02/08/2022

L'Aiglon - Quatrième partie : Les grandes amitiés

 Les grandes amitiés

Le comte Dietrichstein à partir de 1830, année qu’il avait fixée pour son émancipation, commence à pouvoir être satisfait de son élève.

Comte Maurice Dietrichstein en 1837 par Daffinger

Fränzchen, le “Petit François” est devenu un bel homme, montant élégamment à cheval et dansant de même aux bals de la cour. Dès 1824, lors du bal donné à l’occasion du mariage de l’archiduc François-Charles et de la princesse Sophie de Bavière, ses talents avaient été remarqués. Les princesses de Bavière, surtout Louise, avaient été sous le charme du jeune Reichstadt.


Princesse Louise de Bavière

Dietrichstein rapporte avec vanité le 27 novembre 1824 : “On admire sa stature, sa tenue, en un mot tous ses mouvements ; il est d’une politesse exquise ; par exemple il apprit pendant une valse avec une princesse Liechtenstein que le prince Schönburg l’avait engagée et que celui-ci l’avait cédée au duc. Il pria aussitôt le prince Schönburg de danser avec elle un tour de valse. En général il, excite l’enthousiasme des cours de Bavière et de Saxe ; il est très galant surtout avec la princesse Louise (Ludovica de Bavière) ce qui amusa beaucoup ses sœurs et leurs dames. 


Archiduchesse Sophie peu avant son mariage

Après le bal j’eus l’honneur de dîner avec lui chez la reine  ( de Bavière) qui causa ensuite longuement avec moi et presque tout le temps du prince qui la ravit…Il pétille d’esprit, sa conversation est pleine de finesse et les égards qu’il a pour tout le monde, avec les nuances justes, lui donnent une aisance que l’on ne trouve pas à son âge.”

Archiduc François-Charles en 1825

Le mauvais élève, sorti de la salle de classe, devenait un charmant jeune homme.

La reine de Bavière, Caroline, en avait félicité le comte Dietrichstein en lui disant  “Permettez-moi de vous féliciter. Votre élève ne manque pas de répartie. Cela est même étonnant de la part d’un si jeune homme. J’y vois là les bienfaits de votre éducation.” Il avait répondu : “Je dois avouer que, si j’ai eu l’honneur d’enseigner quelques rudiments d’Histoire au duc de Reichstadt, je ne mérite en rien le compliment de Votre Majesté. C’est au prince seul qu’il revient.”

La reine de Bavière, née princesse Caroline de Bade


Le jeune prince et son précepteur avaient été conviés, lors du dîner qui avait suivi le bal, à la table de la reine. Celle-ci avait enfin laissé tomber ses préventions contre Napoléon pour se laisser séduire par son fils. L’esprit et la finesse de Franz l’avait séduite et elle tenait à le faire savoir. Aussi ne tarit-elle pas d’éloges sur lui quand le jeune homme se fut éloigné. Maurice Dietrichstein était comblé par le succès de son élève, qu’il n’hésita pas à rapporter à l’empereur, pour sa plus grande joie. 



Le duc de Reichstadt

Maurice Dietrichstein était un homme de grande culture, mélomane et compositeur à ses heures, ayant mis en musique des poèmes de Goethe. Il organisa des concerts pour Beethoven et patronna Schubert. Son avis favorable à son élève comptait d’autant plus. A la mort de celui-ci, il prit la direction des théâtres et de la musique à la Cour impériale. En 1838, il acquit, pour la bibliothèque impériale, le manuscrit du requiem de Mozart. Il sera fait chevalier de la Toison d’Or en 1836. Homme ouvert, il était opposé au système de la Sainte-Alliance mis en place par Metternich.

Le 27 novembre 1826, il annonça à Marie-Louise que son fils était extrêmement bien intégré à la cour et qu’il nourrissait désormais de grands espoirs pour lui : “Tout le monde se réunit à dire qu’il peut devenir un prince accompli. Il pétille d’esprit, ses discours sont remplis de finesse et les égards qu’il témoigne à chaque personne, avec des gradations fort justes, lui donnent déjà un aplomb qu’on ne trouve guère à son âge.”


Un beau jeune homme

En 1828, comme le note l’archiduchesse Sophie, il assistait aux opéras donnés à la cour, dont “La pie voleuse” de Rossini.

Il assiste aux dîners donnés par elle, en compagnie des oncles et tantes présents à Vienne. On y fait aussi de la musique après le repas.

Peu de temps après, Reichstadt et Sophie se rendirent ensemble au théâtre, pour assister à la représentation de la pièce “Le mariage d’amour”, dans laquelle un acteur apparait en uniforme de général français, Reichstadt, assis à côté de Sophie, se pencha vers elle et lui dit d’un ton navré : “c’est ainsi que nous étions” puis il ajouta “si seulement c’était encore le cas !”. Pour plaisanter, je lui ai donné un léger coup sur la joue avec mes jumelles de théâtre. Cela ne doit pas vous surprendre, chère Maman, que Reichstadt se laisse aller à s’exprimer ainsi sur son passé glorieux ; Il en parle très souvent et c’est finalement mieux, que lorsqu’il cachait ses pensées et ses sentiments ». ( lettre à la reine de Bavière du 18 mars 1829)


Quand Marie-Louise revint en Autriche en 1828, elle retrouva un jeune homme transformé, brillant, souhaitant avec ardeur entrer dans l’armée, mais en même temps très sensible,  voire romantique, adorant la nature. Elle lui fit alors découvrir ses peintures de paysage, qui étaient son jardin secret.  Reichstadt passa beaucoup de temps avec sa mère et fut affecté de la voir rentrer en Italie : “L’effet que le départ de Votre Majesté a produit sur le prince est celui que j’attendais de son cœur. Il a beaucoup pleuré, il est resté longtemps sans me parler et je me suis bien gardé de détourner ses pensées de l’idée qui seule doit l’occuper. Il sent vivement la douleur d’être séparé de Votre Majesté” écrit Dietrichstein le 1er octobre 1828.

Anton de Prokesch-Osten en 1830

En 1830, entre aussi dans la vie du jeune prince, celui qui deviendra son ami, son seul ami, le comte de Prokesch-Osten (1795-1876). Il fut une des personnalités des plus remarquables en Autriche, de par son intelligence, sa haute stature morale, et l’importance des postes qu’il a occupés. En 1815, à 20 ans, il était officier d’ordonnance de l’archiduc Charles, puis il fut aide camp du maréchal prince Schwarzenberg. En 1824, il fut envoyé en Orient pour étudier la situation de la Grèce. Il devint un orientaliste et un numismate distingué.

Quand il rencontre le duc de Reichstadt, il vient d’être nommé chevalier avec le titre de l’Orient, d’où Prokesch-Osten. Les Prokesch n’étaient pas issus d’une famille de la noblesse. Le premier ancêtre connu était commerçant en 1700 en Moravie, à Groß-Seelowitz près d’Auspitz.

Son amitié pour le duc de Reichstadt fut sincère car il ne pouvait rien en attendre et après la mort de Franz, seuls ses talents de diplomate lui valurent d’être ambassadeur à Athènes, après avoir fait faire la paix entre le pacha d’Egypte, Mehemet-Ali, et le sultan, Mahmoud II. Il joua un rôle important dans les rapports entre la Prusse et l’Autriche, s’opposant fréquemment à Bismarck. En 1855, il fut nommé ambassadeur à Constantinople où il resta seize ans. A la fin de son ambassade, François-Joseph, en 1871, le créa comte.

La grande probité morale et intellectuelle de Prokesch-Osten rend ses mémoires dignes de grand intérêt car s’il a été l’ami de Franz, il ne s’est jamais privé de lui dire ce qu’il pensait. Sa relation de leur amitié est précieuse pour connaître la dernière année de la vie du prince.

“Le 22 juin 1830 à Graz, j’eus l’honneur d’être invité  la table impériale. Placé en face de l’Impératrice, j’avais en face de moi le duc de Reichstadt, assis vis-à-vis de l’Empereur. Ce beau et noble jeune homme aux yeux bleus et profonds, au front mâle, aux cheveux blonds et abondants, le silence sur les lèvres, calme et maître de lui-même dans son maintien, fit sur moi une impression vraiment extraordinaire.” (Comte de Prokesch-Osten - Mes relations avec le duc de Reichstad- Commentaires et notes de Jean de Bourgoing - Librairie Plon-1934.)

