15/02/2015

Charles de Habsbourg - Première tentative de restauration en Hongrie





Palais épiscopal de Szombathély
Le Palais Episcopal de Szombathély, au sud-ouest de la Hongrie a été construit à la fin du XVIIIe siècle par l’évêque János Szily, lors la création, sur la demande de la reine Marie-Thérèse, du nouveau diocèse, pris en partie sur l’archidiocèse of Veszprém et partie sur l’archidiocèse de Zagreb, en Croatie, faisant partie à l’époque du royaume de Hongrie.

Charles de Habsourg-Lorraine, empereur d'Autriche et roi de Hongrie
La nuit du 26 mars 1921, lors de la veillée pascale, deux hommes se présentèrent à la porte du palais et l’un d’eux, le comte Tamas Erdody demanda à voir l’évêque, comte János Mikes, alors que l’autre se dissimulait. Lorsque l’évêque arriva, le comte Erdodÿ lui demanda s’il reconnaissait son compagnon. A sa réponse négative, il lui dit qu’il avait devant lui “Sa Majesté le roi de Hongrie, Charles IV”.

Mgr Mikles, évêque de Szombathély (Hongrie)
Charles de Habsbourg, qui n’était plus empereur d’Autriche, ni roi de Bohême, était toujours le roi titulaire de Hongrie et il venait reprendre ses droits, momentanément confiés selon lui, au Régent Horthy. Ancien aide de camp de François-Joseph, notamment lors du mariage du jeune archiduc Charles et de la princesse Zita de Bourbon-Parme en octobre 1911, l’amiral Horthy avait été élu, le 1er mars 1920, régent d’un royaume sans roi, par l’assemblée nationale hongroise, dans son ensemble légitimiste.

L’effet de surprise fut grand au palais épiscopal car chacun pensait le roi à Prangins en Suisse, lieu d’exil qui lui avait été assigné lors de son départ d’Autriche au printemps 1920. Il y avait également comme hôte de l’évêque, le Dr Vass, un prêtre faisant partie du nouveau gouvernement hongrois. Il prévint le roi Charles que, selon lui, le régent n’était pas prêt à lui remettre le pouvoir, se considérant comme le seul représentant de la Hongrie aux yeux des vainqueurs, la France, le Royaume-Uni et les Etats-Unis.

Le premier ministre hongrois, le comte Téléki, qui se trouvait dans les parages de Szombathély pour une partie de chasse, fut appelé à rencontrer le souverain. Il le mit immédiatement en garde contre le fait que si le régent n’avait pas été prévenu de son arrivée, il risquait d’y avoir des difficultés. Il risquait aussi d’y avoir des difficultés avec les pays dit de la “Petite Entente”, c’est-à-dire les états qui s’étaient payés des dépouilles de l’ancien empire d’Autriche-Hongrie, comme la nouvelle Tchécoslovaquie, et les royaumes de Serbie et de Roumanie.

Amiral Horthy, régent de Hongrie
Charles ne crut pas un instant que Horthy, qui lui avait juré fidélité, lors de son avènement en novembre 1916, put se parjurer à partir du moment où lui, son souverain, lui demanderait de lui remettre le pouvoir.

La messe de Pâques entendue dans cette matinée du 27 mars 1921 dans la chapelle du palais, le roi, accompagné de deux seuls officiers, partit immédiatement pour Budapest.

Chapelle du palais épiscopal
La réception que lui fit le régent fut conforme aux prévisions du comte Teleki. Il refusa de rendre le pouvoir au roi sous le prétexte que jamais les vainqueurs, ni la Petite Entente accepteraient le retour d’un Habsbourg sur le trône de Hongrie. Charles avoua alors que son retour était fait avec l’accord d’Aristide Briand. Horthy fit alors semblant de s’incliner, demandant trois semaines au souverain pour organiser la passation de pouvoir. Charles, confiant en la parole de Horthy, repartit alors pour Szombathély avec l’assurance de remonter sur son trône le 17 avril.

Palais royal de Budapest au début du XXe siècle
Mais Horthy prévint immédiatement la France et ses alliés de la tentative de retour de Charles. “En cas d’échec, je démentirai vous avoir soutenu dans cette entre­prise" avait prévenu Briand.

Charles ne pouvait envisager la traîtrise et n’imaginait pas un seul instant que le régent ait voulu gagner du temps pour laisser agir les états de la Petite Entente, qui craignaient beaucoup plus une Hongrie forte de son Roi que ce royaume qui n’en était pas vraiment un. La haine que Benès, nouvel homme fort de la toute jeune Tchécoslovaquie, vouait aux Habsbourg était si tenace qu’on pouvait lui faire confiance pour rameuter tous ses amis de Paris contre la tentative de Charles. Quant au Roi de Serbie, il était hors de question pour lui de rendre quoi que ce soit des territoires, comme la Croatie et la Slovénie, que le Traité de Trianon devait lui attribuer. La Roumanie, de son côté, n’envisageait pas un seul instant de restituer la Transylvanie.

Tous refusaient de voir et de comprendre que Charles ne voulait rien de tout cela. Il désirait simple­ment rentrer chez lui pour aider, de son mieux, le peuple hongrois à trouver la voie de la justice et de la paix civile.

Le gouvernement français, questionné par Horthy, ne put donc que démentir avoir souhaité le retour sur son trône du souverain légitime.

Horthy appliqua alors la censure à la presse, interdisant de révéler où se trouvait Charles. Il fit isoler et garder le territoire de Szombathély. 

Autour du palais épiscopal même, on plaça des soldats avec mission de contrôler tous ceux qui voulaient approcher leur Roi. Il fallait l’expulser au plus vite.Mais Charles avait pris froid dans la voiture découverte qui l’avait ramené à Szombathély. Arrivé au palais épiscopal, atteint d’une congestion pulmonaire, il dut donc s’aliter.

Chambre du roi Charles IV de Hongrie au palais épiscopal
Petite salle-à-manger du palais épiscopal aux murs tapissés de gravures du Piranese (Vues de Rome)
Quand il fut mieux, la question se posa de savoir s’il devait rester ou partir. Le sentiment monarchiste était si fort dans le pays que Horthy craignait que le peuple ne se portât sponta­nèment pour aller chercher son Roi et l’installer triomphalement à Budapest. L’aristocratie hongroise était partagée entre le loyalisme dû à son souverain et le désir de voir les choses continuer avec Horthy, tant ils craignaient que ne reviennent les troubles connus du temps de Bela Kun. Ils étaient également reconnaissants à Horthy de ne pas avoir touché leurs immenses domaines, dont certains comptaient des dizaines, voire des centaines de milliers d’hectares. Et le roi Charles avait toujours professé des idées sociales, pas forcément de leur goût.

Le 5 avril 1921, le roi Charles IV de Hongrie, s’étant rendu à l’évidence de la trahison de Horthy et ayant compris que la France ne bougerait pas, acceptait de quitter la Hongrie.

Devant le palais épiscopal des milliers de personnes s’étaient rassemblées et chantaient l'hymne hongrois. Le roi parut sur le balcon pour un dernier salut. Quelques minutes après, deux voitures sortirent du palais, emmenant le souverain à la gare, où un train spécial avait été préparé. La foule cria “Vive le Roi”, en espérant qu’il reviendrait bientôt comme il le leur avait promis. Charles de Habsbourg, roi apostolique de Hongrie, était bien décidé à tenir sa promesse. Et il la tint quelques mois plus tard.

Signature du roi Charles IV de Hongrie sur le livre d'or du palais

24/04/2014

Le château de Gödöllö







Le château de Gödöllö est connu aujourd’hui pour avoir été la résidence d’été en Hongrie, et la favorite entre toutes, de l’impératrice-reine Elisabeth, “Sissi”. Mais son histoire est bien plus ancienne.
Son véritable bâtisseur fut le comte Antal Grassalkovich I (1694-1771). Né dans une pauvre famille de la toute petite noblesse, il commença sa carrière en 1715, comme avocat. Un an après il était membre de la “Hofkammer”, institution financière de l’administration hambourgeoise. Dix ans après, il était président de la Commission des nouvelles acquisitions, institution mise en place pour vérifier les titres de propriétés après le chaos juridique laissé par le départ des Turcs de Hongrie en 1686.

Comte Antal Grassalkovich I (1694-1771)
En 1737, Antal Grassalkovich I put acheter le domaine de Gödöllö, qui jusqu’à présent n’était qu’un village appartenant à la famille Bossányi. Et il planifia un immense domaine avec un château baroque en son centre, dont le travaux débutèrent en 1741.
Gödöllö est situé à 30 kilomètres à l’est de Budapest, ce qui à l’époque était une distance lointaine, mais aujourd’hui et même du temps de Sissi mettait le château à une demie-heure de train.
Antal Grassalkovich I prit soin de son domaine comme il prit soin des finances publiques de la Monarchie. En remerciement de son travail il fut créé baron puis comte par l’impératrice Marie-Thérèse. Il était à l’époque un des hommes les plus puissants et des plus riches de Hongrie.


Chambre de Marie-Thérèse puis d'Elisabeth

Il fit construire 33 églises, des bâtiments publics et des maisons privées sur le domaine afin d’y installer les artisans allemands nécessaires à son développement. Il prit soin d’établir un équilibre entre les catholiques et les protestants. Cette politique d’immigration fut une constante du règne de Marie-Thérèse qui accordait de grands avantages à qui voulait s’installer en Hongrie. Elle créa même des villages nobles, c’est à dire que tout habitant du village, à partir du moment où il s’y installait avec sa famille devenait noble.
Son fils Antal Grassalkovich II (1734-1794), s’il fut gratifié du titre de prince, eut une gestion catastrophique du domaine, lui préférant Vienne. Il afferma le domaine et à sa mort le laissa couvert de dettes. Il avait épousé en 1758 la princesse Mária Anna Esterházy.

Le château de Gödöllö - côté jardin 
Leur fils Antal Grassalkovich III (1771-1841) ne fit pas mieux. A sa mort sans héritier mâle, ce fut une propriété en bien mauvais état qui passa dans la ligne féminine. Le fils de sa soeur, le comte MihályViczay, en hérita. Mais le passif était trop lourd et n’arrivant pas à l’épurer il vendit le domaine entier en 1850 à György Sina, banquier hongrois, créé baron. Ni lui, ni son fils ne résidèrent à Gödöllö désormais en un état lamentable. En 1864, le domaine fut à nouveau vendu à un consortium immobilier belge.
Entre temps, en 1848, lors de la révolution hongroise, ce fut à Gödöllö que Lajos Kossuth prit la décision de déclarer la déchéance de la dynastie des Habsbourg et de se battre pour l’indépendance de la nation hongroise après avoir proclamé la république. Cela se fit le 14 avril 1849, après l’avènement de François-Joseph, le 2 décembre 1848, à Brnö en Moravie.
Le 13 août 1849, grâce à l’intervention russe appuyant les troupes autrichienne du Maréchal-Prince Schwarzenberg, la tentative d’indépendance hongroise fut écrasée dans le sang. Kossuth, condamné à mort, put s ’échapper et finit sa vie en exil. Il mourut à Turin en 1894. En mars 1867, le gouvernement hongrois acheta enfin le domaine de Gödöllö et le fit ainsi entrer dans la légende.

Le château de Gödöllö - Façade d'origine 
Si le compromis austro-hongrois signé le 29 mai 1867, ouvrant la voie au couronnement de François-Joseph et d’Elisabeth, comme roi et reine apostoliques de Hongrie, le 8 juin 1867, doit beaucoup plus à la défaite de Sadowa, face à la Prusse en 1866, aux actions conjugués de Deak, pour les Hongrois et de Beust pour les Autrichiens, qu’à l’influence directe et légendaire d’Elisabeth, il n’en reste pas moins vrai que l’amour qu’elle portait à la Hongrie fut un élément important dans le changement d’attitude de l’Empereur vis-à-vis de ses sujets hongrois et de ces derniers vis-à-vis de la dynastie.
Gödöllö est le symbole de ce changement.  Offert au couple comme cadeau de couronnement, Király (Roi) Ferenc József és Erzsébet királyné (reine) en langue hongroise, Gödöllö fut désormais la résidence préférée de la souveraine.

Le couple impérial à l'époque du couronnement
En 1866, Elisabeth avait déjà visité les lieux mais uniquement pares qu’ils servaient d’hôpital militaire aux blessés de la bataille de Sadowa. Vienne risquant l’invasion prussienne, l’impératrice avait cherché refuge en Hongrie avait ses deux enfants, Rodolphe et Gisèle. Elle avait été séduite par le château à l’abandon mais l’empereur l’avait prévenue en août 1866 : “ Tu peux visiter les soldats blesser à Gödöllö, si tu le souhaites, mais ne le regarde pas comme si nous devions l’acheter car je n’ai pas d’argent. En ces temps difficiles, nous devons faire des économies. Les Prussiens ont causé des dommages considérables dans nos propriétés familiales et il faudra des années pour nous en remettre…La moitié de nos écuries doit être vendue et nous devons vivre modestement.”

