30/04/2021

Les Wendel, un dynastie d'acier et d'argent - Troisième partie, des deux côtés de la frontière.

A sa mort, Charles II de Wendel laisse une veuve, Jeanne-Marthe de Guitaut et trois enfants, Paul François Henri I de Wendel, né le 24 mars 1844, Adrien Charles Joseph Robert, né le 9 mai 1847, et Marie Louise Caroline, née le 19 octobre 1851.La veuve de Charles II se remarie avec le comte O’Donell. Elle mourra en 1908.Robert épouse le 8 juillet 1869 Marie Antoinette, Elisabeth, Carmen, Consuelo Manuel, fille du comte de  Gramedo.  

Robert de Wendel en 1870

Henri I de Wendel épouse le 4 juillet 1872 Berthe de Corbeau de Vaulserre, d’une ancienne famille noble du Dauphiné. 

Henri de Wendel par Carolus Duran



Berthe de Vaulserre et ses trois enfants François, Maurice et Humbert

Marie Louise Caroline épouse le 30 janvier 1872, Pierre Austin marquis de Montaigu qui fera une belle carrière politique.

Caroline de Wendel



               Pierre de Montaigu

Les deux garçons, bien que jeunes, ont déjà travaillé avec leur père. Henri I est ingénieur des mines. 

Il ya aussi la branche issue de Théodore de Gargan, soit quatre enfants, une fille  Marie-Joséphine de Gargan, mariée au baron Jean-François de l’Espée, et trois garçons François-Marie, Charles-Joseph et Marie-Paul de Gargan. 

Théodore l’aîné, né le 11 avril 1827, élève de Polytechnique et des Mines. A la mort de son père, en 1853, il partage la gérance des forges d’Hayange  avec son oncle Charles II de Wendel. A la mort de ce dernier, seul à la tête de l’empire industriel, il provoque la constitution de la société des héritiers de François de Wendel, dont la veuve Joséphine de Dicourt, est encore en vie, sous la raison sociale de “MM. les Petits-Fils de François de Wendel et  Cie”.

Baron François Marie Théodore de Gargan (1827-1889) 

Son frère Charles-Joseph de Gargan, né le 20 mars 1831, a fait des études de droit et ne s’intéresse pas aux affaires métallurgiques de la famille. Il s’occupa de ses terres. Devenu luxembourgeois en 1877, il échappa ainsi au choix imposé aux Wendel par le vainqueur en 1871, soit allemand, soit français. Il a toutefois fondé “Les Chemins de fer secondaires, luxembourgeois.

Et il y a les Curel. Victor François de Wendel (1807-1850), frère de Charles II, qui vient de mourir, a eu cinq enfants de son mariage, dont Marie Joséphine Charlotte de Wendel (1832-1915). Cette dernière a épousé en 1853 Albert vicomte de Curel (1827-1908) officier de cavalarie. Le couple a eu un fils François (1854-1928). Il fut ingénieur des Arts et Manufactures, romancier et dramaturge, enfin membre de l'Académie Française. 

François de Curel 

Leur second enfant fut Albert Marie de Curel (1857-1936), officier de cavalerie. La troisième fut Marie Octavie (1859-1912) épouse du comte Edouard de Moustier, avocat à la cour d'appel de Paris, membre du Conseil Général de la Seine et Marne. Et le dernier fut Paul de Curel (1860-1932). La descendance Curel est toujours bien présente avec plus de cent membres.

Il y a enfin, la descendance d’Anne Caroline de Wendel, une autre soeur de Charles II, qui a épousé le baron Jean Baptiste de Coëtlosquet. Morte en 1837, elle avait laissé un garçon, Joseph Charles Maurice de Coëtlosquet (1836-1904). Il n’y a pas de descendance.

Joséphine de Wendel, à l’âge de 86 ans, est l’instigatrice de ce montage entre ses petits-enfants. 

Acte de décès de Joséphine de Wendel-Dicourt

Les petits-fils et les petites-filles de François de Wendel sont donc : Henri I et Robert de Wendel, leur soeur la marquise de Montaigu, Théodore, Charles et Paul de Gargan et leur soeur la baronne de l’Espée, et enfin le vicomte Maurice de Coëtlosquet. Soit neuf personnes en tout. 

L’actif représente près de 30 millions de francs en 1870.

La première règle régissant “Les Petits-fils de François de Wendel” est que les biens hérités restent en indivision entre les neuf. La deuxième est que l’on ne peut détenir des parts de la société que si l’on descend d’un des neuf. Ces parts ne sont pas transmissibles entre époux. Cette règle est encore d’actualité. 

La branche des Coëtlosquet s’éteint, sans descendance en 1911. Il y a donc trois branches : Wendel, Gargan et Curel.

Aujourd’hui encore dans les réunions de leurs descendants pour prendre des décisions relatives à la gestion de l’entreprise familiale, chacun arbore un ruban d’une couleur différente, fort utile quand on est près de mille et que l’on ne se voit pas tous les jours. Rouge pour la branche d’origine Wendel, jaune pour la branche d’origine Gargan et bleu pour les Curel. 

Joséphine avait écrit à ses descendants pour “exprimer un encore une fois de plus, à tous, la confiance qu’elle ressent que ni de son vivant, ni après sa mort la paix de la famille ne sera pas troublée…et que l’idée d’avoir assuré la bonne harmonie entre ses petits-enfants sera la consolation de ses dernières années.” Encore aujourd’hui, cette paix est rarement troublée.

1871 ayant vu la constitution de l’Empire allemand et l’occupation de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine est l’année du déchirement pour les Wendel.

Le Traité de Francfort, signé le 10 mai 1871, met fin à la guerre franco-prussienne et place les Forges de Wendel en territoire allemand. Pire encore, pour pouvoir conserver leurs usines, les Wendel doivent opter pour la nouvelle nationalité allemande. Profitant de la situation, un groupe de banques allemandes font une proposition d’achat de leur empire industriel. Mais Henri I et Robert de Wendel, Théodore de Gargan refusent : “ Pouvons-nous d’ailleurs nous résoudre à voir passer en des mains étrangères toutes ces propriétés qui depuis si longtemps appartiennent à notre famille ?” Devenir allemands, rester français, garder le patrimoine, tels sont les termes de la problématique. 


Carte des usines Wendel en Lorraine annexée

Hayange, Moyeuvres, Stiring-Wendel sont en territoire allemand. Henri I de Wendel pour pouvoir continuer à gérer les biens de la famille opte pour la nationalité allemande. Il est le  seul. Son geste n’a rien à voir avec une idée de collaboration avec ceux qu’ils considèrent comme l’ennemi. Leur céder l’entreprise aurait été un acte de trahison bien plus grand. Théodore de Gargan et Robert de Wendel, restés français, peuvent venir à Hayange, mais pas trop souvent et pas trop longtemps. Le nouveau gouvernement impérial sait leur rappeler que leur présence, en tant que français, n’est que tolérée. 

