03/12/2021

L'impératrice Eugénie et ses dames d'honneur -

 




Ce tableau a été commandé à Winterhalter par l’impératrice Eugénie en 1855 pour l’Exposition Universelle ouvrant en mai 1855. 

L’impératrice paya certainement l’œuvre avec les deniers de sa cassette personnelle car la commande n’émanait ni du Ministère d’Etat; ni du Ministère de la Maison de l’Empereur. Winterhalter parvint à l'achever en quatre mois avec l'aide de son atelier pour être prêt à l'ouverture de l’exposition.

Il occupait la place d’honneur à l’exposition et une médaille de première classe vint récompenser le peintre.

Très représentative de l’art officiel sous le Second Empire, cette œuvre présente un caractère artificiel évident : scène de cour dans un décor forestier, robes de bal portées en plein jour, luxe des toilettes atténué par la simplicité des parures et la rareté des bijoux, omniprésence des fleurs, dans les cheveux, à la main, sur les corsages et dans le décor. 




Esquisse du tableau, collection du prince Fürstenberg


La censure musela la plupart des critiques. Mais la Revue Universelle des Arts le jugea comme “ayant l’éclat des papiers peints, toutes les allures de la gouache et la flaccidité de la décoration théâtrale”. Dans la revue des Deux-Mondes on put lire “Le portrait de l’impératrice et de ses dames d’honneur est tout simplement une parodie de Watteau dont les proportions ne permettent pas l’indulgence.”


Malgré les critiques, il obtint un immense succès populaire. Il y en eut de nombreuses gravures et figura en bonne place sur les calendriers et les boites de confiserie.

Il n’est sans doute pas la meilleure peinture de Winterhalter mais le jugement porté aujourd’hui est plus nuancé qu’à l’époque. Le temps a fait son œuvre et la nostalgie du faste du Second Empire a succédé aux critiques acerbes dont il fut l’objet pendant longtemps. La toile offre aussi un intérêt documentaire : elle donne une image précise de la mode dans les premières années du Second Empire.

Sous le règne de Napoléon III, le tableau était accroché à Fontainebleau. En 1881, il fut restitué à l’impératrice comme bien personnel. Elle le fit accrocher dans le hall d’entrée de sa propriété de Farnboroughill où il resta jusque’à sa mort. Que devait penser la vieille dame qu’était devenue la glorieuse impératrice en l’ayant tous les jours sous les yeux ?

En 1927, il fut vendu chez Christie’s pour la somme de trois mille neuf cent trente sept livres sterling dix schillings (236 000 livres aujourd’hui). Gageons que s’il passait en vente aujourd’hui, ce serait plusieurs millions voire dizaines de millions qu’il faudrait débourser. Il fut acquis par la baronne d'Alexandry d’Orengiani, d’une famille savoyarde qui œuvra pour le rattachement de la Savoie à la France en 1860. L’acquisition put être faite avec l’aide financière du mécène le vicomte de Noailles, du baron de Beauverger et du comte de Cambacérès. Ils en font don au château de La Malmaison, qui en 1952 le mit en dépôt au château de Compiègne, où il est toujours. (Source le catalogue de l’exposition Winterhalter à Paris en 1988). 





Le tableau exposé à Compiègne


Le tableau semble respecter l’ordre protocolaire. L’impératrice est assise la plus haute avec à sa droite la princesse d’Essling, Maîtresse de la garde-robe, à sa gauche, la duchesse de Bassano, Première Dame d’Honneur, et à leurs pieds un demi-cercle de Dames du Palais, avec dans l’ordre la baronne de Pierres, la vicomtesse de Lezay-Marnésia, la comtesse de Montebello, la marquise de Las Marismas, la marquise de La Tour-Maubourg et enfin debout la baronne de Malaret.


Mais qui sont ces belles dames aux atours apprêtés  de façon si “champêtre”?




L’impératrice


María Eugenia Ignacia Agustina de Palafox y Kirkpatrick, 11ème comtesse de Mora avec grandesses d’Espagne de première classe,17ème baronne de Quinto, 18ème marquise de Moya, 19e comtesse de Teba, 16ème marquise d’Ardales, 9ème marquise d’Osera et 9ème comtesse d’Ablitas — dite Eugénie de Montijo, Sa Majesté l’Impératrice des Français. 



