07/09/2020

La princesse de Bénévent 2/2






Le Premier Consul

Avoir Madame Grand, comme maîtresse n’est pas possible, aux yeux de Bonaparte, Consul de la République, pour un homme aussi en vue que le ministre des Affaires étrangères. Il faut en finir avec les moeurs du Directoire et leur licence. La position sociale à laquelle était arrivée la courtisane ne convenait pas aux dames de la nouvelle société qui refusaient de la voir. Elles s’en plaignirent auprès du Consul. Elle ne convenait pas non plus aux maris, exclus du lit de la belle. Leur liaison était condamnée par tous. Bonaparte ne pouvait accepter que son ministre des Affaires étrangères se comporte ainsi. Lorsque Madame Grand l’apprit, elle se précipita chez son amie Joséphine Bonaparte qui, compréhensive, lui promit son aide. Elle lui obtint un rendez-rendez-vous avec son mari. Et là, Madame Grand, en courtisane accomplie, se jeta aux pieds de Bonaparte, en pleurs, les cheveux défaits, le supplia de lui permettre de continuer à être la maîtresse de Talleyrand. Bonaparte, impressionné, lui dit alors : “Je ne vois qu’un moyen. Que Talleyrand vous épouse et tout sera arrangé. Mais il faut que vous portiez son nom ou que vous ne paraissiez plus chez lui.” ( cité par Jean Orieux). 

Madame de Stael (1766-1817) avait eu aussi une entrevue avec Bonaparte et lui avait demandé : « Général, quelle est pour vous la première des femmes ? — Celle qui fait le plus d'enfants, Madame ». L’aristocrate intellectuelle avait été rebutée par le maître du moment. Elle ne le lui pardonna pas.

La belle courtisane avait gagné, probablement de façon involontaire, car comment imaginer qu’elle, une courtisane, puisse devenir la femme d’un homme aussi puissant. Mais aussi peut-être en faisant le jeu, là aussi de façon involontaire, de Bonaparte. Le futur empereur avait déjà jaugé son ministre. Il le savait capable de beaucoup de choses, entre autres de trahison, mais il savait qu’il avait et aurait besoin de lui dans le futur. Chateaubriand donne comme explication à ce mariage, et il n’a peut-être pas tort, que Bonaparte a voulu humilier et déconsidérer Talleyrand aux yeux de la société française et internationale, républicaine comme royaliste. Il est vrai que ce mariage reste comme une tache dans la vie de Talleyrand. 

L’ancien évêque d’Autun trahissait sa condition et sa caste en épousant une aventurière. 

En effet, Talleyrand était encore, suivant les lois de l’Eglise, membre du clergé. Avant  de l’obliger à ce mariage, Bonaparte s’était souvenu qu’il était encore d’église et en vue d’un rapprochement avec Rome, envisagea pour lui le cardinalat. Il pouvait continuer à être ministre, mener grand train et avoir des maîtresses, dans la grande tradition de certains princes de l’Eglise. Mais il refusa d’entrer dans cette tartuferie et s’opposa au Concordat tant qu’il n’était pas relevé de ses voeux, désacralisé en tant qu’évêque et réduit à l’état laïque. Rome et Paris souhaitaient le Concordat afin de rétablir la paix religieuse dans le pays. Le pape tergiversa et accepta pour Talleyrand “ la faculté de porter l’habit des séculiers et de remplir les charges de la République française.” 



Signature du Concordat par Gérard



Cela ne satisfaisait en rien Talleyrand bien que le Conseil d’Etat eût enregistré la phrase et que le monde crut qu’il n’était plus prêtre ni évêque. Talleyrand n’ayant jamais été marié et Madame Grand étant elle-même divorcée depuis le 7 avril 1798, rien ne s’opposait à leur union civile, célébrée comme on l’a vu. Par un fait amusant, un cousin de l’auteur, François-Aurèle de Varese, lui-même cousin de Bonaparte, Vicaire Général du Diocèse d’Autun jusqu’en 1790, et donc de Talleyrand, suivit la même voie et demanda au cardinal Caprera, représentant le pape en France, le 15 décembre 1802, de reconnaître son mariage qui avait été célébré en 1799.


Lors du mariage, Talleyrand fut généreux avec sa femme. Il lui reconnut la propriété de l’hôtel de Créqui rue d’Anjou à Paris, aujourd’hui détruit, le château, les terres et les forges de Pont de Sains dans le Nord et une partie de sa fortune. 





Château du Pont de Sains


Le 7 mai 1803, le comte de Luçay, préfet des Palais Consulaires à court d'argent, vend à Talleyrand le domaine de Valençay  pour 1,6 million de francs un château splendide et un domaine de 12 000 hectares répartis sur 23 communes. Il obéissait une fois de plus à un ordre de Bonaparte « Je veux que vous ayez une belle terre, que vous y receviez brillamment le corps diplomatique, les étrangers marquants... ». 




