01/09/2022

L'Aiglon - Cinquième partie : l'entrée dans la légende




 Le duc de Reichstadt, d'après Daffinger 


La carrière militaire du duc de Reichstadt débuta le 17 aout 1828. Son grand-père le nomma capitaine dans son régiment de chasseurs tyroliens. Marie-Louise lui offrit alors le sabre des Pyramides.

Il était fier et reconnaissant à son grand-père de lui permettre d’être militaire. Le fait n’était pas rare pour un membre de la famille impériale, mais Franz ne l’était qu’à moitié et cela réalisait le premier de ses rêves. 

 


Sabre des Pyramides


Dans une lettre à Foresti, en août 1828, il décrit l’évènement : “Je me hâte de vous annoncer le plus agréable événement de ma vie, un événement qui ne fut pas moins inattendu que réjouissant, un événement qui couvait en silence, un événement qui fait de moi tout d'un coup le plus heureux des hommes.  



Buste de Pietro Tenerani vers 1830

Hier, quelques instants avant qu'on se mît à table, l'Empereur fit venir ma mère dans son cabinet de travail ; après un entretien assez court, elle sortit, et c'est avec un visage rayonnant que je la vis causer avec le général (Neipperg) et le comte ( Dietrichstein); de même à table, où elle ne cessa de me regarder en souriant. A la fin du repas, l'Empereur fit sa partie, comme à l'ordinaire, et ce n'est qu'au moment où l'on se retirait qu'il m'appela. — « Tu désires quelque chose depuis bien longtemps déjà, me dit l'Empereur. — Moi, Sire? répondis-je fort embarrassé, et je pensai que ma mère voulait me faire une farce. — Oui, répliqua-t-il, et pointe prouver combien je suis content de toi et quels services j'attends de ta personne, je te fais capitaine de mon régiment de chasseurs. Deviens un brave homme, c'est tout ce que je souhaite. » “Sa Majesté me quitta sur ces mots. Ivre de joie et incapable de balbutier une réponse, je m'éloignai. Dans la grande salle, l'Impératrice, les archiduchesses et tous ces messieurs m'attendaient; je reçus les félicitations de tout le monde. Après cela, j'allai chez ma. mère, à qui je suis particulièrement redevable de ma nomination. Depuis quelques jours déjà, elle avait entrepris l'Empereur à ce sujet, et hier enfin elle formula sa demande.”

 A la fin de 1829, il fut nommé chef de bataillon au régiment Lamezan-Salins et le 14 juin 1831, il fut affecté au régiment hongrois n°60, commandé par le colonel comte Ignace  Gyulay.



Colonel Gyulay.


Mais on s’agitait autour de lui et cette agitation ne lui était pas favorable. Sa cousine Napoléone Bacciochi (1806-1869), fille d’Elisa Bonaparte, soeur aînée de Napoléon, l’approcha en novembre 1830. Quand il la vit, il lui demanda “Qui êtes-vous, Madame ?” “Je suis votre cousine, Napoléone Camerata” “ Camerata, je ne connais pas ce nom-là”. Qu’il l’ait connue avant ou non n’avait pas d’importance car, renseignements pris, il sut qu’elle passait pour folle, une excitée de la cause bonapartiste. Et si le duc de Reichstadt devait poser ses pions pour un futur possible, ce n’était pas elle qui pouvait l’aider, bien au contraire. Edmond Rostand en fit, à tort, une héroïne. A l’une de ses lettres, la dernière, il répondit “ “…L’honneur me prescrit que je n’ai pas reçu les deux premières dont vous parlez; que celle à laquelle je réponds sera immédiatement livrée eux flammes et que le contenu, autant que je le devins, restera à jamais enseveli en mon sein…” ( Dans Octave  Aubry, “Le roi de Rome”)



Comtesse Camerata par Stapleaux, en 1830



La rencontre avec la comtesse Camerata

Franz savait trop bien qu’il était soumis à une surveillance étroite et si la comtesse Camerata avait pu l’aider, cela aurait été immédiatement signalé à Metternich. Mais comme elle avait la réputation d’une folle, elle ne semblait pas dangereuse. Et Franz se méfiait.


Dietrichstein continuait de veiller sur le prince désormais émancipé de sa tutelle. Il continuait ses rapports à Marie-Louise  “Le prince a fait mardi ses visites militaires avec le comte Hartmann. Hier il a passé la matinée dans la caserne pour voir son bataillon en détail et s’orienter dans ses occupations. Je ne l’ai pas vu du tout aujourd’hui, car il alla rejoindre son bataillon dans la caserne à 6 heures du matin, puis à l’exercice sur les glacis.” ( Lettre du 16 juin 1831) Il a de l’affection pour lui et s’inquiète de son état de santé, de son avenir et de ses fréquentations. Il a encore le haute main sur sa maison.


Mais la vie d’officier du duc de Reichstadt fut de courte durée. 



Gravure d'Epinal de l'époque


Au mois d’août 1831, une “fièvre catarrhale” le prit. Malfatti le força à garder le lit un jour. Le lendemain, son patient lui brûla la politesse et fut comme d’ordinaire à l’exercice. Le médecin après en avoir conféré avec Hartmann, adressa un nouveau rapport à l’empereur. Le prince disait-il avait besoin de repos. L’extrême chaleur l’avait éprouvé. Le choléra qui après avoir ravagé Londres et Paris venait d’entrer à Vienne et y faisait des morts nombreux, pouvait facilement atteindre le duc ; dans l’état de faiblesse où ses écarts l’avait réduit, il ne saurait y résister. Hartmann transmit  le rapport à l’empereur qui donna ordre à Malfatti de venir le lui répéter, en présence de Reichstadt, à l’issue de la revue qu’il devait passer le lendemain sur le glacis.

Arrivé au champs de manœuvres, le docteur s’approcha du souverain et devant le jeune homme renouvela son avertissement. L’Empereur se tourna vers son petit-fils et lui dit :

“Franz, tu as entendu le docteur Malfatti ; rends-toi immédiatement à Schönbrunn.”

Le prince salua en signe d’obéissance. Mais ses yeux luisaient de colère et, passant devant le médecin, il lança d’un ton indigné : “C’est vous qui me mettez aux arrêts !”.

Quitter Vienne et l’armée, en ce moment de contagion, lui paraissait honteux. Il fut plusieurs jours à s’apaiser. Cependant forcé de se soumettre, baigné par l’air frais et le calme de Schönbrunn, il reprit des forces et retrouva l’appétit. Il dormit longuement. Sa poitrine chassa l’oppression. Il revit Malfatti sans rancune et le pria même d’oublier son injustice. 



Malfatti


Voici ce que dit le médecin lui-même,  de son patient et de son état de santé : “Je fus appelé par le duc de Reichstadt, avec le titre de son médecin ordinaire, dans le mois de mai 1830. Je succédais à trois hommes d'une haute réputation : le célèbre Franck, les docteurs Golis et Standenheimer. M. de Herbeck avait rempli près du prince les fonctions de chirurgien ordinaire. Ces médecins n'avaient pas laissé de journal de la santé du jeune duc. M. le comte de Dietrichstein eut la bonté d'y suppléer en m'instruisant de beaucoup de détails qu'il était indispensable de connaître. 

“Le prince mangeait très peu et sans appétit ; son estomac semblait trop faible pour supporter la nourriture qu'aurait exigée sa croissance, singulièrement rapide et même effrayante : à l'âge de dix-sept ans, il avait atteint la taille de cinq pieds trois pouces ! De légers maux de gorge le faisaient souffrir de temps en temps ; il était sujet à une sorte de toux habituelle et à une journalière excrétion de mucosités. Le docteur Standenheimer avait déjà manifesté de vives inquiétudes sur la prédisposition du prince à la phtisie de la trachée-artère. Je pris connaissance des prescriptions qui avaient été décidées contre ces symptômes inquiétants. 

“La connaissance personnelle que j'avais d'une disposition morbifique héréditaire dans la famille de Napoléon dirigea mes premières recherches, et je m'assurai de l'existence d'une affection cutanée herpes farinaceum. Je ne pus approuver l'usage des bains froids et de la natation, que le chirurgien, M. de Herbeck, avait aussi combattus, peut-être par suite seulement de la connaissance qu'il avait acquise de la faible organisation de la poitrine du prince. Dans le but de réagir sur le système cutané, j'employai avec succès les bains muriatiques et les eaux de Seltz coupées avec du lait. Le prince devait passer à l'état militaire dans l'automne suivant ; c'est là que tendaient ses voeux, que se concentraient tous ses désirs. Il avait déjà obtenu l'autorisation tant sollicitée. Je ne me recommandai pas à ses bonnes grâces, comme vous pouvez l'imaginer, lorsque je m'opposai formellement à ce changement de vie. J'en développai les raisons à ses augustes parents dans un mémoire que je leur adressai le 15 juillet 1830. J'établissais que, dans l'état de croissance excessive en disproportion avec le peu de développement des organes, dans la disposition générale de faiblesse, particulièrement de la poitrine, toute maladie accessoire pourrait devenir extrêmement dangereuse, soit dans le présent, soit dans l'avenir, et que, par suite, il était indispensable de mettre le prince à l'abri de toutes les influences atmosphériques, de tous les efforts de voix auxquels il serait continuellement exposé dans le service militaire. 

