22/09/2020

Les amants de Vienne 1/2

 Les amants de Vienne

“L’homme aux six têtes”, caricature de Talleyrand au Congrès de Vienne

L’année 1814 est l’année où Dorothée, princesse de Courlande, comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord, va voir sa vie basculer.

La Campagne de France perdue, Napoléon est contraint à abdiquer le 3 avril. Le 24 avril, Louis XVIII est rentré en France. Pour Dorothée, Napoléon ou Louis XVIII, cela ne change rien à sa vie pour le moment. Son oncle n’est plus prince de Bénévent, mais prince de Talleyrand. Cela non plus ne change rien car puissant hier, il l’est encore plus aujourd’hui.

La mort de sa fille, emportée par une rougeole à l’âge de deux ans, la touche profondément, à la différence de son mari qui n’en semble pas affecté. L’oncle Talleyrand, malgré un emploi du temps surchargé, trouve le temps de venir la voir tous les jours pour la distraire de son chagrin. Il lui trouve “le plus joli visage que l’on puisse voir.”

Paris est agitée par l’occupation des troupes étrangères. Voir les cosaques camper sur les Champs-Elysées, ce n’est pas ce qu’ils attendaient de l’Empereur. Alors, on fait bon accueil à l’occupant et à celui qu’il ramène dans ses fourgons, Louis XVIII. 

L'entrée des alliés dans Paris par Jean Zippel - Musée Carnavalet. 

La duchesse de Courlande et ses filles sont là aussi. L’aînée, Whilhelmine, duchesse de Sagan, retrouve son amant le prince de Metternich. Duchesse souveraine de Sagan depuis la mort de son père, deux fois divorcée, d’abord du prince Louis de Rohan en 1805, puis du prince Troubetzkoi deux ans après, puis maîtresse d’un anglais, John King jusqu’en 1810, elle tombe alors sous le charme du prince Alfred Windichgraetz avant d’être séduite par le beau comte Clément Metternich, l’étoile montante de l’empire d’Autriche. 

Buste de Whilelmine de Sagan en 1818 par Thorswalden

Elle est une femme intelligente, spirituelle, belle, riche, avec une tête politique, un regard ouvert sur le monde et une vision d’ensemble des problèmes. Tout ce qu’il fallait à Metternich à cette époque : il cherchait des conseils, il les trouva chez Wilhelmine. Mais il trouva aussi une maîtresse ardente et peu farouche. Leur relation fut passionnée, faite de grands moments mais aussi de tromperies mutuelles. Il lui écrit le 5 décembre1813: « …je veux que tu saches que tu as été aimée comme tu le mérites et que ton image a soutenu dans les moments qui auront décidé du salut du monde un homme qui a été directement appelé à influer sur les destinées…. » Hélas pour elle, il est marié, a des enfants  et il n’est pas question de divorcer. 



Prince Metternich par Thomas Lawrence

La duchesse de Sagan en réunissant chez elle à Ratiborschitz, dans son domaine de Bohême, en juin et juillet 1813,  les personnalités de l’époque qui combattent Napoleon : Alexandre Ier  le 15 juin 1813 et en juillet 1813, sont présents le comte, puis prince, Charles-Auguste von Hardenberg (1750-1822), chancelier du royaume de Prusse, 


Prince Hardenberg par Friedrich Georg Weitsch

le comte Charles Nesselrode (1780-1862), conseiller puis secrétaire d’Etat de l’empire russe, 


Comte Nesselrode, par Thomas Lawrence en 1818.

le comte Stadion (1763-1824) ancien ministre des Affaires étrangères autrichien et envoyé spécial de l’empereur,  et enfin Metternich pour discuter du sort à réserver à Napoléon. On peut  mesurer, à la lecture de ces noms, le rôle politique important que joua à cette époque la duchesse de Sagan qui rassemblait autour d’elle tous les  opposants à Napoleon. 



 Château de Ratiborschitz

Après avoir joui de la défaite de Napoléon à Paris, elle ira à Vienne et y deviendra la maîtresse du tsar, tout en continuant ses bonnes relations avec Metternich, qui, lui, est fou de jalousie. Le futur maître de l’Europe à l’apparence si froide, si retenue, a toujours été un amoureux passionné, et partagé entre toutes ses maîtresses. Gentz, son secrétaire particulier dit qu’on ne peut lui parler, car il est toujours entouré des dames de Courlande qu’il met au courant des affaires politiques :  “A sept heures, je vais pour le diner chez Metternich. Comme d’habitude, (quand il se trouvait en compagnie de la duchesse de Sagan) il ne m’écoute pas. Toute la clique des putains de  Courlande était là. Metternich a initié ces femmes à tous les secrets politiques, ce qu’elles savent est incroyable. Alors Talleyrand apparaît et me fascine. A la première ébauche contre la déclaration, il semble que le diable le  possède, il ne me laisse pas placer un mot…. » On peut noter que la duchesse de Sagan est la maîtresse d’un homme qui a été l’amant de sa mère, Alexandre Ier.