Et Prokesch-Osten de continuer : “Le comte Maurice Dietrichstein me proposa de me conduire à l’instant même auprès du jeune prince. Je le suivis avec plaisir. À mon entrée, le duc, dont l’attitude ne ressemblait en rien à celle de la veille, accourut au-devant de moi avec toute la pétulance de la jeunesse, le regard animé et plein de confiance. Il s’écria :   « Vous m’êtes connu et je vous aime depuis longtemps. Vous avez défendu l’honneur de mon père à un moment où chacun le calomniait à l’envi. J’ai lu votre mémoire sur la bataille de Waterloo et pour mieux me pénétrer de chaque ligne, je l’ai traduit par deux fois, d’abord en français puis en italien »

Jeu de carte hongrois en 1829 - Héros de l'indépendance grecque

Prokesch-Osten jouera un rôle important dans la vie du prince en lui ouvrant les yeux sur ce que pourrait être son destin : “Je répondis dans les termes que m’inspira le désir de me lier étroitement avec ce beau jeune homme si délaissé de ce monde. Le comte Maurice Dietrichstein amenât la conversation sur la Grèce…J’avais déjà la veille, après le dîner avec la Famille Impériale, soutenu l’opinion que, malgré des conditions défavorables résultant de la guerre, de l’anarchie, des factions, d’une mauvaise administration, la Grèce, si on lui donnait pour roi un prince d’une dynastie européenne, …marcherait très rapidement vers un florissant avenir. En présence de l’archiduc Jean, de Maurice Dietrichstein, du colonel de Werklein (à l’époque envoyé de l’Autriche à Parme) j’avais, profitant d’un instant où le duc de Reichstadt était occupé ailleurs, glissé dans le cours de la conversation l’idée que le trône de Grèce, manquant de prétendant depuis le refus du duc de Cobourg, ne pourrait être donné à un plus digne que le fils de Napoléon. Cette proposition avait, à ma grande surprise, reçu l’approbation générale. L’Impératrice elle-même, qui, durant cette conversation, s’était rapprochée de nous n’y paraissait pas opposée…Nous étions seuls (avec le duc), c’est-à-dire qu’il n’y avait avec nous que Maurice (Dietrichstein). Au début parlé de l’Orient et de la Grèce. Je jetai dans le cœur de l’adolescent les germes du désir de ce noyau d’un royaume futur, tout comme hier j’ai gagné à cette idée l’archiduc Jean, Maurice Dietrichstein et aujourd’hui le colonel Werklein et même vaguement parlé de cela avec l’Impératrice. Il s’empara de cette idée avec un sérieux qui trahissait la flamme intérieure.” (Journal de Prokesch-Osten en date du 23 juin 1830)



Colonel Werklein( 1777- 1849)

Mais si la Grèce ne fut pas pour lui, car son trône fut attribué à Othon de Bavière (1815-1867), frère du roi, il y avait aussi le trône de Belgique qui cherchait un occupant. 

Journées de septembre 1830 à Bruxelles par Wappers

Le 25 août 1830 Bruxelles avait donné le signal en se révoltant contre l’autorité des princes d’Orange-Nassau, souverains des Pays-Bas, auxquels le Congrès de Vienne avait étendu leurs pouvoir sur les anciens Pays-Bas autrichiens, et ce sans consulter les populations en question. Révolution et Empire y avaient établi la souveraineté française, l’empire déchu, les Belges n’avaient pas compris que l’on dispose ainsi de leur territoire, sans créer un état souverain. Il est inutile d'entrer dans les détails de l’indépendance de la Belgique et la création du nouveau royaume, sous l’égide et avec l’assentiment du Royaume-Uni et de la France. Une fois les territoires belges récupérés et indépendants des Pays-Bas, il fallait un souverain au nouvel état. Il y avait plusieurs candidats possibles. Dix-neuf étaient en lice, parmi lesquels : Lafayette, le pape, Charles d’Autriche, duc de Teschen, vainqueur de Napoléon à la bataille d’Aspern, le prince Othon de Bavière, frère du roi, le duc de Nemours, le duc de Leuchtenberg, le duc de Reichstadt et bien d’autres. Il semblait que l’une des conditions du choix ait été que si le candidat n’était pas marié, il devait épouser la princesse Louise d’Orléans, fille du roi des Français.

Le duc de Nemours, fils de Louis-Philippe et le duc de Leuchtenberg, fils du prince Eugène de Beauharnais et de la princesse Auguste de Bavière, neveu de l’archiduchesse Sophie, mais aussi frère de la reine de Suède et de l’impératrice du Brésil étaient donc les seuls candidats sérieux choisis par pétition. Mais Leuchtenberg, bien que prince de Bavière, n’en  était pas moins un “napoléonide”. Et Nemours est prince d’un pays dont la Belgique avait mille raisons de se méfier.

A Munich et à Vienne, les esprits familiaux s’agitaient devant ces candidatures. Othon de Bavière, le fils du roi, donc le neveu de Sophie, ou Eugène de Lechtenberg, cousin germain du roi mais aussi neveu de Sophie. La candidature du troisième neveu, cette fois-ci par alliance, le duc de Reichstadt ne pouvait en aucun cas être considérée sérieusement. Metternich n’avait pas voulu de lui comme héritier du minuscule duché de Parme. En faire un rois des Belges était impensable.

Léopold Ier, roi des Belges

Au vote du Congrès, Léopold, duc de Saxe-Cobourg-Gotha, le dernier choix par défaut, obtint 152 suffrages sur 196. Il fut déclaré roi des Belges avec quelques rares applaudissements dans la salle. Le 26 juin 1831, il a accepté la proposition qui lui était faite. Une nouvelle dynastie était fondée.  Et les espoirs du duc de Reichstadt définitivement envolés. Il ne serait ni roi de Grèce, ni roi des Belges. Franz se posait des questions sur son avenir. Il était né prince français, il était maintenant un duc autrichien, membre à part entière de la Maison d’Autriche, et il sentait bien que son nom avait une valeur d’espoir pour beaucoup, dans ses deux pays. Prokesch-Osten rapporta “…Il se plaignit de son isolement et il épancha son âme en ces mots :   « Restez auprès de moi ; sacrifiez-moi votre avenir ! Nous sommes faits pour nous comprendre !…Si je suis appelé à devenir pour l’Autriche un autre prince Eugène, la question que je me pose est celle-ci : comment me sera-t-il possible de me préparer à ce rôle ? Je me sens hésitant devant le choix d’un homme capable de m’initier aux hautes exigences et aux nobles devoirs de la carrière militaire. Je n’ai et ne vois aucun homme de ce mérite dans mon entourage…Parlez-moi franchement, s’écria-t-il, ai-je quelque mérite et si je suis appelé à un grand avenir, ou n’y a-t-il rien en moi qui soit digne qu’on s’y arrête ? Que pensez-vous de mon avenir ? Qu’en sera-t-il du fils du grand empereur? L’Europe supportera-t-elle qu’il occupe une position indépendante quelconque ?

Le début d’une Légende

Comment concilier mes devoirs de Français avec mes devoirs d’Autrichien ? Oui si la France m’appelait, non pas la France de l’anarchie, mais celle qui a foi dans le principe impérial, j’accourrais et si l’Europe essayait de me chasser du trône de mon Père, je tirerais l’épée contre l’Europe entière. Mais y a t il aujourd’hui une France impériale ? Je l’ignore. Quelques voix isolées, quelques voix sans influence ne peuvent être d’aucun poids… .Si c’est ma destinée de ne jamais rentrer en France, je désire devenir sérieusement pour l’Autriche un autre prince Eugène. J’aime mon grand-père. Je sens que je suis un membre de sa famille et pour l’Autriche, je tirerais l’épée volontiers contre le monde entier, hors la France. »

Prokesch-Osten en 1834

“Il aimait son grand-père d’un amour filial ; car depuis le jour où tout enfant il fut emmené à Vienne, il avait trouvé en lui la tendresse d’un père. Il avait pour jouer son petit coin dans la chambre de l’Empereur, passait la moitié de ses journées à ses côtés, mangeait avec lui quand l’Empereur dînait seul, partageait avec lui les plaisir de la villégiature, enfin grandissait près de lui pareil à la branche greffée sur une souche étrangère ; mais il ajouta qu’il n’avait pas oublié un seul instant de qui il tenait le jour et en quels lieux reposaient les cendres de son père.” dira Prokesch-Osten. 

Franz  en 1830


Mais ce n’est pas avec l’empereur, son grand-père, qu’il pouvait parler de l’empereur, sont père. A la cour, il n’y avait que l’archiduchesse Sophie qui pouvait l’entendre car il est probable que Sophie et sa mère Caroline aient été attachées au jeune prince, ayant connaissance de sa personnalité.

Mais ces possibles candidatures à un trône écartées, il ne lui restait qu’à être un bon fils et un fidèle Habsbourg.