L'impératrice Elizabeth par Winterhalter (détail)

 Elizabeth en robe de couronnement 

Mais le gouvernement hongrois sut comprendre le désir d’Elisabeth et souhaitant faire un geste envers la famille royale – en Hongrie on n’utilise jamais “impériale” – et la voir résider souvent dans leur pays, au Palais Royal de Buda, songea à leur offrir une résidence d’été. Gödöllö, par la taille du château, et la proximité de Budapest était l’idéal.
136 pièces organisées autour de la grande salle centrale, un premier étage divisé à gauche pour les appartements du roi et à droite pour les appartements de la reine ( quelques pièces chacun), qui eux sont suivis d’une aile consacrée aux deux petits princes. 67 pièces pour le personnel, des écuries, un manège – on se souvient que la reine était la première écuyère d’Europe – un parc à l’anglaise, un village complet et des milliers d’hectares faisaient un ensemble digne d’Elisabeth.

Le salon d'Elizabeth (photo d'époque)

Le salon d'Elizabeth
Salons en enfilade de l'appartement d''Elizabeth
Lors de l’aménagement du château le confort fut préféré au faste. Les couleurs choisies furent pour les appartement de François-Joseph, le rouge – damas de soie brochée à profusion – et pour ceux d’Elisabeth, le violet, sa couleur favorite comme la violette l’était pour la fleur. 
Un service de table spécial fut créé pour le château par la manufacture de porcelaine de Herend (celui que l’on voit sur les photos est une copie de l’original qui fut détruit). Un mobilier complet plus confortable qu’élégant fut fabriqué – l’équivalent autrichien du style Napoléon III. Le mobilier que l’on voit n’est pas l’original détruit ou volé par les communistes. Il s’agit d’une reconstitution aussi proche du mobilier d’origine, inspiré par les appartements impériaux de Vienne. Bref, la nation hongroise offrit à sa reine adorée un nid pour qu’elle se sente enfin chez elle.

Service de table, copie de l 'original de la manufacture de Herend 

Pièce du service de table 
A l’automne 1867, la famille prit possession du domaine et à compter de cette date y résida plusieurs mois par an, essentiellement au printemps et à l’automne.

Deux vues du  bureau de François Joseph 
Elisabeth écrivit à sa mère la duchesse Ludovica : “ Ici, vous pouvez trouver un peu de tranquillité, pas de famille, personne pour vous contrarier, alors qu’à Vienne, il faut subir la foule impériale. Ici il n’y a rien pour me contraindre ou m’ennuyer, je peux y vivre comme dans un village et me promener à pied ou à cheval toute seule.” Pas d’archiduchesse Sophie à Gödöllö !

Elizabeth et François-Jospeh 
Les paysans connaissant le goût de la reine pour la solitude s’écartaient d’elle quand ils apercevaient sa silhouette.

Elizabeth à cheval 

L’élite cavalière de la Hongrie se pressait à Gödöllö au territoire si propice à la chasse. A leur tête le comte Gyula Andrássy, un des chefs de la révolte de 1848, désormais aux pieds d’Elisabeth et nouveau support de la dynastie. On a beaucoup jasé sur les relations entre la reine et le comte Andrássy.

Le comte Gyula Andràssy 
par Fyula Bencsùr en 1884 
 
La réalité est probablement que la reine s’est laissée adorer et que le comte s’est contenté de l’adorer. On est allé jusqu’à prétendre que l’archiduchesse Marie-Valérie aurait été le fruit d’amours adultérines. C’est mal connaître la psychologie d’Elisabeth, la vie de la famille impériale et la conscience de leur position que de l’affirmer. 

Le manège du château de Gödöllö 

Les écuries du château de Gödöllö
Certes Elisabeth vivait simplement – enfin selon ses concepts – Certes, elle recevait des bandes de musiciens tsiganes pour animer les soirées. Certes, elle se plaisait à Gödöllö mais elle n’a jamais oublié qu’elle était petite-fille de roi, née duchesse en Bavière, qu’elle était la souveraine de tant de peuples et que son mari, aussi, l’adorait. Elle avait une haute idée de son rang et sa simplicité n’était que de façade, histoire d’ennuyer un peu plus sa belle-mère, Vienne et la Cour.
L'archiduchesse Marie-Valérie 
L’archiduchesse Marie-Valérie, dite “l’enfant de la Hongrie” naquit à Budapest et fut la préférée de ses parents. Elisabeth l’éleva elle-même et son père l’adorait. Sissi insista pour que Marie Valérie reçoive une formation purement hongroise. Par une ironie de l’histoire, la petite archiduchesse devient une germanophile convaincue, en détestant la Hongrie. La ressemblance entre l’archiduchesse Marie-Valérie et l’empereur-roi était si frappante qu’aucun doute ne peut entacher la vertu de la reine Elisabeth.

Le salon d'attente d' Elizabeth au château de Gödöllö
La reine Elisabeth passa près de sept ans de sa vie en Hongrie. Son dernier séjour à Gödöllö fut du 2 au 24 octobre 1897. Après sa mort, à Genève, le 10 septembre 1898, Gödöllö tomba dans l’oubli. François-Joseph n’y séjourna que très peu – il y vint pour la dernière fois en 1911 – et Marie-Valérie, mariée à son cousin l’archiduc Franz-Salvator de Habsbourg-Toscane, n’y résida plus.
Fin octobre 1918, le roi Charles IV, couronné le 31 décembre 1916, y prit ses quartiers militaires, avec toute sa famille, et en compagnie de son état-major planifia les dernières batailles de la guerre avant l’effondrement final du front et les émeutes de Vienne et Budapest au début novembre 1918. Il y reçut divers membres du nouveau gouvernement hongrois parmi lesquels le comte Mihály Károlyi, le nouveau chef de gouvernement, aristocrate communiste, qui dut ensuite céder le poste à Bela Kun. 
En Hongrie, Mihály Károlyi est connu comme s’appelle « Le Comte Rouge ». Ironie de l’histoire sa femme était s’appellait Katinka Andrássy, petite-fille de Gyula Andrássy, l’admirateur d’Elisabeth. grand homme d’État de Monarchie et l’admirateur de la Reine Elisabeth. Elle est aussi connue la « Comtesse Rouge ».
Les enfants impériaux les archiducs Otto, Robert, Félix, Charles-Louis et l’archiduchesse Adélaïde furent les derniers membres de la dynastie à résider à Gödöllö. Charles et Zita avaient été contraints de regagner Vienne en laissant les enfants aux soins de leur gouvernante la comtesse Kerssenbrock et le frère de l’impératrice le prince René de Bourbon-Parme. La révolution avait éclaté à Budapest et ils durent quitter le château en catastrophe pour rejoindre leurs parents à Schönbrunn avant l’exil final qui les conduisit en Suisse. La page glorieuse de Gödöllö était tournée.
En 1919, la République Socialiste de Hongrie y installa le haut commandement militaire. Puis à partir de sa prise de pouvoir en 1920, le Régent Horthy en fit sa résidence de campagne pour plus de deux décennies. En 1933, il permit qu’y soit tenu le Quatrième Jamboree Mondial. Plus de 25 000 scouts venus de 54 nations campèrent autour du château. Après la prise de pouvoir des communistes en Hongrie en 1945, puis l’écrasement de Budapest en 1956, le château tomba en ruines.


