en Espagne, cardinal et vice-chancelier de la Sainte Eglise, depuis l’âge de 26 ans, nommé à ces postes prestigieux par son oncle le pape Calixte III et plus connu sous le nom d’Alexandre VI Borgia .

Alexandre VI Borgia, père de Lucrèce
Sa mère était Vanozza Cattanei (1442-1518), jeune fille de la bonne société de Mantoue. Mariée quatre fois, Vanozza (ci-dessous sur l’image) n’eût pas moins de deux papes pour amants, dont Jules II della Rovere, mais contrairement à ce qu’il est souvent dit, elle ne fut pas une courtisane, tout au plus une femme galante.
Vannozza Cattanei, mère de Lucrèce
La présence de bâtards reconnus au sein du Vatican peut surprendre aujourd’hui. Elle était pourtant commune à l’époque. Et il n’était pas choquant, pour la société du temps, de voir un homme d’Eglise, fût-ce le pape, avoir une descendance.
Les femmes avaient à la cour pontificale un rôle majeur, comme était majeure la puissance du pape, qui se comportait plus en prince temporel qu’en pasteur.
Lucrèce, avec ses frères, Giovanni, César et Gioffre, reçut à Rome une éducation des plus soignées. Adolescente, elle fut enlevée à sa mère pour être élevée au palais de son père, qui passait alors pour son oncle, par sa cousine Adriana de Mila, épouse de Lodovico Orsini et belle-mère de la nouvelle maîtresse du cardinal Borgia, Julia Farnèse, “la Bella Giulia”.
Le destin de tout ce petit monde cardinalice bascula quand, après avoir manqué deux fois l’élection, Rodrigue Borgia fut, à force de dépenses somptuaires et achat de voix, élu pape le 11 août 1492. Le 12 octobre de la même année Christophe Colomb découvrait l’Amérique.
Le règne pontifical le plus scandaleux de l’histoire de la Chrétienté commençait alors. Lucrèce et ses frères apprirent qu’ils étaient les enfants du nouveau pape, autrement dit au moins les égaux des autres princes de l’Europe, voire leurs supérieurs.
Sa beauté, déjà fort célèbre – une longue et épaisse chevelure blond, des yeux verts-noisettes, un visage régulier – sa grâce, son éducation, sa puissante parenté, la fortune de l’Eglise semblaient faire de Lucrèce un des grands partis de l’époque. Mais qui parmi les princes voulait d’une bâtarde fille de pape ? Les princes ne se bousculaient pas vraiment et ce d’autant moins que les infamies de la vie vaticane traversaient les murs des palais.
Mais Lucrèce devait être l’instrument de la politique de son père. Comment ne pas utiliser un si bel appât ?

Autre portrait présumé de Lucrèce Borgia 

Le premier qui se fit prendre dans les filets pontificaux fut Giovanni Sforza, seigneur de Pesaro, comte de Catignola, membre certes mineur de l’illustre maison milanaise, mais Sforza tout de même. Leurs noces furent célébrées le 12 juin 1493 à Rome.
La jeune fille de treize ans, entourée des dames de la noblesse romaine, de ses frères et de la maîtresse de son père Julia Farnèse, fut mariée par ce dernier. Une fête somptueuse fut donnée au Vatican.
Portait anonyme de Giovanni Sforza,
 premier mari de Lucrèce