Mais à Paris en 1814, la duchesse de Courlande donnait aussi l’hospitalité à sa seconde fille Pauline, princesse de Courlande et de Hohenzollern-Hechingen. Elle est loin d’avoir l’activité politique de sa soeur. A la mort de cette dernière, en 1839, elle deviendra elle-aussi, duchesse de Sagan. Mais sa vie amoureuse, sans être aussi riche que celle de sa sœur aînée, ne fut pas calme non plus. Elle eût un enfant du mari de sa soeur Louis de Rohan. La dernière de ses filles de son mari,  Jeanne de Courlande, duchesse d’Acerenza est là aussi. 

Jeanne de Courlande, duchesse d'Acerenza

Avant son mariage avec un prince italien, sans envergure ni fortune, Jeanne s’était enfui avec un amant italien. En représailles, son père la déshérita. Et le prince italien qui accepta de l’épouser le fit sans doute pour assurer sa substance : il vivait  aux crochets de sa belle-mère. Il semble qu’elle n’ait pas eu une vie amoureuse aussi agitée que celle de ses soeurs.La duchesse et ses trois filles mènent grand train à Paris. Leur vie mondaine ne convient pas à Dorothée, qui leur préfère la compagnie de son oncle. Elle est encore la chaste comtesse de Talleyrand-Périgord. Ce n’est qu’à Vienne qu’elle deviendra membre du clan des “Putains de Courlande”. Elle avait compris qu’elle ne trouverait jamais “ ce bonheur honnête et régulier qu’il n’est donné qu’à certaines femmes de rencontrer” écrivit-elle, dans une phrase que Balzac lui-même n’aurait pas reniée.

La vie privée des princesses de Courlande était connue de tous. La mère et ses quatre filles  ne se sont jamais cachées de leurs aventures amoureuses. Au vu de leur position et de la qualité de leurs amants, cela leur eût été difficile. Mais personne n’aurait eu l’idée de leur reprocher quoi que ce soit et encore moins de refuser de les recevoir.

Le 16 septembre 1814, le prince de Talleyrand et Dorothée quittent Paris pour Vienne. Ils y arriveront le 23 septembre pour s’installer dans le Palais Kaunitz ( actuellement Palais Questenberg-Kaunitz) au 5 Johannesgasse, à deux pas de la Hofburg et de la Chancellerie d’Etat. Si l’architecture du palais est splendide, son état laisse à désirer. Il n’avait pas été habité depuis la mort, en 1794, du chancelier Kaunitz. 


 Palais Kaunitz

Tout est magnifique mais les lits sont rongés par les mites et les tentures ont perdu leur éclat. On est loin du luxe de l’Hôtel saint Florentin. Mais il sera rapidement mis bon ordre pour accueillir le représentant du roi de France et sa suite. Les membres les plus importants sont le duc de Dalberg (1773-1833) membre du Gouvernement provisoire, neveu de l’archevêque de Francfort qui a béni le mariage de Dorothée, le comte de Gouey de la Besnardière (1765-1843) un des meilleurs collaborateurs de Talleyrand, et le marquis de La Tour du Pin Gouvernet ( 1759-1837) un ancien de la Guerre d’Indépendance des Etats-Unis, aux côtés de La Fayette. Il y aura aussi  le comte Alexis de Noailles (1783-1835), parent de Talleyrand, nommé ambassadeur à Vienne par Louis XVIII. Taleyrand résumera ainsi son équipe rapprochée : “J’emmène Dalberg, parce qu’il me servira, par ses relations, à propager les secrets que je voudrais divulguer; Noailles est l’homme du Pavillon de Marsan ( du comte d’Artois, en fait); et quant à être surveillé, j’aime mieux l’être par un agent que j’ai choisi que par un autre qui me serait inconnu: La Tour du Pin me servira à signer les passeports, et cela est nécessaire. Je réserve La Besnardière pour le travail.” Il y a aussi dans la délégation le baron Alexandre de Talleyrand-Périgord, cousin du prince, chargé de l’acheminement du courrier, époux de Charlotte à l’origine mystérieuse, depuis le 20 septembre 1814. Le peintre Jean-Baptiste Isabey (1767-1855) sera aussi du nombre. Il sera le peintre de la signature de l’acte final du Congrès. L’artiste prendra plusieurs mois pour réaliser deux dessins de cette réunion mais n’aura jamais le temps d’en faire un tableau. 