Duché de Parme

En février 1831, les Parmesans réclament une constitution et exigent le départ de Werklein qui avait été chargé de seconder Marie-Louise, après la mort de Neipperg. Elle-même n’est pas mise en cause. Le 12 février, Marie-Louise écrit à son père : « Entre 6 heures et 7 heures du soir, un bruit terrible a commencé sur la place principale, qui s'est étendu à toutes les rues venant au Palais où aux côtés des cris d'acclamation à mon adresse, nous avons entendu des paroles scélérates contre Werklein et les autorités ». La duchesse de Parme ne veut pas recourir à la violence contre les insurgés. 

Soldats de l’armée de Marie-Louise

Elle souhaite quitter la ville, mais elle en est empêchée. Trois jours plus tard elle réussit à gagner Plaisance où une importance garnison autrichienne est présente. Le 2 mars la rébellion échoue grâce aux troupes autrichiennes. Marie-Louise, égale à elle-même, décide de se montrer clémente et programme l’amnistie le 29 septembre 1831.

Prokesch-Osten relate la réaction du duc de Reichstadt  “A peine le duc de Reichstadt en fut-il informé qu’il se rendit auprès de l’Empereur pour le prier de lui permettre de voler au secours de sa mère. L’Empereur refusa cette autorisation en des termes bienveillants et flatteurs, pour ne pas provoquer, ainsi qu’il le dit lui-même de nouveaux bouleversements en France ou amener la guerre.”

Devant le refus de son grand-père, en réalité de Metternich, le prince dit à Prokesch-Osten : “Que je suis malheureux de perdre la première occasion qui se présentait à moi de montrer à ma mère tout mon dévouement pour elle ! Il m’eût été si doux de la secourir, si honorable de tirer la première fois mon épée dans l’intérêt de sa cause”

Le 20 février il écrivit à sa mère : “Vous pouvez vous rendre compte, ma très chère Mère, de l’angoisse avec laquelle j’ai attendu des nouvelles de Parme. Combien ai-je désiré, combien ai-je imploré l’Empereur, et tout de suite après les nouvelles des premiers désordres, pour qu’il me fût permis de voler vers vous, pour vous assister avec les troupe autrichiennes ! Hélas ma triste position me l’interdit…La joie que m’a causée votre délivrance, votre voyage à Piacenzia, et la fidélité de vos troupes ne peut être comparée qu’à la fierté que m’a inspirée la manière ferme et virile dont vous vous êtes comportée. Elle resplendit d’une façon magnifique et unique à notre époque agitée par les orages” (Lettres du duc de Reichstadt et de Marie-Louise dans La revue des Deux-Mondes tome XLIX )

À Parme, après le départ de Werklein, Metternich envoie Wenzel von Mareschall  pour le remplacer. Le nouveau ministre ne tarde pas à critiquer la duchesse quadragénaire, qui protège ses sujets et se refuse à adopter un régime répressif. Il prétend que la duchesse agirait aussi trop librement dans sa vie privée. Marie-Louise avait vraiment aimé et avait été aimée en retour par Neipperg. Après sa mort, la duchesse se console en s'entourant de nombreux amants. Mareschall, jugeant le duché ingouvernable, demande son remplacement, qui interviendra fin 1832 au grand soulagement des Parmesans. 

Comte de Bombelles par Signorini

Son poste sera confié à un gentilhomme lorrain, le comte Charles-René de Bombelles (1785-1856), un homme droit, austère et pieux. Six mois après son arrivée,  le 17 février 1834, Marie-Louise et Bombelles contracteront un mariage morganatique secret. Ce remariage de deux personnes abordant la vieillesse n'est pas dicté par l'amour mais par la commodité d'avoir un mari qui soit le premier homme de l'État.  Franz ne connaîtra pas ce remariage de sa mère.

Dans l’ordre des évènements familiaux, l’année 1831 est remplie de Reichstadt. “C’est aujourd’hui le jour de naissance de Reichstadt auquel je vous prie de faire mes bien tendres félicitations et de lui offrir mes voeux sincères que je forme bien de tout coeur pour son bonheur.” (Reine Caroline à l'archiduchesse Sophie le 19 mars 1831). Le jeune prince vient d’avoir vingt ans. Le 13 octobre, “La manoeuvre dont vous me parlez doit avoir été bien belle mais je suis fâchée que Reichstadt souffre encore du gosier, c’est un mal que je connais bien étant aussi une des parties les plus faibles de mon corps…”

Dans ces échanges de lettres entre la reine de Bavière et l’archiduchesse Sophie, il est souvent question de Reichstadt, de sa santé, de son devenir, de l’affection que toutes les deux lui portent.

Archiduchesse Sophie par Johan Ender, vers 1830. 

C’est en 1831 que naissent les premiers ragots sur la supposée relation amoureuse entre lui et Sophie. De ce que nous savons la vie de Franz et Sophie, il est certain que les occasions de rencontre étaient permanentes. Thé le soir, dîners de famille, lectures communes, promenades au Prater. A Schönbrunn l’appartement de Reichstadt était au-dessus de celui de François-Charles et Sophie. Ils se promenaient dans le jardin réservé sous leurs appartements. François-Joseph, né en 1830, était souvent avec eux. 

Vienne en 1828

Ils partaient à cheval. Ils vivaient au vu et au su de leur famille, de la cour et de la ville. Sophie était probablement pour Franz une soeur aînée, à laquelle on peut se confier. Il est possible qu’il ait été amoureux d’elle. Il n’avait pas 20 ans, elle en avait 26.


Salon de Musique de Sophie à Laxenburg

Il n’y a dans cette relation aucun soupçon de liaison adultère entre Franz et Sophie. Juste une amitié de jeunes gens un peu perdus dans le monde hiératique de la Hofburg, souffrant du mal du pays et de la perte de leurs pères respectifs mais aimants et aimés par leur entourage. S’il y avait eu la moindre réalité d’une relation plus intime, la reine Caroline, qui en aurait probablement été avertie n’aurait pas manifesté tant d’amitié à son égard : “…je vous prie de faire aussi mes bien tendres remerciements à Reichstadt pour son portrait qui me fait le plus grand plaisir venant de lui, car je l’avais déjà, Antonia me l’ayant envoyé et plus tôt je l’avais vu à Darmstadt chez ma soeur à laquelle Antonia l’avait envoyé aussi.” ( Lettre du 26 octobre 1831)


Bureau de l'archiduchesse Sophie, bel exemple de l'art Bidermeier 

Il a été prétendu que François-Joseph était son fils, puis ce fut au tour de l’archiduc Max d’être l’objet de cette supposition. Mais rien de ceci n’est plausible en raison de la personnalité de Franz et de Sophie.

La haute conscience que l’archiduchesse Sophie avait de sa position, archiduchesse d’Autriche, future impératrice et mère du futur empereur, suffisait à elle seule à l’empêcher de vivre une relation qui aurait été condamnée par son beau-père, qu’elle aimait et respectait, par sa mère, par toute la famille. Le sens religieux aussi était un interdit puissant. Un adultère est un péché et Sophie ne transigeait pas sur la religion. Il y a aussi une dimension qui n’est pas prise en compte, celle de la relation avec son mari. François-Charles n’était pas le mari idéal mais Sophie avait de la tendresse pour lui, et lui l’aimait tout simplement. Le couple a eu cinq enfants et Sophie a fait un certain nombre de fausses-couches. Cela signifie qu’elle et son mari avaient une véritable entente physique et que la plupart du temps, ils faisaient lit commun.

Quant à Franz, il était un jeune homme plus perdu dans ses rêves des gloires passées de son père et des siennes, bien incertaines. Sa haute moralité, l’amour qu’il portait à sa famille et l’amitié de Prokesch l’auraient empêché, lui aussi, de commettre un péché contre la religion, la morale et sa famille.

Selon Prokesch-Osten, également, la relation amoureuse entre l’archiduchesse Sophie et le duc de Reichstadt était impossible, ne serait-ce que pour des raisons matérielles : “L’appartement du duc de Reichstadt se trouvait à la Hofburg à l’angle nord-est de la cour intérieure (Franzenplatz) et celui de Sophie près de l’angle sud-est de la même cour. Entre ces deux appartements se trouvaient ceux du couple impérial, du prince de Salerne, les salles d’audience, gardées jour et nuit, Comment peut-on imaginer que les va et vient de ces deux personnages aient pu passer inaperçus ?”

Franz  avec ses cousins germains, François-Joseph et la princesse de Salerne, future duchesse d'Aumale

Il était très proches de ses cousins germains, dont François-Joseph,  né le 18 août 1830, dont il disait qu’il ressemblait à une glace à la fraise surmontée de crème fouettée. Il y avait aussi Marie-Caroline, princesse de Salerne (1822-1869) , future duchesse d’Aumale.