La princesse d’Essling


Anne Debelle, Princesse d’Essling (1802-1887) Maîtresse de la Garde-Robe de l’impératrice de 1853 à 1870, fille posthume du général de la Révolution et du Cosulat, Jean-François Joseph Debelle. En 1823, elle épousa François-Victor Masséna, 2ème duc de Rivoli et 3ème prince d’Essling, fils du Maréchal d’Empire Victor Masséna, ornithologue distingué. Ils sont les ancêtres  de l’actuel prince Masséna.





La duchesse de Bassano


Pauline Marie Ghislaine van der Linden d’Hooghvorst ( 1814-1867) duchesse de Bassano, Première Dame d’honneur de l’Impératrice. Fille d’Emmanuel van der Linden d’Hooghvorst, homme politique belge, elle épouse en 1843, Napoléon Maret, 2ème duc de Massano, diplomate et Cgambellan de l’Empereur. Elle avait pour mission d'examiner les candidatures des femmes souhaitant être présentées à la cour, de leur inculquer l’étiquette, et de les présenter, ce qui constituait une part importante du protocole impérial. Elle devait aussi superviser les autres dames de la suite impériale. 

Avec la princesse d'Essling, la duchesse de Bassano était devenue une personnalité connue puisqu'elle avait le devoir d'accompagner l'impératrice aux grands événements publics, elle est donc fréquemment décrite dans les mémoires contemporaines. Pauline de Bassano était décrite comme attirante, stable, impressionnante et quelque peu arrogante.  



La baronne de Pierres et la vicomtesse de Lezay-Marnézia


Jane Thorne (1821-1873), fille d’un officier américain Herman Thorne et Jane Mary Jauncey. Dame du Palais, elle épouse en 1842, Stéphane de Pierres, Premier écuyer de l’impératrice.


Louise Poitelon du Tarde (1826-1891), vicomtesse de Lezay-Marnésia, Dame du Palais .Elle est la fille de Louis-Gabriel Poitelon du Tarde et de Louise-Anne Vétillart du Ribert, elle épouse , en 1845 Joseph-Antoine-Albert de Lezay-Marnésia, Chambellan de l’impératrice. 





La comtesse de Montebello


Adrienne de Villeneuve-Bargemont (1826-1870) comtesse de Montebello. Elle est la fille d’Alban de Villeneuve-Bargemont et d'Emma de Carbonnel de Canisy. Elle épouse en 1846 Gustave Olivier Lannes, fils du Maréchal Lannes, duc de Montebello, à l’époque Commandant de la brigade de cavalerie de la Garde Impériale, puis aide de camp de l’empereur et sénateur de l’Empire. Elle avait la réputation d’être l’une des femmes les plus aimables de la cour. Elle fut une amie de  l’impératrice. 




Les marquises de Las Marismas et de La Tour-Maubourg



Anne-Ève Mortier de Trévise (1829-1900), marquise de Latour-Maubourg, Dame du Palais. Elle est la fille Napoléon Mortier, deuxième duc de Trévise et d'Anne-Marie Lecomte-Stuart. En 1845, elle épouse César de Faÿ, marquis de La Tour-Maubourg, Capitaine des Chasses et Chambellan de l’Empereur. “Elle était grande, de figure agréable, avait beaucoup d’esprit, n’aimait ni le monde ni la toilette et ne se plaisait que dans son intérieur auprès de son mari, le bon César de la Tour Maubourg. Le ménage était des plus unis” ( Conigliano - Le Second Empire, la Maison de l’Empereur)


Claire Emilie MacDonnel (1817-1905), vicomtesse Aguado, marquise de Las Marismas de Guadalquivir, Dame du Palais. Elle est la fille d'Hugh MacDonnel et d'Ida Louise Ulrich, et elle épouse Alexandre Aguado Moreno, marquis de Las Marismas de Guadalquivir (1813-1861), en 1841. Elle appartenait au cercle d'amis proches qui connaissait l'impératrice depuis son enfance en Espagne. C'était une figure de la haute société parisienne, décrite comme une beauté avec un "air toujours adorable" , et surnommée "la femme la plus agréable de Paris" . 





La baronne de Malaret d’Ayguevives


Nathalie de Ségur (1827-1910) baronne de Malaret, Dame du Palais. Elle est la fille d’Eugène de Ségur et de Sophie Rostopchine. Elle épouse le diplomate Joseph Alphonse Paul Martin d'Ayguesvives, baron de Malaret, en 1846. Elle est décrite comme "élégante par ses manières, d'un beau et agréable tempérament et ayant beaucoup d'amis, ce qu'elle méritait amplement." Elle est la mère de Camille et Madeleine de Malaret, “Les Petites Filles Modèles”  - http://blogpatrickgermain.blogspot.com/2016/12/la-vraie-vie-des-petites-filles-modeles.html


Il faut noter qu’après la chute de l’empire, la princesse d’Essling et la marquise de Las Marismas, par fidélité à l’impératrice se retirèrent de la vie publique.  





