05/10/2020

Les amants de Vienne 2/2


Dorothée en 1815 par Gérard

Si on dansait beaucoup au Congrès de Vienne, on y couchait aussi beaucoup. Les rapports de la police impériale en témoignent. On fouillait les corbeilles à papier, les cendres dans les cheminée et voire les pots de chambre. La police, sous l’ordre directe de l’empereur François qui se plait à lire rapports et commérages, est la première à agir mais elle n’est pas seule. Des grands noms, comme Palffy, Fürstenberg  ou Esterhazy sont de la partie. 

Il est presque impossible de déterminer les relations des uns avec les autres, tant leurs lits étaient ouverts à qui voulait bien y entrer. La vertueuse Autriche, avec à sa tête le très digne empereur François qui se maria quatre fois, par peur du pécher, avait pour capitale un lupanar dont son chancelier était le maître.

Dorothée au sein de ce bordel commença avec une attitude particulière, très différente de celle de sa soeur aînée. Elle semblait fidèle à celui qui était devenu son amant, tout en étant l’oncle de son mari et ayant quarante ans de plus qu’elle. On ne sait pas à quel moment elle devint sa maîtresse. mais on sait que dès leur arrivée à Vienne, ils reçurent ensemble, assis côte-à-côte, sur le canapé du grand salon du Palais Kaunitz les personnages les plus titrés d’Europe.  

Talleyrand en 1815 

Talleyrand avait grande allure, impeccablement mis, cheveux poudrés, bas de soie noire, escarpins à talons rouges et boucles de diamants, plaques et croix  en diamants, la Toison d’Or en sautoir. Dorothée était d’une élégance remarquable, vêtue par Leroi de Paris, couverte des bijoux somptueux que lui avait donnés sa mère, et surtout d’une beauté encore sombre et mystérieuse. Leurs entrées dans les salons et salles de bals des magnifiques palais baroques de l’aristocratie autrichienne étaient inoubliables. On faisait la haie pour les regarder et les laisser passer. Ils étaient, de fait, le roi et la reine du Congrès. Autour d’eux flottait aussi un parfum de scandale. 

Le dimanche 2 octobre au grand bal de l’Impératrice, on note « Dans toutes ces fêtes-là, les femmes qui sont le plus remarquées par leur luxe et leur élégance, sont la duchesse de Sagan et sa plus jeune sœur ». A une grande fête militaire : empereurs, rois, archiducs, princes d'Allemagne à cheval. Dans les voitures de gala : impératrices, reines, grandes-duchesses, archiduchesses,  et “tout ce que Vienne contient d'illustre en ce moment, toutes les Courlande”, écrit le prince Maurice de Liechtenstein. 

Enivrée de ses succès éclatants, Dorothée finit par suivre l’exemple de ses soeurs en prêtant attention à de beaux cavaliers. D'après la police, elle fut la maîtresse du prince Trauttmansdorff, grand écuyer de l'empereur d'Autriche. Puis elle tomba amoureuse, sérieusement amoureuse, d'un élégant colonel autrichien, le comte Clam-Martinitz, 22 ans, attaché à l’état-major du prince Schwartzenberg, généralissime des armées autrichiennes. Ils furent amants en décembre.  


Comte Clam-Martinitz

Mais Dorothée avait aussi des passades et des amants de passage, à peine entrevus. Cela était très douloureux pour le prince de Talleyrand, car au fur et à mesure que se déroulait le congrès, il sentait grandir son amour pour Dorothée. Plus il voulait garder Dorothée, moins il n'osait rien entreprendre qui puisse l’indisposer. Il avait compris qu’elle n’était pas différente de sa mère et de ses soeurs en matière de galanterie et d’appétit sexuel. On n’a pas vraiment la certitude que Charles-Maurice et Dorothée aient été amants. Pour la police autrichienne, comme pour la police française, c’est oui. Le doute réside peut-être dans le fait que l’on a du mal à s’imaginer la belle Dorothée, âgée de 20 ans, dans les bras du vieux beau boiteux, âgé de 60ans. 

Que s’est-il passé chez elle pour subitement changer d’attitude et abandonner la sagesse et la vertu, vantée par Napoléon, de la comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord ? Il est probable qu’elle n’ait appris du prince Adam  Czartoryski les manœuvres de sa mère pour la détacher de lui et la marier à Edmond. Contrairement à ce que lui avait dit l’abbé Piattoli, la vieille princesse Czartoryska, mère d’Adam, ne voyait aucun inconvénient au mariage de son fils avec elle. Dorothée était arrivée à Vienne meurtrie par un mariage raté et la perte de sa fille. Elle y apprenait la trahison de sa mère et la destruction de son amour de jeunesse par la volonté de cette dernière. Dorothée perdit ses illusions et séduite par son oncle, envoûtée par l’atmosphère amoureuse du Congrès, elle entra dans la galanterie. Elle aurait pu entrer au couvent mais sa destinée était de briller. 