L’aciérie avec le château d’Hayange au premier plan

S’ils veulent résider en Lorraine annexée, ils doivent devenir allemands. Le prince de Hohenlohe, ambassadeur d’Allemagne à Paris est clair : “On refuse l’autorisation de séjourner en Alsace-Lorraine à tous ceux qui, ayant opté pour la nationalité française, n’ont pas atteint l’âge auxquels ils sont exempts du service militaire…” Henri I de Wendel sera de 1881 à 1890 député au Reichstag, siégeant en qualité de protestataire. Il tente de se battre pour permettre à la Lorraine de redevenir française. C’était une cause largement perdue d’avance. 

Bulletin de vote en faveur d’Henri de Wendel

Mais les affaires étant ce qu’elles sont, les Wendel  savent faire avec la nouvelle situation. Non seulement ils s’agrandissent par de nouveaux achats de forges et de mines, mais ils se modernisent. Ils achètent des brevets à prix d’or et en sont largement récompensés.

Rien ne les empêche de s’agrandir du côté français. Il leur suffit de créer une nouvelle société, le 13 février 1880, “Wendel et Cie”. 

Joeuf, à deux pas d’Hayange, mais en France, est leur nouvelle forge. Une nouvelle ville voit le jour. Les ouvriers sont présents au nouveau rendez-vous, Lorrains annexés qui traversent facilement la frontière, mais aussi de nouveaux venus italiens. Le choix de Joeuf est un heureux hasard, car tout près à Briey existe un gisement de fer, plus accessible et plus riche en minerai qu’à Hayange. Nul le savait. A cette nouvelle aventure s’associent les ennemis et concurrents d’hier, les Schneider, du Creusot, mais aussi les vieux complices comme les Banques Seillière et Demachy.


L’usine de Jœuf en France

Le développement des affaires est tel que “Les Petits-Fils de François de Wendel” devient la quatrième entreprise sidérurgique d’Allemagne. Il siègeront au Comité des Forges allemand en 1904. Mais Robert de Wendel, resté français, siègera dès 1898 au Comité des Forges français, grâce à Joeuf, ses mines et ses entreprises annexes. Extension en Allemagne extension en France, extension en Hollande, c’est l’âge d’or. 20000 ouvriers travaillent de part et d’autre de la frontière pour produire en 1900 671 000 tonnes de fonte et 476 000 tonnes d’acier. En 1914, ces productions auront doublé. 

François I de Wendel, le grand-père, avait été économe, Charles II de Wendel et Théodore de Gargan avaient su conserver une certaine discrétion dans leur façon de vivre. Il n’en fut pas de même pour Henri I et Robert de Wendel. Aux alliances prestigieuses, La Rochefoucauld, Maillé, Radziwill - on n’est plus dans la noblesse lorraine mais dans les grands noms de France et de l’étranger - il faut ajouter des vies de châtelains.
C’est la grande période d’achat et de construction de demeures extravagantes, hôtels particuliers et châteaux. Charles II avait commencé avec l’hôtel de la rue de Clichy, mais qui restait dans ce que l’on attendait d’un industriel très riche. 

Château d’Hayange au XIXe

Le château d’Hayange, de la charmante demeure du XVIIIe, siècle était devenu une énorme bâtisse, bien trop marquée par le style de la fin du XIXe et adossée à l’usine.

Château vu de l’aciérie, avec les bureaux à gauche de la photo

Hayange en Lorraine annexée

Henri I ajoute au patrimoine en 1897, le château de Vaugien, dans la région  parisienne,  à St Rémy-les-Chevreuses, élégante demeure du XVIIIe, qui échappe à toute transformation et  n’est pas sans rappeler le Petit Trianon. 

Château de Vaugien en vallée de Chevreuse

Robert de Wendel, époux de Consuelo, suit les idées de grandeur de sa femme avec le château de l’Orfrasière, en Touraine, avec 1200 hectares de terre. D’une ravissante demeure, ils font un énorme pastiche dans le genre château de la Loire, à coût de 6 millions de francs. Ils ajoutent à leur résidence un bel hôtel particulier à Paris.


Château de l’Orfraisière

Et ajoutons Guy de Wendel (1878-1955) fils aîné de Robert,  qui achète et fait agrandir le château de Tournebride, près d’Hayange. 

Château de Tournebride

Ledit Hayange, étant en territoire allemand, l’oncle Henri se doit d’avoir quelque chose en territoire français et fait construire le château de la Brouchetière, toujours proche du château familial. 


Château de la Brouchetière

Les Gargan ne sont pas en reste avec le château de Bétange, à Florange, et le château de Preisch, à la frontière du Luxembourg.

Château de Bétange

Château de Preisch

Caroline de Montaigu suit l’exemple de ses frères. Elle achète le château de la Bretesche, en Loire-Atlantique, 

Château de la Bretesche

et un hôtel particulier de 3000 m2, l’ancien hôtel de Vogüe, 18 rue de Martignac, une des plus exclusives de Paris, construit en 1882,

Hôtel de Vogüe - Montaigu

et une villa à La Baule. Ces résidences existent toujours, avec des destinations différentes, hôtel, golf et administration publique.

La Villa Caroline à La Baule

En 1910, Maurice de Wendel achètera l’hôtel de Sourdeval-Demachy, d’une superficie de 2750 m2, au 28 avenue de New-York.

Hôtel de Sourdeval-Demachy

Le grand salon fut décoré par José-Maria Sert en 1922. Il est actuellement exposé au Musée Carnavalet.

Décoration de José-Maria Sert 

Malgré trois siècles d’ancienneté de noblesse reconnue, malgré de belles alliances aristocratiques, les Wendel au début du XXème siècle affichent des goûts de parvenus dans leurs choix architecturaux..

Le grand bouleversement approche. Le 28 juin 1914, un archiduc est assassiné à Sarajevo, le 2 août 1914, l’Europe est en feu. Elle sera bientôt à sang. Mais les guerres n’ont-elle pas fait jusque là la fortune des Wendel ?

L'attentat de Sarajevo




01/04/2021

Les Wendel une dynastie d’acier et d’argent - Deuxième partie vers le pactole


François de Wendel d'Hayange (1778-1825)

1802, après la mort de Madame d’Hayange s’amorce une renaissance spectaculaire. Ce fut au troisième fils d’Ignace et de Marguerite, François I Charles de Wendel, que revint cette tâche, une fois de plus aidé par les guerres européennes, jusqu’en 1815.

L’amnistie proclamée en 1802 par le Premier Consul permit aux Emigrés de rentrer en France. On ne sait pas grand chose des deux aînés, Charles-Antoine né à Metz le 23 mars 1774 et décédé à Strasbourg le 8 novembre 1832, et Antoine Louis, né à Metz le 3 janvier 1776, mort en 1828. Charles-Antoine fut capitaine dans le Régiment de Rohan, dans l’armée des Emigrés et Antoine-Louis fut lieutenant dans le même régiment. Ils moururent sans postérité.

François I est né le 19 février 1778 à Charleville. Comme son père, il entame très tôt, à douze ans, une carrière militaire. Mais ce sera dans la marine, comme élève-officier. Il navigue jusqu’en 1792, sur la corvette “La Badine”. 