Giovanni Sforza n’est pas un époux empressé et pour Lucrèce. La vie continua comme auparavant dans sa nouvelle demeure offerte par le pape, le Santa Maria in Portico, aux portes mêmes du Vatican. Musique, poésie, bavardages, festins somptueux constituaient le quotidien de la princesse pontificale.
Mais rapidement Giovanni Sforza ne fut plus utile aux manigances pontificales. La mort du roi de Naples, le 25 janvier 1494, offrait au pape une possibilité de rapprochement avec les Aragon. Reconnaissant Alphonse comme nouveau souverain et mariant son dernier fils, Gioffre, à Sancie la fille du roi napolitain, le 7 mai 1494, Alexandre VI rompit son alliance milanaise, car Ludovic Sforza ne reconnut pas les droits de l’Aragonais.
Giovanni, cousin de Ludovic, ne savait que faire et tenta de jouer sur les deux tableaux, entre sa famille et celle de sa femme. Il était de toutes façons désormais inutile à la politique pontificale. On programma alors sa mort mais Lucrèce, bien qu’elle n’aimât pas cet homme orgueilleux et violent, le prévint à temps. Il put ainsi prendre la fuite.  Lucrèce trouva refuge pour quelques temps au château de Gradara.

Château de Gradar

Le pape imagina alors de lui faire avouer son impuissance afin de prouver que le mariage n’avait pas été consommé. C’était bien sûr faux, le mariage avait été tardivement consommé, mais consommé. Que faire ? Moyennant un aveu et la conservation de la dot de sa femme, Giovanni Sforza reconnut les faits et le mariage fut annulé le 18 novembre 1497.
Cet évènement eut des conséquences néfastes sur la réputation de Lucrèce car Giovanni déclara ouvertement : « Si on m’enlève ma femme, c’est que le pape souhaite avoir la liberté de jouir lui-même de sa fille ». Cette phrase fut le début de la légende d’inceste qui entoura Lucrèce, soupçonnée d’être la maîtresse de son père, puis de ses frères. Rien toutefois n’a jamais permis de vérifier la chose; les historiens s’accordent sur son manque de vérité. Cette légende eût toutefois la vie longue.
A 17 ans, Lucrèce était désormais libre. Avant même le prononcé de l’annulation, ayant fui la cour pontificale, Lucrèce, lassée d’être le jouet politique de sa famille, se réfugia dans un couvent. Son père envoya en vain une troupe la chercher. Devant son refus, il changea de stratégie et lui envoya son camérier, Perotto, un jeune espagnol de vingt-deux ans. Lucrèce tomba assez vite sous le charme de ce séduisant jeune homme et amoureuse, découvrit le plaisir sexuel dont l’avait privée son mari. Chose surprenante dans une cour aux mœurs si libres, Perotto fut son premier amant. Contrairement à la légende noire, les chroniqueurs de l’époque vantaient la vertu de la jeune femme.

Les appartements des Borgia au Vatican
Amoureuse de Perotto, Lucrèce sembla en avoir été enceinte. Il n’existe toutefois aucune autre preuve que l’apparition en 1501 à la cour pontificale (ci-dessus les appartements Borgia au Vatican), d’un bébé, Giovanni Borgia. Déclaré tout d’abord fils de César, puis fils du pape lui-même, par deux bulles successives et contradictoires, Giovanni Borgia finit sa vie avec celle qui était sa tante, sa sœur ou sa mère. Mais Lucrèce amoureuse ne faisait pas l’affaire du pape et de son fils, César, qui avaient de nouveaux projets matrimoniaux pour elle. Un jour de février 1498, César poignarda Perotto, sous les yeux d’Alexandre, qui tenta, malgré tout, de protéger l’amant de sa fille.

Cesare Borgia, duc de Valentinois  frère de Lucrèce
peint d'après Correggio par Dosso Dossi entre 1517 et 1519
Ci-dessus, Cesar Borgia, duc de Valentinois, frère de Lucrèce. Les nécessités de la vie politique de sa famille avaient donc rattrapé la jeune femme. Lucrèce. Elle devait cette fois être le lien qu’Alexandre VI jugeait nécessaire entre les Etats pontificaux et le royaume de Naples. Le prince Alphonse (1481-1500), bâtard du roi Alphonse II fut choisi comme deuxième époux. C’était un un lien de plus entre les familles Borgia et d’Aragon, Sancie, la soeur d’Alphonse, ayant épousé Gioffre, Borgia, frère de Lucrèce.
L’avis de cette dernière n’avait pas été sollicité et elle attendait avec appréhension la venue de son fiancé. Oubliant Perotto, Lucrèce tomba amoureuse d’Alphonse, et lui d’elle. Le mariage fut célébré le 21 juillet 1498. La demeure des amoureux comblés, tous deux cultivés et mondains, fut désormais le lieu obligé de rencontre de l’aristocratie de naissance, des arts et des lettres de la Rome des Borgia, qui ne manquait pas de talents que le pape savait utiliser pour la plus grande gloire de sa cour.
La Rome des Borgia fut aussi celle de Pinturecchio qui peignit les fresques des appartements pontificaux, elle vit aussi Michel-Ange sculpter sa “Pieta” et Bramante programmer la grande colonnade du Vatican.

Lucrèce Borgia représenté en Sainte Catherine d'Alexandrie
Fresque par Pinturicchio. Vaticanp 

Mais César Borgia, le terrible frère, veillait hélas. Souhaitant épouser Charlotte d’Aragon, soeur d’Alphonse, afin de s’assurer du trône de Naples, César fut refusé. Envoyé à la cour du roi de France, Louis XII, César se vit offrir par ce dernier qui voulait s’attirer les bonnes grâces du pape, la princesse Charlotte d’Albret et le duché de Valentinois. Louis XII envisageait en effet de conquérir Naples et le Milanais. Le mariage de César et son séjour en France offrirent à Lucrèce un moment de répit. Mais en 1499, le duc de Valentinois, abandonnant femme et enfant, rentra à Rome.
Alphonse d’Aragon, désormais en danger, tout gendre du pape qu’il ait été, dut fuir Rome le 2 août. Il demanda à Lucrèce de le rejoindre mais cette dernière, quasi prisonnière de sa famille, ne put le faire immédiatement. Nommée gouverneur de Spolète, qu’elle administra très bien, elle put y accueillir son mari le 9 septembre. Mais le pape s’est officiellement déclaré en faveur de la France, donc contre Naples, César et Louis XII entrèrent dans Milan, fin septembre. Sans les prévenir de ces évènements, Alexandre VI demanda à sa fille et à son gendre de regagner Rome, ce qu’ils firent.
Lucrèce y accoucha d’un fils, Rodrigue, à la plus grande joie du grand-père. Tout sembla se calmer pour le jeune couple jusqu’à ce que César décidât d’intervenir à nouveau dans la vie de sa sœur. Il lui fallait se débarrasser d’Alphonse pour mener à bien, en compagnie du roi de France, ses projets napolitains. Alexandre VI, admiratif des exploits militaires de son fils mais tout en le craignant, le nomma gonfalonier de l’Eglise, soit général en chef des armées pontificales. César décida alors de s’ouvrir la voie du trône de Naples et d’utiliser à nouveau Lucrèce comme appât matrimonial. Le 15 juillet 1500, il organisa une première tentative de meurtre contre son beau-frère. Ce fut un un échec car Alphonse poignardé ne mourut pas. Lucrèce ne quittait plus la chambre de son mari après avoir demandé à son père de la protéger. Trois jours plus tard, César fit étrangler Alphonse par son homme de main, Micheletto Corella.

 Cesare Borgia
 par Altobello Mellone.
Lucrèce, désemparée, garda la chambre sans manger et son père tenta de la sortir de son désespoir tout en pensant de nouveau à ses intérêts politiques.
Car Lucrèce ne pouvait pas rester une veuve inconsolable. Elle valait trop cher à la bourse des affaires matrimoniales. Son père arrangea donc un troisième mariage. Cette fois, on visa encore plus haut : Alphonse d’Este, futur duc de Ferrare. La Maison d’Este était la première maison d’Italie et probablement la plus ancienne. La maison d’Este est, entre autres, l’ancêtre des ducs de Brunswick et donc des actuelles Maisons de Hanovre et de Windsor. Alphonse descendait des premiers marquis de Toscane au IXe siècle et, comme beaucoup de princes, de Charlemagne. Son père était le souverain de Ferrare, un des états les plus cultivés et les plus riches du nord de l’Italie. Et il n’était pas bâtard, sa mère en effet était Eléonore d’Aragon, princesse royale de Naples.
Pourquoi Alphonse d’Este, au-delà de l’immense richesse et des puissantes relations de sa famille ? Son père était l’allié du roi de France et était un ennemi de sa voisine, Venise, également hostile au pape.