La duchesse de Courlande est fière des succès de sa fille. Elle écrit le 31 octobre « Elle plaît ici et s'amuse. Son succès est général. D'être jolie n'y nuit pas, et elle est fort à son avantage, sa santé est bonne » et « Dorothée ne s'en plaît pas moins à Vienne où tout le monde la trouve à merveille. Elle se plaît généralement »  Sa fille lui avait probablement pardonné et leurs rapports furent excellents. 

Dorothée de Courlande  par Nicholas Henri Jacob 

Talleyrand aussi est fier des succès de sa nièce, pupille et probablement maîtresse. “Toute votre tendresse et tout votre orgueil maternel, Chère Amie, écrit-il à la duchesse, auraient été bien en jouissance avant-hier à une redoute où vos deux filles étaient certainement ce qu'il y avait de plus distingué et de plus élégant”. Et, parlant de Dorothée : “Notre enfant a ici un grand succès, elle réussit auprès de tous les âges.” Il semble bien qu’il y ait une véritable confusion de tous les genres. Talleyrand parle à son ancienne maîtresse de sa fille, qui est aussi probablement la sienne, en écrivant “Notre enfant.” 

Lorsque la duchesse de Courlande est arrivée à Vienne, elle s’est installée naturellement au Palais Kaunitz. Après tout, Talleyrand n’était-il pas son amant ? Mais elle prit rapidement conscience que son amant était aussi celui de sa fille et de plus en était très amoureux. Mais celle-ci avait aussi des amants. Il est probable que le trio eut une explication. La duchesse quitta le palais Kaunitz pour s’installer chez Whilhelmine au Palais Palm, où la situation était étrange. Whilhelmine de Sagan habitait l’aile droite du palais et la princesse Catherine Bagration (1783-1857), sa rivale dans le coeur et dans le lit de Metternich, l’aile gauche. Tous les matins à 11 heures, Metternich venait voir Whilhelmine pour ouvrir son coeur et lui faire des confidences, y compris de secrets d’état, et ce pour le plus grand profit de Talleyrand, informé par Dorothée de ces “bavardages”. 

Princesse Bagration en 1820 par Isabey

La princesse Bagration, furieuse de voir sa rivale ainsi préférée, se vengea en prenant Alexandre Ier comme amant, pour lequel, elle n’était qu’une parmi tant d’autres. La belle Bagration augmenta alors sa collection d’amants, le grand-duc Constantin, frère du tsar, le duc de Cobourg, les princes royaux de Bavière et de Wurtemberg, une belle brochette d’altesses.

Le “Retour de l’Aigle” mit fin à cette débauche de moeurs et de luxe. Le bilan du Congrès de Vienne est, dans son ensemble, positif pour la France, grâce à l’habileté de Talleyrand et au charme de Dorothée. Elle n’a pas été rayée de la carte de l’Europe, personne n’y ayant par ailleurs intérêt, les Bourbons ont été confirmés sur leur trône. Cent jours vont mettre tout cela en péril mais le 18 juin 1815, à Waterloo, l’Europe des princes, après avoir cessé de respirer, souffla à nouveau.

Il est probable que le retour de Napoléon accéléra la signature de l’acte final du Congrès, le 8 juin 1815. Les résultats les plus importants sont pour la Russie l’attribution du royaume de Pologne, pour la Prusse la Poméranie suédoise, la Saxe du nord et surtout la Westphalie et la plus grande partie de la Rhénanie. L'Autriche reçoit la Lombardie et la Vénétie, la côte adriatique (Illyrie et Dalmatie), le Tyrol et Salzbourg. La Confédération germanique est composée de 39 états au lieu des 350 du Saint-Empire. 

L’Italie, “un concept géographique” selon Metternich, n'est plus divisée qu'en sept États. L’Espagne retrouve les Bourbons, le Portugal les Bragance mais leurs empires coloniaux se désagrègent. Le Danemark perd la Norvège au profit de la Suède. L'Angleterre s'assure des bases stratégiques : Malte en Méditerranée, Heligoland dans la mer Baltique, Le Cap à la pointe de l'Afrique. Elle s'enrichit de quelques îles à épices enlevées aux Hollandais et aux Français.


L’Europe après le Congrès de Vienne

À ces tractations territoriales, l'Acte final du Congrès de Vienne ajoute quelques proclamations de principe importantes : libre circulation sur les fleuves internationaux que sont le Rhin et la Meuse, condamnation de la traite des Noirs.

Les résultats du Congrès sont loin d’être négligeables et ils dureront sous le nom de “Sainte Alliance” jusqu’en 1848 qui verra “le printemps des peuples”. Le principe des nationalités, hérité de la révolution française prendre le pas sur l’Europe des rois.

Pour Dorothée, le Congrès de Vienne a scellé sa destinée. ”Vienne ! Toute ma destinée est dans ce mot. C'est ici que ma vie dévouée à M. de Talleyrand a commencé, que s'est formée cette association singulière, unique, qui n'a pu se rompre que par la mort. C'est à Vienne que j'ai débuté dans cette célébrité fâcheuse, quoique enivrante, qui me persécute bien plus qu'elle ne me flatte. Je me suis prodigieusement amusée ici, j'ai abondamment pleuré ; ma vie s'y est compliquée, j'y suis entrée dans les orages qui ont si longtemps grondé autour de moi. De tout ce qui m'a tourné la tête, égarée, exaltée, il ne me reste plus personne ; les jeunes, les vieux, les hommes, les femmes, tout a disparu autour de moi". 

La comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord allait bientôt devenir duchesse de Dino.


Talleyrand arborant la Toison d'Or 


22/09/2020

Les amants de Vienne 1/2

 Les amants de Vienne

“L’homme aux six têtes”, caricature de Talleyrand au Congrès de Vienne

L’année 1814 est l’année où Dorothée, princesse de Courlande, comtesse Edmond de Talleyrand-Périgord, va voir sa vie basculer.

La Campagne de France perdue, Napoléon est contraint à abdiquer le 3 avril. Le 24 avril, Louis XVIII est rentré en France. Pour Dorothée, Napoléon ou Louis XVIII, cela ne change rien à sa vie pour le moment. Son oncle n’est plus prince de Bénévent, mais prince de Talleyrand. Cela non plus ne change rien car puissant hier, il l’est encore plus aujourd’hui.

La mort de sa fille, emportée par une rougeole à l’âge de deux ans, la touche profondément, à la différence de son mari qui n’en semble pas affecté. L’oncle Talleyrand, malgré un emploi du temps surchargé, trouve le temps de venir la voir tous les jours pour la distraire de son chagrin. Il lui trouve “le plus joli visage que l’on puisse voir.”

Paris est agitée par l’occupation des troupes étrangères. Voir les cosaques camper sur les Champs-Elysées, ce n’est pas ce qu’ils attendaient de l’Empereur. Alors, on fait bon accueil à l’occupant et à celui qu’il ramène dans ses fourgons, Louis XVIII. 

L'entrée des alliés dans Paris par Jean Zippel - Musée Carnavalet. 

La duchesse de Courlande et ses filles sont là aussi. L’aînée, Whilhelmine, duchesse de Sagan, retrouve son amant le prince de Metternich. Duchesse souveraine de Sagan depuis la mort de son père, deux fois divorcée, d’abord du prince Louis de Rohan en 1805, puis du prince Troubetzkoi deux ans après, puis maîtresse d’un anglais, John King jusqu’en 1810, elle tombe alors sous le charme du prince Alfred Windichgraetz avant d’être séduite par le beau comte Clément Metternich, l’étoile montante de l’empire d’Autriche. 

Buste de Whilelmine de Sagan en 1818 par Thorswalden

Elle est une femme intelligente, spirituelle, belle, riche, avec une tête politique, un regard ouvert sur le monde et une vision d’ensemble des problèmes. Tout ce qu’il fallait à Metternich à cette époque : il cherchait des conseils, il les trouva chez Wilhelmine. Mais il trouva aussi une maîtresse ardente et peu farouche. Leur relation fut passionnée, faite de grands moments mais aussi de tromperies mutuelles. Il lui écrit le 5 décembre1813: « …je veux que tu saches que tu as été aimée comme tu le mérites et que ton image a soutenu dans les moments qui auront décidé du salut du monde un homme qui a été directement appelé à influer sur les destinées…. » Hélas pour elle, il est marié, a des enfants  et il n’est pas question de divorcer. 



Prince Metternich par Thomas Lawrence

La duchesse de Sagan en réunissant chez elle à Ratiborschitz, dans son domaine de Bohême, en juin et juillet 1813,  les personnalités de l’époque qui combattent Napoleon : Alexandre Ier  le 15 juin 1813 et en juillet 1813, sont présents le comte, puis prince, Charles-Auguste von Hardenberg (1750-1822), chancelier du royaume de Prusse, 


Prince Hardenberg par Friedrich Georg Weitsch

le comte Charles Nesselrode (1780-1862), conseiller puis secrétaire d’Etat de l’empire russe, 


Comte Nesselrode, par Thomas Lawrence en 1818.

le comte Stadion (1763-1824) ancien ministre des Affaires étrangères autrichien et envoyé spécial de l’empereur,  et enfin Metternich pour discuter du sort à réserver à Napoléon. On peut  mesurer, à la lecture de ces noms, le rôle politique important que joua à cette époque la duchesse de Sagan qui rassemblait autour d’elle tous les  opposants à Napoleon. 



 Château de Ratiborschitz

Après avoir joui de la défaite de Napoléon à Paris, elle ira à Vienne et y deviendra la maîtresse du tsar, tout en continuant ses bonnes relations avec Metternich, qui, lui, est fou de jalousie. Le futur maître de l’Europe à l’apparence si froide, si retenue, a toujours été un amoureux passionné, et partagé entre toutes ses maîtresses. Gentz, son secrétaire particulier dit qu’on ne peut lui parler, car il est toujours entouré des dames de Courlande qu’il met au courant des affaires politiques :  “A sept heures, je vais pour le diner chez Metternich. Comme d’habitude, (quand il se trouvait en compagnie de la duchesse de Sagan) il ne m’écoute pas. Toute la clique des putains de  Courlande était là. Metternich a initié ces femmes à tous les secrets politiques, ce qu’elles savent est incroyable. Alors Talleyrand apparaît et me fascine. A la première ébauche contre la déclaration, il semble que le diable le  possède, il ne me laisse pas placer un mot…. » On peut noter que la duchesse de Sagan est la maîtresse d’un homme qui a été l’amant de sa mère, Alexandre Ier.