Le “Dolce Farniente” peint par Winterhalter en 1836 

qui inspira peut-être la composition du tableau impérial





19/08/2021

Les Wendel - Une dynastie d'acier et d'argent - Sixième partie - La guerre, d'un capitalisme à l'autre


François II avait épousé en 1905 Odette Humann-Guilleminot (1884-1954).  





Odette Humann 

Madame François de Wendel


De leur union sont nés Marguerite (1907-1976) qui a épousé son lointain cousin, le comte Emmanuel de Mitry (1892-1983),  



Le comte Emmanuel de Mitry


Odette (1908-X ) qui a épousé en 1929 le comte Geoffroy de Montalembert (1898- 1993), Henri (1913- 1982) époux de Galliane de Soucy ( XX ) veuve en premières noces de Nicolas de Choiseul-Praslin, et la dernière Isabelle de Wendel.  



Henri II de Wendel


Comme tous les Français, les Wendel ont traversé la Deuxième Guerre Mondiale avec tous les aléas de la défaite, de l’Occupation, de la Collaboration et de la Résistance. Il y eut des Français dans les deux camps, il y eut aussi des Wendel.


Le 10 juillet 1940, lors de la séance  donnant pleins pouvoirs au Maréchal Pétain “sauveur de la patrie”, François II de Wendel n’a pas voté en faveur mais n’a pas voté contre non plus. Il n’assista pas à la séance, donnant plein pouvoir à son gendre Montalembert de voter non.   




Le comte Geoffroy de Montalembert


Ce dernier vota oui pour lui-même et s’abstint pour son beau-père. Geoffroy de Montalembert saura faire oublier ce vote en devenant un des plus sûrs soutien du général de Gaulle, avant et après 1958. Le cousin Guy de Wendel vota également les pleins pouvoirs. Ce fut une erreur de la part de François II de Wendel ne pas assister à la séance et de ne pas s’opposer en personne au Maréchal Pétain et à travers lui à Pierre Laval. Il est difficile de comprendre son absence. Son vote de capitaliste, riche, noble, et détesté par beaucoup, aurait une valeur hautement symbolique. Le grand capital ne s’associait pas au destin de la France nouvelle qu’offrait Pétain. François II ne collabora à aucun moment mais il ne fit pas de résistance non plus.  Pour l’honneur de la famille, d’autres en furent des membres actifs. 

 




Vote des pleins pouvoirs au Maréchal Pétain


Une fois de plus, les biens Wendel en Lorraine passent sous contrôle ennemi. Au delà de la prise de possession des usines, il y a de la part des Allemands l’expression de la haine qu’ils éprouvent pour cette famille qui jamais n’a pris leur parti et avec François II s’est ouvertement montré hostile à l’Allemagne de Weimar d’abord et au IIIe Reich ensuite. 


La presse allemande écrit le 13 septembre 1940 : “ La ploutocratie était dirigée  par deux maisons représentatives : la maison juive de Rothschild et la maison de Wendel. Ces deux maisons étaient d’accord dans leur volonté de destruction de l’Allemagne”. Et dire que François II avait été accusé, durant la première guerre mondiale et même durant la deuxième, de faire le jeu de l’industrie et de l’état allemands !


Il leur reste toutefois les biens hors sidérurgie lorraine , des carrières et des fours à chaux à Sorcy, près de Commercy dans le département de la Meuse, des usines de transformation métallique à Creil et Messempré, dans l’Oise, des houillères dans le Nord des forges à Champagnac et à Geugnon, dans le Cantal et en Saône et Loire, des hauts-fourneaux à Rouen et des ardoisières à Trélazé. Tout ceci n’est rien par rapport à Hayange, Joeuf, et Moyeuvres. Mais c’est tout de même quelque chose pour tenir la maison Wendel debout. 


François II de Wendel est un personnage étrange. Il s’abstient lors du vote du 10 juillet. Il place tous ses espoirs dans l’Angleterre et lui, qui avait été la victime des attaques du Parti Communiste Français, met aussi ses espoirs dans l’intervention de la Russie Soviétique. Mais il ne soutient pas le général de Gaulle et la France Libre et ne s’intéresse pas à la Résistance. Il rencontra le maréchal Pétain une fois le 25 juin 1941 pour lui déclarer : “La France du Nord croit en la victoire anglaise et moi aussi.” Difficile d’être plus clair et moins diplomate. 