Alphonse d'Este, duc de Ferrare
 troisième mari de Lucrèce

Cette union devait donc servir les intérêts du pape et de son fils César dans leur projet de porter la maison de Borgia sur un trône royal et les armées du duc de Ferrare ne pouvaient que d’être d’un grand secours, doublant celles du roi de France.
Mais les Este étaient plutôt réticents au mariage car les rumeurs d’inceste avaient fait leur chemin et les Borgia n’étaient pour eux que des parvenus scandaleux.
L’intercession du roi de France en faveur de Lucrèce fit son effet et le contrat de mariage fut signé le 26 août 1501 par les ambassadeurs des deux familles sous la condition que la moitié de la dot de deux cent mille ducats exigée par Hercule d’Este, le père d’Alphonse, soit versée avant l’alliance officielle.
Alexandre VI se rendit célèbre par la fameuse orgie du 31 octobre 1501. Les convives durent faire preuve de leur virilité, sous l’arbitrage des enfants du pape. Le scandale fut immense dans toute la Chrétienté.
Lucrèce, ayant fini par admettre la nécessité de son mariage, œuvra aussi pour sa réussite. Elle obtint du pape qu’il diminuât la redevance annuelle due par Ferrare au Vatican ( de 4000 à 100 ducats) et qu’il leur attribuât en outre quelques évêchés.
Le 6 janvier 1502, Lucrèce, enfin libre de son père et de son frère, quitta Rome, abandonnant à contrecœur son fils Rodrigue d’Aragon. Elle était désormais mariée avec l’héritier de la famille la plus puissante d’Italie. Toutefois, elle garda toujours son affection à son père qu’elle ne revit jamais.
A Ferrare, où elle fut bien reçue par sa nouvelle famille, Lucrèce trouva une cour brillante, sans doute la plus brillante d’Italie. En effet les Este patronnaient les arts, et en particulier la musique. L’Arioste et Josquin des Près sont des noms que l’on peut accoler à celui des Este. Le 12 février 1502, le mariage était célébré par une grande fête. Lucrèce avait 22 ans.
Sa nouvelle belle-soeur, Isabelle d’Este (1474-1539), marquise de Mantoue, fut une des figures proéminentes de la Renaissance, reconnue par tous pour son goût des arts et du vêtement. Après une période d’hostilité, probablement due une jalousie réciproque, les deux femmes furent des grandes amies le reste de leurs vies.