Parmi les maîtresses que la légende prête à Franz, il y eut Fanny Elssler (1810-1884). Belle et délurée, elle était la maîtresse de Gentz, le secrétaire de Metternich, âgé alors de 62 ans, alors qu’elle en avait 22. Elle était une danseuse dont le talent était reconnu et le succès éclatant. Mais elle ne fut pas la maîtresse du duc de Reichstadt. Ils ne se sont même probablement jamais rencontrés. “Mademoiselle Fanny Elssler est une célèbre danseuse et une fort bonne personne dont madame de Mirbel vient de faire le portrait. Elle passe pour avoir charmé les dernières années du fils de Napoléon, mais elle assure qu’il n’en est rien ; on doit l’en croire.” ( Hector Fleischmann - Le Roi de Rome et les femmes )

Fanny Elssler

L’archiduc Jean, frère de l’empereur, marié depuis 1829 à Anna Pochl, homme également d’une grande probité, donne son opinion sur le duc, son petit-neveu, et sur la manière dont il est traité. “J’ai pris Reichstadt en affection et lui ai souvent dit, sans le ménager crûment la vérité. C’était toujours à son avantage. Mais je suis sincèrement indigné dans la façon dont on le traite. Tout en lui cœur, intelligence, courage, volonté et aussi une énergie qui pourrait le rendre capables de grandes choses se développent de jour en jour en lui. Il s’intéresse passionnément aux sciences et possède une acception saine et sans préjugés des affaires de ce monde. Mon neveu a une grande confiance en moi et me fait souvent des confidences sur son sort. J’ai subi les mêmes épreuves que lui, le mets en garde en lui montrant les hommes tels qu’ils sont, l’engage dans la bonne voie, tout en lui montrant jusqu’où les passions et la légèreté pourraient l’entraîner. 

L’archiduc Jean

Je modère sa trop grande franchise et tâche de lui prouver qu’il devrait s’approprier une certaine souplesse qui, tout en s’accordant avec la probité, ne l’expose pas à de douloureuses déceptions. Reichstadt doit entrer dans un régiment ; le colonel Hartmann est appelé à le diriger, et plusieurs officiers doivent lui être attachés. On délibère sur cette question depuis plus de dix-huit mois, çà traîne en longueur ; en un mot on ne veut pas l’émanciper. Il surpasse de beaucoup en intelligence son entourage qui n’est ni à sa hauteur ni fait pour s’assurer son affection ? Pendant une de ces fêtes à Presbourg (couronnement du prince impérial Ferdinand, comme roi de Hongrie le 28 septembre 1830) , Metternich lui tint un long sermon à seule fin – ce que Reichstadt sent bien- qu’il lui demande conseil pour toute chose, qu’il n’agisse que d’après ses indications, en un mot : qu’il se considère tout à fait comme l’instrument du chancelier. Cette servitude que Metternich faisait entrevoir au jeune homme l’indigna, et il lui répondit qu’il ne pouvait accorder sa confiance qu’à celui qui saurait la gagner par sa conduite. Cette réplique fit rougir Metternich jusque sous les yeux.  Je dis tout de suite à Reichstadt  que tout ce qu’il venait de dire était exact, mais qu’il avait été bien imprudent ; qu’il devait s’attendre à ce que Metternich ne serait plus son ami. Reichstadt répondit qu’il ne voulait plus avoir affaire avec lui, qu’il n’irait plus le voir et se bornerait à être poli avec lui. »

Brouillon manuscrit du duc de Reichstadt

La réponse de Reichstadt à Metternich : « L’objet essentiel de ma vie doit être de ne pas rester indigne de la gloire de mon père ; je croirai atteindre ce but élevé si, autant qu’il sera en mon pouvoir, je parviens un jour à m’approprier quelques unes de ses hautes qualités en m’efforçant d’éviter les écueils qu’elles lui ont fait rencontrer. Je manquerai aux devoirs que m’impose sa mémoire, si je devenais le jouet des factions et l’instrument des intrigues…Jamais le fils de Napoléon ne peut consentir à descendre au rôle méprisable d’aventurier. »

Prince Metternich en 1822

Il est difficile de parler de haine du chancelier Metternich contre le jeune prince. Il ne s’agissait en tous cas pas d’une haine personnelle, le chancelier était incapable de sentiments aussi outranciers. La crainte de Metternich était de voir l’édifice de la Sainte-Alliance mis à bas. En fait, Metternich ne s’était jamais intéressé directement au jeune prince jusqu’en 1830. Mais la crainte d’une résurgence du bonapartisme qu’aurait pu encourager la présence du prince dans la péninsule l’avait décidé à contrer tout voyage en Italie. Sans être franchement favorables à Napoléon et à son régime, les Italiens se souvenaient qu’ils leur devaient leur première unité nationale du moins dans le nord, par la constitution d’un royaume, dont l’empereur était roi et son beau-fils, le prince Eugène de Beauharnais, vice-roi. Un royaume sous la tutelle directe de la France mais un royaume italien qui pouvait espérer d’être un jour totalement indépendant.

« ….Maintenant que le Prince Metternich a été rendu attentif au duc, qu’il l’a entendu louer, souvent maladroitement, qu’on discute son avenir et qu’on exprime des vœux en sa faveur ; maintenant que la princesse Grassalkovitch (née Marie-Léopoldine, princesse Esterhazy en 1776), a voulu voir en lui un roi de Pologne et que les partis en France et en Italie mettent en avant son  nom, maintenant, le Prince Metternich se plaint que j’ai soi-disant fait un mystère de mes relations avec le duc, que j’ai intrigué pour entrer en rapport avec lui, que je l’ai rempli d’idées ambitieuses… »

Prokesch-Osten est conscient de la fragilité  de la position du duc de Reichstadt : « Jalousie générale à la Cour et dans la noblesse, écrit-il, à cause de mes relations avec le duc de Reichstadt. Arrogance d’aristocrates et lâcheté de valets. Pas autre chose ! »

La société de Vienne – noblesse et hauts fonctionnaires – était en ce qui concernait ses sentiments pour le fils de Napoléon, divisée en deux camps : le « clan Metternich » ces personnes dont Gentz, son secrétaire, disait qu’elles n’osaient même pas prononcer le nom du duc devant le chancelier de peur de l’indisposer. De l’autre côté la majorité de la noblesse, les indépendants et ceux qui avaient le courage de leurs opinions, ceux qui ne cessèrent jamais de témoigner de leur sympathie pour le pauvre exilé. Quant à la bourgeoisie et aux intellectuels, qui de jour en jour augmentaient le parti libéral, il ne voyaient dans  Franz que la victime de la réaction. Le peuple partageait ces sympathies pour le fils de celui dont tous connaissaient le nom et devant qui avaient tremblé tous les puissants. Il avait su se faire aimer de beaucoup.

Le jeune homme réfléchi

Quelques paroles du duc Reichstadt, rapportées par Prokesch-Osten, montrent la profondeur de ses réflexions.

“Qui sait renoncer à l’ambition se libère en même temps de beaucoup de soucis, de beaucoup d’insomnies et parfois aussi de beaucoup de crimes. “

“La nature nous a donné deux oreilles et une bouche afin que nous écoutions beaucoup et que nous parlions peu. “

“Nos pensées nous appartiennent tant que nous les conservons dans notre cœur. Mais une fois que nous les avons laissé échapper, elles sont au pouvoir d’un autre qui peut s’en servir pour nous perdre.”

“Ce ne sont pas les titres mais les mœurs qui font le mérite, celles-ci dépendent de nous, ceux-là du hasard." Voilà une maxime que probablement aucun archiduc n’aurait écrite. Le duc connaissait l’origine de sa dynastie.

L'imagerie Populaire :Napoléon II à cheval

L’année 1832 s’annonce pleine de promesses, malgré tout, pour le brillant jeune homme dont les qualités sont appréciées par tous, à l’exception de Metternich. On parlait d’un mariage possible entre Franz et l’archiduchesse Marie-Thérèse (1816-1867), fille aînée de l’archiduc Charles. Après avoir refusé le duc d’Orléans, fils aîné de Louis-Philippe, elle épousera en 1837 Ferdinand II, roi des Deux-Siciles, acharnée de l’absolutisme elle sera détestée des Napolitains.


