11/03/2019

Marie Walewska - Quatrième partie


Armes du duché de Varsovie
Marie se laissa impressionner pas les discours déterminés de ce hauts personnages, incarnant la Pologne. «  La dignité de leur contenance, l’expression de ces âmes de feu, dévouées à la cause sacrée, à l’amour de la Patrie, passa dans la mienne. »

Mais elle n’abdiqua pas sa volonté facilement car elle comprenait que l’amour de la patrie allait lui faire abandonner ses devoirs d’épouse et de mère. Elle savait ce que l’empereur attendait d’elle et c’est son mari qui par son insistance allait être l’instrument de ce geste exceptionnel. Il lui reprocha de ne plus avoir l’enthousiasme patriotique qu’il lui avait connu et pour lequel il avait accepté de venir à Varsovie, d’avoir été maussade au bal, de fermer sa porte à ceux que lui, justement, veut attirer, de le faire passer pour un époux jaloux cachant sa femmes aux yeux du monde. « J’entends donc, j’exige, Madame, formellement que votre présentation ait lieu, que vous recherchiez et répondiez à l’empressement de toutes celles qui composent la haute société. Vous ne pouvez qu’y gagner en perdant cette timidité, en acquérant l’usage du grand monde qui vous manque. » Et il lui ordonna d’aller chez la comtesse de Vauban prendre les conseils nécessaire sur sa parure et sur l’étiquette. Elle répondit en murmurant « Que votre volonté soit faite » Celle de son mari ou celle de Dieu ?

Jamais mari ne fut aussi complaisant sans réaliser les conséquences de sa complaisance. En effet, le comte Walewski ne voyait dans cette introduction de sa femme dans le cercle impérial qu’un moyen d’asseoir sa propre position dans l’aristocratie polonaise et peut-être jouer un rôle important dans les évènements qui se préparaient. Il n’imaginait pas les conséquences de son arrivisme.
Lacomtesse de Vauban était le pur produit de l’Ancien Régime qui au moment de la Révolution avait émigré en Russie, où elle avait su se faire une place dans une société qu’elle avait charmée par son esprit et ses grandes manières. Elle tenait le salon du Prince Poniatowski. Etre distingué par elle était un brevet d’élégance. Et c’est ce que Marie vint chercher. Elle fut reçue avec amitié et chaleur. Marie qui savait désormais qu’elle ne pouvait échapper prit auprès d’elle les conseils qui l’aideraient à vaincre sa timidité et à paraître, ce qu’elle était au fond d’elle-même, une grande dame. La protection de la comtesse était le gage d’un succès assuré.

La comtesse de Vauban par Carmontelle
La comtesse de Vauban, née Henriette de Puget-Barbentane, amie de la comtesse Tyszkiewicz, soeur de Poniatowski, était la maîtresse du prince depuis 1793. Ils s’étaient rencontrés à Bruxelles. Il avait dix ans de moins qu’elle. Voici comment elle était décrite : grande, mince, élégante, au visage pâle, au sourire moqueur. Intelligente, mais surtout calculatrice, elle sait retenir l’attention des hommes par son apparence fragile et l’évocation habile des difficultés de son existence. Leur liaison dura jusqu’à la mort du prince.

« Timide, grave mais affectueuse par nature, je m’abandonnai au charme d’une amitié sans gêne, qui faisait tous les frais, toutes avances pour gagner mon coeur et ma confiance bien avant que j’eusse pu soupçonner un motif étranger à la sympathie que je supposais et le véritable lien de notre relation. » La comtesse de Vaubanétait du complot et en habituée de Versailles n’ignorait rien du jeu subtil de l’ascension sociale et des intérêts bien compris. Elle était la personne qu’il fallait pour séduire l’innocente Marie qui n’avait jamais eu à faire avec des roués.
Madame de Vaubanlui fit une scène quand elle apprit le retour des billets que Marieavait reçus de l’empereur: « Non, vous n’agirez pas ainsi, vous réaliserez l’espoir que l’on fonde sur vous. Croyez-vous que l’on ait pu rendre vos lettres à celui qui les a écrites ? Qui l’oserait ? Ma chère vous nous perdez ! » lui dit-elle, les fameuses lettres à la main. Elle lui en remis une autre en disant « Tenez, lisez cette autre lettre d’abord. C’est toute une nation qui élève sa voix vers vous car elle est tracée par ses représentants. »