 Le château de Gödöllö en 1968 

Autre vue du château de Gödöllö sous le régime communiste.
Depuis 20 ans une campagne de restauration importante a été entreprise. Elle est aujourd’hui pratiquement achevée.

Statue d'Elizabeth 
Il reste encore une aile et les écuries à restaurer mais l’ensemble des appartements royaux se visite et on y retrouve avec bonheur l’ensemble des souvenirs laissés par François-Joseph et Elisabeth.
Pas une visite à Budapest ne peut se faire sans aller à Gödöllö où le souvenir d’Elisabeth reste éternel. Consulter le blog de la baronne Sophie Manno de Noto pour en savoir davantage sur l’impératrice Sissi.  



06/02/2014

Schloss Hetzendorf - Le petit Schönbrunn

Tout le monde connait Schönbrunn, pour l’avoir visité ou pour en avoir entendu parler. Mais il est un petit château, à l’orée du parc, pas très loin, beaucoup moins connu parce que presque jamais visité. Il s’agit du château d’Hetzendorf, en allemand “Schloss Hetzendorf”.

Façade d'entrée
Son histoire commence à la fin du XVIIème siècle, quand le comte Sigismund von Thun und Hohenstein, après avoir acheté le terrain, en 1690, décide de faire construire un pavillon de chasse. En 1696, l’empereur Léopold Ier faisait débuter la construction de Schönbrunn, sur les plans et sous la direction du grand architecte viennois Johann Bernhard Fischer von Erlach(1656-1723), sur un terrain acheté par l’empereur Maximilien II en 1569.

Cour d'honneur
Depuis 1682, Louis XIV habitait Versailles et l’empereur se devait d’avoir une résidence du même genre. Les autres souverains et l’aristocratie européenne se devaient d’imiter les souverains français et autrichiens. Bon nombre de palais eut châteaux furent construits sur le modèle de Versailles et de Schönbrunn. La liste en serait fastidieuse, de Potsdam à Saint-Petersbourg. Pour ne citer que les plus célèbres encore en mains privées, Chatsworth en Angleterre et Eisenstadt en Autriche.

Façade sur la parc
Le comte von Thun und Hohenstein, lui, avait la chance d’avoir un terrain tout près du château impérial et il décida de faire appel au même architecte pour avoir son petit Schönbrunn. En 1694, comme Louis XIII à Versailles bien plus tôt, il fait édifier un pavillon de chasse. Mais il ne put achever son oeuvre. Après la mort de son oncle en 1709, l’héritière, la comtesse Eléonore von Thun and Hohenstein, épouse du prince Anton-Florian von und zu Liechtenstein, Grand Maître de la Cour et Premier Ministre de l’Empereur Charles VI, décida en 1712 de faire appel à Johann Lucas von Hildebrandt (1668-1745) pour transformer le pavillon de chasse en un château digne de ce nom.

Gravure de 1720
Avec Johann Bernhard Fischer von Erlach et Johann Lucas von Hildebrandt, il était difficile de ne pas placer la nouvelle construction sous le signe du baroque le plus pur.

En 1715, elle fait construire la chapelle et en 1719, elle agrandit la propriété et fait aménager le parc à la française.

Anton-Florian prince de et à Liechtenstein
La princesse mourut en 1723 et en 1742 ses héritiers vendirent Hetzendorf à l’impératrice Marie-Thérèse. Montée sur le trône en 1740, à la mort de son père, Charles VI, elle se trouvait “encombrée” d’une mère, Élisabeth-Christine, princesse de Brunswick-Wolfenbüttel, désormais impératrice douairière, au caractère pas très facile.

Élisabeth-Christine, princesse de Brunswick-Wolfenbüttel
Impératrice douairière
Les médecins de la cour eurent la bonne idée de trouver que l’air d’Hetzendorf était excellent et qu’il conviendrait parfaitement à la santé d’Elisabeth Christine. Il convenait également à la tranquillité du nouveau couple, pas encore impérial, François-Etienne ne sera empereur qu’en 1745, pris dans les tourments de la Guerre de Succession d’Autriche. Marie-Thérèse aimait sa mère qui le lui rendait bien, mais de préférence avec un peu de distance.

Petite Galerie
En 1745, l’impératrice fit appel à l’architecte autrichien, d’origine italienne, Nicolò Pacassi (1716-1790) pour agrandir le château. Pacassi a également travaillé pour la Cour à Schönbrunn, Budapest et Prague, dans l’extension et l’embellissement des châteaux.

Après la mort d’Elisabeth-Christine, le château resta vide, malgré une occupation temporaire en 1762, par les enfants ayant été inoculés contre la variole, et leurs familles, mis en quarantaine.

Grande Galerie
En 1789, Joseph II en fit également sa résidence provisoire, ses autres résidences ayant été inondées. Il s’y plut et voulut en faire une résidence permanente trouvant, lui aussi, l’air bon pour sa santé. Il agrandit le château de deux ailes de communs, créant ainsi cent cinquante chambres nouvelles pour loger famille et domestiques. Il faut se rappeler qu’à Vienne, à la différence de la Cour de France, seule la famille impériale résidait dans ses châteaux et palais. L’aristocratie ne vivait en aucun cas dans l’intimité de la famille impériale à l’exception de ceux qui y étaient momentanément en service.

La mort de Joseph II en 1790 mit fin à ces projets. Le château ne fut désormais habité qu’épisodiquement.

L’archiduc François-Maximilien d’Autriche, frère de Marie-Antoinette, Grand Maître de l’Ordre Teutonique, évêque de Munster et archevêque de Cologne, y résida quelques temps. La reine Marie-Caroline de Naples, née archiduchesse d’Autriche et également soeur de Marie-Antoinette, y mourut le 8 septembre 1814.

Plafond de la Grande Galerie
La mort de Joseph II en 1790 mit fin à ces projets. Le château ne fut désormais habité qu’épisodiquement.

L’archiduc François-Maximilien d’Autriche, frère de Marie-Antoinette, Grand Maître de l’Ordre Teutonique, évêque de Munster et archevêque de Cologne, y résida quelques temps. La reine Marie-Caroline de Naples, née archiduchesse d’Autriche, soeur de Marie-Antoinette, y mourut le 8 septembre 1814.

L’empereur François Ier y fit donner quelques fêtes et sous François-Joseph, Hetzendorf ne servit plus que de résidence pour les hôtes de la famille impériale. En 1873, lors de l’exposition universelle de Vienne, le Shah de Perse, la reine Victoria, l’empereur d’Allemagne y eurent leur résidence.

Un événement tragique y survint le 18 juin 1867, soit quelques jours après le couronnement de François-Joseph à Budapest. L’archiduchesse Mathilde, à l’âge de 21, lors d’un bal, voulant fumer une cigarette en cachette de ses parents mit feu à sa crinoline en tulle et fut brûlée vive. Le lendemain, le 19 juin, Maximilien d’Autriche, empereur du Mexique, était fusillé à Queretaro.

En 1911, le château retrouva sa fonction de résidence permanente. En effet, à l’occasion du mariage de son petit-neveu, et présomptif héritier en second, l’archiduc Charles, avec la princesse Zita de Bourbon-Parme, François-Joseph l’offrit comme résidence au jeune couple.

Charles et Zita au moment de leurs fiançailles
Il avait fait restaurer car le château avait subi d’importants dommages, faute d’une occupation régulière.

Selon l’impératrice Zita, il était impossible d’en bouger un meuble sans risquer de faire s’effondrer le plancher. Pour chauffer la grande demeure, le chauffage central a été installé et pour ne pas défigurer les pièces de réception par d’horribles radiateurs en fonte, Zita avait eu l’idée de les faire installer dans les cheminées, dissimulés derrière des grilles en bronze artistiquement ouvragées.

Chauffage central dissimulé derrière la grille de la cheminée
Salle des Laques
L’appartement de la jeune archiduchesse était au premier étage, au-dessus de celui de l’archiduc, au rez-de-chaussée. Pour pouvoir rejoindre son épouse sans avoir à passer par le grand escalier d’honneur ou l’escalier de service, Charles avait fait installer un escalier privé, dissimulé dans le fond de sa garde-robe, permettant de joindre les deux chambres, en toute intimité. Cet escalier existe encore.

Salon de l'archiduchesse Zita
Les enfants, l’archiduc Otto et l’archiduchesse Adélaïde, étaient installés au premier étage dans l’aile gauche du château.

La chapelle retrouva son usage permanent également, le jeune couple étant très pieux. La veille de la Nativité, en 1913, la jeune archiduchesse, enceinte, était seule à Hetzendorf. Charles n’était pas là. Il avait fallu un volontaire pour le service de caserne et Charles s’était proposé. En acceptant de servir ainsi, Charles avait permis à un autre officier de rester ce soir-là en famille.

Après avoir traversé la galerie, où les glaces dorées se renvoyaient sa silhouette, le salon aux vieux laques et la nursery, Zita était entrée dans la chambre d’Otto pour l’embrasser. Puis elle avait Zita prit l’escalier de pierre descendant directement vers le petit hall, au rez-de-chaussée de l’aile gauche du château, où se trouvait la chapelle baroque. En entrant pour entendre la messe de minuit, quelle ne fut pas sa surprise de voir une chorale dans le chœur. Elle, qui s’attendait à une messe basse, put entendre chanter des Noëls français et parmesans pour célébrer la venue au monde du Christ, les Noëls de son enfance. C’était le cadeau de son mari, loin d’elle ce soir-là.

Plan du château en 1900
1914 fut la dernière année de vraie vie au château d’Hetzendorf. Le 28 juin 1914 mit fin à la douceur de vivre dans l’Empire d’Autriche-Hongrie et emporta, avec l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo, tout un monde dans la tourmente, dont il ne releva pas. L’archiduc Charles et l’archiduchesse Zita vinrent s’installer à Schönbrunn, pour être plus près de François-Joseph.

Saisi comme tous les biens de la famille impériale en 1919, le château, désormais propriété de la république autrichienne, perdit tout son lustre. Un sculpteur et un violoniste, entre autres, y habitèrent dans des conditions bien éloignées des fastes d’antan.

Il subit des bombardements en 1945, qui heureusement n’abîmèrent pas l’habitation principale.

En 1947, après le bombardement
Hetzendorf abrite aujourd’hui, et ce depuis 1946, l’école de la mode à Vienne “Modeschule Wien im Schloss Hetzendorf”, qui après l’avoir loué de la Ville de Vienne, l’acheta en 1987.

De résidence impériale à laboratoire de mode, des archiduchesses aux cousettes, la chute est grande mais l’essentiel est que Hetzendorf soit toujours debout. Le temps de la splendeur est passé, même si le merveilleux décor baroque subsiste. Est venu le temps de l’efficacité ! 
Sphinge du perron



07/11/2013

Lucrèce Borgia, un destin royal


Lucrèce Borgia 
peinte par Bartolomeo Veneto
Née à Subiaco en Italie dans la province du Latium, le 18 avril 1480, Lucrèce Borgia était la fille naturelle de Roderic Llançol i de Borja (1431-1503), de noble famille espagnole, archevêque titulaire de Valence en Espagne, cardinal et vice-chancelier de la Sainte Eglise, depuis l’âge de 26 ans, nommé à ces postes prestigieux par son oncle le pape Calixte III et plus connu sous le nom d’Alexandre VI Borgia .