Il se sépare de ses organes de presse, “Le Temps” et “Le Journal des Débats”, qui jouent le jeu de la collaboration. 

Son fils, Henri, est prisonnier des Allemands. On lui fait miroiter sa libération en échange de sa participation aux efforts de guerre allemands. Sa réponse fuse : “Nous ne mangeons pas de ce pain là.” 

Hermann  Goering s’approprie leurs biens sous le nom “Hermann Goering Werke”, les usines Hermann Goering.  





Les biens Wendel passés sous contrôle allemand


Etrangement, alors que rien dans son attitude ne laisse supposer l’idée d’une collaboration, il est attaqué à Londres par la France libre, coupable une fois de plus d’être un Wendel.  


Et pourtant beaucoup de membres de la famille se sont engagés dans la Résistance. 


Dans la branche Gargan, il y a Thérèse ( 1903-1996) dont le mari n’est autre que Philippe Leclerc de Hautecloque, futur maréchal de France, qui a quitté Paris occupé, le 21 juin 1940 et libérera la ville le 25 août 1944. Il y a leur fille Jeanne, qui épousera Robert Galley, entré en Résistance le 20 juin 1940, gaulliste de la première heure.  



 Mariage de Thérèse de Gargan et le comte Philippe de Hauteclocque

le 10 août 1925




Le Maréchal Leclerc 



La Maréchale Leclerc


Dans la branche de Maurice de Wendel et de son épouse Andrée, admirables lors de la Première Guerre Mondiale, il y a Andrée de Wendel elle-même, qui non seulement soutiendra les ouvriers lors de la débâcle mais organisera des filières pour permettre à ceux qui se sont échappés d’Allemagne de traverser la frontière. Il y a leur fille Renée de Wendel (1907-2002) baronne Seillière de Laborde, qui participa à l’organisation des filières. 



Le baron et la baronne Seillière, née Renée de Wendel


Il y a leur autre fille Ségolène (1908-1980) qui a constitué des réseaux clandestins dans la région de Lyon pour permettre aux Alsaciens qui refusent de se battre aux côtés des Allemands, de partir en Afrique du Nord. Le 17 janvier 1943, elle est arrêtée par la Gestapo. Après plusieurs mois d’incarcération, elle fût relâchée. Ses parents ont été arrêtés en février 1944, mais comme pour elle, aucune preuve ne fut trouvée contre eux. Comme elle, ils n’ont pas parlé. Leur gendre, Pierre Célier, époux depuis 1942 de France-Victoire de Wendel (1918-1997) qui rejoindra l’Angleterre puis fera campagne en Allemagne dès août 1944.  



Pierre comte Célier (1917-2010)


La branche de Robert de Wendel paiera le tribut le plus lourd. Sa petite-fille Elisabeth de La Panouse (1898-1972), épouse d’Alphonse de La Bourdonnaye (1887-1966) abrite dans son appartement à Paris le 1er réseau de Résistance. Arrêtée en 1941, faute de preuves, elle est relâchée. Ses enfants seront tous dans la Résistance. 

 


Elisabeth de La Bourdonnaye


Geoffroy de la Bourdonnaye part pour Londres, se battra ensuite en Afrique et participera au débarquement du 6 juin 1944. 



Geoffroy de La Bourdonnaye à la Libération de Paris


Guy de la Bourdonnaye (1925-1945) ) sera trahi en essayant de rejoindre Londres. 

Il mourra à Mauthausen en 1945.  

Leur fille Bertranne (1919-2002) opthtalmologiste, professeur à la Faculté de Médecine, hébergera chez elle les aviateurs anglais et américains. En 1946, elle épouse Jean Auvert, chirurgien, professeur à la Faculté de Médecine, directeur de recherches à l'hôpital Necker. Nicole de la Bourdonnaye, baronne Jean-Pierre de Lassus-Saint-Geniès sera aux côtés de son mari dans le Vercors et dans la Drôme, dont il dirigeait les maquis. 