L'archiduchesse Marie-Thérèse en 1832 avec son père par Ender 

Mais en septembre 1827, déjà, étaient apparus des crachements de sang. Dietrichstein fit immédiatement part de ses craintes à sa mère et à Neipperg. Il recommandait la nomination d’un médecin personnel. Le docteur Malfatti rapporte : « Je fus appelé par le duc de Reichstadt, avec le titre de son médecin ordinaire, dans le mois de mai 1830. Je succédais à trois hommes d'une haute réputation : le célèbre Franck, les docteurs Golis et Standenheimer. M. de Herbeck avait rempli près du prince les fonctions de chirurgien ordinaire. Ces médecins n'avaient pas laissé de journal de la santé du jeune duc. M. le comte de Dietrichstein eut la bonté d'y suppléer en m'instruisant de beaucoup de détails qu'il était indispensable de connaître. Le prince mangeait très peu et sans appétit ; son estomac semblait trop faible pour supporter la nourriture qu'aurait exigée sa croissance, singulièrement rapide et même effrayante : à l'âge de dix-sept ans, il avait atteint la taille de cinq pieds trois pouces ! De légers maux de gorge le faisaient souffrir de temps en temps ; il était sujet à une sorte de toux habituelle et à une journalière excrétion de mucosités. Le docteur Standenheimer avait déjà manifesté de vives inquiétudes sur la prédisposition du prince à la phtisie de la trachée-artère. Je pris connaissance des prescriptions qui avaient été décidées contre ces symptômes inquiétants. "

 

 

Le docteur Malfatti qui ne sut ou voulut soigner le duc de Reichstadt

 

 

26/06/2022

L'Aiglon - Troisième partie : Un jeune duc à la cour d'Autriche



Armoiries du duc de Reichstadt

La position de Napoléon François Charles Joseph Bonaparte à la cour de Vienne était aussi étrange que celle de sa mère. On fit d’elle une duchesse de Parme et de lui un prince de Parme, sans aucun droit dynastique.

Pour donner à son petit-fils une réelle position au sein de l’empire d’Autriche, sa nouvelle patrie, et des Habsbourg-Lorraine, sa famille présente, l’empereur François délivra plusieurs lettres patentes le 22 juillet 1818. Le domaine de Reichstadt, une petite ville de Bohême, fut érigé en duché. Puis il attribua à Franz le titre de duc de Reichstadt et le prédicat d’Altesse Sérénissime. Enfin il lui fit donation du domaine et de toutes se terres afin de lui assurer un revenu indépendant. Un mois après, il l’érigea en majorat, en faveur de la descendance masculine de son petit-fils. C’est à Reichstadt (aujourd’hui Zákupy)qu’en 1900, l’archiduc François-Ferdinand épousa la comtesse Sophie Chotek. Franz ne vit jamais son château. 



Château de Reichstadt 

A la Cour il prit rang immédiatement après les archiducs de la Maison d’Autriche ses cousins. Il était désormais Son Altesse Sérénissime Franz, duc de Reichstadt. Oubliés le roi de Rome et le prince de Parme.

Il a été reproché à l’empereur d’Autriche d’avoir fait de son petit-fils un membre mineur de sa Maison. Ceci est totalement injuste car l’empereur ne pouvait lui conférer le titre d’archiduc auquel ont seuls droits les descendants des membres mâles de la famille. Franz était le fils d’une archiduchesse, elle ne pouvait lui transmettre son titre. François Ier avait fait le maximum de ce qu’il pouvait faire en faveur de l’aîné de ses petits-enfants. Il lui avait aussi donné une suite de vingt-six domestiques. 


Reichstadt par Krafft, un prince autrichien

Mais, malgré son nouveau statut princier, l’enfant, qui avait sept ans, se devait de continuer à apprendre et ce n’était pas facile pour ses éducateurs. L’enfant était intelligent et doué de la grande mémoire de son père, mais il était paresseux et rétif. 

Marie-Louise avait fixé elle-même le programme qui devait régir la vie de son fils jusqu’à la fin de son adolescence : “Je veux en faire tout à fait un prince allemand aussi loyal, aussi brave, qu’il devienne digne d’être comparé à Léopold le Glorieux ou au prince Eugène de Savoie, ce seront ses talents, son esprit, sa chevalerie qui devront lui faire un nom “

Le comte de Dietrichstein était en charge de ce programme ambitieux. Et c’est à lui que revenait le rôle de “père fouettard” car plus d’une fois l’enfant reçu le martinet, autorisé par sa mère et son grand-père.


Dietrichstein n’aima pas l’enfant tout de suite, loin de là.  Sa correspondance, du moins pour les premiers mois passés aux côtés de Franz, révèle un véritable dégoût que lui inspirait le fils de Napoléon. Il le dépeignait sous un jour on ne peut plus noir. En mars 1817, il écrivit à Neipperg, dont il était l’ami, et dont il ne pouvait pas ignorer le lien avec la mère de l’enfant. 

“Courage et patience, dis-tu… Je suis bien fâché de devoir recommencer ma jérémiade de ma lettre à Sa Majesté, mais je n’aurais rien à cacher à une mère et surtout à une mère aussi parfaite… On n’a pas idée de cette méchanceté opiniâtre et calculée, se trahissant à chaque instant, même par des regards et des rires moqueurs… Tout provient de ce penchant continuel à ne saisir et à ne s’approprier que ce qui est nécessaire”. La haine de Napoléon explique cette aversion.

Mais le ton va rapidement changer. Sévère certes car il commençait à s’inquiéter pour lui. Il savait en effet que personne en Autriche ne ferait de cadeaux au fils de Napoléon, et que s’il voulait réussir à la cour ou dans l’armée, il lui faudrait travailler deux fois plus et ne laisser subsister aucun défaut ou lacune dans son éducation. Il le déclara d’ailleurs à Neipperg dans sa lettre du 30 mars 1818 : “Je désire ne pas le quitter, et jamais non seulement jusqu’à ce que son cœur soit formé, mais pour diriger ses pas dans la carrière épineuse qu’il devra parcourir. Mes prières n’ont jamais été prononcées avec plus de ferveur depuis que je le connais de fond en comble.”


Il relate les distractions du jeune prince, qui danse à un bal de la cour pour la première fois le 27 janvier 1818, ses jeux avec ses oncles, tantes cousins et cousines. Le 13 février, il joue dans une petite pièce avec eux. 


Enfin, et ce n’est pas le moindre, lorsque Marie-Louise vint à Vienne pour défendre la position de son fils au cours de l’été 1818, il la soutint contre Metternich. Ce dernier voulait attribuer le titre de comte à l’enfant. Dietrichstein avertit Marie-Louise et Neipperg des rumeurs qui couraient à ce sujet. La duchesse de Parme se battit pour que son fils ait un rang princier et elle obtint le titre de duc de Reichstadt et les biens qui allaient avec. On peut imaginer la satisfaction du tuteur. Mais son élève lui donnait du fil à retordre. “Distraction, paresse et mauvaise volonté, voilà ses trois grands défauts, joints à l’extrême facilité d’imiter ce qui est mauvais et de rendre son instruction extrêmement difficile….” ( Lettre du 24 juillet 1819) Telle est son opinion du jeune enfant.


Dietrichstein se plaignit auprès de  Neipperg de son ” l’horrible paresse qui retarde ses progrès, ce qui le fait parler aussi mal français, ce qui me désespère” ( lettre du 7 novembre 1818 ). C’était un comble car il avait eu pour mission de départ d’en faire un prince parlant allemand comme langues maternelle, en lui faisant oublier le français, et là il se plaignait de cet oubli.

Neipperg ? Son nom est indissociable de celui de Marie-Louise. Elle est tombée dans ses bras. Il semble qu’il soit devenu son amant dans la nuit du 25 au 26 septembre 1814. Elle est amoureuse et refuse de rejoindre Napoléon à l’île d’Elbe. Elle écrit à son amie la duchesse de Montebello : “Figurez vous que dans les derniers jours de mon séjour à Aix, l'Empereur m'a envoyé message sur message pour m'engager à venir le rejoindre …Je n'irais pas pour le moment dans l'isle d'Elbe et je n'irais jamais”. Sa situation n’était pas simple, car elle dépendait en fait du bon vouloir des Alliés mais si elle en avait réellement exprimé le désir, qui aurait pu empêcher une femme de rejoindre son mari. Napoléon l’avait comblée, y compris physiquement, mais la page était tournée, un autre homme était dans son lit, donc dans sa vie. Il en sert à rien de la juger. L’Histoire s’en est chargée.

La question qu’elle ne s’est sans doute pas posée est de savoir ce que son fils penserait de la situation. Il faut dire que, bien que sa liaison ait été un secret de polichinelle, elle sut en tenir loin les deux hommes les plus proches de son sang, son père et son fils. 

Le 7 mars 1816, l’ensemble des problèmes diplomatiques et dynastiques relatifs au duché de Parme, étant résolus, elle part, avec son homme de confiance à ses côtés, Adalbert von Neipperg. Il sera à la fois, le maître de sa maison, le gouverneur du duché, son ministre des affaires étrangères. La comtesse de Neipperg, morte, celui-ci n’a plus d’obligations familiales. Il a quatre garçons de ce premier mariage et son aîné, Alfred, sera l’ami de  l’Aiglon. 


Italianisation du prénom Marie-Louise

Le premier acte de la nouvelle duchesse est le 29 février 1816 d’italianiser son nom. Elle n’est plus Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche, impératrice des Français, elle est désormais “Maria Luigia, arciduchessa d’Austria, duchessa di Parma, Piacenza et Guastalla.” Après son entrée officielle dans le duché, le 18 avril, elle écrit à son père : “Les gens m'ont accueilli avec tant d'enthousiasme que j'ai eu les larmes aux yeux.” 