Napoléonlui écrivait « Madame ! Les petites causes produisent souvent de grands effets ! Les femmes en tous temps ont eu une grande influence sur la politique du monde. L’histoire des temps les plus reculés comme celle des temps modernes nous certifie cette vérité ! Tant que les passions domineront les hommes, vous serez, Mesdames, une des puissances les plus formidable.
Homme, vous auriez abandonné votre vie à la digne et juste cause de la patrie ! Femme vous ne pouvez la servir à corps défendant, votre nature s’y oppose mais aussi en revanche il y a d’autres sacrifices que vous pouvez bien faire et que vous devez vous imposer, quand même ils vous seraient pénibles.

Esther devant Assuérus par Grenier


Croyez-vous qu’Esther s’est donnée à Assuérus par un sentiments d’amour ? L’effroi qu’il lui inspirait jusqu’à tomber en défaillance devant son regard n’était-il pas la preuve que la tendresse n’avait aucune part dans cette union ? Elle s’est sacrifiée pour sauver sa nation et elle a eu la gloire de la sauver. Puissions nous vous en dire autant pour votre gloire et notre bonheur.
N’êtes-vous donc pas fille, mère, soeur, épouse de zélés polonais ? qui tous forment avec nous le faisceau national dont la force ne peut qu’ajouter par le nombre et l’union des membres qui la composent. mais sachez, Madame, ce qu’un homme célèbre, un saint et un prieur ecclésiastique, Fénelon, en un mot a dit : Les hommes qui ont toute l’autorité en public ne peuvent par leurs délibérations établir aucun lien affectif si les femmes ne les aident à l’exécuter.
Ecoutez cette voix, réunie à la notre, Madame, pour jouir du bonheur de vingt millions d’hommes ! »


Cette étrange lettre qui contenait plus de menace que d’amour suivait le second billet reçu par Marieoù il avait écrit « Vous ai-je déplu, Madame, J’avais cependant les droits d’espérer le contraire. Me suis-je trompé ? Votre empressement s’est ralenti tandis que le mien augmentait. Vous m’ôtez le repos ! Oh donnez un peu de joie, de bonheur à un pauvre coeur tout prêt à vous adorer. Une réponse est-elle si difficile à obtenir ? Vous m’en devez deux. »
La seconde lettre est celle d’un homme amoureux, la troisième est celle d’un chef d’état qui n’entend pas qu’on lui résiste et, sans vraiment menacer, fait comprendre où vont les intérêts de la destinataire. La comparaison avec Esther est habile car Marie ne devait rien ignorer de son histoire à laquelle sont associés les mots piété, foi et patriotisme. Napoléon emploie lui aussi le chantage au patriotisme pour arriver à ses fins.
Marie passa la nuit à se demander que faire. «  Qu’ai-je à craindre ? Je ne l’aime pas » finit-elle par conclure et accepta enfin d’aller au dîner. Elle avait réprimé son élan pour le comte Souvorov au nom de l’amour de sa patrie. « Je me croyais très forte de la force que j’avais déployée alors. Mais ! …J’oubliais! …que je l’avais invoquée du ciel et que je n’avais plus le temps de le faire maintenant, car aucun moment ne m’appartenait plus. Le torrent, le bruit, une activité continuelle d’une multitude attachée à tous mes pas ne me faisait plus un seul loisir pour la réflexion. »
Son arrivée tant attendue fit sensation et soulagea ceux qui avaient fomenté le complot de la livrer à l’empereurpour le bien de la Pologne. L’empereur arriva enfin et la gratifia au moment de la présentation d’un « Je croyais Madame indisposée, Est-elle tout-à-fait remise ? » La sécheresse du ton étonna l’entourage et ravit la comtesse Walewska qui espérait avoir suffisamment déplu à Napoléon et calmé ainsi ses ardeurs.