Mon mémoire fut accueilli par l'empereur : l'entrée au service militaire fut ajournée pour six mois. A la suite de soins assidus et de révulsions artificielles, les symptômes inquiétants se mitigèrent d'une manière visible. L'hiver se passa heureusement ; mais la croissance continuait encore.” Ceci est rapporté par Alexandre Dumas Père dans ses Mémoires.


Malfatti rapporte qu’il avait été clair avec Franz. “Au printemps de l'année 1831, le prince fit son entrée dans la carrière des armes. Dès ce moment, il rejeta tous mes conseils ; je ne fus plus que spectateur d'un zèle sans mesure, d'un emportement hors des limites pour ses nouveaux exercices. Il crut ne devoir écouter désormais que sa passion, qui entraînait son faible corps à des privations et à des fatigues absolument au-dessus de ses forces. Il eût regardé comme une honte, comme une lâcheté de se plaindre sous les armes. D'ailleurs, j'avais toujours à ses yeux le tort grave d'avoir retardé sa carrière militaire ; il paraissait redouter que mes observations ne vinssent encore l'interrompre. Aussi, quoiqu'il me traitât avec une extrême bienveillance dans les relations sociales, comme médecin, il ne me dit plus un seul mot de vérité. Il me fut impossible de le déterminer à reprendre l'usage des bains muriatiques et des eaux minérales, qui lui avaient été si utiles l'année précédente. Le temps lui manquait, me disait-il. Plusieurs fois, je le surpris, à la caserne, dans un état d'extrême fatigue. Un jour, entre autres, je le trouvai couché sur un canapé, épuisé de forces, exténué. Ne pouvant me nier alors l'état pénible où je le voyais réduit : 

« - J'en veux, me dit-il, à ce misérable corps, qui ne peut pas suivre la volonté de mon âme ! 

« - Il est fâcheux, en effet, lui répondis-je, que Votre Altesse n'ait pas la faculté de changer de corps comme elle change de chevaux, lorsqu'elle les a fatigués. Mais, je vous en conjure, monseigneur, faites attention que vous avez une âme de fer dans un corps de cristal, et que l'abus de la volonté ne peut que vous devenir funeste.” (Alexandre Dumas Père- Mémoires )


En cet été 1831, la famille impériale l’avait rejoint à Schönbrunn, sauf Marie-Louise qui avait regagné Parme. Reichstadt, désormais sans activité militaire, avait retrouvé l’archiduchesse Sophie. Il passait avec elle dans le château ou les jardins de tendres heures. Pour le distraire, l’empereur l’emmenait aux grandes manœuvres et le faisait assister au Kriegspiel ( jeu de la guerre ) avec les généraux. Il lui permit même à la revue finale de prendre pour un jour le commandement de son bataillon et de défiler à sa tête devant toute la cour.


Malfatti, le médecin qui s’était souvent occupé de Sophie pendant sa grossesse, et en lequel toute la famille impériale avait une grande confiance, fut accusé pour le moins de négligence avec le duc de Reichstadt, voire de complicité d’assassinat, obéissant ainsi aux ordres de Metternich. La négligence fut possible mais jamais un ordre de laisser mourir le duc de Reichstadt ne lui fut donné. Le seul remède que Malfatti, compte tenu des connaissances médicales de l’époque, pouvait ordonner,  était une cure au soleil d’Italie. Mais les aléas de la politique ne le permettait pas. Même si Metternich n’avait pas été aussi intransigeant, il est probable que Louis-Philippe, au trône à peine assuré, aurait demandé des comptes de la présence du prince sur le sol italien. La famille impériale ne semble pas lui en avoir voulu car en 1837, il fut créé comte de Montergio.

 


 Le duc de Reichstadt sur la place d'armes le 30 novembre 1831


Dietrichstein, toutefois, commença à se méfier du Dr Malfatti et en avertit Marie-Louise, hélas trop tard. Une fois l’épidémie de choléra terminée, le prince put reprendre ses activités militaires. 


Le 9 janvier 1832, “La baronne Louise de Sturmfeder, gouvernante de François-Joseph, vit de sa fenêtre le prince passer en revue en compagnie de son bataillon qui allait prendre la garde. Madame l’archiduchesse, le petit (François-Joseph) et moi, nous sommes restés plus d’un quart d’heure à la fenêtre pour regarder le duc de Reichstadt passer aujourd’hui l’inspection de la garde. Une foule de curieux s’était assemblée pour le voir. Il paraissait prendre son service très au sérieux et cherchait autant qu’il m’a semblé à imiter son père dans son attitude et sa manière de porter son chapeau. L’archiduchesse Sophie à qui j’avais fait par de mes observations me dit que c’était en effet son seul but. Après avoir terminé son inspection, il monta avec beaucoup d’adresse sur un petit cheval noir puis il partit au galop, suivi de l’aide de camp, et accompagné des cris de joie, derrière la fenêtre fermée de mon petit qui l’appelle « Ada ».”




En janvier 1832 par Leopold Bucher 


Le 16 janvier, sur  la Josefplatz, il apparut pour la dernière fois à la tête de son bataillon, à l’occasion de l’enterrement du général de cavalerie, Bersina von Siegenthal. Lorsqu’il voulut à la fin de la cérémonie donner le commandement pour la salve, la voix lui manqua et on dut le reconduire chez lui grelottant d’une fièvre qu’il avait cachée à son entourage.


Un jour à la fin de mars s’étant obstiné à sortir par un temps froid et humide, saisi par l’action de l’air, il courut de toute la vitesse de son cheval. Le soir il alla encore se promener au Prater, en voiture découverte. Dans cette île du Danube, extrêmement humide, il resta jusqu’après le coucher du soleil, un accident de voiture força le prince à faire un long trajet à pied. Le soir, il fut pris d’un violent accès de fièvre et d’une fluxion de poitrine qui détermina les plus graves accidents, notamment la perte de l’ouïe de l’oreille gauche. » (Jean de Bourgoing - Le fils de Napoléon Payot – Paris – 1932)


Sophie attendait son deuxième enfant. Pendant cette période, Sophie se rapproche encore de Franz, ce qui a fait dire aux commères de Vienne que l’enfant était de lui. 


En avril 1832, Metternich avait enfin donné l’autorisation du voyage en Italie. Cela ne devait pas lui être difficile si l’on en croit sa femme la princesse Mélanie qui écrivit dans son journal, le 10 avril :


“L’Empereur a dit à Clément qu’il avait réuni des médecins en consultation pour se prononcer sur l’état du duc de Reichstadt et que tous avaient déclaré que la situation du malade leur paraissait désespérée. Il crache déjà des morceaux de poumon, et n’a plus que quelques mois à vivre. Que la volonté du ciel s’accomplisse ! Quoi qu’il en soit, nous trouvons fort triste la destinée de ce prince qui ne manque ni d’esprit, ni de talent, ni de génie.”


A cette nouvelle, Reichstadt demanda des cartes et des ouvrages sur l’Italie. Il se disait guéri. Cachant son inquiétude, Sophie qui était à côtés essayait de tempérer son ardeur. Elle lui demandait de se reposer et veillait à ce qu’il ne soit pas dérangé. 