Palais ducal de Parme

De politique, il n’en est pas question pour elle, souhaitant “pouvoir passer ici son existence dans la plus grande tranquillité”. Un rôle de représentation lui convient parfaitement. Elle devient aussi attentive aux arts, et surtout à la misère du peuple. Elle est aussi conciliante avec les révoltés, carbonari, qui un an après son arrivée, ont tenté de soulever contre elle le peuple. L’insurrection ayant échoué, elle demandera et obtiendra la transformation de leur condamnation à mort en peine de travaux forcés. Maria-Luigia est une bonne personne et son souvenir reste tel encore de nos jours. 



Palais ducal de Colorno près de Parme

Neipperg est l’homme de Metternich à Parme. Au nord du duché, il y a le royaume lombardo-vénitien, administré par un archiduc pour le compte de l’empereur d’Autriche, aux sud, le grand-duché de Toscane, sous la souveraineté de son oncle, Ferdinand III d’Autriche-Toscane, et à l’est, à Modène, son autre oncle, François Ier d’Autriche-Modène. Le petit duché parmesan est bien entouré. L’empire d’Autriche et son chancelier peuvent dormir tranquilles, car au sud il y a les Etats pontificaux, et encore plus au sud, les cousins Bourbons de Naples et de Sicile.

Marie-Louise et Neipperg résident plus souvent au palais de Colorno, à la campagne, qu’au palais ducal en ville. 



La duchesse de Parme par  Giovan Battista Borghesi 

Le plan personnel est plus compliqué. Le 1er mai 1817, elle donne naissance à une fille, Albertine, et le 8 août 1819 à un fils, Guillaume.  


Albertine de Montenuovo

Ces naissances sont soigneusement cachées car Marie-Louise est encore mariée à Napoléon,  et es enfants sont illégitimes, des bâtards selon la terminologie de l’époque.  Ils sont élevés par un médecin de Parme, le docteur Giuseppe Rossi. Ils sont titrés plus tard, comte et comtesse de Montenuovo - aveu de la paternité d’Adalbert car Montenuovo est la forme  italienne de Neipperg. 



Guillaume de Montenuovo

Tout le monde à Parme connait la situation des enfants. Ce n’est qu’une fois mariée à Neipperg  que les enfants pourront vivre dans une annexe du palais ducal et être éduqués par une gouvernante et un instituteur, mais toujours inconnus de leur grand-père et de leur  demi-frère.



Lettre de Marie-Louise à son fils Guillaume en 1826

Le fils aîné du couple était l’ami de Franz, son demi-frère, et il le restera même quand il apprit la vérité. Il fallut attendre la mort de Napoléon, le 5 mai 1821, pour que la liaison officieuse devint un mariage officiel. Mais la totalité du pot-aux-roses ne fut révélée qu’en 1829, à la mort de  Neipperg. 


Alfred de Neipperg

Jusqu’en 1821, Franz vécut dans une demi-connaissance de son père. On ne lui en parlait pas mais s’il en parlait on lui répondait, la plupart du temps, en demi-teinte, l’ordre de l’empereur étant de ne pas en dire du mal, ni de le valoriser.

En 1819, il reçut en cadeau un costume de sous-officier de son régiment hongrois. Il en fut très fier et l’arbora lors d’un dîner de famille.  


Le duc de Reichstadt en costume hongrois

Dietrichstein fut effrayé de voir que l’enfant aimait l’armée. Le 12 juin, il s’inquiéta de voir que son élève avait appris par cœur l’organisation de l’armée autrichienne et qu’il rêvait désormais d’une carrière de soldat. Le gouverneur ne souhaitait pas l’empêcher d’entrer dans l’armée mais être le fils du génie militaire du siècle n’était pas facile et il avait peur que Franz se contentât d’être le fils, le jugeant paresseux et peu enclin à l’effort. 

Il n’y a pas grand chose de nouveau dans sa vie. Il est choyé et aimé par sa famille autrichienne. Maurice Dietrichstein, s’amusait, avec, il est vrai, beaucoup de fierté, de voir son élève, tenir une place remarquée au sein de cette société, qui si elle était familiale, n’en était pas moins recherchée et exclusive.

Franz voit aussi de temps en temps sa mère. Il entretient avec elle une longue correspondance, remplie d’affection pour elle. La duchesse de Parme et le comte de Neipperg reçoivent régulièrement les lettres du précepteur les informant à la fois de la personnalité de l’enfant et des progrès de son éducation.


Le duc de Reichstadt par Lawrence en 1820

En 1820, le peintre Lawrence vint à Vienne et fit un portait remarquable du jeune duc , qui n’a pas encore dix ans. Peut-être un des plus beaux de l’artiste. 

Début 1821, Dietrichstein s’intéressa à l’éducation religieuse du prince. Le 7 février, il choisit Wagner, chapelain de la cour impériale, pour le préparer à sa première communion, qui eut lieu le 9 juin à 7 heures du matin. L’événement donna lieu à une petite fête : “Sa Majesté [l’impératrice d’Autriche], qui avait fait décorer le cabinet chinois près de l’appartement de notre souverain, en fleurs, draperies, etc., d’une manière charmante, y déjeuna avec le prince, les archiducs, Mme Lazansky [ancienne gouvernante de Marie-Louise], ces messieurs [les professeurs de Reichstadt] et moi. Elle était adorable, comme toujours, et fit cadeau au prince d’une corbeille d’argent […] et d’une tasse avec la vue de Schönbrunn. Le prince rayonna de joie et je lui donnai ensuite au nom de sa chère maman la belle lunette d’approche de Paris, d’une nouvelle invention.” ( lettre à Neipperg du 9 juin 1821) 




L’impératrice Caroline-Auguste



Dès son arrivée à Vienne, en 1816, Charlotte de Bavière, divorcée du prince héritier de Wurtemberg, quatrième épouse de l’empereur François, avait aimé le jeune Franz, qu’elle considérait comme son petit-fils. Elle était connue sous le nom de Caroline-Auguste.



Plan du Troisième étage de Schönbrunn  

Les appartements de Franz sont en angle à gauche, avec trois fenêtres sur la cour d’honneur


Le 8 mai, on lui attribue un nouvel appartement à Schœnbrunn, que le prince décrit ainsi “ On m’a attribué u nouvel appartement qui me plait beaucoup au troisième étage. Il comprend beaucoup de chambres; ce qui me plait le mieux est la vue sur la place. De trois chambres, on aperçoit le Kahlenberg et la longue chaîne de hauteurs qui s’étend jusqu’à Dornbach. A côté de ma chambre à coucher, se trouve mon cabinet de travail, qui a une vue splendide sur le jardin de ma tante Marianne, mais ce qu’on voit de plus beau de ce côté-là, c’est la ville avec un bout d’allée qui va en ville. Il y a très peu de soleil dans cet appartement, c’est pourquoi, il est froid le matin et le soir. Après mon cabinet de travail viennent les appartements de Monsieur de Foresti et du comte Dietrichstein.” ( J. de Bourgoing - Papiers intimes du duc de Reichstadt. )



Schönbrunn - Les appartements sont au troisième étage de l’aile gauche


L’enfant est heureux. La terrible nouvelle n’est pas encore tombée. 

Début juillet, elle avait atteint Vienne et l’entourage du prince savait que Napoléon était mort. Il fallait le lui annoncer. Le comte Dietrichstein étant à Vienne, le 16 juillet l’empereur en chargea Foresti. 

Voici la relation qu’il en fit à Neipperg : “Il était seul avec lui. c’était le soir ; les ombres tombaient sur le parc. Foresti commença à parler de Sainte-Hélène, dit que c’était une île d’Afrique au beau climat, où l’empereur Napoléon, avec quelques amis choisis, avait passé ses dernières années. L’enfant, habitué de voir écarté le nom de son père, s’était dressé, stupéfait. depuis longtemps, continuait Foresti, sa santé était chancelante; il souffrait d’une maladie de l’estomac. Il s’arrêta. l’enfant gardait le silence. Alors Forestyi, baissant la tête, dit qu’il était mort, dans les sentiments les plus chrétiens. L’enfant pleura longuement…Foresti, ému, cherchait à le consoler. Il ne l’entendait pas.” ( Dans Octave Aubry - le Roi de Rome - Librairie Arthème-Fayard 1932) 



La mort de Napoléon


Prokesch-Osten, le futur et dernier ami de Franz, relate la scène, qu’il tient peut-être du prince lui-même, dans ses notes inédites : “ Le prince pleura un jour entier presque sans interruption. Soudain, il se ressaisit, sécha ses yeux, se leva et marcha de long en large. Aucun mot ne vint sur ses lèvres. Au bout de quelques semaines seulement, il fit allusion à la mort de son père…Il sentait qu’ild avait garder sa douleur pour soi.” ( Dans Octave Aubry - le Roi de Rome - Librairie Arthème-Fayard 1932)

La cour ne prit pas le deuil, Metternich l’ayant fortement déconseillé. Seul le prince fut autorisé à être vêtu de noir. L’empereur toutefois autorisa le deuil de ceux qui étaient proches de lui, gouverneurs et serviteurs, sans les autoriser à le montrer en public.


