13/04/2023

Le couronnement du dernier roi de Hongrie

  


Les armoiries de la Hongrie

Le gouvernement hongrois a acheté, aux enchères à Vienne, le 20 mai 1921 deux tableaux du peintre Felix Schwormstädt (1870-1938) le premier représentant le couronnement de Charles de Habsbourg-Lorraine et Zita de Bourbon de Parme, comme roi et reine de Hongrie et le second le repas donné à la suite du couronnement. Le premier a été payé 19 050€ et le second 16 550€.

Nous le verrons en détail un peu plus loin. Ceci nous donne l’occasion de revenir sur cet évènement mémorable et funeste  pour l’histoire de l’Autriche-Hongrie.


Comte Tisza par Gyula Benczúr

Le comte Tisza (1861-1918) n'avait pas perdu de temps. Par deux fois ministre-président du royaume de Hongrie, en 1903-1905 et 1913-1917, farouche partisans d’une politique magyare au dépens des autres minorités. Alors que les Magyars ne représentaient que 49% de la population hongroise, ils détenaient 99% des sièges au Parlement de Budapest. Sa politique ultra-conservatrice, son refus du suffrage universel, son opposition à la modification du Compromis austro-hongrois,  son refus du trialisme avec les Slaves, et du fédéralisme entre toutes les composantes de l’empire font de lui un responsable majeur du démantèlement de la Hongrie au Traité de Trianon, où elle perdit deux-tiers de son territoire et de sa population. Sa réjouissance ouverte à l’annonce de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo montre combien il était hostile aux modifications du statu  quo, modifications souhaitées par l”héritier du trône.


Carte de l'Autriche (rouge) - Hongrie (bleu) avec la Bosnie-Herzégovine (vert) jusqu'en 1918. 


La double-monarchie éclatée en 1921

Le couronnement fut donc prévu pour le 30 décembre 1916. 

Pourquoi sitôt ? Dans l’esprit de Tisza, en jurant de respecter les territoires de la Couronne de Saint-Etienne, le nouveau roi Charles IV s’engageait à respecter le Compromis de 1867, objet de nouvelles discussions tous les dix ans, la prochaine devant avoir lieu en 1917. Il liait ainsi les mains du roi, l’empêchant d’envisager et de réaliser les modifications constitutionnelles qui auraient pu sauver la double monarchie. 



Les jeunes souverains

Un mois après les pleurs de Vienne, le jour de l'enterrement de François-Joseph, Budapest se réveillait dans l'allégresse. Au glas de l'Autriche répondait le carillon de la Hongrie. La ville n'avait jamais été plongée dans la tristesse, bien au contraire. Le deuil de la Cour, respectant l'usage de l'Etiquette espagnole, imposait aux dames qui y paraissaient d'être couvertes d'un long voile noir, tenu par un bonnet blanc. La frivolité s'empara alors des femmes de toutes les couches sociales et elles se mirent toutes à porter le deuil de l'Empereur, ce qui ne les empêcha nullement d'aller danser le soir ainsi vêtues. Si Budapest avait adoré Sissi, elle n'en avait pas moins haï François-Joseph et sa mort lui donnait l'occasion de bien des réjouissances. Son appel aux Russes pour mater la répression, les condamnations et les exécutions de 1848 ne lui avaient jamais été pardonnées. Depuis sept heures du matin, les carrosses avançaient au pas en une longue file qui allait de Pesth la neuve à Buda l'ancienne, sur le pont suspendu enjambant le Danube à moitié pris par les glaces.  Dans les voitures de l'autre siècle s'entassait l'aristocratie hongroise qui se rendait au couronnement. 


Le “Pont des Chaînes” le premier à relier Pesth et Buda

Charles et Zita étaient arrivés trois jours auparavant, le 27 décembre, pour se préparer à la cérémonie. Symbolique et politique avaient part égale. L'immense palais de la colline de Buda dominait la ville jumelle de Pesth. Lieu royal dès le Xème siècle, le bâtiment, reconstruit aux  XVIIIème et XIXème siècles, présentait de longues façades à colonnades. 