L'archiduchesse Sophie en 1832 par Karl Joseph Stieler


Le 28 avril 1832, la reine Caroline écrit à Sophie : “Mon Dieu, que votre nouvelle sur Reichstadt m’afflige. Je ne peux plus penser à rien d’autre depuis hier. Les nouvelles alarmantes ne m’avaient pas paru dignes de la moindre attention, les attribuant à la malveillance, mais comme depuis longtemps vous le nommiez plus dans vos lettres, je m’étais proposée (justement hier) de vous demander pourquoi. n’y aurait-il pas moyen de l’envoyer dans un climat chaud ?…Si l’empereur veut conserver son petit-fils qu’on agisse franchement avec la France, qu’on dise l’état dans lequel il est et qu’on ne veut pas le sacrifier à de misérables considérations mondaines et qu’on demande qu’il puisse séjourner dans le voisinage de la France en garantissant la tranquillité du pays par l’entourage qu’il plaira à l’Empereur de donner et qui sera même, je crois, nécessaire pour la propre sûreté du jeune homme. Enfin, qu’on donne les sûretés raisonnables mais qu’on agisse pour le bien du malade car Ischl n’est rien pour un état pareil, un palliatif tout au plus dont le résultat ne mène pas loin. Prenez bien à coeur ce que je vois dis là, chère Sophie….Que dit donc sa pauvre mère ? Connait-elle son état ? Malheureuse femme…Elle s’était tant attachée à lui dans ce dernier séjour et m’en parlait avec une satisfaction et un sentiment de bonheur qui faisait plaisir à entendre.”  (Document 794-2)

Quelques jours après, elle écrit : “ je suis charmée au moins qu’on ne rejette pas tout-à-fait un climat chaud pour Reichstadt” ( Document 800-2)


Dès le mois avril donc, tout le monde le sait condamné. Marie-Louise, rassurée par Malfatti, n’est pas encore au courant. Ce n’est qu’en juin que Dietrichstein lui écrivit en lui demandant de venir au plus vite : “Hélas ! Pourquoi suis-je condamné à [vous] causer tant de peines […] ? Je bénis votre résolution de venir à Vienne […]. Si Dieu le veut, peut-être que votre présence produira quelque bonheur, au moins, des soulagements…”


Sophie était présente à Schönbrunn, à ses côtés, l’égayant par sa présence. Elle lui faisait la lecture. Le 22 mai, il s’était installé à Schönbrunn dans les appartements du premier étage qu’occupait Sophie et François-Charles qui le lui avaient cédé car plus ensoleillés que les siens. Il était installé dans les grandes pièces de l’aile gauche que Napoléon avait occupées après Austerlitz et après Wagram. Sa chambre était celle même où Napoléon avait dormi. 



Chambre de Franz à Schönbrünn


Près de sa chambre Reichstadt disposait du magnifique salon de laques, noir et or, qui avait servi de cabinet de travail et d’audience à Napoléon. 



Chambre des Vieux-Laques


De l’autre côté on entrait dans la « chambre de porcelaine », bleue et blanche, pièce de prédilection de Sophie.

 


Salon de porcelaine


L’empereur l’avait nommé colonel de son régiment. Franz n’eut pas la force de lui écrire pour le remercier.


Ranimé par l’air de Schönbrunn, dormant mieux, souffrant moins, il partait en voiture chaque matin pour aller visiter les environs. En revenant de Laxenburg, un orage le surprit et le soir même il était alité à nouveau, avec de la fièvre et crachant du sang.


Sophie, toujours présente, bien que fatiguée par sa grossesse, passa dès lors ses journées à ses côtés. Quand il ne put plus marcher, on le conduisit en chaise à porteur dans le jardin de Sophie où il y avait un pavillon. Il s’étendait sur un grand fauteuil “vêtu d’une robe de chambre à raies blanches et rouges, avec un pantalon blanc et un bonnet à la grecque d’où s’échappaient ses boucles blondes.” Franz essayait de dissimuler ses crachements et Sophie ses larmes. Elle, comme les autres, le savait condamné. Son état ne laissait plus aucun espoir.

Metternich avait écrit au comte Apponyi, ambassadeur d’Autriche à Paris : “Le mal du duc de Reichstadt est une phtisie pulmonaire caractérisée, et si cette maladie ne pardonne pas à tout âge, elle tue à 21 ans. Je vous prie de rendre le roi Louis-Philippe attentif au personnage qui succédera au duc. Je me sers du mot succéder car dans la hiérarchie Bonapartiste, il y a une succession toute avouée et respectée par le parti. Le jeune Louis Bonaparte est un homme  engagé dans les trames des sectes ; il n’est pas placé comme le duc de Reichstadt sous la sauvegarde des principes de l’Empereur. Le jour du décès du duc, il se regardera comme appelé à la tête de la République française.”


Le cynisme du chancelier fait froid. Pour lui le jeune homme est déjà mort et il faut songer à se méfier de son successeur. 


Franz ne s’alimentait plus. On songea alors à lui administrer l’extrême-onction car il pouvait mourir à tout instant. La cérémonie eut lieu le 20 juin 1832.


Jean de Bourgoing, fidèle aux souvenirs de Prokesch-Osten, raconte : “À 10 heures Reichstadt se confessa ; avant 11heures, les employé et la domesticité de la Cour se réunirent dans la chapelle du château. Le curé de la chapelle de la Hofburg, Wagner, donna la bénédiction à l’assemblée avec le ciboire. Chaque assistant ayant reçu un cierge, le cortège quitta la chapelle ; à sa tête marchaient les  laquais en livrée suivis des officiers civils de la maison du duc, les autres domestiques et employé de la Cour, ainsi que le clergé qui n’entraient pas en fonction pendant cette cérémonie. Les membres de la Famille impériale étaient précédés des chambellans n’étant pas de service et des conseillers intimes. Le roi de Hongrie, prince impérial d’Autriche, était accompagné du prince de Salerne et des archiducs, François-Charles, Louis et Antoine précédant le Saint-Sacrement porté sous un dais ; derrière celui-ci marchaient la reine de Hongrie et les archiduchesses Sophie et Clémentine. La fin du cortège était formé par les femmes de service du château qui avaient demandé, comme le procès-verbal le mentionne, à pourvoir assister à la cérémonie.






Plan appartement de Franz


Le cortège en quittant la chapelle traversa une haie de grenadiers et, en passant par l’escalier bleu et la galerie arriva aux appartements du duc, où le général comte Hartmann et la capitaine baron de Moll l’attendaient pour accompagner le Saint-sacrement dans la chambre du malade. Selon le cérémonial le dais aurait dû être porté jusqu’auprès du lit. Comme le duc ne devait pas savoir qu’il recevait en réalité les derniers sacrements, les porteurs restèrent dans le cabinet attenant à la chambre ; pour la même raison les prières ne furent pas dites à haute voix. On prit aussi les mesures nécessaires pour que la Wiener Zeitung ne mentionnât pas cette cérémonie. L’archiduc François-Charles en rendit compte à l’Empereur : «  Reichstadt comme Wagner me l’a assuré lui-même s’est conduit comme un vrai pêcheur repentant et a cherché la consolation et les secours là où seulement on peut les trouver. Il lit la Bible et les livres de prières, de préférence ceux que l’Impératrice lui a donnés. Il a prêté grande attention aux paroles de Wagner. L’intérêt que les gens manifestent pour Reichstadt est réellement touchant. Aujourd’hui il est très irrité et les nerfs le tourmentent beaucoup…Comme on ne voulait pas que cette cérémonie, prescrite pas le cérémonial de la Cour d’Autriche, donc nullement due à un caprice de l’archiduchesse Sophie, trahit au duc de Reichstadt la gravité de son état, on la modifia de manière à ce que le malade put croire qu’il n’avait que communié. L’archiduchesse Sophie assuma la responsabilité de ce pieux mensonge. « Personne ne voulait le lui proposer, raconte la baronne Sturmfeder, gouvernante de François-Joseph à la fin, la mère de mon enfant (Sophie) s’y décida et elle obtint en un quart d’heure ce que les autres n’auraient même pas risqué de proposer.”


Le 24 juin, la reine Caroline écrit à nouveau : “…Une lettre de votre cousine Amélie à Marie qui parle de l’état empiré du pauvre Reichstadt avec lequel vous dites vos dévotions ce qui ne peut manquer de vous avoir fortement émue je me suis décidée à partir mercredi 7 et j’en ai informé votre frère ( le Roi Louis Ier) La crainte du malheur qui parait inévitable et des suites qu’il pourrait avoir sur votre état ne me laisse plus de repos…Le 30 j’espère être de bonne heure  auprès de vous, ma bonne Sophie, et partager vos peines et vos inquiétudes, si toutefois jusque là le pauvre cher malade existe encore” (Document 813-2)


Marie-Louise arriva à Schönbrünn le 24 juin pour constater : “Mon malade est toujours de même, un jour mieux, un jour moins bien mais la fièvre lente continue, sa maigreur augmente et ses forces se consomment. Aujourd’hui que l’air et pur et bon, je l’ai trouvé assis sur son balcon, respirant pour la première fois, après treize jours, l’air; cela a paru lui faire plaisir” ( Lettre de Marie-Marie-Louise à sa fille Albertine Montenuovo en date du 4  juillet)



Marie-Louise au chevet de son fils


Il avait dit, en pleurant, à Prokesch-Osten : “Si Joséphine avait été ma mère, mon père ne serait pas allé à Sainte-Hélène et moi, je ne languirais pas à Vienne. Certainement, ma mère est bonne, mais elle est sans force. Elle n’était pas la femme que mon père méritait”


Elle passe ses après-midi avec son fils, puis dîne chez Sophie, à peine remise de ses couches, avec l’archiduc François-Charles, la reine Caroline et la princesse Marie de Bavière. Il semble qu’il y ait un mieux le 11 juillet, Marie-Louise écrit : “Il est assez calme et gai ; nous tâchons de faire tout pour le distraire, et mon frère François ( le mari de Sophie) surtout est un ange de bonté pour lui, ce qui me touche tant. Ma belle-soeur (Sophie) va très bien et le petit Ferdinand aussi (Max, le futur empereur du Mexique). Quand on demande à Franzi (François-Joseph) : Que fait le petit frère, il répond : il grogne. En général il est bien jaloux de lui.” ( Lettre à Albertine Montenuovo du 11 juillet 1832)


Napoléon François Charles Joseph Bonaparte, prince impérial français, roi de Rome, espoir d’une dynastie, s’éteignit le 22 juillet 1832, un peu avant cinq heures du matin, dans le même lieu et le même jour de l’année où il avait appris la mort de son père. Il était alors Son Altesse Sérénissime, Franz duc de Reichstadt. Se trouvaient à ses côtés, sa mère, l’ex-impératrice des Français, duchesse de Parme, son oncle l’archiduc François-Charles, les généraux Hartmann et Mareschall, les docteurs Malfatti et Nickert, ainsi que d’autres personnes à son service. On dut emporter Marie-Louise qui s’était évanouie. François-Charles eut alors à prévenir Sophie, avec ménagement. Elle aussi s’évanouit en entendant la nouvelle. Pendant plusieurs jours, elle eût de la fièvre. 