Isabelle d'Este par Le Titien
Logée au Palazzo Vecchio, qu’elle détestait, elle sut toutefois en faire un lieu agréable à habiter et y tenir une cour brillante, où sa culture, son intelligence et ses talents furent appréciés de son beau-père.
Elle accoucha, le 5 septembre 1502, d’un enfant mort-né avant terme. Mourante, elle fut soignée pas son mari qui l’aimait. Rétablie, elle reprit sa vie de cour, entourée d’artistes et d’écrivains. Elle eut, dit-on, une aventure avec Pietro Bembo, l’un de ses admirateurs. Son mari les découvrit et se contenta de les séparer.
Le 18 août 1503, Alexandre VI mourut. Lucrèce risquait alors de devenir inutile aux Este et son frère lui être à nouveau nuisible.
Conservant l’affection de sa belle-famille, bien qu’elle n’eût pas encore donné d’héritier, elle n’en soutint pas moins son frère contre le nouveau pape, Jules II della Rovere, ennemi juré des Borgia. Mais César, désormais sans l’appui du roi de France, défait par le roi de Naples, emprisonné, fut envoyé en prison en Espagne, à Valence dont il a été le cardinal titulaire.
Ferdinand et Isabelle, les rois catholiques avaient fait savoir à Naples “qu’ils tenaient cet homme en horreur pour la gravité de ses crimes et qu’ils désiraient qu’il leur soit envoyé soit bonne escorte…” Le 20 avril 1507, César Borgia mourut après s’être évadé. Malgré un chagrin, difficilement compréhensible car il avait tué deux des hommes qu’elle avait aimé et joué avec sa vie , Lucrèce fut enfin soulagée. Elle put dès lors se consacrer exclusivement à Ferrare dont elle était la duchesse depuis le 21 janvier 1505.

Lucrèce,  duchesse de Ferrare
 peinte par par Bronzino
Le nouveau souverain de Ferrare avait confiance en son épouse et lui donna la présidence de la Commission pour l’examen des suppliques. Il sut également en faire un instrument de charme de sa politique étrangère. Allié de la France, de l’Espagne, de l’Empereur Maximilien et du pape Jules II, Alphonse bat les armées de la Sérénissime République de Venise en 1509. Mais le pape changea de camp et demanda à Alphonse d’en faire autant. Devant son refus le duc de Ferrare fut excommunié et vit le cens de sa ville passer de 100 à 35000 ducats. Après une victoire aux côtés du chevalier Bayard, Alphonse est fait prisonnier le jour de Pâques 1512, mais réussit à s’enfuir.
Mère d’un héritier, Hercule, depuis le 4 avril 1508, Lucrèce, en vraie duchesse, fit face. Elle acheta des vivres, mit sa fortune en gage pour renflouer les caisses de l’Etat. Et à l’automne 1512, Alphonse Ier revint à Ferrare.


Lucrèce et son fils Hercule dEste

Le 21 février 1513, après la reprise des hostilités, Jules II mourut. Le nouveau pape, Léon X, en signe de conciliation, invita Alphonse à son couronnement. Le nouveau roi de France, François Ier, déclara au pape prendre le duché de Ferrare sous sa protection.
L’année 1515 fut pour Lucrèce l’année de tous les bonheurs. L’Arioste la plaça au firmament des femmes célèbres. Le Titien s’attaqua au décor du palais ducal. Son couple a été consolidée par les épreuves.

Palais ducal de Ferrare

Après avoir eu le bonheur de donner naissance à un troisième garçon, François, Lucrèce vécut à nouveau des années de malheur. En 1517, elle perdit son dernier frère vivant, Gioffre, puis en 1518, sa mère Vanozza Cattanei. Plus rien ne la rattachait désormais à son passé romain. Prenant conscience de la fragilité des choses, et au vu de la détérioration de son état de santé, Lucrèce mit ses affaires matérielles en ordre et s’occupa de l’avenir de ses enfants. Comblée par son mari, qui ne savait comment la remercier de tout ce qu’elle avait fait pour le duché, en temps de guerre comme en temps de paix, Lucrèce fut de nouveau enceinte mais l’enfant, une petite fille, mourut à la naissance. La duchesse de Ferrare (ci-dessus le palais de Ferrare)ne survécut pas à cette naissance difficile et mourut le 24 juin 1519.
Le 14 juin 1519, Lucrèce Borgia met au monde une petite fille frêle qui meurt aussitôt. Puis, comme quelques années auparavant, elle est victime d’une fièvre puerpérale. Cette fois-ci, elle ne s’en remettra pas : elle meurt le 24 juin. Elle fut pleurée par son mari, sa famille et le peuple de Ferrare.
Née bâtarde, elle mourut en vraie princesse et reconnue comme telle par tous ceux qui l’on approchée. La légende noire fut toutefois tenace. Messaline pontificale, inceste et meurtrière, telle fut l’image que l’on garda d’elle longtemps. Et pourtant, elle fut surtout la victime de la politique de son père et de son frère. Reconnue pour diplomate, amante des arts, femme intelligente et cultivée, aimée des siens et les aimant en retour, elle sut élever sa cour au niveau le plus haut de la culture européenne.