Mais à Paris en 1814, la duchesse de Courlande donnait aussi l’hospitalité à sa seconde fille Pauline, princesse de Courlande et de Hohenzollern-Hechingen. Elle est loin d’avoir l’activité politique de sa soeur. A la mort de cette dernière, en 1839, elle deviendra elle-aussi, duchesse de Sagan. Mais sa vie amoureuse, sans être aussi riche que celle de sa sœur aînée, ne fut pas calme non plus. Elle eût un enfant du mari de sa soeur Louis de Rohan. La dernière de ses filles de son mari,  Jeanne de Courlande, duchesse d’Acerenza est là aussi. 

Jeanne de Courlande, duchesse d'Acerenza

Avant son mariage avec un prince italien, sans envergure ni fortune, Jeanne s’était enfui avec un amant italien. En représailles, son père la déshérita. Et le prince italien qui accepta de l’épouser le fit sans doute pour assurer sa substance : il vivait  aux crochets de sa belle-mère. Il semble qu’elle n’ait pas eu une vie amoureuse aussi agitée que celle de ses soeurs.La duchesse et ses trois filles mènent grand train à Paris. Leur vie mondaine ne convient pas à Dorothée, qui leur préfère la compagnie de son oncle. Elle est encore la chaste comtesse de Talleyrand-Périgord. Ce n’est qu’à Vienne qu’elle deviendra membre du clan des “Putains de Courlande”. Elle avait compris qu’elle ne trouverait jamais “ ce bonheur honnête et régulier qu’il n’est donné qu’à certaines femmes de rencontrer” écrivit-elle, dans une phrase que Balzac lui-même n’aurait pas reniée.

La vie privée des princesses de Courlande était connue de tous. La mère et ses quatre filles  ne se sont jamais cachées de leurs aventures amoureuses. Au vu de leur position et de la qualité de leurs amants, cela leur eût été difficile. Mais personne n’aurait eu l’idée de leur reprocher quoi que ce soit et encore moins de refuser de les recevoir.

Le 16 septembre 1814, le prince de Talleyrand et Dorothée quittent Paris pour Vienne. Ils y arriveront le 23 septembre pour s’installer dans le Palais Kaunitz ( actuellement Palais Questenberg-Kaunitz) au 5 Johannesgasse, à deux pas de la Hofburg et de la Chancellerie d’Etat. Si l’architecture du palais est splendide, son état laisse à désirer. Il n’avait pas été habité depuis la mort, en 1794, du chancelier Kaunitz. 


 Palais Kaunitz

Tout est magnifique mais les lits sont rongés par les mites et les tentures ont perdu leur éclat. On est loin du luxe de l’Hôtel saint Florentin. Mais il sera rapidement mis bon ordre pour accueillir le représentant du roi de France et sa suite. Les membres les plus importants sont le duc de Dalberg (1773-1833) membre du Gouvernement provisoire, neveu de l’archevêque de Francfort qui a béni le mariage de Dorothée, le comte de Gouey de la Besnardière (1765-1843) un des meilleurs collaborateurs de Talleyrand, et le marquis de La Tour du Pin Gouvernet ( 1759-1837) un ancien de la Guerre d’Indépendance des Etats-Unis, aux côtés de La Fayette. Il y aura aussi  le comte Alexis de Noailles (1783-1835), parent de Talleyrand, nommé ambassadeur à Vienne par Louis XVIII. Taleyrand résumera ainsi son équipe rapprochée : “J’emmène Dalberg, parce qu’il me servira, par ses relations, à propager les secrets que je voudrais divulguer; Noailles est l’homme du Pavillon de Marsan ( du comte d’Artois, en fait); et quant à être surveillé, j’aime mieux l’être par un agent que j’ai choisi que par un autre qui me serait inconnu: La Tour du Pin me servira à signer les passeports, et cela est nécessaire. Je réserve La Besnardière pour le travail.” Il y a aussi dans la délégation le baron Alexandre de Talleyrand-Périgord, cousin du prince, chargé de l’acheminement du courrier, époux de Charlotte à l’origine mystérieuse, depuis le 20 septembre 1814. Le peintre Jean-Baptiste Isabey (1767-1855) sera aussi du nombre. Il sera le peintre de la signature de l’acte final du Congrès. L’artiste prendra plusieurs mois pour réaliser deux dessins de cette réunion mais n’aura jamais le temps d’en faire un tableau. 