Dorothée par Joseph Chabord

Et bien entendu, il y a Dorothée, le meilleur élément de la légation française. “Elle va devenir l'âme de ces galas presque quotidiens, plus éclatante que belle, mais spirituelle, avertie, pleine à la fois de tact et d'audace, le "vrai lieutenant" qu'il faut à ce grand capitaine de la diplomatie, le prince de Talleyrand..., devenue en quatre ans de manière de Parisienne, rompue aux manèges des salons, en bref la dame européenne préparée à recevoir l’Europe” ( Louis Madelin - Talleyrand - Editions Perrin 2014) 

A Paris étaient restées la duchesse de Courlande et la princesse de Talleyrand, voyant avec surprise la jeune Dorothée prendre une place qu’elles jugeaient la leur.

L’installation de Talleyrand, nouveau chevalier de la Toison d’Or, à Vienne fut un évènement très commenté en ville et la foule des curieux se pressa devant le Palais Kaunitz pour l’apercevoir.  Il est décrit à l’époque par le prince Czartoryski comme “un oiseau empaillé…avec un grosse voix sortant de sa bouche lippue et de son grand palais…Il fait constamment le grand homme, intelligent, puissant, qui sait quelque chose, il veut toujours faire de l’effet…Il veut toujours impressionner, remplir tout le monde d’étonnement et de respect…Personnage inouï, tous se prosternent devant lui.” 

Il n’est pas possible d’analyser ici, même de façon succincte, le Congrès de Vienne. Contentons-nous de savoir qui en furent les acteurs et comment Dorothée de Talleyrand-Périgord , en maîtresse de Maison de la délégation française, les reçut tous. 

Lord Castlereagh par Thomas Lawrence

Le Royaume-Uni était représenté par Lord Castlereagh (1769-1822), Sir Arthur Wellesley, futur duc de Wellington (1769-1852), 

Sir Arthur Wellesley, futur duc de Wellington, par Thomas Lawrence

Charles Stewart (1778-1854) demi-frère de Castelreagh, qui fit un brin de cour à Dorothée et fut l’amant de sa soeur Whilhelmine, Frédéric Lamb ( 1782-1853) futur 3ème vicomte Melbourne, amant lui aussi de Whilhelmine.


Charles Stewart, futur marquis de Londonderry par Thomas Lawrence

La Russie est représentée par le tsar en personne, lui aussi très intéressé par Whilhelmine. Nesselrode ministre du tsar est aussi proche de Whilhelmine. Le prince Adam Czartoryski est aussi de la délégation russe. Nous ne savons pas ce qu’il en fut de ses retrouvailles avec Dorothée.

La Prusse est représentée par le prince de Hardenberg et le baron de Humbolt. La Prusse étant le second pays des princesses de Courlande. Elles y possèdent des biens immenses. Elles sont intimes avec la famille royale. Là encore, la Prusse est bienvenue.


Baron de Humboldt

Il y avait aussi les délégations des royaumes de Danemark, de Sardaigne, de Bavière, du Wurtemberg, du Hanovre et de bien d’autres états. 

A lire les noms de tous ces délégués, on a l’impression que le lit de Whilhelmine, duchesse de Sagan, était celui de l’Europe. La comtesse de Boigne avait dit d’elle : “Un volcan qui projette des glaciers”  et Metternich “ Elle ne fait que des bêtises, péche sept fois par jour et aime comme on dîne.” Volage, infidèle, ne sachant pas résister à un bel homme, elle n’en est pas moins intelligente. Prokesch-Osten, qui sera la grand ami du duc de Reichstadt, disait d’elle “ J’aime beaucoup cette femme. Elle possède à la fois l’intelligence de la tête et du coeur”. Whilhelmine est le centre de tout un réseau d’informations dont elle fait bénéficier Talleyrand. Les deux soeurs de Courlande, qui comptent et ont de l’influence, Whilhelmine et Dorothée s’entendent bien. Dorothée sait parfaitement faire parler sa soeur, qui n’est pas avare de commentaires et de révélations qu’elle tient de Metternich. Leur mère, la duchesse,  arrivée le 24 mars 1815, réunit ses quatre filles au palais de Palm en des moments aussi mondains que politiques.

                Etude des têtes des participants au Congrès par Isabey ( Collection Elizabeth II)


07/09/2020

La princesse de Bénévent 2/2






Le Premier Consul

Avoir Madame Grand, comme maîtresse n’est pas possible, aux yeux de Bonaparte, Consul de la République, pour un homme aussi en vue que le ministre des Affaires étrangères. Il faut en finir avec les moeurs du Directoire et leur licence. La position sociale à laquelle était arrivée la courtisane ne convenait pas aux dames de la nouvelle société qui refusaient de la voir. Elles s’en plaignirent auprès du Consul. Elle ne convenait pas non plus aux maris, exclus du lit de la belle. Leur liaison était condamnée par tous. Bonaparte ne pouvait accepter que son ministre des Affaires étrangères se comporte ainsi. Lorsque Madame Grand l’apprit, elle se précipita chez son amie Joséphine Bonaparte qui, compréhensive, lui promit son aide. Elle lui obtint un rendez-rendez-vous avec son mari. Et là, Madame Grand, en courtisane accomplie, se jeta aux pieds de Bonaparte, en pleurs, les cheveux défaits, le supplia de lui permettre de continuer à être la maîtresse de Talleyrand. Bonaparte, impressionné, lui dit alors : “Je ne vois qu’un moyen. Que Talleyrand vous épouse et tout sera arrangé. Mais il faut que vous portiez son nom ou que vous ne paraissiez plus chez lui.” ( cité par Jean Orieux). 

Madame de Stael (1766-1817) avait eu aussi une entrevue avec Bonaparte et lui avait demandé : « Général, quelle est pour vous la première des femmes ? — Celle qui fait le plus d'enfants, Madame ». L’aristocrate intellectuelle avait été rebutée par le maître du moment. Elle ne le lui pardonna pas.

La belle courtisane avait gagné, probablement de façon involontaire, car comment imaginer qu’elle, une courtisane, puisse devenir la femme d’un homme aussi puissant. Mais aussi peut-être en faisant le jeu, là aussi de façon involontaire, de Bonaparte. Le futur empereur avait déjà jaugé son ministre. Il le savait capable de beaucoup de choses, entre autres de trahison, mais il savait qu’il avait et aurait besoin de lui dans le futur. Chateaubriand donne comme explication à ce mariage, et il n’a peut-être pas tort, que Bonaparte a voulu humilier et déconsidérer Talleyrand aux yeux de la société française et internationale, républicaine comme royaliste. Il est vrai que ce mariage reste comme une tache dans la vie de Talleyrand. 

L’ancien évêque d’Autun trahissait sa condition et sa caste en épousant une aventurière. 

En effet, Talleyrand était encore, suivant les lois de l’Eglise, membre du clergé. Avant  de l’obliger à ce mariage, Bonaparte s’était souvenu qu’il était encore d’église et en vue d’un rapprochement avec Rome, envisagea pour lui le cardinalat. Il pouvait continuer à être ministre, mener grand train et avoir des maîtresses, dans la grande tradition de certains princes de l’Eglise. Mais il refusa d’entrer dans cette tartuferie et s’opposa au Concordat tant qu’il n’était pas relevé de ses voeux, désacralisé en tant qu’évêque et réduit à l’état laïque. Rome et Paris souhaitaient le Concordat afin de rétablir la paix religieuse dans le pays. Le pape tergiversa et accepta pour Talleyrand “ la faculté de porter l’habit des séculiers et de remplir les charges de la République française.” 



Signature du Concordat par Gérard



Cela ne satisfaisait en rien Talleyrand bien que le Conseil d’Etat eût enregistré la phrase et que le monde crut qu’il n’était plus prêtre ni évêque. Talleyrand n’ayant jamais été marié et Madame Grand étant elle-même divorcée depuis le 7 avril 1798, rien ne s’opposait à leur union civile, célébrée comme on l’a vu. Par un fait amusant, un cousin de l’auteur, François-Aurèle de Varese, lui-même cousin de Bonaparte, Vicaire Général du Diocèse d’Autun jusqu’en 1790, et donc de Talleyrand, suivit la même voie et demanda au cardinal Caprera, représentant le pape en France, le 15 décembre 1802, de reconnaître son mariage qui avait été célébré en 1799.


Lors du mariage, Talleyrand fut généreux avec sa femme. Il lui reconnut la propriété de l’hôtel de Créqui rue d’Anjou à Paris, aujourd’hui détruit, le château, les terres et les forges de Pont de Sains dans le Nord et une partie de sa fortune. 





Château du Pont de Sains


Le 7 mai 1803, le comte de Luçay, préfet des Palais Consulaires à court d'argent, vend à Talleyrand le domaine de Valençay  pour 1,6 million de francs un château splendide et un domaine de 12 000 hectares répartis sur 23 communes. Il obéissait une fois de plus à un ordre de Bonaparte « Je veux que vous ayez une belle terre, que vous y receviez brillamment le corps diplomatique, les étrangers marquants... ». 




Château de Valençay

Ce souhait sera entendu en 1808 lorsque le roi d’Espagne Ferdinand VII, son frères, Charles et leur oncle Antoine de Bourbon, y furent assignés à résidence. Les raisons de la présence du roi d’Espagne à Valençay sont trop compliquées pour être relatées ici. 


Ferdinand VII en 1815, par Goya 


La chambre du roi d’Espagne à Valençay 

La nouvelle princesse du Bénévent les y reçut dans ce qui était son domaine, vraiment princier, car les améliorations et les embellissements furent décidés ensemble. Elle reçut si bien les Espagnols qu’elle tomba dans les bras de José Miguel de Carvajal-Vargas, 2e duc de San Carlos, ambassadeur du roi d’Espagne à Paris en 1807.  Ayant appris leur liaison, Napoléon  dit à Talleyrand : «  - Vous ne m’avez pas dit que le duc de San Carlos était l’amant de votre femme ! » « - En effet, sire, je n’avais pas pensé que ce rapport pût intéresser la gloire de votre Majesté, ni la mienne. » 


José Miguel de Carvajal-Vargas, 2e duc de San Carlos par Goya

Dès lors, mais aussi parce Talleyrand avait rencontré la belle duchesse de Courlande, les rapports entre les époux furent distants. Un mystère, toutefois, continue de les unir, une petite-fille prénommée Charlotte. Dès 1803, cette enfant apparaît au sein du couple Talleyrand. Qui est-elle ? Jamais reconnue, Charlotte, qui vit depuis plus de quatre ans sous le toit du prince et de la princesse, est placée judiciairement sous la tutelle officieuse de Talleyrand le 6 octobre 1807. Un conseil de famille est composé de six notables, amis de Talleyrand, parmi lesquels le duc de Laval, le comte de Choiseul-Gouffier et Dupont de Nemours. Pourquoi cet attachement réel des époux envers une inconnue ? Il n’y a pas de réponse. On peut supposer qu’elle était la fille naturelle du couple, née avant le divorce de Madame Gand. Elle signera toute sa vie Charlotte de Talleyrand-Périgord avant et après son mariage, car elle épousa un cousin du prince de Bénévent, Charles Daniel, baron de Talleyrand-Périgord, futur pair de France. 


 Charlotte de  Talleyrand-Périgord par Prud'hon en 1805

Le prince et la princesse de Bénévent sont ainsi décrits par madame de Cazenove d’Arlens, de nationalité suisse, reçue rue du Bac, peu après le mariage : “Une figure qui me parut d’un mort habillé d’un habit de velours rouge avec une large broderie en or. Grande veste, épée, manchettes, grande coiffure. C’était le ministre, c’était monsieur de Talleyrand…Je traverse ensuite un grand et éblouissant salon où était madame de Talleyrand. Elle est grande, belle, bien mise mais son secret est écrit sur son visage : Bêtise et Vanité…Le plaisir de porter un grand nom et d’occuper une grande place, lui tourne la tête. Elle craint toujours d’être trop polie et s’épargne cet embarras en ne l’étant pas du tout.” ( dans Jean Orieux) C’est loin d’être flatteur.

Les grandes amies de Talleyrand, la vicomtesse de Laval, la princesse de Vaudémont, la comtesse de Coigny et bien d’autres, n’ont pas vu ce mariage d’un bon oeil, bien au contraire. Epousée “au grand scandale de l’Europe entière sa honteuse maîtresse dont il ne pouvait même pas avoir d’enfants” selon Napoléon, Catherine, toujours connue sous le nom de Madame Grand, et fort peu princesse de Bénévent, fut l’objet d’un mépris généralisé dans la société française et européenne.

Evidemment, Talleyrand, représentant du roi de France, ne pouvait pas arriver au Congrès de Vienne accompagné de cette épouse, fort peu encombrante, mais oh combien, gênante. Il se séparera d’elle en 1816 lui assurant de larges revenus.


Le Congrès de Vienne d'après Isabey

Il choisit donc d’être accompagné par la délicieuse Dorothée, comtesse Edmond de Périgord. Qui pouvait y voir du mal ? N’était-elle pas sa nièce ? Son mari ne serait-il pas appelé à succéder à ses titres et à ses biens ? De plus ne connaissait-elle pas l’Europe entière qui se réunissait pour mettre fin aux agissements de l’odieux Bonaparte ?

Dorothée s’acquittera à merveille de sa mission qui consistait à seconder un oncle âgé de 60 ans.



Dorothée de Talleyrand-Périgord