Blason de la famille d'Este 
Blason des Borgia 





















Le duc et la duchesse de Ferrare, Alphonse d’Este et Lucrèce Borgia, eurent six enfants parmi lesquels deux fils, Hercule II d’Este, duc de Ferrare (1508-1559) époux de Renée de Valois-Orléans (1510-1575), princesse de France, fille de Louis XII et la duchesse Anne de Bretagne, et François (1516-1578).
Par ses deux fils, Lucrèce Borgia, est l’ancêtre de la plupart des maisons souveraines et princières actuelles.
François dont on ne connait pas le nom de la mère de sa fille, Marfisa d’Este, épouse d’Alderano Cibo, marquis de Carrara, est l’ancêtre direct des Bourbons de Parme actuels. Le duc Robert Ier de Parme fut son descendant à la douzième génération.
Hercule II est l’ancêtre des Bourbons actuels, par Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712), sa descendante à la septième génération, épouse de Louis de Bourbon, duc de Bourgogne. Il est aussi l’ancêtre des Orléans, par François I de Lorraine, son descendant à la neuvième génération, époux de Marie-Thérèse d’Autriche, mais aussi par bien d’autres lignes, qu’il serait fastidieux d’énumérer.
Plus largement donc, Lucrèce Borgia est l’ancêtre des familles royales d’Espagne, de Belgique, de Luxembourg, des princes des Maisons d’Orléans, de Portugal, d’Autriche, de Bavière, du Brésil, de Saxe et des Bourbons de Parme et des Deux-Siciles. Elle mérite à ce titre de figurer, à l’instar d’Aliénor d’Aquitaine, et de bien d’autres princesses, au Panthéon de Noblesse et Royautés.

Hercule1 d'Este.




23/05/2013

La Sainte Couronne de Hongrie


Les regalia parmi lesquels la Sainte Couronne 



























La Sainte Couronne de Hongrie est un des regalia les plus porteurs de symbole en Europe et un des plus
anciens qui ait été transmis à ce jour, en Europe.
Appelée également la “Couronne de Saint Etienne”, elle a une origine qui reste inconnue.
Deux traditions s’affrontent.
Selon l’une, dite “la Légende de Hartvik”, nom d’un évêque du XIème siècle, elle aurait été envoyé par
le pape à Etienne Arpad, fondateur du Royaume de Hongrie, “Saint Etienne” (967-1038)
pour son couronnement, soit Noël 1000 soit le 1er janvier 1001.
Le pape aurait été Sylvestre II (946-1003) et la couronne aurait en fait été préparée pour Miesko Ier
(925-992) roi de Pologne de la dynastie des Piast. Dans un songe, des anges apparus au Saint-Père lui
auraient révélé qu’un autre roi avait envoyé un messager et c’est à lui que le couronne devait être remise.
Outre le fait que Miesko était mort avant le couronnement de Saint Etienne, il n’existe au Vatican
aucune trace du fait. Il est probable que le pape a envoyé une lettre de bénédiction pour le nouveau
souverain mais pas de couronne.
Selon l’autre légende, Otto III, Empereur Romain Germanique du 21 mai 996 au 23 janvier 1002, aurait
offert cette couronne à Etienne Arpad avec son consentement doublant la bénédiction pontificale.
La réalité est que l’on ignore quand la couronne apparut et qui fut le premier roi couronné avec.
Les deux légendes servant à illustrer deux visions du royaume de Hongrie, la première un royaume
indépendant et catholique créé avec la seule bénédiction pontificale, la deuxième un royaume
indépendant certes mais avec l’assentiment de l’Empereur Romain Germanique.