Dorothée par Joseph Chabord

Et bien entendu, il y a Dorothée, le meilleur élément de la légation française. “Elle va devenir l'âme de ces galas presque quotidiens, plus éclatante que belle, mais spirituelle, avertie, pleine à la fois de tact et d'audace, le "vrai lieutenant" qu'il faut à ce grand capitaine de la diplomatie, le prince de Talleyrand..., devenue en quatre ans de manière de Parisienne, rompue aux manèges des salons, en bref la dame européenne préparée à recevoir l’Europe” ( Louis Madelin - Talleyrand - Editions Perrin 2014) 

A Paris étaient restées la duchesse de Courlande et la princesse de Talleyrand, voyant avec surprise la jeune Dorothée prendre une place qu’elles jugeaient la leur.

L’installation de Talleyrand, nouveau chevalier de la Toison d’Or, à Vienne fut un évènement très commenté en ville et la foule des curieux se pressa devant le Palais Kaunitz pour l’apercevoir.  Il est décrit à l’époque par le prince Czartoryski comme “un oiseau empaillé…avec un grosse voix sortant de sa bouche lippue et de son grand palais…Il fait constamment le grand homme, intelligent, puissant, qui sait quelque chose, il veut toujours faire de l’effet…Il veut toujours impressionner, remplir tout le monde d’étonnement et de respect…Personnage inouï, tous se prosternent devant lui.” 

Il n’est pas possible d’analyser ici, même de façon succincte, le Congrès de Vienne. Contentons-nous de savoir qui en furent les acteurs et comment Dorothée de Talleyrand-Périgord , en maîtresse de Maison de la délégation française, les reçut tous. 

Lord Castlereagh par Thomas Lawrence

Le Royaume-Uni était représenté par Lord Castlereagh (1769-1822), Sir Arthur Wellesley, futur duc de Wellington (1769-1852), 

Sir Arthur Wellesley, futur duc de Wellington, par Thomas Lawrence

Charles Stewart (1778-1854) demi-frère de Castelreagh, qui fit un brin de cour à Dorothée et fut l’amant de sa soeur Whilhelmine, Frédéric Lamb ( 1782-1853) futur 3ème vicomte Melbourne, amant lui aussi de Whilhelmine.


Charles Stewart, futur marquis de Londonderry par Thomas Lawrence

La Russie est représentée par le tsar en personne, lui aussi très intéressé par Whilhelmine. Nesselrode ministre du tsar est aussi proche de Whilhelmine. Le prince Adam Czartoryski est aussi de la délégation russe. Nous ne savons pas ce qu’il en fut de ses retrouvailles avec Dorothée.

La Prusse est représentée par le prince de Hardenberg et le baron de Humbolt. La Prusse étant le second pays des princesses de Courlande. Elles y possèdent des biens immenses. Elles sont intimes avec la famille royale. Là encore, la Prusse est bienvenue.


Baron de Humboldt

Il y avait aussi les délégations des royaumes de Danemark, de Sardaigne, de Bavière, du Wurtemberg, du Hanovre et de bien d’autres états. 

A lire les noms de tous ces délégués, on a l’impression que le lit de Whilhelmine, duchesse de Sagan, était celui de l’Europe. La comtesse de Boigne avait dit d’elle : “Un volcan qui projette des glaciers”  et Metternich “ Elle ne fait que des bêtises, péche sept fois par jour et aime comme on dîne.” Volage, infidèle, ne sachant pas résister à un bel homme, elle n’en est pas moins intelligente. Prokesch-Osten, qui sera la grand ami du duc de Reichstadt, disait d’elle “ J’aime beaucoup cette femme. Elle possède à la fois l’intelligence de la tête et du coeur”. Whilhelmine est le centre de tout un réseau d’informations dont elle fait bénéficier Talleyrand. Les deux soeurs de Courlande, qui comptent et ont de l’influence, Whilhelmine et Dorothée s’entendent bien. Dorothée sait parfaitement faire parler sa soeur, qui n’est pas avare de commentaires et de révélations qu’elle tient de Metternich. Leur mère, la duchesse,  arrivée le 24 mars 1815, réunit ses quatre filles au palais de Palm en des moments aussi mondains que politiques.

                Etude des têtes des participants au Congrès par Isabey ( Collection Elizabeth II)


07/09/2020

La princesse de Bénévent 2/2






Le Premier Consul

Avoir Madame Grand, comme maîtresse n’est pas possible, aux yeux de Bonaparte, Consul de la République, pour un homme aussi en vue que le ministre des Affaires étrangères. Il faut en finir avec les moeurs du Directoire et leur licence. La position sociale à laquelle était arrivée la courtisane ne convenait pas aux dames de la nouvelle société qui refusaient de la voir. Elles s’en plaignirent auprès du Consul. Elle ne convenait pas non plus aux maris, exclus du lit de la belle. Leur liaison était condamnée par tous. Bonaparte ne pouvait accepter que son ministre des Affaires étrangères se comporte ainsi. Lorsque Madame Grand l’apprit, elle se précipita chez son amie Joséphine Bonaparte qui, compréhensive, lui promit son aide. Elle lui obtint un rendez-rendez-vous avec son mari. Et là, Madame Grand, en courtisane accomplie, se jeta aux pieds de Bonaparte, en pleurs, les cheveux défaits, le supplia de lui permettre de continuer à être la maîtresse de Talleyrand. Bonaparte, impressionné, lui dit alors : “Je ne vois qu’un moyen. Que Talleyrand vous épouse et tout sera arrangé. Mais il faut que vous portiez son nom ou que vous ne paraissiez plus chez lui.” ( cité par Jean Orieux). 