Salle à manger d'un château en Pologne
Mais à table, elle fut placée presqu’en face de lui. Il sut parler avec chaleur des héros de l’histoire de la Pologne, tout en l’observant. Duroc son voisin de table l’entretint dans les intérêts de Napoléon. Il chercha à savoir pour après s’être jetée à la tête de l’empereur, elle battait froid. Il accusa le comte Walewski de jalousie conjugale, ce qu’elle contredit. Elle justifia sa présence à Bronie par l’espoir qu’elle mettait en Napoléon, sauveur de sa patrie. Ce dernier, tout en animant la conversation générale, donnait des ordre à Duroc, en langage des signes pour diriger sa conversation avec Marie. 
Le maréchal lui posa la question de savoir ce qu’elle avait fait du bouquet reçu. « Il m’est trop précieux pour risquer d’en voir une seule feuille détachée et perdue, c’est un héritage que je conserve pour mon fils. » répondit-elle. Duroc alla plus loin dans une allusion à un présent plus précieux encore qui pourrait lui être fait. Elle répliqua, indignée, ayant saisi l’allusion à un bijou, qu’elle n’aimait que les fleurs. Duroc lui répondit « Nous allons cueillir des lauriers sur votre sol natal pour vous les offrir. » « Ah si c’était ! Ah! monsieur le maréchal, une patrie c’est là le bouquet que nous ambitionnons tous. »
Après le repas, Napoléon s’approcha d’elle. « Il avait dans le regard quand il voulait le rendre pénétrant un trait de feu qu’on ne pouvait soutenir sans baisser les siens. C’est l’impression qu’il produisit sur moi, alors prenant ma main et la pressant avec force me dit tout bas : non, non, avec des yeux si doux, si tendres, avec cette expression de bonté on se laisse fléchir, on ne se plait pas à torturer…ou l’on est la plus coquette, la plus cruelle des femmes. » Et il partit.

Napoléon 18 mois avant la rencontre avec Marie Walewska
par Andrea Appiani
Elle fut alors l’objet de toutes les conversation et personne ne se priva de lui faire voir comme elle avait été remarquée par le grand homme : « Il n’a vu que vous ! Il vous jetait des flammes. C’était visible, vous seule pouvez transmettre les voeux de toue une nation, influence ses destinées et vous pourriez hésiter ? » Une fois de plus suivit le chantage au patriotisme. On peut se demander si seul le patriotisme inspirait les conseils de ces bonnes âmes polonaises. N’y avait-il pas aussi quelqu’intérêt courtisan à satisfaire les désirs de l’empereur, et en tirer un avantage personnel ?
Marie, comprenant leurs arguments, commençait à faiblir. Elle commençait à réaliser tout l’avantage que la Pologne pourrait tirer de son influence sur Napoléon. Et peut-être avait-elle été séduite par l’homme qu’elle avait approché et lui avait déclarer sa flamme. Elle reçut un nouveau billet transmis par le maréchal Duroc qui lui dit « Pourriez-vous Madame, refuser la demande de celui qui n’a jamais encore essuyé de refus ? Ah sa gloire est environnée de tristesse ! et il dépend de vous de la remplacer par des instants de bonheur ».
Elle se devait d’être bonne polonaise. Et elle devait répondre à la nouvelle lettre que lui écrivait Napoléon. « Il n’y a que vous seule qui puissiez lever ces obstacles qui nous séparent…Ah ! Venez, venez, tous vos désirs seront remplis. Votre patrie me sera plus chère quand vous aurez pitié de mon pauvre coeur – Signé Napoléon » Elle ne pouvait avoir le front de refuser, insista cette fois Madame de Vauban. En clair, on ne refuse rien au vainqueur, au grand homme du moment, qui a en mains les destinées non seulement de la Pologne mais de l’Europe. Marie fondit en larmes. Elle ne voulait pas être une Montespan ou une Pompadour. Mais la comtesse de Vauban, qui avait vécu à Versailles et qui aurait certainement volontiers été de ces « femmes méprisables », ainsi que les qualifia Marie, ne l’entendit pas ainsi. Pour elle, c’étaient « des femmes célèbres qui ont contribuer à brillanter (sic) d’un éclat bien durable ces siècles qui font encore l’admiration du monde entier. »
Elle trouva Mariebien sévère dans son jugement. « Ce sont d’ignobles principes d’éducation provinciale dont vous connaîtrez plus tard la déraison. » Toute l’immoralité de Versaillesétait dans ces mots. La seule morale qui comptait était la satisfaction des désirs du roi. « Ne savez-vous pas que tout souverain en croyant ne donner que son coeur a souvent déposé sa couronne aux pieds de la beauté qui savait l’enflammer. Tout empereur qu’il soit, c’est un homme et rien de plus »
Mariese rendit enfin : « Et bien ! Faites de moi ce que vous voulez…Disposez de moi, faites arranger la consommation du sacrifice auquel vous m’avez tous condamnée, mais n’exigez pas que je trace un seul mot que je dise une seule parole à ce sujet » Une fois Madame de Vauban sortie, Marie, enfin seule, pensa qu’elle pouvait obtenir de Napoléon, en acceptant une entrevue secrète, estime, amitié, confiance. Oserait-il exiger autre chose « d’une femme qui veut rester pure et n’a pas d’amour à lui donner…mais beaucoup d’admiration, d’enthousiasme, d’amitié. » Elle se berçait d’illusions. Cela rendait peut-être l’heure moins pénible mais elle fut rappelée à la réalité par ceux qui la poussait dans le lit de Napoléon. « « Ce soir on vous remettra à votre destination pour remplir une mission bien importante de laquelle dépend le salut de votre patrie, ne l’oubliez pas. » 

Affiche du film
Marie eut l’impression d’être une machine dont on pouvait faire tout ce que l’on voulait. Elle n’était plus qu’un automate, une marionnette dans les mains de plus puissants qu’elle, à commencer par son mari. Elle attendit effrayée que s’accomplisse son sacrifice. Entre dix et onze heures du soir, on vint la chercher, on la mit en voiture, on l’accompagna, on la fit entrer dans une maison inconnue, on l’assit sanglotante sur un fauteuil et quand elle essuya ses larmes, elle vit Napoléon à ses pieds, lui disant: « Vous me haïssez, je vous inspire de l’effroi, vous en aimez un autre plus heureux que moi. »
Tremblante, sanglotante, elle lui répondit « Non, ce n’est pas cela. j’ai honte de vous. J’ai honte de moi-même. »Napoléon ne la comprenait pas, il la pensait amoureuse d’un autre, voire de son vieux mari dont il se demanda comment cela était possible. A cette évocation Marie revint à la réalité de vie, la fidélité. Elle ne pouvait pas trahir les liens sacrés du mariage. C’était un péché impardonnable à ses yeux. Napoléon lui reprocha à nouveau de la haïr et lui répondit qu’au contraire, elle l’admirait, elle l’aimait comme le seul espoir de la Pologne. L’empereur fut soulagé de savoir qu’elle ne le haïssait pas.
Napoléon sut alors se montrer compréhensif et s’intéressa à elle, à son éducation, à son milieu. Il l’apprivoisait doucement car il n’avait pas renoncé à conquérir son coeur.
Quand il fut temps de partir, il lui dit : « Et bien, ma douce et plaintive colombe, sèche tes larmes, va te reposer et ne crains plus l’aigle. Il n’a d’autres forces auprès de toi que celles d’un amour passionné, mais d’un amour qui veut ton coeur avant tout. Tu finiras par l’aimer, car il sera tout pour toi ! Tout, entends le bien. »