Leur autre fille, Oriane (1924-2018) sera médaillée de la Résistance, le 18 juin 1945.  « Elle était agent de liaison à Paris, raconte Paulette Labatut ( une amie d’Organe Guéna) . Très discrète – son nom de maquis était Brigitte – elle n’hésitait pas à enfourcher son vélo pour livrer des messages. » A l’âge de 15 ans, la lycéenne qu’elle était encore n’avait pas non plus hésité à braver les soldats allemands, en manifestant le 11novembre 1940 avec des milliers d’autres lycéens et étudiants, autour de l’Arc de triomphe.”( La Dordogne Libre 1er octobre 2018)  Elle était agent de liaison du réseau “Cohors”, créé en avril 1942 et organisé à Londres par le général de Gaulle. Elle deviendra madame Yves Guéna en 1945.  



Yves Guéna en 1945



Yves et Oriane Guéna


A la libération de Paris, le 25 août 1944, Andrée de Wendel part immédiatement et arrive dans la capitale en camionnette de légumes. Le camionneur refuse de la conduire à son hôtel de l’avenue de New-York. Elle passe la nuit dans un hôtel qu’elle trouve étrange. En effet, c’était un bordel. Elisabeth de la Bourdonnaye part également pour Paris. Elle y retrouve son fils Geoffroy. Sa fille Oriane quitte le château de l’Orfrasière en bicyclette. La joie des retrouvailles du trio sera bientôt ternie par la mort de Geoffroy en janvier 1945 lors de la bataille de Colmar. Puis ce sera la nouvelle de la mort de Guy qu’elles apprennent à l’Hôtel Lutétia où étaient regroupées les informations relatives aux prisonniers des camps de concentration. Leur cousin Henri de La Rochefoucauld, arrière-petit-fils de Robert de Wendel, mourra aussi en Alsace. 

Si François II ne s’est pas engagé dans la Résistance, si certains membres de la famille ont été des tièdes comme beaucoup de Français, les Wendel, dans leurs différentes branches, ont tout de même su donner leur énergie et leur sang à la France qui combattait le nazisme. La dynastie lorraine avait bien défendu le sol et les idées de sa patrie. Cet engagement aux côtés de la France Libre se retrouvera plus tard dans les différents ministères et à l’Assemblée nationale dans les rangs du Gaullisme.


Avant même la fin de la guerre, les Wendel retournent dans une Lorraine libérée. Emmanuel de Mitry, gendre de François II, Jean Seillière, gendre de Maurice, Maurice et Andrée enfin François II et Humbert viennent reprendre possession de leurs aciéries. Les dégâts sont énormes.  






 

Forges de Jœuf en 1945


A la différence de 1918, pas de population dans les rues et d’ovations pour les accueillir. Seuls restent 4000 ouvriers. Le front n’est pas loin. Mais il en faut plus pour décourager leur énergie. Et dès 1950, la machine à produire Wendel est sur pieds : 22900 ouvriers. Leurs part dans la métallurgie française est remontée à 15% du marché national. 

Malgré tout, les attaques continuent contre les maîtres de forges. On les accuse d’entente avec Goering auquel ils auraient cédé les aciéries. Tout cela est faux. Mais le parti communiste est prête à tout pour obtenir la nationalisation. Pour eux, les Wendel sont les voleurs  du sous-sol national. Les houillères de Petite-Rosselle, comme l’ensemble des charbonnages de France, sont nationalisés, moyennant une indemnisation en obligations “Charbonnages de France” qui fondra avec l’inflation. La sidérurgie y échappe de peu.


François II de Wendel a repris les choses en mains mais, malgré les succès qui s’annoncent, rien n’est plus pareil. La création des comités d’entreprise, l’instauration du nouveau système de santé font perdre aux Wendel le pouvoir paternaliste qu’ils avaient. Il avait été bien utile avant la guerre, il ne représentait plus rien après la guerre. La planification s’annonce, elle leur enlèvera  le pouvoir de décision. Il leur est difficile de le comprendre mais il faut s’adapter à tous prix.  



Funérailles François de Wendel


A sa mort, le 13 janvier 1949, à Paris dans l’hôtel familial de la rue de Clichy, François II laisse une situation qui permet encore d’espérer beaucoup. Et ce d’autant plus que des successeurs brillants sont là. La descendance de Maurice, exclusivement féminine, devrait être écartée de la gérance, de par les statuts eux-mêmes. La descendance masculine de François II est bien présente.  



François et Henri de Wendel


Son fils Henri de Wendel (1913-1982) est rentré d’Allemagne. Héritier direct, il pourra reprendre la gérance. Il s’installera Hayange, non au château trop abîmé, mais dans la maison du directeur. Un gérant ne suffit pas, il faut donc faire appel au gendre, Emmanuel de Mitry, dont l’épouse, depuis 1926, est Marguerite de Wendel. Il faut aussi se tourner vers la branche de Maurice dont les gendres sont le baron Seillière de Laborde, le comte Celier et le baron de Montrémy. Celier, choisi pour représenter la branche, ne sera pas gérant mais directeur général. Ils ont pour charge de prendre les intérêts des Wendel en mains. Ils le feront jusqu’en 1978.


Si le besoin de développement est fort en France, comme partout en Europe et dans le monde, la concurrence est rude, avec en France, Usinor qui a une longueur d’avance n’ayant pas subi les mêmes dégâts. Il ne faut pas se tromper dans les choix stratégiques. A la production d’acier lourd, si utile dans la reconstruction du pays, il faut ajouter la tôle qui va devenir essentielle avec le développement de l’automobile qui s’annonce. D’autres produits, dérivés du pétrole, sont là aussi.  



Robert Schuman (1886-1963)


La Communauté Economique Charbon Acier, la CECA, de Robert Schuman, personnage à la personnalité contrastée et contestée, accusé d’être proche des Wendel, ouvrait les frontières dès 1951. Mais pour la France, de par la faute de ses dirigeants, les dés étaient pipés. Liberté de fixer les prix en Allemagne, encadrement strict en France, liberté de constituer des cartels en Allemagne, interdiction en France. Le dirigisme étatique français va sonner la mort de son industrie sidérurgique. Comment affronter la concurrence quand on n’a plus aucune liberté d’entreprendre. C’était le dilemme des Wendel et de tous les autres maîtres de forges. Vichy avait fait disparaître le Comité des Forges, si longtemps présidé, par François II, la quatrième République ne le rétablira pas. C’était donner trop de puissance aux industriels de l’acier que de pouvoir se regrouper. 


Les Wendel vont devoir se battre pour s’adapter. La voiture est bien présente dans la société d’après-guerre, il faut faire des milliers de tonnes de tôle. C’est une reconversion technique et commerciale importante. Les Wendel ne peuvent pas l’assurer seuls. Ils font alors appel aux autres industriels du secteur en Lorraine et créent avec eux, la Société Lorraine de Laminage Continu, la SOLLAC. Ils détiendront 47,5% des parts mais ne la présideront pas par souci de diplomatie vis-à-vis de leurs partenaires, les Forges de Dilling, les Aciéries de Longwy et d’autres. La SOLLAC, dont la création est bienvenue aux yeux des pouvoirs publics, n’obtient pas de ceux-ci les aides promises. Le prêt consenti est indexé sur le dollar, et donc fluctuant sur le marché des changes, alors que celui accordé à Usinor est indexé sur le franc.  



 La SOLLAC à Florange en 1968


Ils doivent aussi procéder à des modifications juridiques de leurs sociétés. La “Société des Petits-fils de François de Wendel” devient une holding qui détient toutes les actions de “Wendel et Cie” auquel son patrimoine total a été apporté. En 1953, “Wendel et Cie”, désormais société anonyme, est introduite en Bourse. Les héritiers Wendel conservent la majorité des actions et donc de la décision. 


Les activités sidérurgiques repartent en Lorraine et avec elles la vie des villes et des villages qui en dépendent.

Il serait fastidieux d’énumérer l’ensemble des activités de la sidérurgie lorraine, et avec elles, celles des Wendel, entre création de Sacilor, création de Sidélor et autres. Une chose est certaine, de par leurs participations, les Wendel reviennent en force. On remplace les hauts-fourneaux vétustes, on crée un laminoir à Jœuf capable de produire 400 000 tonnes. Dans les années 60, ils produiront jusqu’à 7 millions de tonnes d’acier. Tout semble donc aller pour le mieux. Mais les nuages s’amoncèlent.



L’endettement est trop lourd, 77% du chiffre d’affaires en 1965. Sans véritables réserves financières, l’entreprise est à la merci des humeurs de la conjoncture internationale.  Ils ont besoin de l’aide de l’Etat, ce qui est contraire aux principes fondamentaux de la maison. Ils la sollicitent. Le ministre des finances de l’époque, un certain Giscard d’Estaing, ne se montre pas enthousiaste.