Madame de Stael (1766-1817) avait eu aussi une entrevue avec Bonaparte et lui avait demandé : « Général, quelle est pour vous la première des femmes ? — Celle qui fait le plus d'enfants, Madame ». L’aristocrate intellectuelle avait été rebutée par le maître du moment. Elle ne le lui pardonna pas.

La belle courtisane avait gagné, probablement de façon involontaire, car comment imaginer qu’elle, une courtisane, puisse devenir la femme d’un homme aussi puissant. Mais aussi peut-être en faisant le jeu, là aussi de façon involontaire, de Bonaparte. Le futur empereur avait déjà jaugé son ministre. Il le savait capable de beaucoup de choses, entre autres de trahison, mais il savait qu’il avait et aurait besoin de lui dans le futur. Chateaubriand donne comme explication à ce mariage, et il n’a peut-être pas tort, que Bonaparte a voulu humilier et déconsidérer Talleyrand aux yeux de la société française et internationale, républicaine comme royaliste. Il est vrai que ce mariage reste comme une tache dans la vie de Talleyrand. 

L’ancien évêque d’Autun trahissait sa condition et sa caste en épousant une aventurière. 

En effet, Talleyrand était encore, suivant les lois de l’Eglise, membre du clergé. Avant  de l’obliger à ce mariage, Bonaparte s’était souvenu qu’il était encore d’église et en vue d’un rapprochement avec Rome, envisagea pour lui le cardinalat. Il pouvait continuer à être ministre, mener grand train et avoir des maîtresses, dans la grande tradition de certains princes de l’Eglise. Mais il refusa d’entrer dans cette tartuferie et s’opposa au Concordat tant qu’il n’était pas relevé de ses voeux, désacralisé en tant qu’évêque et réduit à l’état laïque. Rome et Paris souhaitaient le Concordat afin de rétablir la paix religieuse dans le pays. Le pape tergiversa et accepta pour Talleyrand “ la faculté de porter l’habit des séculiers et de remplir les charges de la République française.” 



Signature du Concordat par Gérard



Cela ne satisfaisait en rien Talleyrand bien que le Conseil d’Etat eût enregistré la phrase et que le monde crut qu’il n’était plus prêtre ni évêque. Talleyrand n’ayant jamais été marié et Madame Grand étant elle-même divorcée depuis le 7 avril 1798, rien ne s’opposait à leur union civile, célébrée comme on l’a vu. Par un fait amusant, un cousin de l’auteur, François-Aurèle de Varese, lui-même cousin de Bonaparte, Vicaire Général du Diocèse d’Autun jusqu’en 1790, et donc de Talleyrand, suivit la même voie et demanda au cardinal Caprera, représentant le pape en France, le 15 décembre 1802, de reconnaître son mariage qui avait été célébré en 1799.


Lors du mariage, Talleyrand fut généreux avec sa femme. Il lui reconnut la propriété de l’hôtel de Créqui rue d’Anjou à Paris, aujourd’hui détruit, le château, les terres et les forges de Pont de Sains dans le Nord et une partie de sa fortune. 





Château du Pont de Sains


Le 7 mai 1803, le comte de Luçay, préfet des Palais Consulaires à court d'argent, vend à Talleyrand le domaine de Valençay  pour 1,6 million de francs un château splendide et un domaine de 12 000 hectares répartis sur 23 communes. Il obéissait une fois de plus à un ordre de Bonaparte « Je veux que vous ayez une belle terre, que vous y receviez brillamment le corps diplomatique, les étrangers marquants... ». 




Château de Valençay

Ce souhait sera entendu en 1808 lorsque le roi d’Espagne Ferdinand VII, son frères, Charles et leur oncle Antoine de Bourbon, y furent assignés à résidence. Les raisons de la présence du roi d’Espagne à Valençay sont trop compliquées pour être relatées ici. 


Ferdinand VII en 1815, par Goya 


La chambre du roi d’Espagne à Valençay 

La nouvelle princesse du Bénévent les y reçut dans ce qui était son domaine, vraiment princier, car les améliorations et les embellissements furent décidés ensemble. Elle reçut si bien les Espagnols qu’elle tomba dans les bras de José Miguel de Carvajal-Vargas, 2e duc de San Carlos, ambassadeur du roi d’Espagne à Paris en 1807.  Ayant appris leur liaison, Napoléon  dit à Talleyrand : «  - Vous ne m’avez pas dit que le duc de San Carlos était l’amant de votre femme ! » « - En effet, sire, je n’avais pas pensé que ce rapport pût intéresser la gloire de votre Majesté, ni la mienne. » 


José Miguel de Carvajal-Vargas, 2e duc de San Carlos par Goya

Dès lors, mais aussi parce Talleyrand avait rencontré la belle duchesse de Courlande, les rapports entre les époux furent distants. Un mystère, toutefois, continue de les unir, une petite-fille prénommée Charlotte. Dès 1803, cette enfant apparaît au sein du couple Talleyrand. Qui est-elle ? Jamais reconnue, Charlotte, qui vit depuis plus de quatre ans sous le toit du prince et de la princesse, est placée judiciairement sous la tutelle officieuse de Talleyrand le 6 octobre 1807. Un conseil de famille est composé de six notables, amis de Talleyrand, parmi lesquels le duc de Laval, le comte de Choiseul-Gouffier et Dupont de Nemours. Pourquoi cet attachement réel des époux envers une inconnue ? Il n’y a pas de réponse. On peut supposer qu’elle était la fille naturelle du couple, née avant le divorce de Madame Gand. Elle signera toute sa vie Charlotte de Talleyrand-Périgord avant et après son mariage, car elle épousa un cousin du prince de Bénévent, Charles Daniel, baron de Talleyrand-Périgord, futur pair de France. 


 Charlotte de  Talleyrand-Périgord par Prud'hon en 1805

Le prince et la princesse de Bénévent sont ainsi décrits par madame de Cazenove d’Arlens, de nationalité suisse, reçue rue du Bac, peu après le mariage : “Une figure qui me parut d’un mort habillé d’un habit de velours rouge avec une large broderie en or. Grande veste, épée, manchettes, grande coiffure. C’était le ministre, c’était monsieur de Talleyrand…Je traverse ensuite un grand et éblouissant salon où était madame de Talleyrand. Elle est grande, belle, bien mise mais son secret est écrit sur son visage : Bêtise et Vanité…Le plaisir de porter un grand nom et d’occuper une grande place, lui tourne la tête. Elle craint toujours d’être trop polie et s’épargne cet embarras en ne l’étant pas du tout.” ( dans Jean Orieux) C’est loin d’être flatteur.

Les grandes amies de Talleyrand, la vicomtesse de Laval, la princesse de Vaudémont, la comtesse de Coigny et bien d’autres, n’ont pas vu ce mariage d’un bon oeil, bien au contraire. Epousée “au grand scandale de l’Europe entière sa honteuse maîtresse dont il ne pouvait même pas avoir d’enfants” selon Napoléon, Catherine, toujours connue sous le nom de Madame Grand, et fort peu princesse de Bénévent, fut l’objet d’un mépris généralisé dans la société française et européenne.

Evidemment, Talleyrand, représentant du roi de France, ne pouvait pas arriver au Congrès de Vienne accompagné de cette épouse, fort peu encombrante, mais oh combien, gênante. Il se séparera d’elle en 1816 lui assurant de larges revenus.


Le Congrès de Vienne d'après Isabey

Il choisit donc d’être accompagné par la délicieuse Dorothée, comtesse Edmond de Périgord. Qui pouvait y voir du mal ? N’était-elle pas sa nièce ? Son mari ne serait-il pas appelé à succéder à ses titres et à ses biens ? De plus ne connaissait-elle pas l’Europe entière qui se réunissait pour mettre fin aux agissements de l’odieux Bonaparte ?

Dorothée s’acquittera à merveille de sa mission qui consistait à seconder un oncle âgé de 60 ans.



Dorothée de Talleyrand-Périgord

14/08/2020

La princesse de Bénévent 1/2

 


Son Altesse Sérénissime la princesse de Bénévent


Le prince de Bénévent partit danser à Vienne en septembre 1814. Il devait y représenter la France et surtout éviter qu’elle ne fut dépecée. Il aurait dû partir en compagnie de son épouse; il choisit sa nièce.




“Le Congrès s’amuse”

Caricature de l’époque


Talleyrand était bien et légalement marié selon les lois françaises, pas forcément selon les lois de l’Eglise.


Il convient de s’attarder un moment sur Son Altesse Sérénissime la princesse de Bénévent. Qui était-elle ?



La princesse de Bénévent en 1805

par Gérard


Le 10 septembre 1802 à Paris a été célébré le mariage de Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, ci-devant évêque d’Autun, présentement ministre de Affaires extérieures et Catherine Noël Worlee, divorcée de Georges-François Grand.




Talleyrand peu après son mariage


Le contrat de mariage avait été signé le 9 septembre, en présence, outre des deux notaires, des deux frères du fiancé, Archambaud et Boson, de la citoyenne Bonaparte, des trois consuls, Bonaparte, Cambacérès et Lebrun, et enfin Maret chef de cabinet du Premier Consul. Les témoins du mariage ne sont pas moins importants que ceux du contrat. Ils sont Pierre-Louis Roederer, chef de l’Instruction publique, Étienne Eustache Bruix, amiral et conseiller d’état,  Pierre Riel de Beurnonville, ambassadeur de France, Maximilien Radix de Sainte-Foix et le prince Charles-Henri-Othon de Nassau-Siegen, ces derniers amis du fiancé.

Ce mariage célébré en grande compagnie, amis dans la discrétion, est l’aboutissement d’une histoire rocambolesque.




Le citoyen Bonaparte, Premier Consul

par Gros



La citoyenne Bonaparte en 1801


Comme Madame Bonaparte, la mariée n’est pas un prix de vertu. Née près de Pondichéry, un des cinq comptoirs français en Inde, le 21 novembre 1762 ( elle a donc 40 ans et lui 48 ans), Catherine Noël Worlee, fille de Jean-Pierre Werlée, capitaine du port de Chandernagor, chevalier de l’Ordre de Saint-Louis, et de sa seconde épouse Laurence Alleigne, épousa en 1777 George-François Grand, officier de la Compagnie des Indes, sujet britannique. D’une grande beauté, Catherine ne peut se contenter d’être une épouse fidèle. Sa liaison avec son premier amant Sir Philip Francis, membre du Conseil Suprême du Bengale, lui vaut d’être envoyée en Angleterre par son mari avec le consentement de son amant. Cet exil n’a pas dû lui déplaire. Après Londres où elle devint la maîtresse entretenue de  deux riches anglais, ce fut Paris, où elle fut remarquée pour sa beauté et entretenue par le banquier Valdec de Lessart. 



Claude Antoine de Valdec de Lessart 

par Quentin-Latour


Elle loua un petit hôtel particulier, rue d’Artois et fit des dettes, 4816 livres chez un bijoutier du Palais-Royal. Madame Grand était si à la mode et si belle qu’Elisabeth Vigée-Lebrun en fit le portrait. A la même époque, elle était aussi peintre de la reine et des grandes dames de la cour. Madame Grand était une courtisane. 




Madame Grand en 1783

par Elisabeth Vigée-Lebrun



« Elle était grande et avait toute la souplesse et la grâce si communes aux femmes nées en Orient »  a dit d’elle Madame de Rémusat. Son amant banquier, devenu ministre des Affaires étrangères, étant très lié à Talleyrand, nommé en poste à Londres, semble les avoir présentés. Il mourut sur l’échafaud le 9 septembre 1792, victime des “Massacres de septembre”. Soupçonnée en 1798 d’être un agent de l’ennemi, à savoir l’Angleterre, car elle entretenait une correspondance avec un de ses amants, le vicomte de Lambertye, qui y était émigré, la belle Madame Grand fût arrêtée. Et Talleyrand la sortit de prison par une supplique à Barras, le 23 mars 1798 : “ Citoyen Directeur, on vient d’arrêter Madame Grand comme conspiratrice. C’est la personne du monde la plus éloignée, la plus incapable de se mêler d’aucune affaire; c’est une Indienne très belle, bien paresseuse, la plus désoccupée de toutes les femmes que j’ai rencontrées. Je vous demande intérêt pour elle, je suis sûr qu’on ne lui trouvera point l’ombre de prétexte pour terminer cette petite affaire à laquelle je serais fâché que l’on mit de l’éclat. Je l’aime et je l’atteste à vous, d’homme à homme, que de sa vie elle ne s’est jamais mêlée et n’est en état de se mêler d’aucun affaire. C’est une véritable Indienne et vous savez à quel degré cette espèce de femme est loin de toute intrigue. Salut et attachement” ( Cité par Jean Odieux - Talleyrand, Flammarion 1970) Il y a dans cette supplique une déclaration d’amour étonnante chez son auteur mais qui explique peut-être leur mariage et leur vie commune ultérieure. Il semble bien qu’il l’ait aimée, à sa manière.

Beaucoup de choses ont été dites sur elle. Elle avait de l’esprit “comme une rose” disait d’elle son nouvel amant. Quand on lui demandait d’où elle venait, elle aurait répondu “Je suis d’Inde” ( et c’est de cela surtout dont se souvient la postérité ). On disait aussi que c’était “la belle et la bête ensemble.” Madame Grand passait donc pour une ravissante idiote. Quoiqu’il en soit, Talleyrand l’installe dans un hôtel particulier rue du Bac et elle y reçoit pour lui en maîtresse de maison. Elle lui fait connaître aussi le plaisir des sens, peut-être pour la première et unique fois. La liaison avec Madame Grand fut un mystère pour tous. Leur mariage plongea la société dans des abimes d’incompréhension. Comment Talleyrand, puissant, déjà riche à millions, en 1802, a-t-il accepté de l’épouser sur un ordre de Bonaparte ? Le Traité d’Amiens vient d’être signé, la paix est rétablie en Europe, Bonaparte crée l’Ordre de la Légion d’Honneur; il rétablit l’esclavage dans les colonies françaises, le Concordat a été signé avec l’Eglise. 





Caricature du Traité d’Amiens par James Gillray

« Le premier baiser depuis dix ans ! ou la rencontre entre Britannia et le Citoyen français. » Le Citoyen français : « Madame, permettez-moi de témoigner de ma profonde estime envers votre charmante personne et de sceller sur vos lèvres divines mon attachement éternel ! » Britannia : « Monsieur, vous êtes un gentleman vraiment bien élevé ! Bien que vous me fassiez rougir, vous embrassez si délicatement que je ne puis rien vous refuser, même si j'étais certaine que vous me tromperiez encore ! ».