Corvette “La Badine”

Mais à quinze ans, en 1793, il décide d’émigrer et s’engage, comme ses frères aînés, dans l’Armée des Princes, dans le régiment de Rohan. Contrairement à son père qui ne prit jamais les armes contre la France, en 1795, il s’engage dans l’armée autrichienne. 1796, 1798, 1801 sont des années de campagnes où il fut blessé à deux reprises. La paix revenue, il décide de profiter de l’amnistie et se rend en Lorraine où il ne peut que contempler le désastre. Les forges et le château d’Hayange, qui ne sont plus à lui, menacent ruine. Il n’a pas d’argent et cherche conseil auprès du notaire de sa famille. Celui-ci lui apprend que l’acquéreur des biens Wendel, un certain Granthill, n’a pas pu payer les 16 millions demandés par la République française. Failli, il est dépossédé et la République remet les biens en vente. C’est la bonne nouvelle qu’apprend le notaire à l’impécunieux François. Il lui demande de s’en porter acquéreur et pour l’aider à financer demande le concours de Florentin Seillière ( 1744-1825), banquier à Nancy depuis 1795. 

Florentin, baron Seillière

Les Wendel et leur sérieux en affaires ne lui sont pas inconnus. En 1789, il avait pris à bail la forge royale de Ruelle, qui était dirigée par Ignace de Wendel. Nous retrouverons les Seillière dans l’histoire des Wendel.

Le jour de l’adjudication, le 27 juin 1803, un certain Charles Aubertin emporte l’ensemble pour 222 000 livres. En réalité les acquéreurs sont François I et Charles de Wendel, et leurs cousins Alexandre de Baltazar et Pierre Jacob de la Cottière. François I assurera la direction de l’affaire.

Il obtient un étalement du paiement en cinq échéances. Ne pouvant assurer la première il écrit au consul Bonaparte, en lui rappelant le nom de son père, “un ancien officier d’artillerie qui a sans doute eu l’avantage d’être connu de vous.” Il s’adresse également à Monge (1746-1818) le mathématicien, farouche républicain mais proche du consul Bonaparte qui cette année-là le nomme vice-président du Sénat. Monge, à l’époque ministre de la Marine, n’avait-il pas félicité son père, Ignace, dix ans plus tôt, pour sa promptitude à exécuter les commandes ! Il obtient donc les délais demandés et dès lors remboursera le prix de vente avec ponctualité, jusqu’à l’extinction de la dette en 1808.



Hayange début XIXe - Le château et l’usine

François I de Wendel se lance alors dans une politique d’investissement successifs, grâce aux bénéfices réalisés. Comme son père il sait que le charbon de terre est l’avenir de la sidérurgie, mais il doit faire avec le charbon de bois. Il achète donc des forêts à Ranguevaux, un moulin près d’Hayange et son droit d’eau. En 1807, il fit construire une platinerie, toujours près d’Hayange. En 1811, ce sont les forges de Moyeuvre. “Hayange et Moyeuvre sont susceptibles du plus grand, du plus immense développement et tout annonce qu’on réussira”. Le banquier Seillière le suit toujours dans ses investissements. Il achète une nouvelle forges cette fois-ci près de Trèves, en Rhénanie, à 80 kms d’Hayange. 

En 1807, il est nommé maire d’Hayange puis en 1808, conseiller général de la Moselle. Sans jouir de la faveur impériale, il n’entretient pas moins d’excellentes relations avec l’Administration et, comme ce fut le cas pour ses ancêtres, les guerres impériales l’enrichissent. 



Joséphine de Fischer de Dicourt

Entre-temps, le 6 février 1804, à Metz, il a épousé Joséphine de Fischer de Dicourt (1784-1872). Son père, Pierre Alexandre (1755-1826), seigneur de Dicourt et Boncourt, a été président du bureau des finances de Metz (1780) et commandant en second de la Garde Nationale de Metz (1790), chef de bataillon d'infanterie au 12éme de Ligne, puis lieutenant-colonel et un des premiers membres de la Légion d’Honneur en 1804. Sa mère Anne de La Chèze est l’arrière-petite-fille de Jean Martin de Wendel. Ils sont donc cousins.

Château de Boncourt appartenant aux Fischer de Dicourt

Leur train de vie sera modeste durant les premières années car tous leurs revenus passent dans les investissements.

Ancien émigré, François I de Wendel, travaillant avec et pour l’Empire français, est resté dans son coeur fidèle aux Bourbons. Le 15 avril 1814, il obtient du général Hugo (1773-1828), père de Victor, la reddition de Thionville devant les armées alliées. Pour l’en remercier, le 25 septembre 1814, le duc de Berry se rend en personne à Hayange. Et en janvier 1815, il est fait chevalier de Saint-Louis. Les aspirations légitimistes de François I de Wendel sont satisfaites et ce ne sont pas les Cent-Jours qui viennent le contrarier. 

Le duc de Berry ( 1778-1820)

Intervient alors un épisode assez surprenant, François I de Wendel, rentré en France en 1803 et propriétaire depuis cette date de ses forges, marié en France, y occupant des fonctions officielles, est déclaré être resté sous les drapeaux autrichiens jusqu’en 1809. Pour quelle raison, cette tricherie ? Probablement pour montrer son attachement indéfectible à la cause des Bourbons, n’ayant jamais pris les armes contre eux, même si ces boulets canardaient leurs alliés . Il sera fait maréchal de camp de la garde nationale. 

Ses deux frères feront aussi état de services auprès des princes et jamais auprès de Bonaparte.

Toujours fidèle au roi, il sera élu député de la Moselle dans la “Chambre Introuvable” mais il ne sera jamais du côté des Ultras, suivant ainsi Louis XVIII. Favorable au protectionisme,  avec des droits de douane élevés, servant ainsi ses intérêts industriels, il demande toutefois à la Chambre d’appliquer des droits minorés en faveur des départements lorrains, où il a ses entreprises. En fait, il a besoin de la houille étrangère mais ne veut pas en payer le prix augmenté de droits de douane élevés. 

En 1818, la Sarre est détachée de la France, or c’est là que se trouve la houille, dont les mines ont été relevées par un ingénieur français, Théodore de Gargan, qui sera bientôt lui aussi de la famille. 

François I de Wendel va chez ses concurrents au Pays de Galles pour apprendre à moderniser ses usines. Il va au  charbon, au propre comme au figuré.

Encore des investissements, usine de Moulin Neuf, usine de Jamailles, maîtrise de la combustion au coke, introduit le puddlage.  Il est difficile d’entrer ici dans la définition et la présentation des techniques de la métallurgie. Ce procédé qui consiste  à chauffer la fonte à très haute température permet la fabrication en grande quantité de fer, aux caractéristiques supérieures à celles de la fonte.

Toute l’énergie de François I de Wendel tend à l’amélioration des techniques, à l’abaissement des coûts en augmentant la production. Il n’invente rien. Il apprend et applique. 

Nouvel honneur le 24 novembre 1818, le duc d’Angoulême, héritier du trône en second, vient à Hayange “ Monseigneur a voulu voir le travail des forges dans ses détails et a porté principalement son intérêt sur tout ce qui a rapport au service de l’artillerie” ( Le Moniteur)

Le duc d’Angoulême (1775-1844)

Secrétaire de la Chambre des Députés depuis 1819, membre du Conseil général des Manufactures de France, la pairie est en vue. C’est du moins ce que lui laisse entendre le président du Conseil, Elie Decazes, le favori du roi. L’assassinat du duc de Berry met fin aux espoirs de François de Wendel. Accusé de laxisme, Decazes est contraint à démissionner. Le duc de Richelieu son successeur n’a pas les mêmes intentions envers François de Wendel. A défaut de pairie, il sera officier de la Légion d’Honneur. Piètre compensation ! Cependant, il reste fidèle au roi et à son gouvernement, toujours dans une optique conservatrice modérée. “Vous connaissez, Messieurs, l’état prospère dont nous jouissons; c’est à le perpétuer que tendront nos élus…Vive le Roi.!” ( discours prononcé lors des élections de 1822)

En sa qualité de président du Conseil général de la Moselle, il crée une école normale d’instituteurs et obtient la création de l’Ecole des Mines à  Nancy.

En 1821, ses frères contestent la cession de leurs parts à bas prix. Une crise économique se profile. Il n’y a plus de guerres, origines de la fortune. Mais  dans une déclaration optimiste et réaliste,  alors qu’il est de nature pessimiste, François I de Wendel dit : “Pendant plusieurs années encore, le débit des fontes est certain : il se forme d’immenses entreprises, des canaux, des pompes à feu, des chemins de fer, l’éclairage au gaz, des constructions en fer, des conduites d’eau…” Il annonce les progrès imminents de l’économie au XIXe siècle. 

Le 11 mars 1825, François I de Wendel meurt à Metz. 


Acte de décès de François de Wendel

Il a 47 ans. Il n’a pas obtenu la pairie qu’il désirait mais son bilan est immense. 2000 ouvriers produisent 9000 tonnes de fonte, une entreprise avec 7 250 000 francs de capitaux permanents, un bénéfice annuel de 11,3%. 

La forêt de Forbach  (Cadastre Napoléonien)

En 1825, il a acheté les forêts de Forbach, un investissement de 360 000 Francs pour 1250 hectares. Cette forêt appartenait à la descendance du duc Christian IV des Deux-Pont-Birkenfeld (1722-1775), et de son épouse morganatique, Marianne Camasse (1734-1807), oncle et tante de Maximilien Ier Joseph, premier roi de Bavière. François I de Wendel ne le saura jamais mais cette forêt représente un immense gisement de houille. Sa mort ne met pas fin à l’expansion de la famille de Wendel. 

Il y eut une Madame d’Hayange au XVIIIe siècle, il y aura une autre Madame d’Hayange au XIXe siècle. Joséphine, l’épouse qui a tout partagé avec lui, reprend le flambeau. Elle a 41 ans. Elle est veuve, a quatre enfants et une entreprise en plein développement.

Marguerite Joséphine , l’aînée née le 20 décembre 1804, a 21 ans. Puis vient Victor François, né le 24 février 1807. Alexis Charles, le troisième, est né le 13 décembre 1809. Et enfin, Anne Caroline est née le 6 avril 1812. 

Wendel par mariage et Wendel par le sang, elle est une femme de tête. Sa première décision est de constituer une indivision entre elle et ses enfants, afin d’éviter le risque de dispersion du patrimoine, permis par les nouvelles lois. Trois des enfants sont mineurs, une est majeure, Marguerite Joséphine. Il convient de la marier au plus vite selon les besoins de l’entreprise. Un homme est là, Théodore de Gargan. 


Théodore de Gargan (1791-1853)

Le 22 mai 1826, un peu plus d’un an après la mort de François I de Wendel, Marguerite Joséphine devient baronne Théodore de Sagan du Chastel. Théodore de Gargan, ingénieur des mines, avait découvert le trésor de la houille en Sarre. Non seulement il est digne d’entrer dans la famille mais d’en prendre la co-direction. Veuf en premières noces d’Eugénie-Marie de Beauffort, dont il a trois enfants morts en bas âge, il a 13 ans de plus que Joséphine. Il est d’une très ancienne noblesse de l’Artois, dont une branche s’est installée en Lorraine par le mariage de Théodore François de Gargan avec Suzanne Hue de Saint-Rémy, qui lui apporte les seigneuries d’Inglange, d’Hastoff et de la Petite Hettange. L’époux de Joséphine de Wendel est leur petit-fils, l’aîné de sa branche. Il possède le château d’Inglange. C’est un bon mariage. Il ancre les Wendel une fois de plus dans la noblesse lorraine et il apporte une grande compétence aux affaires de famille. Il confirmera que les bois de Forbach ont en sous-sol une mine de charbon immense, qui apportera aux Wendel d’énormes ressources. 

La primogéniture aurait voulu que ce soit Victor qui devienne le chef des forges mais cela l’intéresse peu. Son mariage avec Pauline de Rozières, en 1831, fera de lui un riche propriétaire foncier mais sa postérité se retrouvera dans l’empire familial. 

Anne Caroline devient en 1835 baronne Jean Baptiste du Coetlosquet. Sa postérité s’éteindra sans descendance. 

Charles II de Wendel

Charles II de Wendel est le dernier à se marier. Il épouse le 29 mai 1843 Jeanne-Marie de Peychpeyrou de Comminges, fille du comte de Guitaut. Il a 34 ans. 

A 19 ans, il avait été reçu à Polytechnique. Puis il partit pour l’Angleterre ou pendant quatre ans il se forma aux nouvelles techniques de ce pays très en avance dans le domaine de la métallurgie. Son retour à Hayange en 1834 lui permet de prendre la direction des forges avec son beau-frère. 

Le XIXe siècle est le siècle des inventions et les Wendel vont savoir en profiter. Des milliers de voies de chemins de fer sont à construire, en même temps que des locomotives et des wagons, des ponts, des bâtiments d’exposition. De son vivant Charles de  Wendel voit la production de charbon passer de six millions de tonnes par an à quatorze millions en 1860. La production d’acier grâce à plusieurs inventions successives devient primordiale. Les Wendel se doivent d’être à la tête du progrès. Tout ceci est facilité par la fameuse forêt de Forbach et son sous-sol. En 1846, avec Théodore de Gargan, il y fonde le village de Stiring-Wendel, du nom d’un petit hameau de la forêt. 

Eglise St François à Stiring-Wendel

A Stiring il fera bâtir quatre hauts-fourneaux produisant chacun 3300 tonnes de fonte. Trois mille cinq cents personnes y vivent dans des logements construits par les forges. Chaque famille travaillant pour les Wendel y dispose d’une maison à étage avec un jardin. Ecoles et dispensaires sont construits et leur accès est gratuit. Sans parler de l’église au centre de la petite ville ! 

Il lui faut assurer ses arrières en se portant acquéreur de houillères près de Liège. 


Stiring-Wendel ville modèle du paternalisme social

Avec la mise en place de l’empire industriel, se met aussi en place le modèle social des Wendel. Il sera qualifié de paternaliste mais bénéficiera à des générations qui ont travaillé et vécu aux alentours des forges, à Stiring, Hayange et autres lieux. Le principe est simple : logement, instruction, soins gratuits, le tout doté d’une retraite accordée à ceux qui ont passé leur vie à travailler dans les usines Wendel. Charles II de Wendel est un patron à l’écoute de ses employés. Il est accessible à tous. Dans un rapport quasi-féodal, il assure travail et protection, les employés lui assurent fidélité et engagement. Ce modèle social devra attendre la fin du XIXe siècle, voire le milieu du XXe pour devenir le modèle de référence qui sera promulgué par les lois de la République. 

Charles II de Wendel, comme son père, n’oublie pas la politique. Il sera élu conseiller général de la Moselle en 1848, puis député à l’Assemblée nationale en 1849. Il sera membre du corps législatif jusqu’en 1866. Il sera fait chevalier de la légion d’Honneur. 

En 1857, l’empereur Napoléon II lui fait l’honneur de s’arrêter à Stiring et lui confère le statut administratif de commune. Mais Charles II n’est pas bonapartiste, il est resté légitimiste, allant présenter ses devoirs au comte de Chambord en exil. L’empereur le sait et ils n’auront entre eux que des rapports de courtoisie et de bonne entente sur les affaires. Au Corps législatif, il intervient peu et s’il le fait, c’est dans un esprit critique. Il fera quatre législature entre le 13 mai 1849 et le 19 février 1867, sous le groupe “Droite” d’abord puis “Majorité dynastique”.

Un empire comme celui des Wendel, une société en pleine mutation économique ne peuvent pas être sans à-coups, voire sans crise. Le libéralisme des échanges avec le Royaume-Uni constitue un danger pour l’industrie métallurgique française. Mais les Forges de Wendel sont solides et peuvent résister à bien des attaques et notamment à la concurrence des nouveaux venus, les Schneider, au Creusot.

Le Creusot, créé par Ignace de Wendel, son grand-père, est désormais le fief économique du concurrent. En 1836, au moment où Charles II prend en mains les affaires familiales, Joseph Eugène Schneider (1805-1875) se voit mis en selle par la banque Seillière, celle même quai avait aidé François I de Wendel en 1803.  La banque  a acheté les forges de Bazeilles dans les Ardennes, elle y nomme Eugène Schneider comme gérant. Le 27 décembre 1836, après avoir trouvé le montage financier, François-Alexandre Seillière, Louis Boigues, propriétaire de forges à Fourchambault dans la Nièvre et les frères Adolphe et Eugène Schneider, se portent acquéreurs de tous les établissements du Creusot. 

Joseph Eugène Schneider (1805-1875)

Adolphe et Eugène Schneider deviennent les cogérants de la nouvelle société : “Schneider frères et Cie" société en commandite par actions, passée sous le nom de “Schneider et Cie” au décès d'Adolphe en 1845. Ils développent une entreprise spécialisée dans trois secteurs : la sidérurgie avec les fonderies et forges ; les constructions mécaniques : rails de chemins de fer, locomotives à vapeur, ponts et charpentes, armement, ainsi que la construction navale ;  les mines de charbon. Autrement dit, ils empiètent sur le territoire et les possibilités de développement de Charles II de Wendel. Et à la différence  de ce dernier, ils sont proches du pouvoir impérial et grâce à des participations bancaires comme la Société Générale, la Compagnie de Chemins de Fer Paris-Lyon Méditerranée, ont une activité beaucoup large, dépassant la métallurgie.

En 1867, Charles II quitte le Corps législatif lorsqu’Eugène Schneider en devient président, et ce jusqu’en 1870, à la chute de l’Empire mais Charles de Wendel ne verra pas la fin du régime. Il meurt le 15 avril 1870 en son hôtel de la rue de Clichy à Paris, au numéro 10, symbole de sa puissance. Le bâtiment fut édifié entre 1864 et 1867. Charles II de Wendel en profita peu.

Hôtel de Wendel, 10 rue de Clichy

L’architecte en est Sidoine Maurice Storez (1804-1881)  qui avait concouru pour le projet d'aménagement des Halles centrales de Paris en 1853, l’Opéra de Paris en 1860. Cet hôtel de 36 pièces sur 4 200 m2 est d’inspiration Louis XVI mais caractérisé par une certaine austérité, de ce bon ton propre à une famille bourgeoise, certes anoblie, et richissime. 

Hôtel de Wendel - escalier d'honneur

Le monogramme W orne le fronton du porche de la façade côté rue. La façade est percée de 7 fenêtres, l’élévation comprend rez-de-chaussée, entresol et trois étages. Habité par la famille de Mitry jusqu’en 1982, vendu en 1985 par la famille à une compagnie d’assurance, en 2011, l’hôtel de Wendel est transformé en école élémentaire de onze classes.

Hôtel de Wendel - un salon

La mère  de Charles II de Wendel, Joséphine de Fischer de Dicourt, la deuxième Madame d’Hayange, qui avait cessé de garder un oeil sur l’entreprise, qu’elle avait su transmettre à sa famille, lui survivra de deux ans. Elle est morte le 13 mars 1872 à Metz, à l’âge de 88 ans. Elle va mettre en place le cadre dans lequel la famille évoluera, et ce jusqu’à nos jours.

Les Forges de Wendel ont, sous la direction de Charles II, prit une autre dimension. En 1828 elles produisent 4200 tonnes de fer, 5000 en 1837, 18900 tonnes en 1850 et 112500 en 1869, à la veille de sa mort. D’autres chiffres parlent aussi. De 1500 ouvriers on est passé à 10000, en comptant les mines. 

1870, mort de Charles de II Wendel, fin de l’Empire français et occupation du pays par les armées prussiennes. L’empire Wendel consolidé ne pourra pas toutefois ne pas être affecté par la partition de la Lorraine, annexée avec l’Alsace par le nouvel empire allemand.

Buste de Charles de Wendel, 

par Anatole Marquet de Vasselot (1873), devant la mairie de Stiring-Wendel.



25/02/2021

Les Wendel une dynastie d'acier et d'argent - Première partie : une ascension difficile

Armes des Wendel

“De gueules, à trois marteaux (précédemment des étendards) d'or, emmanchés du même, liés d'azur, dont deux passés en sautoir et le troisième brochant en pal et renversé, au tube de canon d'or posé en fasce, rangé en pointe, à une bordure d’argent.” Telle est la définition des armes parlantes des Wendel.

Comme pour beaucoup de familles, nobles ou non nobles, il y a toujours une incertitude sur l’origine. Pour les Wendel, l’origine semble être à Bruges, où à l’époque de Charles le Téméraire, ils s’appelaient De Wendel, le De étant l’article défini “le” en flamand. Leur nom se retrouve dans la liste des échevins de la ville, mais on ne sait rien de ce qu’ils faisaient, malgré un statut qui semblait éminent. 


Bruges vers 1550


Bruges au temps des De Wendel

La querelle religieuse qui a ensanglanté le XVIe siècle les a obligés à quitter Bruges et émigrer à Coblence. Leur nom y apparait pour la première fois en 1605 sur un acte d’état-civil, la naissance de Jean-Georges, fils de Jean Wendel et Marie Wanderen. Qu’ont-ils fait au cours du XVIIe siècle ? Rien d’autre que les autres, qui avaient le courage et surtout le besoin de se battre pour un prince dans une Europe dévastée par les guerres, dont celle de Trente ans (1618-1648) qui a opposé les Habsbourg catholiques aux princes protestants du Saint-Empire. Les Wendel se battirent du côté Habsbourg et de leur allié, le duc de Lorraine. 

Jean-Georges Wendel né le 18 octobre 1605, épousa Marguerite de Hammerstein et devint colonel d’un régiment de Cravates (Croates) sous les ordres de l’empereur Ferdinand III. Jean-Georges décèdera en 1708 à l’âge de 103 ans. Son fils Christian, né à Coblence le 3 avril 1636, est lui aussi officier dans la cavalerie impériale. En 1656, il épouse en premières noces Dorothée Agnès Jacobs et veuf se remarie avec Claire Sauerfeld  (1740-1712) le 4 janvier 1660, à Luxembourg. Ce mariage lui apporte une partie du fief de Longlaville, près de Longwy et installe la famille en Lorraine. Il achète le reste du fief à la famille d’Eltz qui possède les forges d’Ottange.  Le couple a six enfants, dont trois garçons, François qui mourut en 1742, sans enfants, Jean Martin, dont il sera parlé ci-après, et Jean Baptiste qui devint avocat au Parlement de Metz en 1721. 

Jean Martin nait le 22 février 1665 à Longlaville, sur le domaine de sa mère. On ne sait pas grand chose de sa vie jusqu’en 1704, où se dessine enfin le destin de la famille. Il a travaillé à la forge pour la famille d'Eltz, de nobles luxembourgeois. Vers 1700, il a épousé Anne Marie Meyer qui lui apporte un petite dot.


Haut-Fourneau au XVIIIe

Quand il apprend qu'une forge, location du roi de France (c'est-à-dire qu'elle fond exclusivement pour le royaume de France) est à l'abandon. Il signe, le 26 mars 1704,  un contrat le liant au Roi de France et acquiert ainsi : les forges de la Rodolphe et le fourneau de la Magdeleine, 2 affineries, 1 chaufferie et une maison de maître inhabitable, pour la somme de 9.621 livres, et un loyer annuel de 100 livres. Il s'affaire dans un premier temps à faire fonctionner au mieux les forges puis réhabilite la maison en 1720. Il est installé à Hayange.

Une forge au XVIIIe

Un maître de forges était un gentilhomme qui exploitait des mines de fer et transformait le minerai en métal. Exploitant le sous-sol de terres lui appartenant il ne dérogeait pas, tout en pouvant faire commerce de son industrie. Jean Martin Wendel n’en est pas encore à la noblesse. Il y aspire. Etre maître de forges n’est pas une sinécure, il faut extraire le minerai, le laver, puis le chauffer pour le transformer en fonte. L’extraction se fait en surface et la combustion des fourneaux dévore des forêts entières. Quand tout va bien, le maître de forges vit noblement dans son château, tout près de sa forge. Quand tout ne va pas bien, il doit faire comme Jean Martin, c’est-à-dire “être aux fourneaux”. Il doit remettre en état ce qu’il vient d’acheter, il doit acheter des forêts pour alimenter son fourneau. 

Charbon de bois ( Gravure de l’Encyclopédie)


Il se heurte au monde rural local qui lui reproche le déboisement, car les paysans trouvaient le bois pour se chauffer dans ces immenses forêts, et qui lui reprochent aussi de polluer la rivière en lavant son minerai. Jean Martin Wendel enlève aux paysans le bois pour se chauffer le poisson pour manger. En outre, dans l’imaginaire de l’époque le feu et le fer, avec leur relent d’enfer, sont perçus comme maléfiques. Il ne se laisse pas décourager pour autant et établit une réputation de sérieux dans la région. 

En 15 ans, il bâtit cinq hauts-fourneaux, il achète encore plus de forêts, des terres et deux fermes, jusqu’à faire devenir sa famille, au siècle suivant, le plus grand propriétaire foncier de Lorraine. Il aura emprunté des sommes importantes, l’équivalent de plusieurs millions d’euros aujourd’hui. 

Son activité et ses prises de risques sont favorisées par la situation internationale. La Guerre de Succession d’Espagne s’ouvre au début du siècle pour se terminer treize ans plus tard. L’Europe est dévastée, la France ruinée mais la Lorraine épargnée. Jean Martin s’enrichit en approvisionnant la France en affûts de canons et en boulets. La guerre finie, il achète une deuxième forge. Il a de grosses dettes, qu’il honore, mais qu’il purge avec le système établi par Law, qui n’a pas ruiné tout le monde et surtout pas Jean Martin. Il est un homme d’affaires prospère, sans dettes et propriétaire d’un château. Il ne lui reste maintenant qu’à acquérir la noblesse. Les Wendel se prétendent déjà nobles mais sans pouvoir le prouver, le duc de Lorraine les aide et en 1727 confirme leur noblesse. Mais c’est en France, qu’il a si biens servie, que Jean Martin veut être noble. Et en 1730, Louis XV lui confère une charge anoblissante, secrétaire du roi en la chancellerie du Parlement de Metz. Désormais leur blason va proclamer haut et fort qui ils sont. La couronne comtale est là pour faire joli car jamais les Wendel n’ont porté ce titre. Il seront désormais “de Wendel”.


Château d’Hayange au XVIIIe

Il meurt, noblement en son château, en 1737, laissant une fortune évaluée à 700 000 livres. Il a eu quatorze enfants. Ses enfants, sept filles et six garçons, font des mariages flatteurs pour le prestige familial et s’installent encore plus dans le réseau nobiliaire lorrain. Mais au-delà du prestige, il y a aussi l’intérêt économique des unions familiales. Sa fille Reine épouse Gabriel Palteau, plus tard de Veyremange. Il devient commissaire de la guerre puis Intendant Royal des Armées et des Postes. Utile !

De ses enfants, Charles, connu sous  la “numérotation” Charles I, est celui qui va continuer l’ascension métallurgique de la famille. Né le 19 février 1708 à Ottange, il passe son enfance sur les lieux de sa fortune future. Le 10 mai 1739, à Sarreguemines, il épouse Anne Marguerite d’Hausen, dont le père, Jean Alexandre ( 1691-1755) est receveur des finances de Sarreguemines, mais aussi propriétaire foncier et industriel dans la faïence et dans le sucre, plus ou moins heureux. Sa fille apporte en mariage la dot de 60 000 livres, somme non négligeable.


Château d'Hausen XVIIIe siècle

La Guerre de Succession d’Espagne avait enrichi le père, les Guerres de Succession d’Autriche et de Sept ans enrichirent le fils. Les forges d’Hayange fournissent les armées du roi de France en boulets, en affûts de canon et en casques pour les cavaliers. Les batailles de Fontenoy(1745), de Lauffeld(1747), de Rossbach (1757) et tant d’autres, sur terre comme sur mer, contribuèrent activement à l’enrichissement de Charles I de Wendel. 

Cette activité industrielle très importante ne va pas sans inconvénients. Il faut du bois, beaucoup de bois pour alimenter les hauts-fourneaux. Il en achète mais le duc de Lorraine réglemente l’exploitation des forêts en la limitant. Il faut trouver d’autres forges. Il en achète une près de Sarreguemines. Les guerres demandent encore plus de fer, et le bois ne suffit bientôt plus. C’est de l’ennemi sur terre et sur mer que viendra plus tard la solution. En Angleterre commence l’exploitation du charbon de terre, autrement dit la houille, qui transformé en coke fera des merveilles. Mais Charles I de Wendel n’en maîtrise pas encore la technique. 

La fortune de Charles I suivra celle de Louis XVI. Les guerres d’Amérique épuisent le pays par des ponctions d’argent qui mettent en péril le budget de l’Etat. Charles I fournit au roi ce dont il a besoin pour mener la guerre, mais a du mal à se faire payer. Il meurt le 4 septembre 1784 à Hayange, sans connaître la faillite des finances du royaume qui emporta la monarchie. Son bilan est largement positif. Le patrimoine reçu de son père a été multiplié par quatre. Le nom Wendel est désormais synonyme du “Maitre de Forges”. Né dans une noblesse non reconnue, il a été un des membres proéminents de l’aristocratie lorraine. Il a château à Hayange et hôtel particulier à Metz. A la fin de sa vie, il était plus souvent à Versailles pour se faire payer qu’à Hayange pour gérer ses affaires et ses forges. 

Marguerite d’Hausen, dite Madame d’Hayange

Anne Marguerite d’Hausen, son épouse, le remplace et fait tourner l’entreprise sans difficulté. A la mort de son mari, elle prend les rênes de l’empire métallurgique. Elle sera appelée désormais Madame d’Hayange.

Charles et Anne Marguerite eurent cinq enfants, trois filles, Louise (1742-1800), Reine (1743-1825) et Catherine(1746-1812) et deux garçons, Ignace François(1741-1795), Pierre Louis (1745- ) qui sera officier.

Louise épouse en 1776 Louis de Balthazar de Gachéo, lieutenant-colonel, qui aidera à l’entreprise familiale. Reine épouse en 1773 Joseph de Lagasse d’Elseau. Catherine épouse en 1772 Jean de Jacob de la Cottière de Chapuis, capitaine, qui lui aussi s’investira dans la forge. 

La dynastie de fer se poursuit en la personne de l’aîné Ignace de Wendel. La première particularité du personnage est que très tôt, il quitta la Lorraine. Après des études à l’Ecole Royale d’Artillerie de Metz, il est nommé sous-lieutenant à 16 ans. En 1757 et 1758, il combat en Allemagne, notamment à Crefeld durant la Guerre de Sept ans. Il sera un officier de carrière, changeant plusieurs fois de garnison : Cherbourg, Le Havre, Granville, Thionville et Metz. En 1772, il épouse Françoise Cécile du Tertre, fille du président à Mortier du Parlement de Metz. Il aurait dû continuer sa carrière d’officier jusqu’à la reprise en mains des forges à la mort de son père.

Jean-Baptiste de Gribeauval (1715-1789)

Mais Jean-Baptiste de Gribeauval (1715-1789) inspecteur de l'artillerie, promu lieutenant général, s’attaque à la modernisation du corps des mines et de l’artillerie. Il fait éprouver à Strasbourg des pièces légères de bataille et démontre qu'elles durent aussi longtemps et et donnent des portées quasi identiques aux lourdes pièces de l'ancienne ordonnance de 1732.  Il développe le premier système complet d'artillerie française, divisé en artillerie de campagne, de siège, de place et de côte. Pour pouvoir mettre à bien son programme, il faut non seulement de la fonte mais aussi du fer et de l’acier. Or ces deux derniers sont essentiellement produits par l’ennemi, l’Angleterre. On ignore comment Ignace de Wendel entra dans les grâces du duc de Choiseul mais à l’âge de 27 ans, en 1768, il se voit confier par le secrétaire d’état aux affaires étrangères, la mission de “parcourir les forges du royaume et même de l’étranger”. Il est possible que le nom de Wendel n’ait pas été étranger aux oreilles de Choiseul. La France ne venait-elle pas d’annexer la Lorraine à la mort du roi Stanislas Leszczyńki, en 1766 ?



Etienne François, duc de Choiseul ( 1719-1785) par Louis Van Loo

C’est un véritable tour de France et d’Europe qu’Ignace entreprend alors, les Flandres, l’Alsace, la France-Comté, le Berry, le Nivernais. En Styrie et en Carinthie, il parfait ses connaissances dans la fabrication du fer et de l’acier, les points faibles de l’industrie métallurgique française.  En 1775, ce sera l’Angleterre, plus performante dans ce domaine. Ignace est inspecteur général de l’artillerie mais il est surtout un apprenti de haut niveau en vue du perfectionnement de la production métallurgique, dont doit bénéficier son pays et bien entendu les forges d’Hayange. Il faut absolument passer de la production de fonte à celle de l’acier, beaucoup plus souple, où depuis 1735, les Anglais sont passés maîtres.

En 1779, Gribeauval envoie aux forges d’Indret, près de Nantes “ cet officier dont je connais le talent”, alors capitaine au Corps Royal d’Artillerie. 

John Wilkinson en 1776 par Gainsborough 

Ignace a pour mission d’aider William Wilkinson (1744-1808) à améliorer les performances des canons destinés aux Insurgés américains. Les Wilkinson sont une dynastie de métallurgistes anglais. John Wilkinson (1728-1808) par ses inventions modernisera toute l’industrie métallurgique anglaise. En 1775, il a construit le premier pont en fer.


William Wilkinson (1744-1808)

Le 7 avril 1780, Ignace de Wendel signe donc un marché valable pour 15 ans afin de prendre la direction de la fonderie d’Indret. Le ministre de la marine, Sartine, déclare : “J'ai décidé que le sieur Wendel sera chargé par régie de l'exploitation de cette fonderie jusqu'à ce que tous les différents établissements, ainsi que les modèles et les chassis soient finis, afin que les arrangements qu'il y aura à faire lorsqu'il devra s'en charger par entreprise soient plus aisés et moins compliqués”. Il en deviendra donc, non pas le régisseur comme son prédécesseur, mais l'entrepreneur. C'est-à-dire qu'il n'aura que la fabrication des bouches à feu. Le contrat est extraordinaire. Les vieilles fontes détenues par la Marine lui seront octroyées en priorité, les conditions de ces cessions sont également définies : “je les paierai sur le pied de cinquante livres le millier de celles qui seront jugées bonnes à refondre pour faire des canons pour l'armement des vaisseaux du Roy” et “quarante livres le millier de celles dont l'emploi me sera interdit pour le service du Roy”. Il a la faculté de travailler sans condition pour le commerce mais il reste entendu que cette activité annexe ne pourra en aucun cas être prioritaire sur celle dévolue à la Marine. Il sera donc autorisé à construire d'autres hauts fourneaux si la nécessité s'en fait sentir pour l'exploitation des lieux. Il en restera propriétaire durant les 15 années, etc…

En 1783, il perd son épouse, Cécile, avec laquelle il a eu quatre enfants : Antonia, Charles-Antoine (1774-1832), Antoine Louis (1776- ), François Antoine Charles (1778-1825).


Les Usines d’Indret

Si Indret reste la manufacture d’armes, les hauts-fourneaux, eux, seront construits au Creusot, à Montcenis précisément. Pourquoi Ignace de Wendel a-t-il choisi ce lieu ? Tout simplement parce que le site est riche en minerai et en charbon et que la Loire est une bonne voie de communication, jusqu’à Nantes. En 1785 la première fonte au coke est effectué sur le territoire français au Creusot. Clin d’oeil de l’histoire, Le Creusot deviendra le centre des affaires et des industries des grands concurrents de Wendel, les Schneider.


Le Creusot d'Ignace de Wendel

Ignace de Wendel voit les choses en grand : hauts-fourneaux plus puissants accompagnés de souffleries également plus puissantes, abandon des chariots pour transporter le minerai au profit de wagonnets sur rails, à traction animale. Les idées sont là, les moyens techniques aussi mais la situation du Trésor royal ne permet pas le financement sur fonds publics. Ignace décide de financer les investissements. Il ne peut investir des capitaux familiaux d’Hayange, son père ayant les pire difficultés à se faire payer. Il lui faut donc emprunter aux banquier Perier et de la nouvelle Caisse d’Escompte. Ils créent la société “Perier, Bettinger et Cie”. Les travaux de la nouvelle fonderie commencent en 1782.  En 1785, au Creusot, les hauts-fourneaux de 13 mètres de haut produisent 5000 tonnes de fonte. Le coke, tant envié des Anglais, est désormais la base de la fonderie. En 1787, Ignace de Wendel achète de nouvelles mines de fer, puis il achète la manufacture des cristaux de Sèvres. La société “Perier, Bettinger et Cie” devient “La Manufacture des fonderies royales d’Indre et de Montcenis et des Cristaux de la Reine”.

Il reçoit la Croix de Saint-Louis en quittant l’armée pour se consacrer aux affaires. Il sera le chevalier de Wendel. Il coule en un temps record les 667 canons demandés par le maréchal de Castries, à la plus grande satisfaction de ce dernier. Tout va bien pour la nouvelle entreprise. Les finances sont saines et ses équipes sont satisfaites de travailler pour lui car il fait édifier pour elles des maisons salubres, élever des églises et bâtir des écoles. Ignace est un modèle de l’Homme des Lumières auxquelles il a adhéré et fut toute sa vie. Il est déjà un monarchiste constitutionnel. 


Canon français en 1794

Sa mère gérant les forges d’Hayange depuis la mort de son mari, Ignace n’a pas à s’en occuper et peut se consacrer totalement à Indret et au Creusot. Mais les difficultés de la monarchie ne lui permettent pas d’investir les 600 000 livres dont Ignace a besoin pour continuer. A la veille de la Révolution Le Creusot ne produit plus qu’un quart de sa production de 1787. En deux ans, les perpectives de développement sont envolées. Seules restent les dettes. 

Les Wendel, désormais nobles, se voient menacés par les idées nouvelles, même s’ils continuent à travailler pour les armées françaises en 1791 et en 1792 par la fourniture de canons pour la flotte. Mais la Terreur se profile, et en 1794, la fonderie du Creusot est réquisitionnée. Ignace court à la ruine. Il en est de même pour sa mère. La dame d’Hayange a réussi à maintenir l’entreprise, avec l’aide de ses gendres, Alexandre de Balthazar et Victor de la Cottière, malgré les défauts de paiement de l’Etat et malgré l’hostilité grandissante de la population, quant aux coupes de bois et au lavage du minerai dans la rivière. Elle déclare à qui veut l’entendre qu’elle travaille en forgeant des armes pour la République. Elle n’est pas une noble oisive, vivant de ses rentes. Son petit-fils, Louis de Baltazar, est soupçonné d’être passé à l’armée des princes de Coblence, ce qui n’était pas vrai. Mais arrêté, il est guillotiné le 25 octobre 1793. 

Ignace est revenu à Hayange et même si sa mère a obtenu des autorités une sorte de brevet l’autorisant à travailler pour l”intérêt général, il comprend, lui, le constitutionnaliste convaincu, que ses idées libérales n’ont plus de valeur en cette période de terreur. Et il choisi d’émigrer, tout d’abord à Luxembourg, où il a des biens, puis en Allemagne. Malgré les services qu’il a rendus à son pays, il n’est pas rayé de la liste des Emigrés à la chute de Robespierre, il survit à Weimar, tentant de négocier ses services auprès du duc, dont Goethe est le principal ministre. Il entre en négociation avec eux pour tenter de construire un haut-fourneau mais c’est un échec. Il n’a plus la force de se battre et le 2 mai 1795, à la suite d’une prise trop forte d’opium, il meurt. Goethe lui rendra hommage en écrivant “Un honnête homme, déjà avancé en âge…Son malheur avait été si grand que ni la sympathie du prince, ni l’activité bienveillante de ses mandataires n’avaient pu le consoler. Loin de sa patrie, en un coin paisible de la forêt de Thuringe, il est tombé, lui aussi, victime de l’immense Révolution”


A Hayange, malgré un fils et des gendres en Emigration, un petit-fils guillotiné, Marguerite de Wendel continue à fournir aux armées. Elle n’a pas le choix. En 24 heures, elle réussit à fabriquer 850 gros boulets, 84 gros obus et 4800 balles. Mais le 30 décembre 1793, les forges sont mises sous séquestre. Le 5 avril 1794, elle est emprisonnée à Metz pour être traduite devant le Tribunal révolutionnaire. 


Le Tribunal révolutionnaire

La chute de Robespierre la sauve de l’exécution. Elle retourne à Hayange pour vivre dans deux pièces du château, de la charité d’anciens domestiques. On lui rend ses biens à la condition d’acquitter une somme de 589 076 francs qu’elle n’a pas. Elle écrit au ministère de la Guerre : “ La veuve de Wendel, propriétaire des forges d’Hayange et d’autres…de tous temps exploités par la famille pour le service de l’artillerie. Elle n’a cessé depuis plus de soixante ans de livrer les munitions nécessaires aux arsenaux de terre et de mer…”  Rien n’y fait, ses biens sont considérés comme biens d’émigrés et restent sous séquestre. Ils seront vendus pour la somme de 16 millions. Marguerite de Wendel n’en touche rien. Avec le peu qu’il lui reste, elle règle son passif en se libérant de quelques dettes envers ceux qui l’avaient soutenue. Elle se retire à Metz pour mourir dans la pauvreté le 4 janvier 1802.

L’ascension sociale, l’enrichissement, la contribution à la fourniture et donc à la gloire des armées françaises, tout ceci est du passé. Les guerres de l’Ancien Régime l’avait enrichie, les guerres de la Révolution la ruinèrent. Il n’y avait plus d’avenir pour la famille de Wendel.