Alexandre VI Borgia, père de Lucrèce
Sa mère était Vanozza Cattanei (1442-1518), jeune fille de la bonne société de Mantoue. Mariée quatre fois, Vanozza (ci-dessous sur l’image) n’eût pas moins de deux papes pour amants, dont Jules II della Rovere, mais contrairement à ce qu’il est souvent dit, elle ne fut pas une courtisane, tout au plus une femme galante.
Vannozza Cattanei, mère de Lucrèce
La présence de bâtards reconnus au sein du Vatican peut surprendre aujourd’hui. Elle était pourtant commune à l’époque. Et il n’était pas choquant, pour la société du temps, de voir un homme d’Eglise, fût-ce le pape, avoir une descendance.
Les femmes avaient à la cour pontificale un rôle majeur, comme était majeure la puissance du pape, qui se comportait plus en prince temporel qu’en pasteur.
Lucrèce, avec ses frères, Giovanni, César et Gioffre, reçut à Rome une éducation des plus soignées. Adolescente, elle fut enlevée à sa mère pour être élevée au palais de son père, qui passait alors pour son oncle, par sa cousine Adriana de Mila, épouse de Lodovico Orsini et belle-mère de la nouvelle maîtresse du cardinal Borgia, Julia Farnèse, “la Bella Giulia”.
Le destin de tout ce petit monde cardinalice bascula quand, après avoir manqué deux fois l’élection, Rodrigue Borgia fut, à force de dépenses somptuaires et achat de voix, élu pape le 11 août 1492. Le 12 octobre de la même année Christophe Colomb découvrait l’Amérique.
Le règne pontifical le plus scandaleux de l’histoire de la Chrétienté commençait alors. Lucrèce et ses frères apprirent qu’ils étaient les enfants du nouveau pape, autrement dit au moins les égaux des autres princes de l’Europe, voire leurs supérieurs.
Sa beauté, déjà fort célèbre – une longue et épaisse chevelure blond, des yeux verts-noisettes, un visage régulier – sa grâce, son éducation, sa puissante parenté, la fortune de l’Eglise semblaient faire de Lucrèce un des grands partis de l’époque. Mais qui parmi les princes voulait d’une bâtarde fille de pape ? Les princes ne se bousculaient pas vraiment et ce d’autant moins que les infamies de la vie vaticane traversaient les murs des palais.
Mais Lucrèce devait être l’instrument de la politique de son père. Comment ne pas utiliser un si bel appât ?

Autre portrait présumé de Lucrèce Borgia 

Le premier qui se fit prendre dans les filets pontificaux fut Giovanni Sforza, seigneur de Pesaro, comte de Catignola, membre certes mineur de l’illustre maison milanaise, mais Sforza tout de même. Leurs noces furent célébrées le 12 juin 1493 à Rome.
La jeune fille de treize ans, entourée des dames de la noblesse romaine, de ses frères et de la maîtresse de son père Julia Farnèse, fut mariée par ce dernier. Une fête somptueuse fut donnée au Vatican.
Portait anonyme de Giovanni Sforza,
 premier mari de Lucrèce

Giovanni Sforza n’est pas un époux empressé et pour Lucrèce. La vie continua comme auparavant dans sa nouvelle demeure offerte par le pape, le Santa Maria in Portico, aux portes mêmes du Vatican. Musique, poésie, bavardages, festins somptueux constituaient le quotidien de la princesse pontificale.
Mais rapidement Giovanni Sforza ne fut plus utile aux manigances pontificales. La mort du roi de Naples, le 25 janvier 1494, offrait au pape une possibilité de rapprochement avec les Aragon. Reconnaissant Alphonse comme nouveau souverain et mariant son dernier fils, Gioffre, à Sancie la fille du roi napolitain, le 7 mai 1494, Alexandre VI rompit son alliance milanaise, car Ludovic Sforza ne reconnut pas les droits de l’Aragonais.
Giovanni, cousin de Ludovic, ne savait que faire et tenta de jouer sur les deux tableaux, entre sa famille et celle de sa femme. Il était de toutes façons désormais inutile à la politique pontificale. On programma alors sa mort mais Lucrèce, bien qu’elle n’aimât pas cet homme orgueilleux et violent, le prévint à temps. Il put ainsi prendre la fuite.  Lucrèce trouva refuge pour quelques temps au château de Gradara.

Château de Gradar

Le pape imagina alors de lui faire avouer son impuissance afin de prouver que le mariage n’avait pas été consommé. C’était bien sûr faux, le mariage avait été tardivement consommé, mais consommé. Que faire ? Moyennant un aveu et la conservation de la dot de sa femme, Giovanni Sforza reconnut les faits et le mariage fut annulé le 18 novembre 1497.
Cet évènement eut des conséquences néfastes sur la réputation de Lucrèce car Giovanni déclara ouvertement : « Si on m’enlève ma femme, c’est que le pape souhaite avoir la liberté de jouir lui-même de sa fille ». Cette phrase fut le début de la légende d’inceste qui entoura Lucrèce, soupçonnée d’être la maîtresse de son père, puis de ses frères. Rien toutefois n’a jamais permis de vérifier la chose; les historiens s’accordent sur son manque de vérité. Cette légende eût toutefois la vie longue.
A 17 ans, Lucrèce était désormais libre. Avant même le prononcé de l’annulation, ayant fui la cour pontificale, Lucrèce, lassée d’être le jouet politique de sa famille, se réfugia dans un couvent. Son père envoya en vain une troupe la chercher. Devant son refus, il changea de stratégie et lui envoya son camérier, Perotto, un jeune espagnol de vingt-deux ans. Lucrèce tomba assez vite sous le charme de ce séduisant jeune homme et amoureuse, découvrit le plaisir sexuel dont l’avait privée son mari. Chose surprenante dans une cour aux mœurs si libres, Perotto fut son premier amant. Contrairement à la légende noire, les chroniqueurs de l’époque vantaient la vertu de la jeune femme.

Les appartements des Borgia au Vatican
Amoureuse de Perotto, Lucrèce sembla en avoir été enceinte. Il n’existe toutefois aucune autre preuve que l’apparition en 1501 à la cour pontificale (ci-dessus les appartements Borgia au Vatican), d’un bébé, Giovanni Borgia. Déclaré tout d’abord fils de César, puis fils du pape lui-même, par deux bulles successives et contradictoires, Giovanni Borgia finit sa vie avec celle qui était sa tante, sa sœur ou sa mère. Mais Lucrèce amoureuse ne faisait pas l’affaire du pape et de son fils, César, qui avaient de nouveaux projets matrimoniaux pour elle. Un jour de février 1498, César poignarda Perotto, sous les yeux d’Alexandre, qui tenta, malgré tout, de protéger l’amant de sa fille.

Cesare Borgia, duc de Valentinois  frère de Lucrèce
peint d'après Correggio par Dosso Dossi entre 1517 et 1519
Ci-dessus, Cesar Borgia, duc de Valentinois, frère de Lucrèce. Les nécessités de la vie politique de sa famille avaient donc rattrapé la jeune femme. Lucrèce. Elle devait cette fois être le lien qu’Alexandre VI jugeait nécessaire entre les Etats pontificaux et le royaume de Naples. Le prince Alphonse (1481-1500), bâtard du roi Alphonse II fut choisi comme deuxième époux. C’était un un lien de plus entre les familles Borgia et d’Aragon, Sancie, la soeur d’Alphonse, ayant épousé Gioffre, Borgia, frère de Lucrèce.
L’avis de cette dernière n’avait pas été sollicité et elle attendait avec appréhension la venue de son fiancé. Oubliant Perotto, Lucrèce tomba amoureuse d’Alphonse, et lui d’elle. Le mariage fut célébré le 21 juillet 1498. La demeure des amoureux comblés, tous deux cultivés et mondains, fut désormais le lieu obligé de rencontre de l’aristocratie de naissance, des arts et des lettres de la Rome des Borgia, qui ne manquait pas de talents que le pape savait utiliser pour la plus grande gloire de sa cour.
La Rome des Borgia fut aussi celle de Pinturecchio qui peignit les fresques des appartements pontificaux, elle vit aussi Michel-Ange sculpter sa “Pieta” et Bramante programmer la grande colonnade du Vatican.