La mort de Franz dans l’imagerie populaire



Le 24 juillet, suivant le cérémonial des archiducs, il fut enterré dans la Crypte des Capucins à Vienne. Sur son cercueil, on grava : “Fils de Napoléon, empereur des Français, et de Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche”. Il s’appelait Napoléon Bonaparte, comme son père, mais cela fut volontairement oublié.


Il avait été revêtu de son uniforme de colonel, il avait été exposé dans son cercueil à l’extérieur de velours rouge, brodé d’or. Ses insignes militaires reposaient sur un coussin, des officiers des gardes hongroise et allemande le veillaient. Le peuple de Vienne, canalisé par les huissiers du palais, défila pour lui rendre hommage. Sur le passage du cortège, la foule vêtue de noir était compacte. Le fils de Napoléon était pleuré par une ville qui, si elle n’avait pas aimé le père, avait adoré le fils.



Sur son lit de mort par Franz Xavier Stöber 


L’ensemble de la famille impériale se trouvait avec l’empereur et l’impératrice à Persenbeug. Il semble que François ait été volontairement éloigné de Schönbrunn car l’impératrice craignait pour sa santé de le voir assister à la fin de son petit-fils préféré. Franz veillé par sa mère, fut aussi entouré de l’affection de son oncle et de sa tante, l’archiduc François-Charles et son épouse. On peut imaginer que la reine de Bavière qui avait manifesté tant de sollicitude et d’inquiétude à son égard, était là aussi.


Dans la Crypte des Capucins à Vienne


La princesse Mélanie écrivit quelques jours après ce que lui avait rapporté son mari : “L’Empereur est très affecté de la perte du duc de Reichstadt. Lorsque je lui ai annoncé son décès, il m’a répondu  simplement : « Je regarde la mort du duc comme un  bonheur pour lui. Je ne sais si l’événement est heureux ou malheureux pour la chose publique ; quant à moi, je regretterai toujours la mort de mon petit-fils.” 



La Légende

“Maurice Dietrichstein offrit à Prokesch-Osten de choisir des livres dans la bibliothèque du duc de Reichstadt. Il choisit en premier lieu les « Mémoires de Napoléon, dictés à ses compagnons d’exil », « Le Mémorial de Sainte-Hélène », les souvenirs d’O’Meara et d’Antommarchi. C’étaient les mêmes volumes que les deux amis avaient parcourus et commentés bien des fois. En feuilletant ces livres, Prokesch-Osten retrouvait les pages discutés avec le duc de Reichstadt. Il rencontrait dans les entretiens de Napoléon avec son entourage les passages qui l’avaient autant ému que le fils de l’Empereur, ces maximes et conseils qui traçaient la ligne de conduite au chef de la dynastie napoléonienne. Il croyait voir devant lui le fils de Napoléon, ce beau jeune homme, grand et blond comme un Habsbourg. Mais lorsque le duc de Reichstadt  s’enflammait à la lecture des hauts faits et des traits de génie de son père ou qu’il jugeait sévèrement ses antagonistes, les traîtres de leur bienfaiteur, ses yeux étincelaient comme ceux de Napoléon. Combien de pages rappelaient à Prokesch-Osten le désespoir du Duc quand il disait : « Ai-je vraiment quelque valeur ?” Comte de Prokesch-Osten, Mes relations avec le duc de Reichstadt - Commentaires et notes de Jean de Bourgoing - Librairie Plon-1934).



Père et fils réunis


Le 12 octobre 1832, la reine Caroline remercie Sophie “pour le petit portrait de notre cher Reichstadt. Dietrichstein me l’avait déjà donné, ainsi qu’à Marie et comme elle a cédé le sien à Stéphanie, je lui ai donné à présent celui-ci. 

“J’ai été fort émue hier matin en voyant le tableau de la mort de Reichstadt par le peintre Goubaud. j’en suis extrêmement contente pour l’effet, pour l’expression du pauvre mourant, la figure de sa mère et pour la ressemblance de François et de Malfatti; le prêtre est le plus mal fait mais l’ensemble est beau et me transporta si vivement dans un temps de douleur qu’hier soir encore avant de me coucher j’en étais toute occupée. Je trouve qu’il a bien rendu le jour qui commence et en tournant le lit sans doute autrement qu’il était, la scène de douleur en est éclairée d’une manière si vraie…Quelles nouvelles avez-vous de Marie-Louise ? Se porte-t-elle bien ?” (Lettre du 19 janvier 1833 ) Goubaud (1780-1847), portraitiste de la cour impériale de France, originaire de Marseille, aujourd’hui oublié, avait déjà peint le roi de Rome à son berceau. 


On peut voir que le souvenir de Reichstadt était bien présent dans la famille de Sophie. Dix ans après sa mort, la famille impériale faisait célébrer des messes le 22 juillet.


Marie-Louise avait annoncé elle-même, dans une lettre du 23 juillet, le décès de son fils à sa grand-mère, Madame Mère : “Dans l’espoir d’adoucir l’amertume de la douloureuse nouvelle que je suis malheureusement dans le cas d’annoncer, je n’ai voulu céder à personne le soin pénible de vous en faire part. 

Dimanche 22, à cinq heures du matin, mon fils chéri, le duc de Reichstadt, a succombé à ses longues et cruelle souffrances. J’ai eu la consolation d’être auprès de lui, et celle de pouvoir le convaincre que rien n’a été négligé pour le conserver en vie…” 

La mère de Napoléon lui répondit : “ Malgré l’aveuglement politique qui m’a toujours privée de recevoir des nouvelles du cher enfant dont vous voulez bien m’annoncer la perte, je n’ai jamais cessé de lui conserver des entrailles de mère. Il était encore pour moi l’objet de quelque consolation…” Elle mourut le 2 février 1836 à Rome.




 La Gazette de Parme le 28 juillet 1832


Après la mort de Franz, Foresti écrivit à Dietrichstein, absent lors de la mort du duc, : “Il est triste vraiment de voir que les deux plus grands médecins de Vienne aient continué d’insister sur la présence d’une maladie qui n’existait pas et que d’un autre côté, ils aient nié celle dont les symptômes étaient si évidents.” Le duc de Reichstadt était mort de tuberculose, comme le confirme l’autopsie réalisée le lendemain.


Cela résume bien la vie de Napoléon François Bonaparte. On n’a jamais voulu voir ce qu’il était vraiment, le fils de Napoléon. On en a fait un prince autrichien, l’enfermant dans un rôle, dans lequel il n’a pas été malheureux, mais qui n’était pas le sien.



Aux Invalides aujourd’hui


Dans la nuit du 14 au 15 décembre 1940, son corps fut déposé près de celui de son père, dans la crypte des Invalides. Il reposait au milieu de ce peuple français qu’il avait aimé sans le connaître. Mais là aussi ce fut une tromperie car il servait d’excuse à Hitler pour amadouer le peuple français vaincu.


La légende s’est emparée de Franz, de son histoire, de sa vie. Mais quand on le veut français, il est autrichien et quand on le veut autrichien, il est français. Mais, aimant son père et son grand-père, il fut à la fois de France et d’Autriche. 



Un si beau jeune homme

02/08/2022

L'Aiglon - Quatrième partie : Les grandes amitiés

 Les grandes amitiés

Le comte Dietrichstein à partir de 1830, année qu’il avait fixée pour son émancipation, commence à pouvoir être satisfait de son élève.

Comte Maurice Dietrichstein en 1837 par Daffinger

Fränzchen, le “Petit François” est devenu un bel homme, montant élégamment à cheval et dansant de même aux bals de la cour. Dès 1824, lors du bal donné à l’occasion du mariage de l’archiduc François-Charles et de la princesse Sophie de Bavière, ses talents avaient été remarqués. Les princesses de Bavière, surtout Louise, avaient été sous le charme du jeune Reichstadt.