L'empereur François Joseph
Une chose est certaine, la Hongrie, dite “ des Terres de Saint-Etienne”, dont le territoire couvrait
la Hongrie actuelle, augmentée de la Transylvanie et de la Slovaquie, la Croatie en faisant partie mais
comme royaume séparé, n’a jamais été terre d’Empire. Son souverain n’a jamais été électeur ni
vassal de l’Empereur.
L’objet lui-même, au-delà de sa signification symbolique, présente la caractéristique d’être une couronne
latine – le diadème – surmontée d’une couronne grecque. Le tout est dominé par une croix penchée.
Elle forme une ellipse de 20,39 cm par 21,59 cm. En or, elle pèse 2056g et est décorée de dix-neuf
panneaux d’email, de pierres semi-précieuses et de perles.



La Sainte Couronne (vue de face)
La Sainte Couronne (vue de l'arrière)

Le panneau frontal de la couronne grecque représente un Christ Pancreator, d’inspiration byzantine.
Il est entouré en dessous, dans la couronne latine, à gauche d’un panneau représentant Saint-Michel,
à droite, Saint Gabriel.
Le panneau arrière représente l’Empereur Byzantin Michel VI Dukas (1050-1078), toujours dans la
couronne grecque, entouré du roi de Hongrie Geza Ier (1074-1077) et de l’Empereur Constantin
dans la couronne latine. Les autres panneaux de la couronne latine représentent Saint Georges,
Saint Côme, Saint Damien et Saint Demetrius. Sur la couronne grecque nous trouvons également
à nouveau un Christ Pancreator et les Saints Barthélémy, Jean, André, Pierre,Thomas, Jacques,
Philippe et Paul.
Rarement couronne fit de telles références à la religion chrétienne en portant les symboles des
Evangiles mais aussi du pouvoir impérial symbolisant depuis Constantin l’union du spirituel et
du temporel.
A ces seuls symboles, la couronne de Saint-Etienne justifie son nom de Sainte à défaut d’avoir été
vraiment portée par le premier roi et saint de Hongrie.
La croix qui la surmonte est penchée. Pourquoi ? On l’ignore. Il y a bien sûr des interpretations qui
relèvent de la symbolique, d’autres du simple accident, tombée à terre, enfermée dans un coffre trop petit.
Ce qui rend cette couronne encore plus caractéristique nous reste donc inconnu.
Couronne à l’origine mystérieuse, à la symbolique religieuse forte, elle est surtout et avant tout le
symbole le plus sacré et le plus absolu de la nation hongroise.

Le couronnement de François Joseph à Budapest

Aucun roi de Hongrie ne pouvait être considéré comme vraiment roi s’il n’avait pas été couronné avec
elle. Ce n’était pas la naissance qui donnait la légitimité au roi mais son couronnement. Aucune loi ne
pouvait être proclamée en Hongrie par le souverain tant qu’il n’avait pas été couronné.
C’est ainsi qu’au cours de son histoire, la Hongrie connut une succession de dynasties toutes aussi
légitimes les unes que les autres, tout autant que le titulaire du royaume avait été couronné avec elle.
La ville du couronnement était Poszony ( aujourd’hui Bratislava ) capitale de la Hongrie historique.
Les deux derniers couronnements eurent lieu toutefois à Budapest, devenue capitale de la Hongrie au
XIXème siècle.
La couronne ne servait d’ailleurs qu’une seule fois, le jour du couronnement.

Charles IV

Les dynasties successives furent, après les Arpad, les Anjou, dans la descendance d’un frère de
Saint-Louis, puis les Luxembourg, par Sigismond,  mari de la dernière des Anjou, Marie Ière, puis
les Jagellon, les Hunyadi ( Mattias Corvin, seul roi hongrois depuis les Arpad) les Habsbourg et
les Habsbourg-Lorraine.