Château de Valençay

Ce souhait sera entendu en 1808 lorsque le roi d’Espagne Ferdinand VII, son frères, Charles et leur oncle Antoine de Bourbon, y furent assignés à résidence. Les raisons de la présence du roi d’Espagne à Valençay sont trop compliquées pour être relatées ici. 


Ferdinand VII en 1815, par Goya 


La chambre du roi d’Espagne à Valençay 

La nouvelle princesse du Bénévent les y reçut dans ce qui était son domaine, vraiment princier, car les améliorations et les embellissements furent décidés ensemble. Elle reçut si bien les Espagnols qu’elle tomba dans les bras de José Miguel de Carvajal-Vargas, 2e duc de San Carlos, ambassadeur du roi d’Espagne à Paris en 1807.  Ayant appris leur liaison, Napoléon  dit à Talleyrand : «  - Vous ne m’avez pas dit que le duc de San Carlos était l’amant de votre femme ! » « - En effet, sire, je n’avais pas pensé que ce rapport pût intéresser la gloire de votre Majesté, ni la mienne. » 


José Miguel de Carvajal-Vargas, 2e duc de San Carlos par Goya

Dès lors, mais aussi parce Talleyrand avait rencontré la belle duchesse de Courlande, les rapports entre les époux furent distants. Un mystère, toutefois, continue de les unir, une petite-fille prénommée Charlotte. Dès 1803, cette enfant apparaît au sein du couple Talleyrand. Qui est-elle ? Jamais reconnue, Charlotte, qui vit depuis plus de quatre ans sous le toit du prince et de la princesse, est placée judiciairement sous la tutelle officieuse de Talleyrand le 6 octobre 1807. Un conseil de famille est composé de six notables, amis de Talleyrand, parmi lesquels le duc de Laval, le comte de Choiseul-Gouffier et Dupont de Nemours. Pourquoi cet attachement réel des époux envers une inconnue ? Il n’y a pas de réponse. On peut supposer qu’elle était la fille naturelle du couple, née avant le divorce de Madame Gand. Elle signera toute sa vie Charlotte de Talleyrand-Périgord avant et après son mariage, car elle épousa un cousin du prince de Bénévent, Charles Daniel, baron de Talleyrand-Périgord, futur pair de France. 


 Charlotte de  Talleyrand-Périgord par Prud'hon en 1805

Le prince et la princesse de Bénévent sont ainsi décrits par madame de Cazenove d’Arlens, de nationalité suisse, reçue rue du Bac, peu après le mariage : “Une figure qui me parut d’un mort habillé d’un habit de velours rouge avec une large broderie en or. Grande veste, épée, manchettes, grande coiffure. C’était le ministre, c’était monsieur de Talleyrand…Je traverse ensuite un grand et éblouissant salon où était madame de Talleyrand. Elle est grande, belle, bien mise mais son secret est écrit sur son visage : Bêtise et Vanité…Le plaisir de porter un grand nom et d’occuper une grande place, lui tourne la tête. Elle craint toujours d’être trop polie et s’épargne cet embarras en ne l’étant pas du tout.” ( dans Jean Orieux) C’est loin d’être flatteur.

Les grandes amies de Talleyrand, la vicomtesse de Laval, la princesse de Vaudémont, la comtesse de Coigny et bien d’autres, n’ont pas vu ce mariage d’un bon oeil, bien au contraire. Epousée “au grand scandale de l’Europe entière sa honteuse maîtresse dont il ne pouvait même pas avoir d’enfants” selon Napoléon, Catherine, toujours connue sous le nom de Madame Grand, et fort peu princesse de Bénévent, fut l’objet d’un mépris généralisé dans la société française et européenne.

Evidemment, Talleyrand, représentant du roi de France, ne pouvait pas arriver au Congrès de Vienne accompagné de cette épouse, fort peu encombrante, mais oh combien, gênante. Il se séparera d’elle en 1816 lui assurant de larges revenus.


Le Congrès de Vienne d'après Isabey

Il choisit donc d’être accompagné par la délicieuse Dorothée, comtesse Edmond de Périgord. Qui pouvait y voir du mal ? N’était-elle pas sa nièce ? Son mari ne serait-il pas appelé à succéder à ses titres et à ses biens ? De plus ne connaissait-elle pas l’Europe entière qui se réunissait pour mettre fin aux agissements de l’odieux Bonaparte ?

Dorothée s’acquittera à merveille de sa mission qui consistait à seconder un oncle âgé de 60 ans.



Dorothée de Talleyrand-Périgord

Aucun commentaire: