16/07/2021

Les Wendel - Une dynastie d'acier et d'argent - Cinquième partie : Les turbulences de François II de Wendel

 Au XIXe siècle, les Wendel étaient admirés. Au XXe, ils furent vilipendés. Du capitalisme triomphant, on était passé au capitalisme chaotique. 


La grande-bourgeoisie capitaliste au début du siècle

Henri de Wendel et ses enfants


François II de Wendel est, pour la famille, le grand homme de la période de la fin d’une guerre à l’autre. Il est non seulement le chef de la famille mais le chef incontesté de l’entreprise.


Comme ses ancêtres, François I et Charles II, il est tenté par la politique et à leur différence, il s’y impliquera à fond, ne se contentant pas uniquement de siéger au Parlement mais aussi, et surtout, en tentant d’avoir une influence sur la vie politique d’un pays, où tout est remis en question d’une année sur l’autre.



La Chambre des Députés


A la Chambres des Députés, il est membre de l’Action Nationale Républicaine, elle-même membre du Bloc National Républicain. Il est difficile d’entrer dans les méandres de la vie politique de la IIIe République. Disons, pour simplifier, qu’il s’agit d’un groupe de centre droit républicain, hostile aux idées monarchistes comme aux idées socialistes, et pire encore communistes. Le président du groupe est François Arago (1862-1937 ), vice-président de la  Chambres des Députés. 



François Arago (1862-1937)


On peut lire dans les liste des députés de cette législature de 1919 à 1924, trente-cinq noms aristocratiques, parmi lesquels La Ferronays, Menthon, Rodez-Bénavent, Talhouet-Roy, Castellane, Castelnau, Juigné, Monti de Rézé etc… Il y a aussi Léon Blum, Marc Sangnier le créateur du Sillon, Briand et tant d’autres noms qui ont fait la IIIe République. Maurice de Rothschild en fait également partie.  



Maurice de Rothschild (1881-1957)


Les combinaisons se succèdent les unes aux autres. Il est impossible de former une majorité et droite, centre et gauche tentent tant bien que mal de s’entendre sur des programmes de gouvernement, à géométrie variable. Et ce sans compter avec le Sénat, tout aussi diversifié.


François II de Wendel suscite la méfiance. Il a trop d’argent, son nom est synonyme de pouvoir industriel et financier. N’est-il pas une figure éminente, presque un roi, de toute une province, la Lorraine ?  



François II de Wendel

Archives de la Chambre des Députés


Il n’est pas un homme de droite. Il est avant tout un nationaliste, comme Raymond Poincaré, lorrain également. Il se veut libéré de toute influence cléricale. La monarchie est du passé et l’Eglise doit rester à la place qui lui a été fixée en 1905. Cela au grand scandale de sa famille !

Il soutient l’occupation de la Ruhr, décidée par Poincaré, en vue d’obliger l’Allemagne à passer ses dettes de guerre.  



Raymond Poincaré (1860-1934)


Il subit immédiatement la première attaque durant l’été 1923. Pour “L’Humanité”, le journal du Parti Communiste, sa position ne se justifie que par une entente secrète avec les Krupp. Les sidérurgistes des deux côtés de la frontière vont se partager le gâteau. Et Poincaré n’aurait décidé l’occupation de la Ruhr que pour leur faire plaisir. Tout ceci, bien entendu, est faux. Il s’agit d’une décision purement politique à laquelle François II de Wendel a  adhéré. 

 


Occupation de la Ruhr

 



Manifestation en Allemagne contre l’occupation


En 1929, surgit le problème de la dette française vis-à-vis des Etats-Unis. Il n’est pas contre le remboursement mais à ses yeux, tant que la France, n’a pas reçu des dommages de guerre de l’Allemagne, il est hors de question de rembourser les Etats-Unis. Les dettes de guerre sont un tout. 

Les crises monétaires sont aussi très présentes. Le franc se dévalue par rapport à la livre sterling. Elle cotait à 81,13 fin 1923, elle montera à 106,53 le 4 mars 1924. Le franc a perdu un quart de sa valeur face à la livre.

Pour rétablir la situation, le gouvernement demande à la Banque de France de piocher dans le stock d’or de la France. Deux régents, François II de Wendel et Edouard de Rothschild s’y opposent. Il n’est pas question de donner l’or français en garantie des prêts demandés aux banques anglaises et américaines. On ne se sépare pas aussi facilement des joyaux de famille. 



Edouard de Rothschild (1868-1949)


Monétaristes, attachés à la valeur du franc, Wendel et Rothschild, acceptent seulement que la Banque de France intervienne directement sur le marché des changes en injectant 100 000 dollars, garantis par le gouvernement français au moyen d’émission de Bons du Trésor. Cette décision fait retomber la livre au cours de 70 francs en avril 1924. 

La prise de pouvoir par le Cartel des Gauches, présidé par Edouard Herriot, n’est pas du goût de François II de Wendel. Il y a plus de billets en circulation qu’il ne convient. Le Trésor est à nouveau vide et le franc s’effondre. François II de Wendel fera tomber le gouvernement Herriot, qui se dire victime du “mur d’argent”, c’est à dire de la Banque de France et de ses régents. 

La dévaluation reste maintenant la seule solution. Sur le principe, il y est opposé mais il comprend que Poincaré n’a pas d’autre solution. 

Le 25 juin 1928, le gouvernement français dévalue le franc des 4/5e de sa valeur. La monnaie nationale ne vaut plus que le cinquième de la contrepartie en or du franc d'avant 1914, le franc germinal, créé par Napoléon Bonaparte un siècle plus tôt. Cette dévaluation massive met un terme à la crise financière qui agite l'État. Elle est le résultat d'une politique courageuse menée envers et contre tous par le président du Conseil, l’autre lorrain aux commandes, un conservateur austère et sans charisme de 67 ans, qui a déjà eu l'écrasante responsabilité de présider la République française tout au long de la Grande Guerre.  


Le Franc Germinal et le Franc Poincaré

Le franc pèse désormais 65,5 milligrammes d'or au titre de 900 millièmes, contre 322,58 milligrammes d'or lors de sa création par Bonaparte par la loi du 7 germinal an XI (27 mars 1803). On a désormais environ une livre pour 125 francs et un dollar pour 25 francs. La mesure permet de restaurer la convertibilité du franc en lui donnant une valeur réaliste. Les comptes publics et les échanges se redressent et l'année 1929 se présente sous les meilleurs auspices.

Les problème monétaires résolus, il va falloir à la France, comme au reste du monde affronter la crise économique, née un fameux “Jeudi Noir”, le 24 octobre 1929. Il est inutile de s’étendre sur les causes et les conséquences de la crise, elles sont aujourd’hui connues de tous. Mais qu’en est-il des Wendel ?

Il est difficile de répondre à la question car les bilans des entreprises Wendel pour la période n’ont jamais été publiés. Leur activité a, bien entendu, été ralentie. 40% en moins pour la production des voies de chemins de fer. L’intégration de la production de la mine aux hauts-fourneaux, une fois de plus, a permis la survie des Wendel. Ils ont eu des difficultés de trésorerie. Il faut dire à leur actif, que s’ils sont restés discrets sur les chiffres, ils n’en ont pas moins continué leur politique sociale, en évitant au maximum les licenciements et en continuant leurs oeuvres sociales.  


 Les usines Wendel à Jœuf vers 1930  





Hayange - Usine St Jacques

En 1932, François II de Wendel est élu sénateur. Il ne sera jamais ministre mais il sera toujours un homme d’influence. Et c’est bien ce qui lui sera reproché. On lui donne le pouvoir de déterminer la politique de la France à son profit. Tout ceci est faux. il n’a jamais pu être prouvé qu’il ait agi dans l’intérêt de ses entreprises. 




Hayange - le château à la même époque

Mais richissime, député, sénateur, régent de la Banque de France, président du Comité des Forges et patron de presse, cela peut susciter des envies et bien des calomnies.

Avec la Banque Rothschild, il a acheté en 1927, “Le Journal des Débats”, l’organe de presse qui fait quasiment l’opinion. En 1929, il prend une participation majoritaire dans le journal “Le Temps” qui, lui, est quasiment la voix officieuse de la France. Il possède aussi deux journaux mineurs “La Nation” et “L’Avenir”. Tout ceci accrédite l’homme à l’influence majeure dans la vie politique française. Mais outre le fait qu’il a englouti des fortunes, sans retour sur investissement, il n’aura jamais la possibilité de faire l’opinion. Le souhaitait-il ? Le résultat sera en réalité qu’il deviendra le bouc émissaire auquel on fera supporter les erreurs politiques de la France.  


L’équipe du Journal des Débats en 1921

En 1935, la crise monétaire est de nouveau présente. Il faut dévaluer à nouveau et l’opinion s’y refuse. Marcel Déat (1894-1955) le socialiste qui fera carrière ensuite dans la collaboration avec l’Allemagne, écrit : “ Nous avons eu le sentiment qu’à côté des forces politiques…des forces extérieures et assurément plus fortes sont entrées en jeu…en particulier du côté de la Banque de France” ( cité par Yves Guéna) 


Marcel Déat (1894-1955)

et Léo Lagrange (1900-1940) socialiste, futur ministre des Loisirs du gouvernement Blum en rajoute : “Depuis un mois le franc est en péril…la presse est inquiète, l’opinion est complaisamment invitée…à la panique…Pourquoi ? Par qui ? parce ce que deux cents familles qui règnent sur notre pays n’acceptent pas la mise en discussion de leurs principes et, contre la monnaie nationale, organisent l’émigration ( des capitaux ). Par qui ? Par M. de Wendel et M. de Rothschild…” ( cité par Yves Guéna)  


Léon Blum( 1872-1950) en 1936

Et Blum pour finir : “ Nous sommes en présence d’une véritable conspiration…contre le Parlement et contre la volonté souveraine du pays.” Deux cents familles ! Le slogan est lancé et collera pour toujours aux Wendel et aux Rothschild. Pourquoi “Deux Cent Familles” ? Parce que lors de la création de la Banque de France en 1800, l’article 11 de ses statuts dispose que “les 200 actionnaires qui composeront l'Assemblée générale seront ceux qui seront constatés être, depuis six mois révolus, les plus forts propriétaires de ses actions”. 



Affiche du Front Populaire contre les 200 familles

Ces deux cents membres de l'Assemblée générale avaient ainsi le pouvoir de désigner les quinze membres du Conseil de Régence de la Banque de France. Ce pouvoir est toutefois tempéré par les lois de 1803 et 1806 : le gouvernement nommera une partie (minoritaire) de membres du Conseil général, dont le gouverneur et les deux sous-gouverneurs. Mais la réalité du pouvoir ne réside pas au sein de l'Assemblée générale mais à la direction même de la Banque de France. Il faut considérer les banquiers régents de sa direction comme les représentants actifs des “Deux cents familles” et de de leur périphérie.  


Edouard Daladier en 1933

Il y avait une réalité dans le chiffre 200 mais il n’y en avait pas dans le pouvoir que l’on leur prêtait. Edouard Daladier, le négociateur des Accords de Munich en 1938, dira en 1934 : « Ce sont deux cents familles qui, par l'intermédiaire des Conseils d'administration, par l'autorité grandissante de la banque qui émettait les actions et apportait le crédit, sont devenues les maîtresses indiscutables, non seulement de l'économie française mais de la politique française elle-même. Ce sont des forces qu'un État démocratique ne devrait pas tolérer, que Richelieu n'eût pas tolérées dans le royaume de France. L'empire des deux cents familles pèse sur le système fiscal, sur les transports, sur le crédit. Les deux cents familles placent leurs mandataires dans les cabinets politiques. Elles agissent sur l'opinion publique car elles contrôlent la presse.» 



Les chefs des 200 familles avec en tête François de Wendel

Accuser François II de Wendel de favoriser la dévaluation est une absurdité. Au lieu de dévaluer on procèdera, suivant son conseil, à une diminution des traitements des fonctionnaires, des pensions et des rentes. Ce fut une grave erreur et c’est plutôt cela qu’on devrait lui reprocher.

On oublie facilement à son sujet qu’il n’a cessé de dénoncer l’Allemagne hitlérienne avec une lucidité remarquable. La vague d’antisémitisme en Allemagne, depuis la Nuit de Cristal, le 9 novembre 1938, ne le prit pas au dépourvu. En mars 1933, il avait écrit : “ L’Allemagne que l’on accuse souvent de manquer de psychologie…et qui depuis quinze ans semblait au contraire en avoir montré beaucoup plus, vient, enfin!, de faire la forte gaffe…! L’Allemagne dresse aujourd’hui contre elle les Juifs de tous les pays…” Et au lendemain du 6 février 1934 François II de Wendel demandera au Parlement de proscrire tout antisémitisme. 

La réoccupation de la Rhénanie par Hitler le 7 mars 1936, suivant la remilitarisation de l’Allemagne en 1935, eut comme conséquence de faire accepter par Wendel le rapprochement de la France avec l’Union Soviétique. Il a pris conscience que la Russie soviétique est moins dangereuse pour le moment que l’Allemagne hitlérienne. Sa prise de position lui fut reprochée par l’ensemble de la droite. Quant à la gauche, elle l’accusera de fausseté et de collusion avec l’Allemagne nazie, servant ainsi ses intérêts industriels. 

L’Anschluss, c’est-à-dire l’union entre l’Allemagne et l’Autriche ( ce qui avait été la hantise des derniers Habsbourg)  le  12 mars 1938, permise par la lâcheté de 1936, puis les Accords de Munich, le 29 septembre 1938, et abandonnant la Tchécoslovaquie à Hitler, ont fait dire à François II de Wendel : “ Il y a actuellement un danger bolchévique intérieur et un danger allemand extérieur. Pour moi le second est plus grand que le premier et je désapprouve nettement  ceux qui règlent leur attitude sur la conception interne. Il ne tient qu’à la France elle-même d’échapper au bolchevisme. Le danger allemand est là, à côté de nous et nous n’y pouvons rien…”  


Les   Accords de Munich en 1938

de gauche à droite : Chamberlain, Daladier, Hitler, Mussolini et le comte Ciano

Lui, un Wendel, le capitaliste par excellence, avait une lucidité que la gauche n’avait pas, ou ne voulait pas avoir. Laval, socialiste, Déat, socialiste, Doriot, communiste, ne vont pas tarder à s’engager dans la collaboration avec l’ennemi. Il n’y aura jamais chez les Wendel aucune compromission avec l’Allemagne nazie. Le chef de la famille était aussi son  porte-parole. 


Le Déshonneur

A la déclaration de guerre, le 2 septembre 1939, les Usines Wendel tournent de nouveau à plein régime. Le 14 juin 1940, le gouvernement français donne l’ordre d’abandonner la Lorraine, d’arrêter les usines et de renvoyer le personnel. Les Wendel honoreront les salaires des 16 000 ouvrier travaillant pour eux.  Et une fois de plus Hayange, Jœuf, Moyeuvres et les autres lieux Wendel passeront aux mains de l’ennemi.

François II de Wendel avait bien eu raison de se méfier de l’Allemagne.



La Lâcheté

20/05/2021

Les Wendel, une dynastie d'acier et d'argent - Quatrième partie, la Première Guerre Mondiale et ses suites



Robert de Wendel meurt d’un accident d’auto en 1903, à 56 ans et Henri I, d’une crise cardiaque, en 1906, à 62 ans. Mais la constitution des “ Petits-Fils de François de Wendel” assurait la continuité dans la gestion de l’entreprise. 


A la mort de Robert, son fils Charles III prend sa place en qualité de gérant, à la mort d’Henri ce sera à François II, son aîné, de prendre sa place.  



François II de Wendel


Henri I de Wendel et Berthe de Vaulserre ont eu trois enfants : “François II” Augustin Marie (1874-1949), Jean Marie “Humbert I”  (1876-1954) et “Maurice” Marie Ignace  (1879-1961).



Humbert de Wendel

 



Maurice de Wendel


Robert de Wendel et Consuelo Manuel de Gramedo (1850-1917) ont eu quatre enfants : Marthe Charlotte Consuelo Carmen (1870-1933) qui deviendra duchesse de Maillé, Ivan Edouard “Charles III” (1871-1931), Marie Louise Manuela Consuela Sabine (1875-1941) qui épousera le vicomte de la Panouse et René Pierre Alvaro “Guy” (1878-1955).


François II a épousé en 1905 Odette Humann-Guilleminot (1884-1954), dont le père Edgar était vice-amiral, et avait été chef d'Etat major général de la Marine en 1895/96 et inspecteur général de la marine en 1899/1901.  





Faire part du mariage  de François de Wendel et Odette Humann


Maurice avait épousé, également en 1905, Andrée des Moustiers-Mérinville. D’une famille entichée de sa noblesse, elle disait avoir épousé un quincailler. Cela ne l’empêchera pas d’être plus Wendel que les Wendel dans son courage. 





Madame Maurice de Wendel née

Andrée des Moustiers-Mérinville.


Charles III de Wendel est resté célibataire. Guy a épousé en 1902 Catherine Argyropoulos (1878-1960 ), d’une excellente famille grecque. A la mort de son mari en 1955 Catherine  de Wendel entra au Carmel de Paray-le-Monial, sous le nom de sœur Catherine de Jésus.

 


Guy de Wendel


Tel est le paysage  familial qui porte nom de Wendel avant la guerre.  Charles III, François II et Humbert I sont gérants. Maurice et Guy sont associés à la gérance en qualité de fondés de pouvoir.  




Les entreprises Wendel avant 1914


Charles III s’est formé aux Etats-Unis, désormais passés devant l’Angleterre en sidérurgie. Son cousin François II aurait aimé intégrer l’armée mais se sera pour lui l’Ecole Centrale et l’Ecole des Mines, dans l’intérêt de la famille. 

Humbert I parle parfaitement anglais et allemand, ce qui lui permet d’être le négociateur avec l’allié et avec l’ennemi, sur le territoire duquel se trouve plus de la moitié de la fortune familiale. Il est resté  célibataire.

Maurice de Wendel occupera au sein du groupe la charge des relations sociales, qui vu le nombre d’employés, à cheval sur deux législations, ne peuvent qu’être délicates. 

Guy est le mouton noir de la famille. C’est un flambeur  et sa fortune ne résistera pas. Il sera contraint de céder ses parts à ses frères et cousins en 1935.


En 1914, on en est à la septième génération depuis Jean Martin. Et les affaires, malgré la répartition entre deux pays, ou peut-être grâce à elle, sont plus que prospères. Il est fastidieux de faire la liste de tous le hauts-fourneaux laminoirs et autres instruments de production. Quelques chiffres donnent une idée de la dimension de l’entreprise. “ Dans la dernière année de paix, toutes ces usines auront consommé 462 000 tonnes de houille, 1 148 000 tonnes de coke, 3 826 000 tonnes de minerai de fer, 71 000 tonnes de manganèse, 131 000 tonnes de chaux. La production, en flèche de nouveau depuis le début du siècle, atteint en 1913, 1 234 000 tonnes de fonte, plus d’un million de tonnes d’acier Thomas, 120 000 tonnes d’acier Martin, 205 000 tonnes de semi-produits, 150 000 tonne de poutrelles et profilés etc…”  ( Yves Guéna - Les Wendel, trois siècles d’histoire - Editions Perrin 2004)

L’entreprise est totalement intégrée. Les Wendel extraient le charbon et le fer de leurs mines  et les transforment en produit fini.


Hayange avant 1914


Les descendants des petits-fils de François de Wendel sont avant la Guerre 14-18 au nombre de trente-trois, Gargan, de L’Espée, Mitry, Curel, Moustiers, Maillé de la Tour-Landry, La Panouse, du Luart, Montaigu, du Halgouët. Si seulement cinq d’entre eux sont à la tête de l’entreprise, les autres perçoivent des dividendes. Ils sont aux environs d’un millier aujourd’hui, percevant toujours des dividendes. 


Les châteaux ont déjà été énumérés, à l’exception de Brouchetière, construit dès 1905 par Maurice de Wendel à côté d’Hayange, pour son épouse Andrée. Les salons y succèdent aux salons. Il y ajoute un hôtel particulier sur les bords de la Seine, 28 avenue de New York aujourd’hui. 

Tous les châteaux situés en Lorraine sont intégrés dans l’espace industriel. Ce ne sont pas des résidences de campagne mais de lieux de vie au plus près de l’activité sidérurgique. Les marteaux pilons y ont remplacé le chant des oiseaux. 




Les châteaux ( à gauche ) et l'usine


François II se veut plus qu’un industriel concourant à l’enrichissement de sa famille et de son pays. Il est français et veut participer à la vie publique et politique du pays. Son cousin, Charles III, a adopté la nationalité allemande et fera carrière au Reichstag, dès 1908. Certes il y défend l’idée d’une autonomie de la Lorraine au sein de l’Empire, comme les autres royaumes de Wurtemberg, Hanovre, Bavière, mais cette attitude choque le reste de la famille. Au sein de l’entreprise, il se voit toutefois confier les usines d’Hayange et c’est un échec car il ne comprend pas grand chose à la métallurgie, malgré sa formation, et ne comprend rien aux problèmes sociaux. Sous sa direction éclate la première grève dans les Usines de Wendel. Les cousins qui l’appellent entre eux “Le Boche” l’obligent à quitter ses fonctions. Il ne sera plus gérant mais percevra les émoluments afférents. Il redevient français en 1912 et s’installe au château de l’Orfrasière, chez sa mère, où il passe la guerre.


Tous les gérants sont français et une partie des biens est en Allemagne. Le gouvernement impérial ne voit pas cela d’un bon oeil et tente, en vain, d’obtenir d’eux le choix de la nationalité allemande. François II résiste. Non seulement il est français et entend bien le rester en vue d’une carrière politique. 



Salon dorée de la Banque de France

où se réunissaient les deux-cents actionnaires

 



Les Deux-Cents de la Banque de France en 1852


Depuis 1913, François II est régent de la Banque de France. En avril 1914, il est élu député de la circonscription de Briey-sud. Son frère Humbert ne le voit pas d’un bon oeil. Il considère que c’est une atteinte aux obligations morales de la famille, qui, malgré tout, doit beaucoup à l’Allemagne, même si c’est malgré eux.

Peu avant la déclaration de guerre, en juillet 1914, les Wendel voyagent à travers l’Europe. Mais le 26 juillet, ils se réunissent à Hayange, ayant désormais conscience de l’inévitabilité du conflit, afin de décider de ce qu’ils doivent faire. Ils ne peuvent et ne doivent pas rester en Allemagne, le pays ennemi. Ce n’est pas leur faute si une partie de leurs biens y est, mais eux, en tant que personnes physiques, n’y seront pas. A la veille de la Guerre, le 30 juillet, ils confient la gestion des usines et de leurs biens à un ingénieur allemand. Il se montrera plus fidèle aux intérêts de ses patrons qu’à celui de son pays. 


Pour les cousins, la décision est prise. Les Usines de Wendel vont travailler en Allemagne pour les Allemands et donc produire de l’acier et de la fonte qui se retrouveront sur les champs de bataille contre des Français. Il sera hors de question de toucher quelque dividende que ce soit venant d’Hayange et Moyeuvres. Il leur reste Joeuf qui devrait suffire, avec d’autres usines réparties sur le territoire français et hollandais. Mais dès le début de la guerre, Joeuf est occupé et les biens en Hollande mis sous séquestre. Les Wendel, une fois de plus, n’ont plus rien.


Mais peu importe, c’est la guerre et ils se doivent de participer à l’effort national, et en premier lieu en intégrant l’armée. François II à 40 ans est affecté au service des forges de la direction de l’artillerie du Ministère de la Guerre. Mais il siègera aussi au Palais-Bourbon, à la Banque de France et au Comité des Forges, dont il est élu président en 1918. 



Comité des Forges avant 1914

François de Wendel est les deuxième par la gauche au premier rang


Humbert I, de par sa formation internationale et sa pratique des langues, sera affecté à la Commission d’achat française à Londres afin de procurer à la France tout ce dont elle a besoin et ne produit pas. 

Maurice de Wendel et son épouse, Andrée, seront eux sur le front des infirmeries, où ils sont sans relâche à évacuer et faire soigner les blessés. Elle recevra en remerciement de ses services, la Légion d’Honneur à titre militaire. 

Guy a rejoint l’infanterie où il sera capitaine. 

Charles III, l’ancien “Boche”, restera dans l’Indre  sans se mêler de ce qui se passe en Europe. 

Il y a aussi le tribut du sang versé pour la Patrie. Il y aura six “morts pour la France” parmi les Petits-Fils de François de Wendel, un Maillé, un Curel, deux du Halgouët et deux Mitry.  



Les Wendel en 1918


Le 22 novembre 1918, les Wendel sont de retour à Hayange, où ils sont accueillis par 15000 personnes et des “Marseillaises” à n’en plus finir. Comme leur aïeul retrouvant Hayange, en 1803, après la Révolution, ils trouvent des usines pillées, détruites. Mais à Joeuf, la situation n’est pas meilleure. De plus la révolte ouvrière gronde, suscitée par le nouveau Parti Communiste.

 




Vue aérienne de Jœuf en 1916


Les Wendel sont restés français, ont combattu pour la France, n’ont perçu aucun revenu pendant la guerre et ils se voient, dès le lendemain de l’armistice attaqués comme fauteurs et profiteurs de guerre. Là aussi, tout est fomenté par le Parti Communiste qui trouvera un écho de ses dires mensongers dans la presse et l’opinion de gauche comme de droite, pendant les décennies à venir.


Fauteurs de guerre ? Il leur aurait fallu être plus puissants que Nicolas II, George V, François-Joseph et Guillaume II  réunis, sans oublier la République française. Le conflit ne devait rien à de supposées manigances des Wendel et si cela avait été le cas, ils se seraient bien trompés car ils ne retrouvent que des ruines. Le conflit né des tensions existant entre les états pour la domination de l’Europe et des mers ne devait rien à la volonté des individus. Seuls le dramatique enchaînement des circonstances, et la volonté de puissance des états, sont responsables de ce massacre.


Profiteurs de guerre ? Là aussi, ils se seraient bien trompés. Ils ont tout à reconstruire.

 


Campagne contre François de Wendel après la guerre


On les accuse d’avoir empêché les Alliés de bombarder le bassin de Briey, occupé par l’ennemi, permettant ainsi la production d’armements qui auraient servi à faire des centaines de milliers de morts de plus. Là aussi, c’est faux. Le bassin de Briey n’avait pas l’importance stratégique que les ennemis de Wendel lui prêtaient. Les armées françaises auraient pu essayer de le reconquérir mais l’Etat-major voulait porter ses efforts ailleurs. Quant à le bombarder de façon efficace, c’était impossible, aucun canon français n’était assez puissant pour y arriver et aucun avion n’était équipé dans ce sens.  



Réponse du Comité des Forges


Tout est à reconstruire et à réorganiser. Les Wendel ont récupéré leurs biens, en France et en  ex-territoire allemand, en piteux état. Les immeubles sont en ruines, les puits sont noyés, la main-d’oeuvre fait défaut. Les Italiens reviennent peu à peu, mais avec un nouvel esprit revendicatif.  



Une rue à Jœuf en 1921


Vu la structure de la société des “Petits-Fils de François de Wendel” et leur discrétion, il est impossible de savoir quelle était la situation financière quatre ans après la guerre. François II de Wendel parle seulement de “la belle situation financière de la Maison”. C’est bref, mais clair. La prospérité est revenue. Et comment peut-il en être autrement quand tout est à reconstruire en Europe et que le concurrent sidérurgique allemand est aussi à genoux. 

François II de Wendel restera toute sa vie un opposant à l’Allemagne, farouche défenseur d’une politique stricte de dommages de guerre et de contrôle du pays.



Cité ouvrière à Jœuf


Les gérants ont bien géré. Les augmentations de capital doublent celui-ci dans les deux sociétés. Ils ont aussi vécu “modestement”, sans piocher dans leur trésor de guerre en or et en comptes bancaires. Grâce à la faiblesse de distribution des dividendes aux cousins, le capital double encore en deux ans. En 1926, il est de 117 millions de francs. Une erreur juridique, toutefois, les met en difficulté. “Wendel et Cie” a été transformée en commandite par actions et les porteurs de parts, à la différence des “Petit-Fils de François de Wendel, peuvent ne pas appartenir à la famille. Et c’est ce qui s’est passé. Les Schneider en ont profité, par achats successifs, pour entrer dans le capital des Wendel. 


Mais il y aussi une redistribution des cartes au sein de la famille. Guy de Wendel est joueur et en 1931, bien que Sénateur, il est contraint à démissionner de la gérance. Il est même placé sous tutelle. Sa fille, Hélène, avait épousé le fils d’Anna de Noailles mais son mariage ne dure pas. Guy, contraint de céder ses parts à ses cousins, est ruiné, devant se contenter de vivre avec ses émoluments de sénateur. Charles III s’est disqualifié de lui-même, se contentant de sa vie de châtelain sur les bords de la Loire.
Désormais, ce sont les fils d’Henri de Wendel, François II, Humbert I et Maurice qui gèrent la société. 




Généalogie simplifiée des Wendel


Cependant de par leurs mariages prestigieux et une situation mondaine de premier plan, les descendants de Robert sont membres à part entière de la famille. La descendance de Carmen de Wendel, duchesse de Maillé, est impressionnante. Le fils aîné Jacquelin a épousé une Rohan-Chabot. Leur fille Jacqueline épousera le prince Henri de Polignac. Gilles, duc de Maillé, a épousé la princesse Anne-Marie Radziwill, leur fille Jeanne-Marie sera princesse de Broglie. Roland de Maillé, le cinquième enfant, a épousé une Contades. Consuelo de Maillé, la sixième, épouse le comte Olivier de La Rochefoucauld. Jeanne-Marie de Maillé épouse le comte Geoffroy de Montalambert.

Sabine de Wendel, soeur de Charles III et de Guy, a épousé le vicomte Artus de La Panouse, Général de Brigade, attaché militaire à Londres et chef de la mission militaire française au Royaume-Uni. Là aussi la descendance est plus que de bon aloi. Leur fille Anne-Marguerite épousera un homme qui s’il n’est pas de la noblesse, n’en est pas moins une gloire de la médecine, le professeur Robert Debré (1882-1978) père de Michel, le premier premier ministre de la Vème République. Leur petite-fille Oriane de Labourdonnaye-Blosac, épousera Yves Guéna, un ancien de la France Libre, qui sera aussi une des figures majeures de la Vème république.


Les arcanes du pouvoir ne sont jamais très loin des Wendel. En 1958, ils devinrent de fervents gaullistes. 


En 1931, Charles III meurt sans enfants et laisse toute sa fortune à ses neveux La Panouse. Il a mené une vie de gentleman-farmer, entre chasse et exploitation de ses domaines, meublant avec goût ses résidences.


La guerre avec ses millions de morts, ses destructions massives, ses vies brisées, est passée. Et les Wendel sont restés à la fois à la tête de leur affaires et à la tête de la société. Ce ne sera pas sans difficultés entre la crise économique et la guerre mondiale qui approche.


 


05/05/2021

Le 5 mai 1821


Vue de Longwood, offerte par Marchand à Napoléon Ier, le 1er janvier 1820 
par Louis-Joseph-Narcisse 

“De minuit à une heure, toujours le hoquet, mais plus fort. De une heure à trois heures, a bu plus souvent. Il a d’abord souleva sa main, a tourné ensuite la tête pour ne plus boire. A trois heures, hoquet assez fort ; gémissement qui paraissait sortir de loin.

De trois heures à quatre heures et demie, quelques hoquets, pliantes sourdes, après des gémissements, il baille ; a l’apparence de beaucoup souffrir ; a dit quelques mots qu’on n’a pu entendre, et “ qui recule” ; ou certainement “ à la tête de l’armée”.




Lit de Napoléon installé dans le salon, où il mourut.


De quatre heures et demie à cinq heures, grande faiblesse, plaintes. Le docteur le fait un peu élever sur son oreiller. L’Empereur n’ouvre plus les yeux. Il paraît plus faible que la veille. Ce n’est plus qu’un cadavre. Son gilet couvert de crachats rougeâtres qui n’ont pas la force d’aller plus loin. On ouvre les rideaux, les fenêtres du billard.

Toute la nuit, moins des hoquets que des gémissements plus ou moins profonds, quelques fois assez forts pour réveiller ceux qui sommeillent dans la chambre : le général Montholon, le Grand Maréchal, Vignali, Ali. 




Général de Montholon (1783-1853)


De cinq heures du matin à six heures, la respiration a été plus facile, ce qu’on a attribué à la position plus élevée du haut du corps. 






Le  docteur Antommarchi (1780-1838)


A six heures, le docteur (Antommarchi) avec son doigt a frappé le ventre de l’empereur qui a résonné comme un tambour ; il paraissait enflé et déjà sans vie. le docteur a averti que le dernier moment approchait. On a averti le Grand Maréchal et Madame Bertrand.




Général-comte Bertrand ( 1773-1844)

 



Fanny comtesse Bertrand, née Dillon (1785-1836)


De six heures à six heures un quart, hoquets, des gémissements pénibles. De six heures à six heures et demie, grande tranquillité, respiration facile. Dans cette demie-heure, la tête un peu tournée du côté gauche, les yeux ouverts fixés sur le gilet du comte Bertrand, mais du fait de la position, plutôt que par intérêt; l’Empereur ne paraît rien voir, un voile sur les yeux.

A six heures et demie, il a placé sa tête droit, fixant le pied du lit, les yeux ouverts, fixes et voilés. Jusque’à huit heures, un peu de sommeil tranquille, quelques fois des soupirs de quart d’heure en quart d’heure.

A huit heures quelques gémissements, ou plutôt quelques sons sourds, qui paraissaient se former  dans le bas-ventre et siffler en traversant le gosier. ils semblent appartenir plutôt à un instrument qu’être un gémissement. Une larme est sortie de l’œil gauche, du côté de l’oreille. Bertrand l’a essuyée. Arnott s’est étonné que l’Empereur retint la vie si longtemps.

Jusqu’à dix heures et demie onze heures, généralement calme ; respiration douce ; parfaite immobilité de tout le corps ; quelques mouvements seulement dans la prunelle ; mais rares ; les yeux fixes voilés se sont fermés jusqu’aux trois quarts. De demie-heure en demie- heure, quelques soupirs ou sons. Une deuxième larme à la même place ; la main droite sur la couverture du lit ; al main gauche sous la fesse. Depuis six heures du matin, très calme, immobile.

Seize personnes présentes, dont douze Français, Madame Bertrand avec deux femmes, Ali, Noverraz, Napoléon Bertrand, à sept heures ; à sept heures et demie, il s’est trouvé mal.

De onze heures à midi, Arnott a placé deux sinapismes aux pieds, et Antommarchi deux vésicatoires, un sur la poitrine, le second au mollet. L’Empereur a poussé quelques soupirs. Plusieurs fois le docteur est allé chercher le pouls au col. 





Dr Archibald Arnott (1772-1855)


A deux heures et demie, le docteur Arnott a fait placer une bouteille remplie d’eau bouillante sur  l’estomac.




Jean-Abram Noverraz (1790-1849)


A cinq heures quarante neuf minutes, l’Empereur a rendu son dernier soupir. Les trois dernières minutes, il a rendu trois soupirs…

Au moment de la crise, léger mouvement dans les prunelles ; mouvement régulier de la bouche et du menton au front ; même régularité que dans une pendule. La nuit, l'Empereur avait prononcé le nom de son fils avant celui de : à la tête de l'armée. La veille, il avait demandé deux fois : "Comment s'appelle mon fils." Marchand avait répondu : "Napoléon." »

 






Louis, comte Marchand (1791-1876) 

Premier Valet de Chambre de l'Empereur


Tiré des “Cahiers de Sainte-Hélène” par le général-comte Bertrand, Grand Maréchal du Palais. 




Autour du lit mortuaire 


Au moment de la mort de Napoléon, parmi les seize personnes présentes, étaient le Maréchal du Palais et la comtesse Bertrand, leurs enfants Napoléon, Hortense, Henri et Arthur Bertrand, âgés respectivement  de 12, 11, 10 et 4 ans, le général-marquis de Montholon, les docteurs Antommarchi et Arnott, Louis-Joseph Marchand, Premier valet de Chambre de l’Empereur, comte de l’Empire, Jean-Abram Noverraz, valet, courrier et confident de l’Empereur, Louis-Etienne Saint-Denis le “Mamelouk Ali”, les abbés Vignoli et Buonavita. Certains d’entre eux étaient à Sainte-Hélène depuis le 15 octobre 1815.

La comtesse Bertrand arrêta la pendule. L’Empereur n’était plus mais Napoléon entrait dans la légende. 



Le transfert du cercueil de la Belle-Poule au transporteur La Normandie 

le 6 décembre 1840

 



L'arrivée aux Invalides le 15 décembre 1840 

devant une foule de plus d’un million de personne


Ciel glacé ! soleil pur ! Oh ! brille dans l’histoire !

Du funèbre triomphe, impérial flambeau !

Que le peuple à jamais te garde en sa mémoire

Jour beau comme la gloire,

Froid comme le tombeau

Victor Hugo