En la raccompagnant il lui demanda de lui promettre de revenir et elle promit. Selon son récit Marie n’a donc pas cédé à l’empereur le premier soir, mais il est possible qu’elle ait été séduite par l’empereur qui lui promettait tant pour sauver son pays, mais aussi par l’homme. « Son regard avait quelque chose d’étonnant; c’était un regard fixe et profond, nullement l’air inspiré et poétique. Ce regard prenait une douceur infinie, quand il parlait à une femme. » ( Stendhal, Vie de Napoléon)

Comtesse Potocka par Elisabeth Vigée-Lebrun en 1791
La comtesse Potocka, née Anna Tyszkiewicz dans ses mémoires raconte « combien l’impression qu’on ressentait en l’apercevant pour la première fois était profonde et inattendue ».
Non seulement il était le maître mais, sans n’avoir hérité aucune couronne, il était l’homme qui s’était fait par son intelligence et une personnalité unique. Marie Walewska n’a pas du échapper à l’attraction que Napoléon exerçait sur tous.

Mais le grand homme manquait souvent de finesse. Le lendemain il lui fit porter un écrin avec un bouquet en diamants magnifiques. Marie en fut offensée, jeta l’écrin et son contenu à terre. Elle demanda que le présent lui soit retourné. « Que ces bijoux me sont odieux » dit-elle. Une lettre accompagnait l’écrin. « Marie, ma douce Marie ! Ma première pensée est pour toi, mon premier désir de te voir ! Tu viendras, tu l’as promis, sinon l’aigle volerait vers toi. » Et il lui demande de porter de ce bijou au dîner et convient d’un langage muet. Quand Napoléon mettra la main sur le coeur, cela voudra dire qu’il est tout occupé d’elle, malgré la foule qui l’entoure, et elle lui répondra en touchant ce bouquet en diamants.
Mais Marie Walewska ne l’entend pas ainsi. Même si elle a conscience qu’elle est poussée par tous au sacrifice de son honneur pour sauver son pays, et même si au bout du compte, le sacrifice ne sera pas si odieux, elle ne veut pas sembler être achetée. Elle n’est pas du genre à triompher d’être la maîtresse du prince. Le soir, Napoléon fut furieux de voir que Marie ne portait pas le bijou. Elle lui fit malgré tout le signe convenu et il s’apaisa. Duroc, le messager impérial, tenta de lui faire la leçon mais elle resta ferme. «  Je n’accepterai aucun cadeau de ce genre…dites lui bien que ce ne sont pas des récompenses personnelles qui peuvent contenter mon dévouement et ma vive admiration ! » Duroc lui dit combien il trouve l’empereur changé pour elle et lui demande de l’aider à apaiser son tourment, de l’aider à supporter les difficultés de sa position. C’était un langage qu’elle pouvait entendre. Et elle accepta une seconde visite tardive.

Palais Royal de Varsovie
Napoléon lui reprocha de ne pas l’aimer et il se lança dans une diatribe sur l’inconstance de la nation polonaise, comme celle qu’elle montrait, en vraie polonaise qu’elle était. Elle s’est jetée à sa tête à Bronie, puis elle disparait et depuis se montre indifférente à ses sentiments. L’empereur ne peut pas la comprendre, pas plus qu’il ne peut comprendre la Pologne au caractère si inconstant qu’il ne lui semble pas digne d’être aidée. La violence de son discours, la violence de ses sentiments firent un tel effet sur Marie qu’elle s’évanouit.