Palais Royal tel qu'il était au moment du couronnement

Le château médiéval avait disparu sous un gigantesque amoncellement de pierres sculptées, balcons, balustres et fenêtres immenses. Mais le château de Buda restait un lieu vide. Seule Marie-Thérèse y avait séjourné assez longtemps avec sa nombreuse progéniture. Ses successeurs ne s'étaient pas précipités en Hongrie pour y tenir cour. François-Joseph, quant à lui, avait délibérément boudé cette ville qui s'était insurgée en 1848 contre son autorité souveraine. Et si la Famille Impériale s'était souvent retrouvée à Gödöllö autour de Sissi, elle n'avait jamais résidé à Budapest, en dehors du minimum imposé par la vie politique. 

Le comte Tisza, désigné comme Palatin du Royaume de Hongrie pour la cérémonie, les représentants de la chambre des députés et de la chambre des Magnats, arrivèrent au Palais Royal pour présenter au Roi la Charte, préparée par le Parlement, définissant ses devoirs envers la nation hongroise. Zita de son côté reçut, dans la grande salle de bal toute en stuc blanc à filets d'or, les dames de la Cour venues lui apporter la robe du sacre ; puis elle rejoignit en leur compagnie Charles et les représentants de la nation hongroise, pour la première cérémonie dans la salle du trône. 

- Votre Majesté accepte-t-elle d'être couronnée Roi apostolique de Hongrie ? demanda Monseigneur Czernoch, cardinal-primat de Hongrie.

- Oui ! répondit Charles, ému. 

- Votre Majesté accepte-t-elle les termes de la Charte qui vient de lui être présentée ? questionna encore le prélat. 

- Oui ! répondit Charles à nouveau.

Les mêmes questions furent posées à Zita car elle aussi serait couronnée. Après qu'elle eût répondu, Charles apposa sa signature au bas de la Charte. La partie politique du couronnement était terminée.  


Étienne Ier sur le manteau de couronnement hongrois datant de 1031

Musée national hongrois.

La partie symbolique commença le lendemain. Accomplissant un rite millénaire, Zita eut à coudre une pièce de tissu dans le manteau du sacre qui avait été brodé par la première reine de Hongrie pour son mari, Etienne Ier (975-1038) premier souverain de la dynastie des Árpád, le 26 décembre de l’an Mil. Il sera canonisé en 1083 et est considéré comme le fondateur du Royaume de Hongrie. Toutes les reines de Hongrie eurent à accomplir ce rituel avant d’être couronnées.

Charles et Zita avaient tous deux une sensation étrange. Dans la sincérité de leur cœur, ils se préparaient à s'offrir tout entiers à la Hongrie, dans cette noce mystique qu'était le couronnement; mais dans leur esprit, il était difficile de ne pas se sentir prisonnier du piège qui se refermait sur eux. Charles avait été contrarié d'apprendre que Tisza avait été désigné comme Palatin.
II n'avait pas pu s'y opposer mais il aurait préféré avoir près de lui un autre homme. L'aristocratie hongroise ne manquait pas d'hommes fidèles à la dynastie ! Pourquoi ne pas avoir choisi le prince Esterhazy ou le comte Apponyi ? Mais malgré cela, ils se préparaient pour la cérémonie, comme les chevaliers le faisaient la veille de leur adoubement, par la prière et l'abandon à Dieu.  




La grande salle du trône

Le lendemain, 29 décembre, une nouvelle cérémonie était organisée dans la salle du trône. Le prince Festetics, Grand-Maître de la Cour, présenta au Roi et à la Reine les dignitaires du royaume. La présentation se termina sous leurs vivats. 

Puis les symboles de la Monarchie hongroise quittèrent le Palais Royal, pour être conduits à Saint Mathias, l'Eglise du couronnement. La couronne royale, l'orbe en or, la masse de cristal et le manteau du sacre avaient été transportés dans un carrosse tiré par six chevaux, entourés d'une garde d'honneur. A l'égal des reliques, ils avaient été accueillis par l'aumônier de la Cour pour  être portés en procession dans le chœur de l'église. Une garde d'honneur les veilla toute la nuit. 



Les symboles de la Monarchie hongroise

La brume s'était enfin levée. Plus de deux cent mille personnes étaient dans les rues et aux fenêtres. La ville entière, pavoisée aux couleurs de la Hongrie, rouge, blanc, vert, retentissait de cris et d'applaudissements au passage des voitures, chacun cherchant à reconnaître les  occupants. 




Les rues de Budapest le jour du couronnement


Puis ce fut un instant de silence. Le lourd carrosse d'apparat franchit les grilles, après avoir traversé les deux immenses cours du palais dont tout le personnel était massé aux fenêtres. Instant d'émotion où les premiers à apercevoir sur la place Charles, Zita et Otto, eurent du mal à retenir leurs larmes devant la gravité des visages entrevus à travers les vitres de cristal. Discrètement, Charles prit la main de Zita et la serra très fort. En face d'eux, Otto souriait ; devant son sourire, ses parents sourirent aussi.  




Carrosse du couronnement en route vers l’église Saint-Matthias

Visages lumineux de l'espoir des peuples, Charles et Zita marchaient vers leur destin au rythme lent des huit chevaux blancs qui tiraient la voiture. En ce jour, ils étaient plus de cinquante millions à être avec eux. Toute la Monarchie, en Autriche, en Hongrie, des tranchées aux palais, du Tyrol à la Bukovine, priait pour eux. 

La voiture prit alors la rue qui menait à l’église, toujours sur la colline de Buda, séparée du Palais de trois cent mètres seulement. L’église Saint-Matthias n’était pas le lieu habituel des couronnements des rois de Hongrie, qui était Pozsony ( nommée aussi Presbourg et aujourd’hui Bratislava) ancienne capitale royale de la Hongrie. François-Joseph et Elisabeth furent les premiers souverains hongrois à être couronnés à Budapest en 1867. Le dernier souverain à avoir été couronné à Pozsony , fut Ferdinand Ier en 1830. 


Saint Matthias

Dans la nef de Saint Matthias, petite cathédrale gothique, symbole religieux de tout un pays, ornée des armes des Habsbourg et des Bourbon-Parme et tendue de velours rouge, avait pris la place la famille impériale avec à sa tête l'archiduchesse Maria-Josepha, mère du roi, et la duchesse Maria-Antonia de Parme, mère de la reine.  



Membres de l’aristocratie devant l’église

Derrière les mères des souverains se pressait toute l'aristocratie de Hongrie. Fiers magnats aux costumes rutilants, dolmans bordées de fourrure, coiffes surmontées d'aigrettes attachées par des pierres précieuses, belles dames aux robes de velours de soie, de brocarts d'or et d'argent, manteaux de zibeline, traînes brodées portées par des pages, tiares, rivières en diamants, longs colliers de perles à l'orient précieux, tous, serrés les uns contre les autres, dans l'espace étroit de  la cathédrale, attendaient le Roi et la Reine dans le chatoiement d'un autre temps.





Grande tenue de Magnat


Grande tenue pour leurs épouses 




La comtesse Zichy en grande tenue le jour du couronnement

Le martèlement des sabots de l'escadron de hussards qui précédait le carrosse interrompit le bavardage futile et les sourires qu'ils s'adressaient mutuellement. Le silence qui suivit à l'extérieur leur fit comprendre que le carrosse s'était arrêté devant le porche de l'Eglise. La foule, retenant son souffle, vit Charles descendre le premier. Il était en uniforme rouge de général hongrois. Puis le jeune prince Otto descendit. Un murmure d'admiration s'éleva en voyant l'enfant de quatre ans habillé de satin blanc, à la tunique à brandebourgs d'or, portant crânement  sa coiffure en brocart d'or à parement d'hermine. 


Le prince royal Otto et la reine Zita arrivant à l'église 

Enfin la foule put admirer Zita. Quand la Reine parut dans sa robe de satin blanc brodée d'entrelacs de fleurs et de feuillage d'or, une ovation s'éleva de la foule qui, dès lors, ne se retint plus de clamer son admiration et son amour pour le jeune couple qui portait tous ses espoirs. Charles avait exigé la présence du prince héritier à leurs côtés, symbole de leur amour mutuel et de la continuité dynastique. Une fois de plus, il avait bousculé le protocole. 

Monseigneur Czenoch, après leur avoir souhaité la bienvenue, les précéda dans l'église. Emus, ils descendirent les dix marches menant à la nef, le bras de Zita posé sur celui de Charles. Otto les précédait. Ils marchaient vers l'autel soutenus par l'amour de tout un peuple, accompagnés par la musique des hérauts. Le primat de Hongrie les guida jusqu'à leurs trônes surmontés d'un vaste baldaquin, en velours rouge, placé à droite de l'autel. 

Le cérémonial mis en place autrefois, en 1867, pour François-Joseph et Elisabeth put commencer. 

Deux évêques vinrent chercher Charles pour l'accompagner dans le chœur, où était assis l'ensemble des prélats. Il prononça alors en latin les paroles rituelles : 

- Moi Charles, de par la volonté de Dieu, roi de Hongrie, je m'engage devant Dieu et ses anges à veiller à la loi, à la justice et à la paix pour le bien de l'Eglise de Dieu et du peuple qui m'est confié. 

Zita debout, les mains jointes, priait. L'archiduchesse Maria-Josepha et la duchesse de Parme, les larmes aux yeux, priaient aussi pour leurs enfants, pour que le fardeau du pouvoir ne leur fût pas trop lourd, pour que Charles pût être ce roi de justice et de paix comme il venait de s'y engager, pour que Zita l'y aidât, sans que jamais ni l'un ni l'autre ne faiblissent, portés par leur amour.  



Tableau de Felix Schwormstädt peint en 1917 et acquis par la Hongrie en 2021.


Puis il posa sa main sur l'Evangile et s'agenouilla devant le cardinal- primat de Hongrie. Prenant le Saint-Chrême, Monseigneur Czenoch oignit Charles au poignet droit, au coude et à l'épaule. Deux évêques s'approchèrent alors pour poser sur ses épaules le manteau du sacre. 

La chorale entonna la messe du Couronnement de Liszt qui avait été composée pour le couronnement de François-Joseph et d’Elisabeth en 1867.  

Le cardinal prit l'Epée qui reposait sur un coussin de velours et la tendit à Charles qui, de sa main droite, la brandit vers l'assemblée en traçant le signe de la Croix, après quoi il la rendit au Primat qui la reposa sur son coussin. Charles alors s'agenouilla pour recevoir la couronne de Saint-Etienne, que le primat et le palatin placèrent sur sa tête. Puis il reçut le sceptre et l'orbe. 

Aux côtés de Monseigneur Czenoch, Tisza se rengorgeait. Sa qualité de Palatin le faisait, à l'égal du cardinal, le maître de la cérémonie. Tout de noir vêtu, peu concerné par la mystique du moment à laquelle sa religion le rendait indifférent, il souriait. Il avait enfin ce qu'il voulait, le roi à ses genoux. 

L'assemblée tout entière, bien loin des considérations machiavéliques du Président du Conseil, cria alors : « Vive le Roi ! » 

Charles de Habsbourg-Lorraine, roi héréditaire de Hongrie, était désormais et pour l'éternité Charles IV, roi apostolique de Hongrie. En hongrois :  “ IV. Károly magyar apostoli király”

Toutes les cloches de la ville se mirent à sonner à la volée et les canons à tonner. Le peuple de Hongrie apprenait ainsi que son roi était couronné. 

Charles se tourna alors vers Monseigneur Czenoch et lui demanda :

- Monseigneur, nous vous prions de bénir l'épouse unie à nous devant Dieu et de la toucher avec la couronne royale pour la louange et la glorification de Notre Sauveur Jésus-Christ. 

Zita s'agenouilla sur le prie-Dieu placé devant son trône. L'évêque de Vezprem s'approcha d'elle et plaça sur sa tête la couronne qu'avait ceinte Elisabeth. Le cardinal-primat s'approcha à son tour de la Reine, portant la couronne de Saint-Etienne qu'il posa un instant sur son épaule droite. 

- Reçois la couronne de la souveraineté, dit-il, afin que tu saches que tu es l'épouse du roi et que tu dois toujours prendre soin du peuple de Dieu. Plus haut tu es placée, plus tu dois être humble et rester en Jésus-Christ. 

Ces paroles symboliques ne furent jamais aussi significatives que pour les nouveaux souverains, amants du Christ et de sa Vérité. 

Et les cloches de Budapest sonnèrent à nouveau, cette fois pour la Reine. 

Puis le prélat revint vers Charles et lui plaça de nouveau la couronne sur la tête. 

Quelques rayons de soleil à travers les rares vitraux, transperçant les volutes d'encens, projetaient des éclats rouge et bleu dans la lumière dorée de milliers de cierges. Pour la communion, ils reçurent les deux espèces. La cérémonie s'achevait. 

Zita quitta la cathédrale seule, alors que Charles avait encore à adouber cinquante chevaliers, parmi lesquels le fils, le gendre et beaucoup d'amis de Tisza. Charles sortit de l'Eglise couronné. Sur le parvis la foule lui fit une nouvelle ovation. Des milliers de « Eljen » ( Vivat en hongrois)  se répercutèrent dans toute la ville, sortant des poitrines d'un peuple qui voulait croire à une ère nouvelle et dont la spontanéité et l'amour firent  frémir le jeune couple. 


Charles prête serment 

avec à sa gauche le cardinal Czernoch, primat de Hongrie et le comte Tisza.

Charles eut alors à prononcer le sermon du Sacre, celui pour lequel Tisza s'était précipité à Schönbrunn. Il traversa la place de la cathédrale pour prendre place au pied de la Colonne de la Trinité, située en son milieu, inspirée de la Colonne de la Peste du Graben à Vienne. Le Palatin lui présenta le texte qu'il tint pendant que Charles, un crucifix dans la main gauche et trois doigts de la main droite levés, d'une voix claire pour être entendu de tous, lut : 

- Nous, Charles, par la grâce de Dieu, Empereur d'Autriche, roi de Bohême, quatrième roi de Hongrie de ce nom, jurons par le Dieu vivant, la Vierge Marie et tous les Saints de Dieu que nous n'aliénerons pas les frontières de la Hongrie et de ses pays associés, ni rien qui puisse appartenir à ces pays à un titre quelconque; que nous ne réduirons pas, mais que dans la mesure du possible nous augmenterons et étendrons leur territoire et que nous ferons tout ce que nous pourrons faire justement pour le bien- être et la gloire de nos pays, avec l'aide de Dieu et de ses Saints. 

C'est avec jubilation que Tisza cria alors trois fois « Vive le Roi ». Il avait entendu ce qu'il désirait. Charles, le monarque au regard pur, ne pouvait plus lui échapper. 

Ils étaient désormais “Károly király” et “Zita királyné”, prisonniers d’un système dont malgré leur souveraineté ils ne pouvaient changer les règles.

La foule reprit son acclamation. 

Zita et Otto prirent place dans le carrosse pour regagner le Palais- Royal.  



Le roi Charles IV de Hongrie en tenue de général de Hussards portée pour le couronnement 

par Gyula Merész, 1919

On approcha alors un magnifique cheval gris, aux étriers et au harnachement d'or fin. Charles l'enfourcha et, toujours revêtu du manteau du sacre et la couronne sur la tête, il traversa à nouveau la vieille Buda, suivi d'un attelage dans lequel avaient pris place les prélats. Arrivé sur la place Saint Georges, devant le Palais Royal, il pressa son cheval et d'un galop rapide monta les pentes du Diszter, un monticule composé de terre apportée de chacun des comtés de toute la Hongrie. Il s'immobilisa au sommet et brandit l'épée du couronnement aux quatre coins cardinaux,  symbolisant la défense du royaume contre tout envahisseur. 


Première page du “Illustrirte Zeitung” - dessin de Lajos Márton 25 Janvier 1917

Le roi, désormais couronné jure de défendre les territoires de la Couronne de Saint-Etienne

En ces jours de guerre, chacun ressentit au fond de soi la portée du geste de Charles. Bien au-delà du symbole, le pays était réellement à défendre contre les Russes et les Italiens, qui menaçaient aux frontières. 

Zita avait regagné directement le palais royal pour assister aux engagements de Charles. 

D'une fenêtre du palais donnant sur la place, à côté de sa mère la Reine, Otto voyant son père superbe, cria : “ Papa, papa !”

La foule s'enthousiasma à nouveau en entendant le petit garçon. Lorsque Charles redescendit sous le carillonnement joyeux de toutes les cloches des églises de Budapest, des salves d'artillerie éclatèrent, l'hymne national retentit un peu partout dans la ville. 

« Eljen a Kiraly » (Vive le Roi) clamaient encore le peuple et l'aristocratie massée sur les pentes de la colline du palais. 

La pompe antique des cérémonies du couronnement s'achevait. 

Au Palais-Royal, le temps pressait à nouveau. Pendant trois jours Charles et Zita s'étaient préparés à la cérémonie religieuse. Ils avaient accompli le rituel pour sacrifier aux coutumes de leur pays et, aussi, par la conscience qu'ils avaient de se fondre dans la nuit des temps et de relier le passé au présent. 