Princesse Louise de Bavière

Dietrichstein rapporte avec vanité le 27 novembre 1824 : “On admire sa stature, sa tenue, en un mot tous ses mouvements ; il est d’une politesse exquise ; par exemple il apprit pendant une valse avec une princesse Liechtenstein que le prince Schönburg l’avait engagée et que celui-ci l’avait cédée au duc. Il pria aussitôt le prince Schönburg de danser avec elle un tour de valse. En général il, excite l’enthousiasme des cours de Bavière et de Saxe ; il est très galant surtout avec la princesse Louise (Ludovica de Bavière) ce qui amusa beaucoup ses sœurs et leurs dames. 


Archiduchesse Sophie peu avant son mariage

Après le bal j’eus l’honneur de dîner avec lui chez la reine  ( de Bavière) qui causa ensuite longuement avec moi et presque tout le temps du prince qui la ravit…Il pétille d’esprit, sa conversation est pleine de finesse et les égards qu’il a pour tout le monde, avec les nuances justes, lui donnent une aisance que l’on ne trouve pas à son âge.”

Archiduc François-Charles en 1825

Le mauvais élève, sorti de la salle de classe, devenait un charmant jeune homme.

La reine de Bavière, Caroline, en avait félicité le comte Dietrichstein en lui disant  “Permettez-moi de vous féliciter. Votre élève ne manque pas de répartie. Cela est même étonnant de la part d’un si jeune homme. J’y vois là les bienfaits de votre éducation.” Il avait répondu : “Je dois avouer que, si j’ai eu l’honneur d’enseigner quelques rudiments d’Histoire au duc de Reichstadt, je ne mérite en rien le compliment de Votre Majesté. C’est au prince seul qu’il revient.”

La reine de Bavière, née princesse Caroline de Bade


Le jeune prince et son précepteur avaient été conviés, lors du dîner qui avait suivi le bal, à la table de la reine. Celle-ci avait enfin laissé tomber ses préventions contre Napoléon pour se laisser séduire par son fils. L’esprit et la finesse de Franz l’avait séduite et elle tenait à le faire savoir. Aussi ne tarit-elle pas d’éloges sur lui quand le jeune homme se fut éloigné. Maurice Dietrichstein était comblé par le succès de son élève, qu’il n’hésita pas à rapporter à l’empereur, pour sa plus grande joie. 



Le duc de Reichstadt

Maurice Dietrichstein était un homme de grande culture, mélomane et compositeur à ses heures, ayant mis en musique des poèmes de Goethe. Il organisa des concerts pour Beethoven et patronna Schubert. Son avis favorable à son élève comptait d’autant plus. A la mort de celui-ci, il prit la direction des théâtres et de la musique à la Cour impériale. En 1838, il acquit, pour la bibliothèque impériale, le manuscrit du requiem de Mozart. Il sera fait chevalier de la Toison d’Or en 1836. Homme ouvert, il était opposé au système de la Sainte-Alliance mis en place par Metternich.

Le 27 novembre 1826, il annonça à Marie-Louise que son fils était extrêmement bien intégré à la cour et qu’il nourrissait désormais de grands espoirs pour lui : “Tout le monde se réunit à dire qu’il peut devenir un prince accompli. Il pétille d’esprit, ses discours sont remplis de finesse et les égards qu’il témoigne à chaque personne, avec des gradations fort justes, lui donnent déjà un aplomb qu’on ne trouve guère à son âge.”


Un beau jeune homme

En 1828, comme le note l’archiduchesse Sophie, il assistait aux opéras donnés à la cour, dont “La pie voleuse” de Rossini.

Il assiste aux dîners donnés par elle, en compagnie des oncles et tantes présents à Vienne. On y fait aussi de la musique après le repas.

Peu de temps après, Reichstadt et Sophie se rendirent ensemble au théâtre, pour assister à la représentation de la pièce “Le mariage d’amour”, dans laquelle un acteur apparait en uniforme de général français, Reichstadt, assis à côté de Sophie, se pencha vers elle et lui dit d’un ton navré : “c’est ainsi que nous étions” puis il ajouta “si seulement c’était encore le cas !”. Pour plaisanter, je lui ai donné un léger coup sur la joue avec mes jumelles de théâtre. Cela ne doit pas vous surprendre, chère Maman, que Reichstadt se laisse aller à s’exprimer ainsi sur son passé glorieux ; Il en parle très souvent et c’est finalement mieux, que lorsqu’il cachait ses pensées et ses sentiments ». ( lettre à la reine de Bavière du 18 mars 1829)


Quand Marie-Louise revint en Autriche en 1828, elle retrouva un jeune homme transformé, brillant, souhaitant avec ardeur entrer dans l’armée, mais en même temps très sensible,  voire romantique, adorant la nature. Elle lui fit alors découvrir ses peintures de paysage, qui étaient son jardin secret.  Reichstadt passa beaucoup de temps avec sa mère et fut affecté de la voir rentrer en Italie : “L’effet que le départ de Votre Majesté a produit sur le prince est celui que j’attendais de son cœur. Il a beaucoup pleuré, il est resté longtemps sans me parler et je me suis bien gardé de détourner ses pensées de l’idée qui seule doit l’occuper. Il sent vivement la douleur d’être séparé de Votre Majesté” écrit Dietrichstein le 1er octobre 1828.

Anton de Prokesch-Osten en 1830

En 1830, entre aussi dans la vie du jeune prince, celui qui deviendra son ami, son seul ami, le comte de Prokesch-Osten (1795-1876). Il fut une des personnalités des plus remarquables en Autriche, de par son intelligence, sa haute stature morale, et l’importance des postes qu’il a occupés. En 1815, à 20 ans, il était officier d’ordonnance de l’archiduc Charles, puis il fut aide camp du maréchal prince Schwarzenberg. En 1824, il fut envoyé en Orient pour étudier la situation de la Grèce. Il devint un orientaliste et un numismate distingué.

Quand il rencontre le duc de Reichstadt, il vient d’être nommé chevalier avec le titre de l’Orient, d’où Prokesch-Osten. Les Prokesch n’étaient pas issus d’une famille de la noblesse. Le premier ancêtre connu était commerçant en 1700 en Moravie, à Groß-Seelowitz près d’Auspitz.

Son amitié pour le duc de Reichstadt fut sincère car il ne pouvait rien en attendre et après la mort de Franz, seuls ses talents de diplomate lui valurent d’être ambassadeur à Athènes, après avoir fait faire la paix entre le pacha d’Egypte, Mehemet-Ali, et le sultan, Mahmoud II. Il joua un rôle important dans les rapports entre la Prusse et l’Autriche, s’opposant fréquemment à Bismarck. En 1855, il fut nommé ambassadeur à Constantinople où il resta seize ans. A la fin de son ambassade, François-Joseph, en 1871, le créa comte.

La grande probité morale et intellectuelle de Prokesch-Osten rend ses mémoires dignes de grand intérêt car s’il a été l’ami de Franz, il ne s’est jamais privé de lui dire ce qu’il pensait. Sa relation de leur amitié est précieuse pour connaître la dernière année de la vie du prince.

“Le 22 juin 1830 à Graz, j’eus l’honneur d’être invité  la table impériale. Placé en face de l’Impératrice, j’avais en face de moi le duc de Reichstadt, assis vis-à-vis de l’Empereur. Ce beau et noble jeune homme aux yeux bleus et profonds, au front mâle, aux cheveux blonds et abondants, le silence sur les lèvres, calme et maître de lui-même dans son maintien, fit sur moi une impression vraiment extraordinaire.” (Comte de Prokesch-Osten - Mes relations avec le duc de Reichstad- Commentaires et notes de Jean de Bourgoing - Librairie Plon-1934.)