Ruines du Palais Royal en 1945
Pudiquement Marie avoue : « Tirons un voile sur cette scène que je voudrais effacer au prix de mon sang de l’histoire de ma vie…Celui qui voyait l’univers à ses pieds était là aux miens. »

Salon au Palais Royal de Varsovie
Il est probable que c’est à ce moment là qu’elle est devenue sa maîtresse. Si elle y a consenti physiquement, elle n’était pas libre de refuser cet « holocauste pour vingt millions d’hommes. »
Le paradoxe de Marie Walewska tient dans ce qu’elle a considéré sa relation avec Napoléon, commencée sous des auspices si difficiles, indigne de la femme de devoir et d’honneur qu’elle était mais qu’elle ne l’en a pas moins aimé. Le remords qu’elle a éprouvé à commettre l’adultère sont effacés par la confiance qu’elle porte en lui, le sauveur de sa patrie, mais probablement aussi par l’amour qu’elle commence à éprouver. Certes il est empereur, mais il est aussi bel homme, il n’a pas quarante ans et peut satisfaire les désirs d’une femme. Elle n’a connu qu’un vieux mari, après avoir été amoureuse du comte Souvorov. Il est probable que sa vie de femme n’a été que frustration jusque là. Napoléon saura faire d’elle une femme à part entière.
Lacomtesse Potocka, dont la mère est née princesse Poniatowska, parente de tout ce qui compte en Pologne dont le dernier roi, et du prince Joseph Poniatowski dont il a été question plus haut, raconte les choses différemment.
Selon elle, Napoléon arriva à Varsovie subrepticement « à quatre heures du matin sur un mauvais cheval qu’il s’était fait donner au dernier relais » ( Mémoires de la comtesse Pootocka, publiées à Paris en 1897 – Librairie Plan – par Stanislas Stryienski).
Ce récit assez peu vraisemblable entache les autres récits qu’elle fit de Marie Walewska et de sa rencontre avec Napoléon. La comtesse Potocka était-elle mal informée, ce dont peut douter ? Etait-elle jalouse de Marie Walewska, dont la gloire dépasse celle de toutes les grandes dames polonaises de son époque ? Il est difficile de répondre. Une chose est certaine, elle fut mauvaise langue.
Napoléon s’était fait précédé de Murat et de Davout. Parti de Poznan le 9 décembre 1806, il arrive à Varsovie le 18 décembre à minuit, après un voyage difficile, mais certainement pas avec une allure de d’Artagnan sur son bidet jaune.
Elle raconte que la rencontre entre Marie Walewska a eu lieu au bal donné par le prince de Bénévent, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, ministre des Affaires étrangères, ancien évêque d’Autun.
« …Napoléon était venu s’asseoir entre cette future favorite et moi ; après avoir causé quelques minutes, il me demanda qui était son autre voisine. Dès que je l’eu nommée, il se tourna de son côté de l’air du monde le mieux informé.



Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord par Pierre Paul Prud'hon en 1809

Nous sûmes depuis que M. de Talleyrand avait étendu ses attentions jusqu’au point de ménager cette première entrevue et d’aplanir les difficultés préliminaires. Napoléon ayant manifesté le désir de compter une Polonaise au nombre de ses conquêtes, elle fut choisie telle qu’il la fallait – délicieuse de figure et nulle d’esprit. »
La lecture de ce texte laisse songeur. En effet on ne voit pas l’empereur venir s’asseoir en toute simplicité entre deux dames, lui qui avait instauré un protocole stricte à la gloire de Sa Majesté. Cette partie du récit est invraisemblable. Ensuite, tout le monde s’est accordée à reconnaitre une véritable intelligence à Marie Walewska. Jolie, elle était loin d’être idiote.