Marie-Louise écrivit à son fils le 24 juillet : ”Je suis sûre que vous ressentirez cette douleur profondément, comme je la sens moi-même, parce que vous seriez un ingrat si vous oubliez toute la bonté qu'il a eue pour vous dans votre petite enfance, je suis aussi certaine que vous chercherez à imiter ses vertus, tout en évitant les pièges qui ont fini par le perdre" 


On peut supposer à la lecture de celle envoyée par Dietrichstein à la duchesse de Parme qu’elle avait été une consolation pour le duc de Reichstadt.


“Il a reçu hier la lettre de Votre Majesté et la lut en ma présence et en celle de ces Messieurs (Collin et Foresti). Ah, que Votre Majesté est adorable et comme deux pages renferment tout ce que l’on peut désirer dans une circonstance si délicate ! Mes vœux sont accomplis à cet égard ; j’osai les prononcer dans ma lettre à Neipperg, mais Votre Majesté prévient toujours mes pensées les plus secrètes, parce que rien ne peut égaler ni son génie ni ses affections. Je le répète, cette lettre admirable ne laisse rien à désirer ; le prince doit la relire souvent, pour apprécier davantage le bonheur d’avoir une mère aussi parfaite et se rappeler sans cesse les devoirs qu’elle lui prescrit. Je prie Dieu journellement, afin que le prince ressemble un jour à sa tendre mère et qu’il imite toutes ses vertus. Ce n’est qu’ainsi qu’il pourra atteindre un jour le bonheur et gagner l’admiration générale. Le prince, qui avait déjà pris le deuil lorsque la nouvelle officielle arriva, le portera comme Votre Majesté l’ordonna à sa cour. Cette mesure, ainsi que l’article dans la Gazette de Parme, fait grand effet ici et je m’y attendais bien. Le prince fait dire des messes chaque jour, il y assiste et je suis trop heureux d’avoir deviné l’intention de Votre Majesté et de me conformer par la entièrement d’après sa volonté” Il est malgré tout difficile d’être plus courtisan car dire de Marie-Louise qu’elle est une mère parfaite est peut-être aller un peu loin dans la flagornerie.


Elle avait su toutefois réagir de façon décente à la mort de son mari. Elle déclara à une de ses confidentes, Mme de Creneville : “La Gazette de Piémont a annoncé d’une manière si  positive la mort de l’empereur Napoléon, qu’il n’est presque plus possible d’en douter. J’avoue que j’en ai été extrêmement frappée; quoique je n’ai jamais eu de sentiment vif d’aucun genre pour lui, je ne puis oublier qu’il est le père de mon fils, et que, loin de me maltraiter comme tout le monde le dit, il m’a toujours témoigné tous les égards, seule chose que l’on puisse désirer dans un mariage politique. J’en ai été très affligée, et quoiqu’on doive être heureux qu’il ait fini son existence malheureuse d’une manière chrétienne, je lui aurais cependant désiré encore bien des années de bonheur et de vie, pourvu que ce fût loin de moi.” ( Dans Octave Aubry - le Roi de Rome - Librairie Arthème-Fayard 1932)


Il y eut un beau service funèbre dans sa chapelle privée et elle prit le deuil pour trois mois. En outre, elle fit dire mille messes à Vienne et mille messes à Parme.


Il est difficile de mesurer le chagrin de l’enfant, qui avait très peu connu son père mais dont le souvenir était fort.  Il en a, certainement, été perturbé car Dietrichstein rapporte qu’il venait de reprendre l’habitude “ de pisser au lit”. 


Son grand-père se montra encore plus prévenant que d’habitude, le gardant dans son bureau ,le prenant avec lui à la chasse, ou l’emmenant en voyage. L’impératrice avait aussi beaucoup d’affection pour lui. iIs montent à cheval ensemble. Il participe avec les membres de la famille à des réjouissance paysannes offertes par l’empereur aux populations autour de Schœnbrunn avec repas suivis de bals.


Dans son testament, Napoléon avait écrit : “ Je recommande à mon fils de ne jamais oublier qu’il est prince français et de ne jamais se prêter à être un instrument entre les mains des triumvirs qui oppriment les peuples. Il ne doit jamais combattre la France ni lui nuire en aucune manière. Il doit adopter ma devise : “ Tout pour le peuple français.”

Je lègue à mon fils les boîtes, ordres et autres objets tels que l’argenterie, lits de camp, armes, selles éperons, vases de ma chapelle, livres linge qui a servi à mon usage, conformément à l’état annexé. je désire que ce faible legs lui soit cher lui retraçant le souvenir d’un père dont l’univers l’entretiendra.”

Il ajouta plus tard : “Mon fils ne doit pas songer à venger ma mort. Que le souvenir de ce que j’ai fait ne l’abandonne jamais…” Napoléon mourut en regardant le portrait de son fils. 



Orfèvrerie liturgique de Napoléon à Sainte-Hélène

Marie-Louise ne remit jamais à son fils le legs de son père. Metternich n’avait-il pas écrit “ Cet évènement met un terme à bien des espérances et des trames coupables. Il n’offre au monde nul autre intérêt.”  Pas d’espérance, pas de trame coupable, donc pas de remise de souvenirs au fils de “L’Ogre”.

Marie-Louise était veuve, Neipperg était veuf. Ils pouvaient donc se marier. Mais une archiduchesse d’Autriche, duchesse souveraine de Parme pouvait-elle épouser un simple comte, même pas du saint-Empire ? Il le fallait bien car ils s’aimaient et avaient des enfants, dont il fallait bien aussi faire quelque chose. Le 8 août 1821, ils se marient donc à Parme, avec l’autorisation de l’empereur. Le mariage fut morganatique et ni l’empereur, ni Franz ne connaissaient l’existence des enfants.

La mort de Neipperg, le 22 février 1829, révéla leur existence. La reine de Bavière avait écrit à sa fille l’archiduchesse Sophie lorsqu’elle apprit sa maladie “ Comme je plains la pauvre Marie-Louise, qu’il est affreux de perdre un homme aussi essentiel, qu’elle chérit si tendrement. Que fera-t-elle, que d’embarras à côté de la douleur du cœur ! C’est une bien triste destinée que celle de cette pauvre femme et comme elle va se trouver seule en Italie car même ses enfants qu’elle n’ose pas avouer ne peuvent lui être de secours.

L’empereur François connaissait le mariage morganatique de sa fille, puisqu’il l’avait autorisé, et il avait appris la naissance des deux enfants sans en connaître la date. L’exécution du testament de Neipperg auquel il devait donner son approbation la lui révéla. “ Je ne puis te cacher le profond chagrin que me cause cette situation contre laquelle il n’y a plus rien à faire aujourd’hui et qui, cependant, n’aurait jamais du exister devant Dieu et devant le monde. ” écrira-t-il à sa fille. Il interdira à Marie-Marie-Louise de porter le deuil de son second mari. Il semble avoir été le seul à ignorer l’adultère de sa fille et il est surprenant que personne pendant quatorze ans ne le lui ait révélé. Il lui interdit toutefois de  reconnaître ses enfants, nés de l’adultère. L’empereur, à la demande de Metternich, leur donna un nom et les titra comte et comtesse de Montenuovo. François-Joseph éleva Guillaume au titre de prince, en 1864. Et son petit-fils, grand-chambellan de la cour en 1914 fit les pire ennuis au moment des funérailles de l’archiduc François-Ferdinand et de son épouse la duchesse de Hohenberg, considérant que, n’étant pas de naissance égale, elle ne pouvait avoir droit aux obsèques de la famille impériale. 

Après la mort de Neipperg l’archiduchesse Sophie écrivit à sa mère, le 25 mars 1829“ Jeudi 6 1/4, Reichstadt est venu m’interrompre hier… il vint aujourd’hui de nouveau et hier il me montra les cheveux de ce pauvre Neipperg que son fils Alfred lui avait envoyé ”.  Le fils de Napoléon a conservé de bonnes relations avec la famille de Neipperg, dont le fils aîné était toujours un de ses meilleurs amis. Ce fut une désagréable surprise d’apprendre que sa mère avait donné naissance à des enfants avant même la mort de son père. Elle avait non seulement fauté mais elle avait trahi. Le brouillon de la lettre, en date de février 1829,  qui suit, montre bien l’attachement du fils à une mère à laquelle il pardonnera.

« Ma chère maman !... Permettez-moi de vous remercier des deux jolis cadeaux que vous m’avez envoyés. Précieux pour moi comme chaque marque de votre bonté et de votre souvenir; la douce attention de choisir Les Quatre fils Aimon a doublé le plaisir que m’ont causé et l’élégance du style, et les prouesses des 4 fils et de leur Bucéphale. Non moins agréables pour moi…ont été les nouvelles sur l’état de la santé du général  (Neipperg ) ; elles font naître l’espoir de le voir rétabli à l’entrée du printemps (biffé : « et peut-être que le nouveau traitement d’Aglietti, basé à tout coup sur des simptômes si avantageux que la relâche de la fièvre et un pouls calme, terminera rapidement nos angoisses... »). En attendant, je répète tous les objets, et je ne perds pas mon tems... Soyez persuadée que je ne négligerai aucun de vos conseils, dictés par votre amour et dont je sens tout le prix. J’ai perdu beaucoup de tems, hélas ! mais j’espère le regagner à force de peines... » 



Brouillon de la lettre de février 1829, écrite par Franz à sa mère

Catalogue vente Osena à Fontainebleau le 24 mars 2013

Les relations entre Marie-Marie-Louise et Franz n’étaient pas simples. Il avait admis son remariage n’éprouvant aucune antipathie envers son mari, qui avait été aussi son mentor de  façon indirecte.


Le duc de Reichstad par Peter Krafft en 1823

en uniforme blanc de sergent major du 1er régiment d’infanterie. 

Il est intéressant de s’arrêter sur ce tableau provenant des collections du Prince Victor Napoléon et de la Princesse Clémentine de Belgique.


“Ce portrait est l’unique portrait orignal en pied du fils de l’empereur Napoléon à l’âge de 12 ans, signé et daté.

Commandé en 1823 par l’empereur François 1er pour être remis à Ferdinand, roi des Deux-Siciles, son arrière-grand-père, le portrait du jeune duc témoigne de l’engouement qu’il éprouvait pour les uniformes dès son plus jeune âge. A la fin de l’année 1822, il avait reçu de son grand père un uniforme de l’infanterie impériale et avait obtenu de paraître et de faire l’exercice en Feldwebel en sa présence. Le duc de Reichstadt reçu de son grand père l’uniforme du 1er Régiment d’infanterie Kaiser Franz à l’hiver 1823. L’empereur d’Autriche, pour faire plaisir au Roi de Naples qui était en séjour à Vienne et qui éprouvait de l’affection pour l’enfant, décida de le faire peindre, en grand secret, en uniforme de sergent du régiment , en faction devant la Bellaria, une des ailes de la Hofburg où logeait le roi. On retrouve cette volonté dans la correspondance de Dietrichstein, précepteur du jeune duc : «Le Roi l’aime beaucoup, et pour nourrir cette affection, S.M l’Empereur m’ ordonné de faire peindre le Prince en pied par Kraft en uniforme de sergent du 1er Régiment d’infanterie en faction sur la Bellaria où le Roi loge.» Dans une lettre à sa mère du 26 février, le Duc de Reichstadt évoque avec plaisir ce tableau :«Ce grand portrait (...) qui devient très beau, ou, pour mieux m’exprimer, car je ne voudrais pas me traiter de beau, très bon.»  L’uniforme du Prince celui du 1er Régiment d’infanterie «Kaiser Franz» , blanc à collet et parements rouge foncé . Le pompon du shako porte le chiffre de l’empereur François 1er, son grand père, avec une branche de feuilles de chêne, vieille tradition de l’infanterie autrichienne (les feuilles de chêne pouvaient être remplacées par des branches de sapin) et symbole de victoire. Il porte sur le côté gauche le sabre de l’infanterie autrichienne, avec dragonne. On retrouve dans les règlements d’époque que les sergents-majors des Régiments d’infanterie n’ont pour marque distinctive de leur grade qu’une canne de jonc garnie d’une lanière de buffle attachée à un anneau en laiton fixé du côté gauche sur la poitrine. Il est à noter que le Duc porte effectivement et règlementairement cette canne.” (Catalogue de la Vente par la Maison Osena à Fontainebleau le 24 mars 2013)


En 1823, Marie-Louise été venue passer l’été à Vienne. Reichstadt fut triste de voir sa mère rentrer à Parme : « Il a été extrêmement affecté et l’est encore, j’ai eu de la peine à le consoler, il a pleuré la plus grande partie de la journée et d’une manière qui indique bien son amour envers sa mère. Il a écrit hier soir sa lettre en sanglotant…” écrit Dietrichstein. A partir de ce moment que Franz se mit à écrire régulièrement à sa mère. Cela lui avait souvent valu les remontrances de cette dernière, sur la pauvreté de son orthographe et de son style.

Au début 1824, Dietrichstein lui fit lire des ouvrages favorables ou non à son père. Il lut “Le Mémorial de Sainte-Hélène”. Il devait pour se forger une opinion. Ce n’est pas un enfant simple. Il fait des progrès en algèbre et en géométrie, il a passé une examen de latin devant son grand-père et sa belle-grand-mère, l’impératrice Charlotte, dite Caroline-Augusta, soeur de l’archiduchesse de Sophie.

Malgré ses progrès, le jeune prince fait montre d’un caractère qui ne satisfait ni  Dietrichstein, ni sa mère. “ Son caractère prend une mauvaise tournure, j’en frémis, et moi qui travaille depuis dix ans à en faire un homme distingué, tandis que je parviens à peine à en faire un être médiocre ! Une éducation, la plus soignée qu’on ait jamais donnée à un prince, et point de progrès” écrit-il en le 8 février 1825.

En 1826, il commence à s’améliorer. Il y a une lueur d’espoir d’en faire un prince accompli. Mais les rapports entre la mère et le fils ne sont toujours pas simples. En décembre 1826, l’archiduchesse Sophie avait écrit à sa mère :Si seulement tu le voyais, ma chère Maman, se comporter avec sa mère, tu croirais plutôt qu’il s’agit de son frère que de son fils.”


Miniature de Franz

Malgré ce qui a été écrit, malgré la légende, Marie-Louise ne se désintéressa jamais de son fils, de son éducation et de son avenir, bien qu’entre 1818 et 1832, elle ne l’ait vu que sept fois. Elle s’était battue pour qu’il ait une position à la cour et dans sa famille. Elle se battait pour qu’il ait une éducation digne de son rang. Elle se battait aussi pour que l’héritage financier de son père lui revienne. Il s’agissait de dix millions placés à Londres. Elle et Neipperg imaginèrent un subterfuge quand ils comprirent que la France ne respecterait pas son droit. Si elle ne voulait pas honorer la position héréditaire du fils de Napoléon, sur le plan financier, Marie-Louise emprunterait auprès de la banque Rothschild, au nom du duché et les remboursements du prêt seraient versés sur un compte secret au nom du duc de Reichstadt. Ils lui assuraient ainsi un avenir financier en plus de son majorat autrichien. C’est ce qu’affirme Egon Caesar Corti, dans son ouvrage “La Maison Rothschild”. Dietrichstein s’en réjouit. Comme il se réjouit des progrès faits, même s’il continue à se plaindre de lui. “Son éducation ne peut être terminée qu’à la fin de 1829 et son entrée dans le monde ne pourra avoir lieu qu’au printemps de 1830. Et je ne vois rien de pressant dans tout cela, mais bien au contraire de grands dangers.” 



Le duc de Reichstadt en 1830 par Charles Nicolas Lemercier

L’enfant malheureux, l’adolescent rebelle vont bientôt faire place au délicieux Reichstadt qui sera, à défaut d’être roi de Rome, le prince des salons impériaux à Vienne.  En 1829, il a 18 ans. Il est beau, intelligent, charmeur. Claude-François de Meneval, qui avait pleuré en le quittant en 1814, dans ses Souvenirs historiques, écrira : “Le jeune prince était grand et bien fait ; qu’il participait de son père et de sa mère pour la ressemblance ; qu’il n’avait ni la simplicité ni la bonhommie qui forment le fond du caractère des archiducs d’Autriche ; mais qu’il avait dans les manières beaucoup de distinction et de dignité ; qu’une teinte de mélancolie et une habitude de méditation s’étaient répandues sur ses traits ; qu’il était instruit, qu’il avait du goût pour les études sérieuses et pour l’état militaire.” 

La vie s’ouvrait devant lui. 



La famille impériale en 1826 par Leopold Fertbauer

De gauche à droite

L’impératrice, l’empereur, ke duc de Reichstadt, l’archiduchesse Sophie, la duchesse de Parme, les archiducs Ferdinand et François-Charles