Et Prokesch-Osten de continuer : “Le comte Maurice Dietrichstein me proposa de me conduire à l’instant même auprès du jeune prince. Je le suivis avec plaisir. À mon entrée, le duc, dont l’attitude ne ressemblait en rien à celle de la veille, accourut au-devant de moi avec toute la pétulance de la jeunesse, le regard animé et plein de confiance. Il s’écria :   « Vous m’êtes connu et je vous aime depuis longtemps. Vous avez défendu l’honneur de mon père à un moment où chacun le calomniait à l’envi. J’ai lu votre mémoire sur la bataille de Waterloo et pour mieux me pénétrer de chaque ligne, je l’ai traduit par deux fois, d’abord en français puis en italien »

Jeu de carte hongrois en 1829 - Héros de l'indépendance grecque

Prokesch-Osten jouera un rôle important dans la vie du prince en lui ouvrant les yeux sur ce que pourrait être son destin : “Je répondis dans les termes que m’inspira le désir de me lier étroitement avec ce beau jeune homme si délaissé de ce monde. Le comte Maurice Dietrichstein amenât la conversation sur la Grèce…J’avais déjà la veille, après le dîner avec la Famille Impériale, soutenu l’opinion que, malgré des conditions défavorables résultant de la guerre, de l’anarchie, des factions, d’une mauvaise administration, la Grèce, si on lui donnait pour roi un prince d’une dynastie européenne, …marcherait très rapidement vers un florissant avenir. En présence de l’archiduc Jean, de Maurice Dietrichstein, du colonel de Werklein (à l’époque envoyé de l’Autriche à Parme) j’avais, profitant d’un instant où le duc de Reichstadt était occupé ailleurs, glissé dans le cours de la conversation l’idée que le trône de Grèce, manquant de prétendant depuis le refus du duc de Cobourg, ne pourrait être donné à un plus digne que le fils de Napoléon. Cette proposition avait, à ma grande surprise, reçu l’approbation générale. L’Impératrice elle-même, qui, durant cette conversation, s’était rapprochée de nous n’y paraissait pas opposée…Nous étions seuls (avec le duc), c’est-à-dire qu’il n’y avait avec nous que Maurice (Dietrichstein). Au début parlé de l’Orient et de la Grèce. Je jetai dans le cœur de l’adolescent les germes du désir de ce noyau d’un royaume futur, tout comme hier j’ai gagné à cette idée l’archiduc Jean, Maurice Dietrichstein et aujourd’hui le colonel Werklein et même vaguement parlé de cela avec l’Impératrice. Il s’empara de cette idée avec un sérieux qui trahissait la flamme intérieure.” (Journal de Prokesch-Osten en date du 23 juin 1830)



Colonel Werklein( 1777- 1849)

Mais si la Grèce ne fut pas pour lui, car son trône fut attribué à Othon de Bavière (1815-1867), frère du roi, il y avait aussi le trône de Belgique qui cherchait un occupant. 

Journées de septembre 1830 à Bruxelles par Wappers

Le 25 août 1830 Bruxelles avait donné le signal en se révoltant contre l’autorité des princes d’Orange-Nassau, souverains des Pays-Bas, auxquels le Congrès de Vienne avait étendu leurs pouvoir sur les anciens Pays-Bas autrichiens, et ce sans consulter les populations en question. Révolution et Empire y avaient établi la souveraineté française, l’empire déchu, les Belges n’avaient pas compris que l’on dispose ainsi de leur territoire, sans créer un état souverain. Il est inutile d'entrer dans les détails de l’indépendance de la Belgique et la création du nouveau royaume, sous l’égide et avec l’assentiment du Royaume-Uni et de la France. Une fois les territoires belges récupérés et indépendants des Pays-Bas, il fallait un souverain au nouvel état. Il y avait plusieurs candidats possibles. Dix-neuf étaient en lice, parmi lesquels : Lafayette, le pape, Charles d’Autriche, duc de Teschen, vainqueur de Napoléon à la bataille d’Aspern, le prince Othon de Bavière, frère du roi, le duc de Nemours, le duc de Leuchtenberg, le duc de Reichstadt et bien d’autres. Il semblait que l’une des conditions du choix ait été que si le candidat n’était pas marié, il devait épouser la princesse Louise d’Orléans, fille du roi des Français.

Le duc de Nemours, fils de Louis-Philippe et le duc de Leuchtenberg, fils du prince Eugène de Beauharnais et de la princesse Auguste de Bavière, neveu de l’archiduchesse Sophie, mais aussi frère de la reine de Suède et de l’impératrice du Brésil étaient donc les seuls candidats sérieux choisis par pétition. Mais Leuchtenberg, bien que prince de Bavière, n’en  était pas moins un “napoléonide”. Et Nemours est prince d’un pays dont la Belgique avait mille raisons de se méfier.

A Munich et à Vienne, les esprits familiaux s’agitaient devant ces candidatures. Othon de Bavière, le fils du roi, donc le neveu de Sophie, ou Eugène de Lechtenberg, cousin germain du roi mais aussi neveu de Sophie. La candidature du troisième neveu, cette fois-ci par alliance, le duc de Reichstadt ne pouvait en aucun cas être considérée sérieusement. Metternich n’avait pas voulu de lui comme héritier du minuscule duché de Parme. En faire un rois des Belges était impensable.

Léopold Ier, roi des Belges

Au vote du Congrès, Léopold, duc de Saxe-Cobourg-Gotha, le dernier choix par défaut, obtint 152 suffrages sur 196. Il fut déclaré roi des Belges avec quelques rares applaudissements dans la salle. Le 26 juin 1831, il a accepté la proposition qui lui était faite. Une nouvelle dynastie était fondée.  Et les espoirs du duc de Reichstadt définitivement envolés. Il ne serait ni roi de Grèce, ni roi des Belges. Franz se posait des questions sur son avenir. Il était né prince français, il était maintenant un duc autrichien, membre à part entière de la Maison d’Autriche, et il sentait bien que son nom avait une valeur d’espoir pour beaucoup, dans ses deux pays. Prokesch-Osten rapporta “…Il se plaignit de son isolement et il épancha son âme en ces mots :   « Restez auprès de moi ; sacrifiez-moi votre avenir ! Nous sommes faits pour nous comprendre !…Si je suis appelé à devenir pour l’Autriche un autre prince Eugène, la question que je me pose est celle-ci : comment me sera-t-il possible de me préparer à ce rôle ? Je me sens hésitant devant le choix d’un homme capable de m’initier aux hautes exigences et aux nobles devoirs de la carrière militaire. Je n’ai et ne vois aucun homme de ce mérite dans mon entourage…Parlez-moi franchement, s’écria-t-il, ai-je quelque mérite et si je suis appelé à un grand avenir, ou n’y a-t-il rien en moi qui soit digne qu’on s’y arrête ? Que pensez-vous de mon avenir ? Qu’en sera-t-il du fils du grand empereur? L’Europe supportera-t-elle qu’il occupe une position indépendante quelconque ?

Le début d’une Légende

Comment concilier mes devoirs de Français avec mes devoirs d’Autrichien ? Oui si la France m’appelait, non pas la France de l’anarchie, mais celle qui a foi dans le principe impérial, j’accourrais et si l’Europe essayait de me chasser du trône de mon Père, je tirerais l’épée contre l’Europe entière. Mais y a t il aujourd’hui une France impériale ? Je l’ignore. Quelques voix isolées, quelques voix sans influence ne peuvent être d’aucun poids… .Si c’est ma destinée de ne jamais rentrer en France, je désire devenir sérieusement pour l’Autriche un autre prince Eugène. J’aime mon grand-père. Je sens que je suis un membre de sa famille et pour l’Autriche, je tirerais l’épée volontiers contre le monde entier, hors la France. »

Prokesch-Osten en 1834

“Il aimait son grand-père d’un amour filial ; car depuis le jour où tout enfant il fut emmené à Vienne, il avait trouvé en lui la tendresse d’un père. Il avait pour jouer son petit coin dans la chambre de l’Empereur, passait la moitié de ses journées à ses côtés, mangeait avec lui quand l’Empereur dînait seul, partageait avec lui les plaisir de la villégiature, enfin grandissait près de lui pareil à la branche greffée sur une souche étrangère ; mais il ajouta qu’il n’avait pas oublié un seul instant de qui il tenait le jour et en quels lieux reposaient les cendres de son père.” dira Prokesch-Osten. 

Franz  en 1830


Mais ce n’est pas avec l’empereur, son grand-père, qu’il pouvait parler de l’empereur, sont père. A la cour, il n’y avait que l’archiduchesse Sophie qui pouvait l’entendre car il est probable que Sophie et sa mère Caroline aient été attachées au jeune prince, ayant connaissance de sa personnalité.

Mais ces possibles candidatures à un trône écartées, il ne lui restait qu’à être un bon fils et un fidèle Habsbourg.

Duché de Parme

En février 1831, les Parmesans réclament une constitution et exigent le départ de Werklein qui avait été chargé de seconder Marie-Louise, après la mort de Neipperg. Elle-même n’est pas mise en cause. Le 12 février, Marie-Louise écrit à son père : « Entre 6 heures et 7 heures du soir, un bruit terrible a commencé sur la place principale, qui s'est étendu à toutes les rues venant au Palais où aux côtés des cris d'acclamation à mon adresse, nous avons entendu des paroles scélérates contre Werklein et les autorités ». La duchesse de Parme ne veut pas recourir à la violence contre les insurgés. 

Soldats de l’armée de Marie-Louise

Elle souhaite quitter la ville, mais elle en est empêchée. Trois jours plus tard elle réussit à gagner Plaisance où une importance garnison autrichienne est présente. Le 2 mars la rébellion échoue grâce aux troupes autrichiennes. Marie-Louise, égale à elle-même, décide de se montrer clémente et programme l’amnistie le 29 septembre 1831.

Prokesch-Osten relate la réaction du duc de Reichstadt  “A peine le duc de Reichstadt en fut-il informé qu’il se rendit auprès de l’Empereur pour le prier de lui permettre de voler au secours de sa mère. L’Empereur refusa cette autorisation en des termes bienveillants et flatteurs, pour ne pas provoquer, ainsi qu’il le dit lui-même de nouveaux bouleversements en France ou amener la guerre.”

Devant le refus de son grand-père, en réalité de Metternich, le prince dit à Prokesch-Osten : “Que je suis malheureux de perdre la première occasion qui se présentait à moi de montrer à ma mère tout mon dévouement pour elle ! Il m’eût été si doux de la secourir, si honorable de tirer la première fois mon épée dans l’intérêt de sa cause”

Le 20 février il écrivit à sa mère : “Vous pouvez vous rendre compte, ma très chère Mère, de l’angoisse avec laquelle j’ai attendu des nouvelles de Parme. Combien ai-je désiré, combien ai-je imploré l’Empereur, et tout de suite après les nouvelles des premiers désordres, pour qu’il me fût permis de voler vers vous, pour vous assister avec les troupe autrichiennes ! Hélas ma triste position me l’interdit…La joie que m’a causée votre délivrance, votre voyage à Piacenzia, et la fidélité de vos troupes ne peut être comparée qu’à la fierté que m’a inspirée la manière ferme et virile dont vous vous êtes comportée. Elle resplendit d’une façon magnifique et unique à notre époque agitée par les orages” (Lettres du duc de Reichstadt et de Marie-Louise dans La revue des Deux-Mondes tome XLIX )

À Parme, après le départ de Werklein, Metternich envoie Wenzel von Mareschall  pour le remplacer. Le nouveau ministre ne tarde pas à critiquer la duchesse quadragénaire, qui protège ses sujets et se refuse à adopter un régime répressif. Il prétend que la duchesse agirait aussi trop librement dans sa vie privée. Marie-Louise avait vraiment aimé et avait été aimée en retour par Neipperg. Après sa mort, la duchesse se console en s'entourant de nombreux amants. Mareschall, jugeant le duché ingouvernable, demande son remplacement, qui interviendra fin 1832 au grand soulagement des Parmesans. 

Comte de Bombelles par Signorini

Son poste sera confié à un gentilhomme lorrain, le comte Charles-René de Bombelles (1785-1856), un homme droit, austère et pieux. Six mois après son arrivée,  le 17 février 1834, Marie-Louise et Bombelles contracteront un mariage morganatique secret. Ce remariage de deux personnes abordant la vieillesse n'est pas dicté par l'amour mais par la commodité d'avoir un mari qui soit le premier homme de l'État.  Franz ne connaîtra pas ce remariage de sa mère.

Dans l’ordre des évènements familiaux, l’année 1831 est remplie de Reichstadt. “C’est aujourd’hui le jour de naissance de Reichstadt auquel je vous prie de faire mes bien tendres félicitations et de lui offrir mes voeux sincères que je forme bien de tout coeur pour son bonheur.” (Reine Caroline à l'archiduchesse Sophie le 19 mars 1831). Le jeune prince vient d’avoir vingt ans. Le 13 octobre, “La manoeuvre dont vous me parlez doit avoir été bien belle mais je suis fâchée que Reichstadt souffre encore du gosier, c’est un mal que je connais bien étant aussi une des parties les plus faibles de mon corps…”

Dans ces échanges de lettres entre la reine de Bavière et l’archiduchesse Sophie, il est souvent question de Reichstadt, de sa santé, de son devenir, de l’affection que toutes les deux lui portent.

Archiduchesse Sophie par Johan Ender, vers 1830. 

C’est en 1831 que naissent les premiers ragots sur la supposée relation amoureuse entre lui et Sophie. De ce que nous savons la vie de Franz et Sophie, il est certain que les occasions de rencontre étaient permanentes. Thé le soir, dîners de famille, lectures communes, promenades au Prater. A Schönbrunn l’appartement de Reichstadt était au-dessus de celui de François-Charles et Sophie. Ils se promenaient dans le jardin réservé sous leurs appartements. François-Joseph, né en 1830, était souvent avec eux. 

Vienne en 1828

Ils partaient à cheval. Ils vivaient au vu et au su de leur famille, de la cour et de la ville. Sophie était probablement pour Franz une soeur aînée, à laquelle on peut se confier. Il est possible qu’il ait été amoureux d’elle. Il n’avait pas 20 ans, elle en avait 26.


Salon de Musique de Sophie à Laxenburg

Il n’y a dans cette relation aucun soupçon de liaison adultère entre Franz et Sophie. Juste une amitié de jeunes gens un peu perdus dans le monde hiératique de la Hofburg, souffrant du mal du pays et de la perte de leurs pères respectifs mais aimants et aimés par leur entourage. S’il y avait eu la moindre réalité d’une relation plus intime, la reine Caroline, qui en aurait probablement été avertie n’aurait pas manifesté tant d’amitié à son égard : “…je vous prie de faire aussi mes bien tendres remerciements à Reichstadt pour son portrait qui me fait le plus grand plaisir venant de lui, car je l’avais déjà, Antonia me l’ayant envoyé et plus tôt je l’avais vu à Darmstadt chez ma soeur à laquelle Antonia l’avait envoyé aussi.” ( Lettre du 26 octobre 1831)


Bureau de l'archiduchesse Sophie, bel exemple de l'art Bidermeier 

Il a été prétendu que François-Joseph était son fils, puis ce fut au tour de l’archiduc Max d’être l’objet de cette supposition. Mais rien de ceci n’est plausible en raison de la personnalité de Franz et de Sophie.

La haute conscience que l’archiduchesse Sophie avait de sa position, archiduchesse d’Autriche, future impératrice et mère du futur empereur, suffisait à elle seule à l’empêcher de vivre une relation qui aurait été condamnée par son beau-père, qu’elle aimait et respectait, par sa mère, par toute la famille. Le sens religieux aussi était un interdit puissant. Un adultère est un péché et Sophie ne transigeait pas sur la religion. Il y a aussi une dimension qui n’est pas prise en compte, celle de la relation avec son mari. François-Charles n’était pas le mari idéal mais Sophie avait de la tendresse pour lui, et lui l’aimait tout simplement. Le couple a eu cinq enfants et Sophie a fait un certain nombre de fausses-couches. Cela signifie qu’elle et son mari avaient une véritable entente physique et que la plupart du temps, ils faisaient lit commun.

Quant à Franz, il était un jeune homme plus perdu dans ses rêves des gloires passées de son père et des siennes, bien incertaines. Sa haute moralité, l’amour qu’il portait à sa famille et l’amitié de Prokesch l’auraient empêché, lui aussi, de commettre un péché contre la religion, la morale et sa famille.

Selon Prokesch-Osten, également, la relation amoureuse entre l’archiduchesse Sophie et le duc de Reichstadt était impossible, ne serait-ce que pour des raisons matérielles : “L’appartement du duc de Reichstadt se trouvait à la Hofburg à l’angle nord-est de la cour intérieure (Franzenplatz) et celui de Sophie près de l’angle sud-est de la même cour. Entre ces deux appartements se trouvaient ceux du couple impérial, du prince de Salerne, les salles d’audience, gardées jour et nuit, Comment peut-on imaginer que les va et vient de ces deux personnages aient pu passer inaperçus ?”

Franz  avec ses cousins germains, François-Joseph et la princesse de Salerne, future duchesse d'Aumale

Il était très proches de ses cousins germains, dont François-Joseph,  né le 18 août 1830, dont il disait qu’il ressemblait à une glace à la fraise surmontée de crème fouettée. Il y avait aussi Marie-Caroline, princesse de Salerne (1822-1869) , future duchesse d’Aumale.

Parmi les maîtresses que la légende prête à Franz, il y eut Fanny Elssler (1810-1884). Belle et délurée, elle était la maîtresse de Gentz, le secrétaire de Metternich, âgé alors de 62 ans, alors qu’elle en avait 22. Elle était une danseuse dont le talent était reconnu et le succès éclatant. Mais elle ne fut pas la maîtresse du duc de Reichstadt. Ils ne se sont même probablement jamais rencontrés. “Mademoiselle Fanny Elssler est une célèbre danseuse et une fort bonne personne dont madame de Mirbel vient de faire le portrait. Elle passe pour avoir charmé les dernières années du fils de Napoléon, mais elle assure qu’il n’en est rien ; on doit l’en croire.” ( Hector Fleischmann - Le Roi de Rome et les femmes )

Fanny Elssler

L’archiduc Jean, frère de l’empereur, marié depuis 1829 à Anna Pochl, homme également d’une grande probité, donne son opinion sur le duc, son petit-neveu, et sur la manière dont il est traité. “J’ai pris Reichstadt en affection et lui ai souvent dit, sans le ménager crûment la vérité. C’était toujours à son avantage. Mais je suis sincèrement indigné dans la façon dont on le traite. Tout en lui cœur, intelligence, courage, volonté et aussi une énergie qui pourrait le rendre capables de grandes choses se développent de jour en jour en lui. Il s’intéresse passionnément aux sciences et possède une acception saine et sans préjugés des affaires de ce monde. Mon neveu a une grande confiance en moi et me fait souvent des confidences sur son sort. J’ai subi les mêmes épreuves que lui, le mets en garde en lui montrant les hommes tels qu’ils sont, l’engage dans la bonne voie, tout en lui montrant jusqu’où les passions et la légèreté pourraient l’entraîner. 