Il restait encore une cérémonie.  




Second tableau de Felix Schwormstädt peint en 1917 et acquis par la Hongrie en 2021.

Après que le comte Tisza, le Palatin, eût présenté au Roi et à la Reine la cruche d'or, pour le lavage de mains symbolique, et que Monseigneur Czenorch leur eût tendu les serviettes, ils passèrent à table. Dans la salle du trône, une estrade avait été dressée pour supporter la table royale, en fer à cheval, où seuls le Roi, la Reine, le Cardinal-primat, le Palatin Tisza, le Nonce apostolique et l'évêque de Kalocsa furent admis à s'asseoir et à contempler la vaisselle d'or.  




L’unique photo de l’évènement

Un grand dîner de dix neuf services leur fut présenté, présenté seulement, car bien qu'il fût plus de midi et malgré leur faim, rôtis, poulets, jambons, truites et friandises repartirent à la cuisine. Ils devaient être servis dans un hôpital de la ville.  




Le plan de la salle avec la table royale

Plus de quatre cents personnes assistaient à cette étrange cérémonie. Etaient assis autour de la table à gauche de la reine, le Nonce Apostolique et le comte Tisza, à droite du roi, le cardinal-primat de Hongrie et l’évêque de Kalocsa

A la fin de ce simulacre de repas Charles se leva et dit en portant un toast :  Vive la Hongrie !”
Et le primat se levant à son tour répondit : “ Vive le Roi !” 

Le temps pressait. Il fallait faire vite. Charles et Zita quittèrent la salle du trône pour prendre cette fois une collation véritable. Ils se sourirent à nouveau. Ils avaient maintenant à recevoir la partie de la noblesse qui ne leur avait pas encore été présentée.
Le prince Zdenko Lobkowitz (1858-1933), aide de camp du roi, s'approcha du couple pour rappeler que le photographe était prêt.
Une estrade avait été préparée avec deux fauteuils de style Louis XV, un grand tissu de brocard tendu derrière. Il leur fallut à nouveau revêtir les vêtements du sacre pour poser devant l'objectif. Otto fut appelé pour se joindre à ses parents.  


Le roi, la reine et le prince royal de Hongrie pour moins de deux ans

Mais encore fallait-il gouverner. La guerre n'attendait pas. Comme par enchantement, le front avait été calme. Les adversaires avaient-ils eux aussi respecté le moment sacré ?
La salle du trône bruissait de commentaires sur le couronnement. Chacun était satisfait du rôle qu'il avait joué. Chacun admirait l'autre pour s'entendre à son tour admirer de lui. Toutefois, un mécontentement sourdait. L'aristocratie hongroise, splendide et susceptible, ne comprenait pas que les souverains, sitôt couronnés, les quittassent ainsi pour retourner à Vienne, l’ennemie. Pas de bal après le couronnement, cela ne s’était jamais vu. Les cérémonies leur avaient fait oublier que c'était la guerre et combien il eût été indécent de danser alors que des millions d'hommes se battaient encore. 

Pour Charles et Zita, la Hongrie, son peuple et ses Magnats avaient offert la dernière fête du Moyen-Age, mais le couronnement n'était pas qu'une fête : il était avant tout la cérémonie sacrée par laquelle Dieu leur avait remis la Hongrie à défendre, puis à garder en paix. 

Le train royal quitta Budapest sous les vivats des gens du peuple qui les accompagnaient à la gare. Pour eux, il n'y avait pas de bal à regretter ! Ils regardaient leurs souverains, transfigurés, avec amour et espoir que de leur jeunesse viendrait la paix tant attendue. Elle ne vint pas hélas sans douleur ni déchirement. Pour les Hongrois, le Traité de Trianon est une blessure encore vivante et il n’est pas un français qui ne se le voit reprocher après dix minutes de conversation. 

L’acquisition de ces tableaux par la Hongrie ne montre pas un attachement aux Habsbourg. Il s’agit plutôt de la célébration du dernier grand évènement de la Hongrie éternelle.

( Texte tiré de l’ouvrage de Patrick Germain - “Charles et Zita, derniers souverains d’Autriche-Hongrie” - Préface de Mgr l’archiduc Rodolphe, dernier fils des souverains) 



Signature du Traité de Trianon le 4 juin 1920 mettant fin définitivement à l’Autriche-Hongrie







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