L'empereur Matthias II de Habsbourg avec la Sainte Couronne,
la croix étant encore verticale au XVI ème siècle 

Ce fut le double mariage de Marie de Habsbourg avec Louis II Jagellon, d’une part et Ferdinand de
Habsbourg avec Anne Jagellon, soeur de Louis II, qui permit aux Habsbourg de devenir de façon
légitime les souverains de la Hongrie et ce jusqu’en 1918. Une des plus glorieuses illustration de
“ Tu Felix Austria Nubes ” (Toi, Heureuse Autriche, tu te maries).
Trois femmes durant cette période furent couronnées avec la Sainte Couronne, Marie-Thérèse de
Habsbourg, qui fut “roi de Hongrie”, couronnée en 1741, Elisabeth de Wittelsbach, qui fut couronnée
avec son mari François-Joseph Ier, en 1867, et Zita de Bourbon-Parme, qui fut couronnée avec
son mari Charles IV en 1916. Si Elisabeth et Zita étaient impératrices consorts en Autriche, elles
étaient reine de droit en Hongrie. La couronne n’était pas posée sur leur tête à la différence de leur
mari, mais sur leur épaule droite.

L'impératrice Elisabeth d'Autriche en tenue de couronnement

Symbole de la Nation Hongroise, la Sainte Couronne avait deux gardiens, l’un de confession
catholique, l’autre de confession protestante, choisis dans les familles de la plus haute aristocratie
hongroise. Seuls les deux gardiens, le Palatin et le Primat de Hongrie avaient le droit de la toucher.

Charles, Zita et Otto
le jour du couronnement à Budapest
En 1783, la couronne jusque là gardée à Poszony (Bratislava ou Presbourg) fut transférée à Vienne,
sur la décision de Joseph II, au déplaisir des Hongrois qui se voyaient ainsi dépouillés du symbole
de leur indépendance au profit d’une monarchie allemande unitaire, ou du moins voulant l’être.
Elle fut toutefois rendue au Hongrois lors des couronnements de Léopold II et François Ier.
En 1848,après avoir proclamé la déchéance des Habsbourg, et une fois battu, Kossuth s’en saisit et
la cachaafin de ne pas permettre aux Habsbourg-Lorraine de la posséder. Mais en 1853, elle retrouva le
chemin du Palais Royal de Buda. En 1945, le baron Perenyi, gardien catholique de la Couronne, prit la
décision de lui faire quitter le pays, devant l’avancée des troupes soviétiques. Grâce à lui, elle put
partir aux Etats-Unis dans les fourgons de l’armée américaine, symbole d’une Hongrie en exil qui
n’acceptait pas l’occupation communiste. En 1978, le Président Jimmy Carter prit la décision de la
renvoyer en Hongrie, à la fureur des Hongrois qui ne voulaient pas que les communistes se
saisissent de ce symbole de leur nation.
La Reine Zita et le Prince Royal Otto

En 2000, la Couronne de Saint-Etienne quitta le Palais Royal de Buda pour être déposée au Parlement,
 situé à Pest. Elle quitta le palais, dans le carrosse du couronnement, entourée d’un régiment de
Hussards, recevant ainsi les honneurs dus à un Chef d’Etat et saluée tout au long du parcours par le
peuple qui avait enfin retrouvé la liberté.

Le parlement de Hongrie à Budapest

Elle a été déposée sous la grande coupole du Parlement de Budapest avec les autres regalia que sont
le sceptre, l’orbe et l’épée et le manteau  du couronnement, où il est possible de les admirer.
Elle continue d’être considéré comme le symbole de la liberté et de la souveraineté du peuple hongrois.
Aucun chef d’état en visite à Budapest ne manque d’aller la saluer, rendant ainsi hommage à toute
une nation.

La Sainte Couronne exposée au parlement de Hongrie