L’archiduc Jean

Je modère sa trop grande franchise et tâche de lui prouver qu’il devrait s’approprier une certaine souplesse qui, tout en s’accordant avec la probité, ne l’expose pas à de douloureuses déceptions. Reichstadt doit entrer dans un régiment ; le colonel Hartmann est appelé à le diriger, et plusieurs officiers doivent lui être attachés. On délibère sur cette question depuis plus de dix-huit mois, çà traîne en longueur ; en un mot on ne veut pas l’émanciper. Il surpasse de beaucoup en intelligence son entourage qui n’est ni à sa hauteur ni fait pour s’assurer son affection ? Pendant une de ces fêtes à Presbourg (couronnement du prince impérial Ferdinand, comme roi de Hongrie le 28 septembre 1830) , Metternich lui tint un long sermon à seule fin – ce que Reichstadt sent bien- qu’il lui demande conseil pour toute chose, qu’il n’agisse que d’après ses indications, en un mot : qu’il se considère tout à fait comme l’instrument du chancelier. Cette servitude que Metternich faisait entrevoir au jeune homme l’indigna, et il lui répondit qu’il ne pouvait accorder sa confiance qu’à celui qui saurait la gagner par sa conduite. Cette réplique fit rougir Metternich jusque sous les yeux.  Je dis tout de suite à Reichstadt  que tout ce qu’il venait de dire était exact, mais qu’il avait été bien imprudent ; qu’il devait s’attendre à ce que Metternich ne serait plus son ami. Reichstadt répondit qu’il ne voulait plus avoir affaire avec lui, qu’il n’irait plus le voir et se bornerait à être poli avec lui. »

Brouillon manuscrit du duc de Reichstadt

La réponse de Reichstadt à Metternich : « L’objet essentiel de ma vie doit être de ne pas rester indigne de la gloire de mon père ; je croirai atteindre ce but élevé si, autant qu’il sera en mon pouvoir, je parviens un jour à m’approprier quelques unes de ses hautes qualités en m’efforçant d’éviter les écueils qu’elles lui ont fait rencontrer. Je manquerai aux devoirs que m’impose sa mémoire, si je devenais le jouet des factions et l’instrument des intrigues…Jamais le fils de Napoléon ne peut consentir à descendre au rôle méprisable d’aventurier. »

Prince Metternich en 1822

Il est difficile de parler de haine du chancelier Metternich contre le jeune prince. Il ne s’agissait en tous cas pas d’une haine personnelle, le chancelier était incapable de sentiments aussi outranciers. La crainte de Metternich était de voir l’édifice de la Sainte-Alliance mis à bas. En fait, Metternich ne s’était jamais intéressé directement au jeune prince jusqu’en 1830. Mais la crainte d’une résurgence du bonapartisme qu’aurait pu encourager la présence du prince dans la péninsule l’avait décidé à contrer tout voyage en Italie. Sans être franchement favorables à Napoléon et à son régime, les Italiens se souvenaient qu’ils leur devaient leur première unité nationale du moins dans le nord, par la constitution d’un royaume, dont l’empereur était roi et son beau-fils, le prince Eugène de Beauharnais, vice-roi. Un royaume sous la tutelle directe de la France mais un royaume italien qui pouvait espérer d’être un jour totalement indépendant.

« ….Maintenant que le Prince Metternich a été rendu attentif au duc, qu’il l’a entendu louer, souvent maladroitement, qu’on discute son avenir et qu’on exprime des vœux en sa faveur ; maintenant que la princesse Grassalkovitch (née Marie-Léopoldine, princesse Esterhazy en 1776), a voulu voir en lui un roi de Pologne et que les partis en France et en Italie mettent en avant son  nom, maintenant, le Prince Metternich se plaint que j’ai soi-disant fait un mystère de mes relations avec le duc, que j’ai intrigué pour entrer en rapport avec lui, que je l’ai rempli d’idées ambitieuses… »

Prokesch-Osten est conscient de la fragilité  de la position du duc de Reichstadt : « Jalousie générale à la Cour et dans la noblesse, écrit-il, à cause de mes relations avec le duc de Reichstadt. Arrogance d’aristocrates et lâcheté de valets. Pas autre chose ! »

La société de Vienne – noblesse et hauts fonctionnaires – était en ce qui concernait ses sentiments pour le fils de Napoléon, divisée en deux camps : le « clan Metternich » ces personnes dont Gentz, son secrétaire, disait qu’elles n’osaient même pas prononcer le nom du duc devant le chancelier de peur de l’indisposer. De l’autre côté la majorité de la noblesse, les indépendants et ceux qui avaient le courage de leurs opinions, ceux qui ne cessèrent jamais de témoigner de leur sympathie pour le pauvre exilé. Quant à la bourgeoisie et aux intellectuels, qui de jour en jour augmentaient le parti libéral, il ne voyaient dans  Franz que la victime de la réaction. Le peuple partageait ces sympathies pour le fils de celui dont tous connaissaient le nom et devant qui avaient tremblé tous les puissants. Il avait su se faire aimer de beaucoup.

Le jeune homme réfléchi

Quelques paroles du duc Reichstadt, rapportées par Prokesch-Osten, montrent la profondeur de ses réflexions.

“Qui sait renoncer à l’ambition se libère en même temps de beaucoup de soucis, de beaucoup d’insomnies et parfois aussi de beaucoup de crimes. “

“La nature nous a donné deux oreilles et une bouche afin que nous écoutions beaucoup et que nous parlions peu. “

“Nos pensées nous appartiennent tant que nous les conservons dans notre cœur. Mais une fois que nous les avons laissé échapper, elles sont au pouvoir d’un autre qui peut s’en servir pour nous perdre.”

“Ce ne sont pas les titres mais les mœurs qui font le mérite, celles-ci dépendent de nous, ceux-là du hasard." Voilà une maxime que probablement aucun archiduc n’aurait écrite. Le duc connaissait l’origine de sa dynastie.

L'imagerie Populaire :Napoléon II à cheval

L’année 1832 s’annonce pleine de promesses, malgré tout, pour le brillant jeune homme dont les qualités sont appréciées par tous, à l’exception de Metternich. On parlait d’un mariage possible entre Franz et l’archiduchesse Marie-Thérèse (1816-1867), fille aînée de l’archiduc Charles. Après avoir refusé le duc d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, elle épousera en 1837 Ferdinand II, roi des Deux-Siciles, acharnée de l’absolutisme elle sera détestée des Napolitains.


L'archiduchesse Marie-Thérèse en 1832 avec son père par Ender 

Mais en septembre 1827, déjà, étaient apparus des crachements de sang. Dietrichstein fit immédiatement part de ses craintes à sa mère et à Neipperg. Il recommandait la nomination d’un médecin personnel. Le docteur Malfatti rapporte : « Je fus appelé par le duc de Reichstadt, avec le titre de son médecin ordinaire, dans le mois de mai 1830. Je succédais à trois hommes d'une haute réputation : le célèbre Franck, les docteurs Golis et Standenheimer. M. de Herbeck avait rempli près du prince les fonctions de chirurgien ordinaire. Ces médecins n'avaient pas laissé de journal de la santé du jeune duc. M. le comte de Dietrichstein eut la bonté d'y suppléer en m'instruisant de beaucoup de détails qu'il était indispensable de connaître. Le prince mangeait très peu et sans appétit ; son estomac semblait trop faible pour supporter la nourriture qu'aurait exigée sa croissance, singulièrement rapide et même effrayante : à l'âge de dix-sept ans, il avait atteint la taille de cinq pieds trois pouces ! De légers maux de gorge le faisaient souffrir de temps en temps ; il était sujet à une sorte de toux habituelle et à une journalière excrétion de mucosités. Le docteur Standenheimer avait déjà manifesté de vives inquiétudes sur la prédisposition du prince à la phtisie de la trachée-artère. Je pris connaissance des prescriptions qui avaient été décidées contre ces symptômes inquiétants. "

 

 

Le docteur Malfatti qui ne sut ou voulut soigner le duc de Reichstadt