Lucrèce Borgia représenté en Sainte Catherine d'Alexandrie
Fresque par Pinturicchio. Vaticanp 

Mais César Borgia, le terrible frère, veillait hélas. Souhaitant épouser Charlotte d’Aragon, soeur d’Alphonse, afin de s’assurer du trône de Naples, César fut refusé. Envoyé à la cour du roi de France, Louis XII, César se vit offrir par ce dernier qui voulait s’attirer les bonnes grâces du pape, la princesse Charlotte d’Albret et le duché de Valentinois. Louis XII envisageait en effet de conquérir Naples et le Milanais. Le mariage de César et son séjour en France offrirent à Lucrèce un moment de répit. Mais en 1499, le duc de Valentinois, abandonnant femme et enfant, rentra à Rome.
Alphonse d’Aragon, désormais en danger, tout gendre du pape qu’il ait été, dut fuir Rome le 2 août. Il demanda à Lucrèce de le rejoindre mais cette dernière, quasi prisonnière de sa famille, ne put le faire immédiatement. Nommée gouverneur de Spolète, qu’elle administra très bien, elle put y accueillir son mari le 9 septembre. Mais le pape s’est officiellement déclaré en faveur de la France, donc contre Naples, César et Louis XII entrèrent dans Milan, fin septembre. Sans les prévenir de ces évènements, Alexandre VI demanda à sa fille et à son gendre de regagner Rome, ce qu’ils firent.
Lucrèce y accoucha d’un fils, Rodrigue, à la plus grande joie du grand-père. Tout sembla se calmer pour le jeune couple jusqu’à ce que César décidât d’intervenir à nouveau dans la vie de sa sœur. Il lui fallait se débarrasser d’Alphonse pour mener à bien, en compagnie du roi de France, ses projets napolitains. Alexandre VI, admiratif des exploits militaires de son fils mais tout en le craignant, le nomma gonfalonier de l’Eglise, soit général en chef des armées pontificales. César décida alors de s’ouvrir la voie du trône de Naples et d’utiliser à nouveau Lucrèce comme appât matrimonial. Le 15 juillet 1500, il organisa une première tentative de meurtre contre son beau-frère. Ce fut un un échec car Alphonse poignardé ne mourut pas. Lucrèce ne quittait plus la chambre de son mari après avoir demandé à son père de la protéger. Trois jours plus tard, César fit étrangler Alphonse par son homme de main, Micheletto Corella.

 Cesare Borgia
 par Altobello Mellone.
Lucrèce, désemparée, garda la chambre sans manger et son père tenta de la sortir de son désespoir tout en pensant de nouveau à ses intérêts politiques.
Car Lucrèce ne pouvait pas rester une veuve inconsolable. Elle valait trop cher à la bourse des affaires matrimoniales. Son père arrangea donc un troisième mariage. Cette fois, on visa encore plus haut : Alphonse d’Este, futur duc de Ferrare. La Maison d’Este était la première maison d’Italie et probablement la plus ancienne. La maison d’Este est, entre autres, l’ancêtre des ducs de Brunswick et donc des actuelles Maisons de Hanovre et de Windsor. Alphonse descendait des premiers marquis de Toscane au IXe siècle et, comme beaucoup de princes, de Charlemagne. Son père était le souverain de Ferrare, un des états les plus cultivés et les plus riches du nord de l’Italie. Et il n’était pas bâtard, sa mère en effet était Eléonore d’Aragon, princesse royale de Naples.
Pourquoi Alphonse d’Este, au-delà de l’immense richesse et des puissantes relations de sa famille ? Son père était l’allié du roi de France et était un ennemi de sa voisine, Venise, également hostile au pape.

Alphonse d'Este, duc de Ferrare
 troisième mari de Lucrèce

Cette union devait donc servir les intérêts du pape et de son fils César dans leur projet de porter la maison de Borgia sur un trône royal et les armées du duc de Ferrare ne pouvaient que d’être d’un grand secours, doublant celles du roi de France.
Mais les Este étaient plutôt réticents au mariage car les rumeurs d’inceste avaient fait leur chemin et les Borgia n’étaient pour eux que des parvenus scandaleux.
L’intercession du roi de France en faveur de Lucrèce fit son effet et le contrat de mariage fut signé le 26 août 1501 par les ambassadeurs des deux familles sous la condition que la moitié de la dot de deux cent mille ducats exigée par Hercule d’Este, le père d’Alphonse, soit versée avant l’alliance officielle.
Alexandre VI se rendit célèbre par la fameuse orgie du 31 octobre 1501. Les convives durent faire preuve de leur virilité, sous l’arbitrage des enfants du pape. Le scandale fut immense dans toute la Chrétienté.
Lucrèce, ayant fini par admettre la nécessité de son mariage, œuvra aussi pour sa réussite. Elle obtint du pape qu’il diminuât la redevance annuelle due par Ferrare au Vatican ( de 4000 à 100 ducats) et qu’il leur attribuât en outre quelques évêchés.
Le 6 janvier 1502, Lucrèce, enfin libre de son père et de son frère, quitta Rome, abandonnant à contrecœur son fils Rodrigue d’Aragon. Elle était désormais mariée avec l’héritier de la famille la plus puissante d’Italie. Toutefois, elle garda toujours son affection à son père qu’elle ne revit jamais.
A Ferrare, où elle fut bien reçue par sa nouvelle famille, Lucrèce trouva une cour brillante, sans doute la plus brillante d’Italie. En effet les Este patronnaient les arts, et en particulier la musique. L’Arioste et Josquin des Près sont des noms que l’on peut accoler à celui des Este. Le 12 février 1502, le mariage était célébré par une grande fête. Lucrèce avait 22 ans.
Sa nouvelle belle-soeur, Isabelle d’Este (1474-1539), marquise de Mantoue, fut une des figures proéminentes de la Renaissance, reconnue par tous pour son goût des arts et du vêtement. Après une période d’hostilité, probablement due une jalousie réciproque, les deux femmes furent des grandes amies le reste de leurs vies.