 


Professeur Robert Debré


Le retour aux affaires de Michel Débré, grâce à son père, Robert (1882-1978), époux d’Elisabeth de La Panouse, éminent professeur de médecine, un membre du clan Wendel, donne un peu d’air frais et beaucoup d’espoir. Il est le nouveau ministres des finances du gouvernement Pompidou. Pour lui, il est indispensable de relancer l’investissement en vue de la modernisation de l’appareil sidérurgique. On prévoit 4,5 milliards de francs financés à hauteur 3,5 milliards par une aide de l’état sous forme de prêt et un apport personnel des sidérurgistes de la différence. Entre création de nouvelles sociétés, regroupements, mises en place de nouvelles unités de production, ce sera un succès pour l’économie française et aussi pour les Wendel. Entre leurs différentes filiales, ils emploient 60000 personnes, extraient 20 millions de tonnes de minerai de fer (38,8% du total français), produisent 7 millions de tonnes d’acier brut ( 36,7% du total national ). Les entreprises Wendel sont au premier  rang de la sidérurgie en France, au 3ème rang en Europe et au 10ème dans le monde. On est loin de la situation catastrophique de 1945. Mais Usinor en bord de mer, avec des facilités de transport, progresse et guette. Les Wendel font aussi le choix du bord de mer et ce sera la création des aciéries au bord de la Méditerranée, à Fos-sur-mer, encouragée par le nouveau président de la République, Georges Pompidou.  



Fos-sur-mer


Bien entendu l’Etat y aidera mais des fonds propres seront nécessaires. Et la trésorerie commence à manquer au sein du groupe. Ils doivent emprunter sur les marchés financiers. Ils ont assez de crédit pour cela. La dégradation de la conjoncture économique, le surcoût dans la création des usines Solmer, vont les entraîner dans une spirale infernale. Ils doivent procéder, sur ordre du gouvernement, avec Valery Giscard d’Estaing aux Finances,  à une augmentation de capital leur faisant ainsi perdre la majorité.


La « Convention générale État-sidérurgie » de 1966, est suivie un an après par un plan professionnel programmant 15 000 suppressions de postes sur cinq ans. Puis, en 1971, un plan de conversion des sites du groupe Wendel-Sidelor concernera 10 650 suppressions d’emplois. ( sources Wikipédia) 


1974, année maudite ! Celle du premier choc pétrolier. Les commandes d’acier chutent de 40%. Les investissements hors de la Lorraine coûtent cher aux Wendel et pas seulement en termes économiques mais en termes d’image. Les Lorrains ont l’impression d’être sacrifiés par ceux qui le sont défendus jusqu’à présent. Les plans de redressement se suivent sans beaucoup d’effet. Les licenciements sont là. Usinor est toujours là prêt à fondre sur les avoirs Wendel, d’une manière ou d’une autre. Une offre publique d’échange est lancée le 3 novembre 1974. Les Wendel s’en sortent de justesse en vendant les mines de charbon qu’ils possèdent encore en Allemagne, ce qui leur permet de contrecarrer l’offre d’Usinor et de créer Marine-Wendel. Ils prennent aussi des participations au Creusot, chez les Schneider, qui avait été fondé par leur ancêtre Ignace. 

Dans Marine-Wendel, la famille soit 400 personnes, à travers la Compagnie Lorraine Industrielle et Financière (CLIF) présidée par Henri de Wendel, constitue l’actionnariat majoritaire. Les Wendel redeviennent maîtres chez eux. Les aciéries lorraines sont modernisées. Tout semble à nouveau sourire. 


La sidérurgie française est touchée à nouveau de plein fouet en 1975. Sacilor est obligé de mettre sa production en veilleuse. La production de Sollac s’effondre de 22%. Les commandes chutent jusqu’à 40%. Les pertes s’accumulent. Un milliard à la fin 1975 pour les Wendel. 

Le taux d’endettement de la sidérurgie française passe à 120% du chiffre d’affaires. C’est intenable. Wendel, comme les autres, est obligé de licencier. Les causes de la crises sont multiples. Le choc pétrolier ayant entraîné une hausse majeure des carburants, l’industrie automobile recule. La croissance économique française passe de 6% à 3%. Les pays émergents sont là aussi, le Brésil et surtout l’Inde où la famille Mittal prend le contrôle de l’industrie métallurgique et étend son empire au monde par le rachat de tout ce qui est à vendre dans le monde de l’acier. Point n’est besoin de rappeler leur intervention catastrophique en France des années plus tard. 


Rien ne va plus pour les Wendel, malgré les efforts entrepris souvent avec succès depuis 1945. Solmer est un échec. Rien ne va plus pour la sidérurgie française. En Lorraine seule, cela représentait 88000 employés en 1962, 80000 en 1968, 78000 en 1975, 39000 en 1982, 12000 en 1990 et 8700 en 1999 (Sources Wikipédia). Les chiffres, parlant d’eux-mêmes, excluent la responsabilité unique des maîtres de forges, dont les Wendel. 



Hayange en 1956

 


Hayange en 1978


En 1978, le gouvernement de Raymond Barre, sous la présidence de Giscard d’Estaing, a procédé à une nationalisation de fait. La nationalisation juridique interviendra en 1981. Les Wendel ne seront plus maîtres de forges. Il en est des familles comme de tout, elles naissent grandissent et meurent. Mais pas tout-à-fait ! 



Hayange aujourd’hui, l’usine au fond du parc du château


La nationalisation a eu pour effet de transférer officiellement à l’Etat la dette des entreprises, libérant ainsi les propriétaires de leurs obligations au passif.  




Bureaux d’Hayange à la grande époque




Bureaux d’Hayange aujourd’hui 

 







Le château à la grande époque




 





Démolition du château d'Hayange en 2007


L’empire Wendel n’était pas fait que d’aciéries en Lorraine. Cimenteries, emballages, wagons etc…étaient aussi dans la corbeille. Henri de Wendel est mort en 1982, Pierre Celier a quitté l’entreprise en 1987, remplacé par Ernest Antoine Seillière de Laborde, petit-fils de Maurice de Wendel. Il saura restructurer totalement la fortune des Wendel, à travers la CGIP ( Compagnie Générale d’Industrie et de Participation ). Une nouvelle holding où les capitaux Wendel sont investis et destinés à fructifier. Et c’est ce qui se passera. Les investissements audacieux ont payé. L’exemple le plus frappant est celui de Cap Gemini, 215 millions de francs investis dont la valeur a été multipliée par dix en cinq ans.



Ernest-Antoine Seillière


Aujourd’hui, Wendel est une société d'investissement européenne issue de la fusion-absorption de CGIP et de Marine-Wendel en juin 2002. L'entreprise est contrôlée par la famille de Wendel : Wendel-Participations, holding familial de la famille Wendel, détient 37,7 % de Wendel SE, bien loin de la métallurgie. Pour un chiffre d’affaires de 8 389 millions d’euros en 2018, les bénéfices ont été de 45,3 millions d’euros. La liste de leurs participations dans les entreprises françaises ou étrangère est longue et révèle une diversité extraordinaire.

Les bénéfices se répartissent de façon très inégale entre les membres de la famille, de 3000 à  plusieurs centaines de milliers d’euros par an, selon le nombre de parts possédées par les descendant de Jean Martin de Wendel, le fondateur. 

Les Wendel, en trois siècles d’histoire industrielle, ont contribué à l’enrichissement de la France et à sa modernisation. Ils ont été le modèle d’un capitalisme industriel, fait de rigueur et de probité, toujours soucieux de ceux qui travaillaient pour eux. Le capitalisme financier n’a plus les mêmes modes de pensée ni de fonctionnement.


Ernest Antoine Seillière a été contraint à démissionner à la suite d’une opération financière que le Ministère des Finances a considérée comme frauduleuse. Les intérêts de la famille  ont été entre les mains de François III de Wendel, né en 1949, l’année de la mort de François II, jusqu’en 2018.  



François III de Wendel


Le fils de François III a été prénommé Jean Martin du nom du fondateur. A la mort de son père et de son oncle, Humbert de Wendel, il sera le seul mâle à porter le nom de la famille, à moins que lui-même n’ait des garçons. 



André François-Poncet


Wendel est aujourd’hui dirigé par André François-Poncet, en qualité de président du directoire et David Darmon, membre du directoire pour l’Amérique du Nord. François-Poncet déclarait au magazine “Le Revenu” en mai 2019 : Le bilan de Wendel est très solide. Notre endettement net ne représente que 3,8% de la valeur de nos actifs. Nous pourrions porter ce levier à 20%, sans perdre notre notation financière. Notre capacité d’investissement est de l’ordre du milliard d’euros… Le dividende est en croissance année après année. Depuis le 13 juin 2002, date de la fusion CGIP/Marine-Wendel, le taux de retour moyen aux actionnaires (performance du titre plus dividendes réinvestis) ressort à 11,3% par an, contre -3,5 % pour l’Euro Stoxx 50.”


Est-il besoin de rappeler que André François-Poncet est un Wendel par sa grand-mère née Marie-Thérèse de Mitry ? Toujours une histoire de famille, trois siècles après. 

 




Avec un nouveau logo,

la renaissance des Wendel