Isabelle d'Este par Le Titien
Logée au Palazzo Vecchio, qu’elle détestait, elle sut toutefois en faire un lieu agréable à habiter et y tenir une cour brillante, où sa culture, son intelligence et ses talents furent appréciés de son beau-père.
Elle accoucha, le 5 septembre 1502, d’un enfant mort-né avant terme. Mourante, elle fut soignée pas son mari qui l’aimait. Rétablie, elle reprit sa vie de cour, entourée d’artistes et d’écrivains. Elle eut, dit-on, une aventure avec Pietro Bembo, l’un de ses admirateurs. Son mari les découvrit et se contenta de les séparer.
Le 18 août 1503, Alexandre VI mourut. Lucrèce risquait alors de devenir inutile aux Este et son frère lui être à nouveau nuisible.
Conservant l’affection de sa belle-famille, bien qu’elle n’eût pas encore donné d’héritier, elle n’en soutint pas moins son frère contre le nouveau pape, Jules II della Rovere, ennemi juré des Borgia. Mais César, désormais sans l’appui du roi de France, défait par le roi de Naples, emprisonné, fut envoyé en prison en Espagne, à Valence dont il a été le cardinal titulaire.
Ferdinand et Isabelle, les rois catholiques avaient fait savoir à Naples “qu’ils tenaient cet homme en horreur pour la gravité de ses crimes et qu’ils désiraient qu’il leur soit envoyé soit bonne escorte…” Le 20 avril 1507, César Borgia mourut après s’être évadé. Malgré un chagrin, difficilement compréhensible car il avait tué deux des hommes qu’elle avait aimé et joué avec sa vie , Lucrèce fut enfin soulagée. Elle put dès lors se consacrer exclusivement à Ferrare dont elle était la duchesse depuis le 21 janvier 1505.

Lucrèce,  duchesse de Ferrare
 peinte par par Bronzino
Le nouveau souverain de Ferrare avait confiance en son épouse et lui donna la présidence de la Commission pour l’examen des suppliques. Il sut également en faire un instrument de charme de sa politique étrangère. Allié de la France, de l’Espagne, de l’Empereur Maximilien et du pape Jules II, Alphonse bat les armées de la Sérénissime République de Venise en 1509. Mais le pape changea de camp et demanda à Alphonse d’en faire autant. Devant son refus le duc de Ferrare fut excommunié et vit le cens de sa ville passer de 100 à 35000 ducats. Après une victoire aux côtés du chevalier Bayard, Alphonse est fait prisonnier le jour de Pâques 1512, mais réussit à s’enfuir.
Mère d’un héritier, Hercule, depuis le 4 avril 1508, Lucrèce, en vraie duchesse, fit face. Elle acheta des vivres, mit sa fortune en gage pour renflouer les caisses de l’Etat. Et à l’automne 1512, Alphonse Ier revint à Ferrare.


Lucrèce et son fils Hercule dEste

Le 21 février 1513, après la reprise des hostilités, Jules II mourut. Le nouveau pape, Léon X, en signe de conciliation, invita Alphonse à son couronnement. Le nouveau roi de France, François Ier, déclara au pape prendre le duché de Ferrare sous sa protection.
L’année 1515 fut pour Lucrèce l’année de tous les bonheurs. L’Arioste la plaça au firmament des femmes célèbres. Le Titien s’attaqua au décor du palais ducal. Son couple a été consolidée par les épreuves.

Palais ducal de Ferrare

Après avoir eu le bonheur de donner naissance à un troisième garçon, François, Lucrèce vécut à nouveau des années de malheur. En 1517, elle perdit son dernier frère vivant, Gioffre, puis en 1518, sa mère Vanozza Cattanei. Plus rien ne la rattachait désormais à son passé romain. Prenant conscience de la fragilité des choses, et au vu de la détérioration de son état de santé, Lucrèce mit ses affaires matérielles en ordre et s’occupa de l’avenir de ses enfants. Comblée par son mari, qui ne savait comment la remercier de tout ce qu’elle avait fait pour le duché, en temps de guerre comme en temps de paix, Lucrèce fut de nouveau enceinte mais l’enfant, une petite fille, mourut à la naissance. La duchesse de Ferrare (ci-dessus le palais de Ferrare)ne survécut pas à cette naissance difficile et mourut le 24 juin 1519.
Le 14 juin 1519, Lucrèce Borgia met au monde une petite fille frêle qui meurt aussitôt. Puis, comme quelques années auparavant, elle est victime d’une fièvre puerpérale. Cette fois-ci, elle ne s’en remettra pas : elle meurt le 24 juin. Elle fut pleurée par son mari, sa famille et le peuple de Ferrare.
Née bâtarde, elle mourut en vraie princesse et reconnue comme telle par tous ceux qui l’on approchée. La légende noire fut toutefois tenace. Messaline pontificale, inceste et meurtrière, telle fut l’image que l’on garda d’elle longtemps. Et pourtant, elle fut surtout la victime de la politique de son père et de son frère. Reconnue pour diplomate, amante des arts, femme intelligente et cultivée, aimée des siens et les aimant en retour, elle sut élever sa cour au niveau le plus haut de la culture européenne.


Blason de la famille d'Este 
Blason des Borgia 





















Le duc et la duchesse de Ferrare, Alphonse d’Este et Lucrèce Borgia, eurent six enfants parmi lesquels deux fils, Hercule II d’Este, duc de Ferrare (1508-1559) époux de Renée de Valois-Orléans (1510-1575), princesse de France, fille de Louis XII et la duchesse Anne de Bretagne, et François (1516-1578).
Par ses deux fils, Lucrèce Borgia, est l’ancêtre de la plupart des maisons souveraines et princières actuelles.
François dont on ne connait pas le nom de la mère de sa fille, Marfisa d’Este, épouse d’Alderano Cibo, marquis de Carrara, est l’ancêtre direct des Bourbons de Parme actuels. Le duc Robert Ier de Parme fut son descendant à la douzième génération.
Hercule II est l’ancêtre des Bourbons actuels, par Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712), sa descendante à la septième génération, épouse de Louis de Bourbon, duc de Bourgogne. Il est aussi l’ancêtre des Orléans, par François I de Lorraine, son descendant à la neuvième génération, époux de Marie-Thérèse d’Autriche, mais aussi par bien d’autres lignes, qu’il serait fastidieux d’énumérer.
Plus largement donc, Lucrèce Borgia est l’ancêtre des familles royales d’Espagne, de Belgique, de Luxembourg, des princes des Maisons d’Orléans, de Portugal, d’Autriche, de Bavière, du Brésil, de Saxe et des Bourbons de Parme et des Deux-Siciles. Elle mérite à ce titre de figurer, à l’instar d’Aliénor d’Aquitaine, et de bien d’autres princesses, au Panthéon de Noblesse et Royautés.

Hercule1 d'Este.