La-comtesse de Rémusat-par-Guillaume-Descamps

Madame de Rémusat, dans ses Mémoires raconte que ce fut Muratqui organisa la rencontre : «  Lors de la première entrée en Pologne, Murat qui l’avait précédé à Varsovie, reçut l’ordre chercher pour l’Empereur, qui allait arriver, une femme jeune et jolie, et de la prendre de préférence dans la noblesse. Il s’acquitta adroitement de cette commission, et détermina à cet acte de complaisance une jeune et noble Polonaise, mariée à un vieux mari »
Il y a dans ces deux récits, non seulement des inexactitudes, mais aussi un esprit de jalousie de la part de femmes qui auraient peut-être aimé être à la place de Marie.
Savary, duc de Rovigo, futur Ministre de la Police, à l’époque général participant à la campagne de Pologne, était à l’époque à Varsovie, fait, des ses Mémoires, un autre récit de cette rencontre : « L’Empereur, comme les officiers paya tribut à la beauté des femmes polonaises. Il ne put résister aux charmes de l’une d’elles; il l’aima tendrement et fut payé d’un noble retour. Elle reçut l’hommage d’une conquête qui comblait tous les désirs et la fierté de son coeur, et c’est la nommer que de dire qu’aucun danger n’effraya sa tendresse, lorsqu’au temps de revers, il ne lui restait plus qu’elle comme amie. »
Entre les Mémoires de deux femmes, sujettes à caution, et les Mémoires d’un homme, qui présentent un intérêt réel pour l’historien, on ne peut que donner plus de crédit à ce dernier. Savary ne s’étend pas sur les circonstance de la rencontre mais sur la beauté et la valeur de celle-ci pourNapoléoncomme pour Marie.
Lacomtesse Potocka admit toutefois que « le temps, qui prête une couleur à tout, dont à cette liaison si légèrement contractée une peine de constance et de désintéressement qui effaça en partie l’irrégularité du début et finit par ranger Madame Walewska au nombre des personnes intéressantes de son époque. Délicieusement jolie, elle réalisait les figures de Greuze; ses yeux, sa bouche, ses dents étaient admirables. Son rire était si frais, son regard si doux, l’ensemble de sa figure si séduisant qu’on ne pensait jamais à ce qui pouvait manquer à la régularité de ses traits. » Mais la comtesse, d’une naissance plus haute que Marie, ne peut s’empêcher de continuer à médire en affirmant que « si Napoléon fut le dernier de ses amants, on prétendait qu’il avait pas été le premier. »

Or là aussi, il y a mensonge car dans le petit monde de l’aristocratie polonaise, il n’a jamais été dit que Marie ait eu des amants. Sa vie à Walowice dans une campagne reculée ne le lui aurait pas permis et sa présence à Varsovie faisait d’elle un objet d’attention et donc de surveillance. Elle s’était mariée à un homme bien plus âgée qu’elle mais sa conscience religieuse et le sens du devoir l’empêchaient de le tromper, si elle en avait eu envie.
Elle continue dans l’approximation en prétendant que le prince héritier de Bavière, Louis de Wittelsbach, dont le père avait été fait roi par Napoléon, présent à Varsovie, « baisait respectueusement la main de Napoléon toutes les fois qu’il pouvait s’en emparer; mais il avait l’audace d’être amoureux de madame Walewska ! Napoléon ne s’inquiétait nullement de cette rivalité. On dit même qu’il s’en amusait. Le prince horriblement disgracié par la nature était, de plus, sourd et bègue. »

Le prince royal de Bavière en 1807 par Angelika Kauffmann
Or selon ses portraits le futur Louis Ier de Bavière ne semble pas avoir été laid et il était certainement un prince intelligent qui, en helléniste accompli, a contribué de façon extraordinaire à l’enrichissement des collections royales. Lui prêter une telle servilité ne donne pas beaucoup de crédit à la comtesse Potocka.
Constant, le valet de chambre de Napoléon, dans ses Mémoires publiées à Paris en 1830, raconte ainsi les premières rencontres de Marie et Napoléon :


Louis Constant Wayry, premier valet de chambre de Napoléon
« Dans une de ces réunions, l’empereur remarqua une jeune Polonaise, madame V…, âgée de vingt-deux ans, et nouvellement mariée à un vieux noble, d’humeur sévère, de mœurs extrêmement rigides, plus amoureux de ses titres que de sa femme, qu’il aimait pourtant beaucoup, mais dont, en revanche, il était plus respecté qu’aimé. L’empereur vit cette dame avec plaisir, et se sentit entraîné vers elle au premier coup d’œil. Elle était blonde, elle avait les yeux bleus et la peau d’une blancheur éblouissante; elle n’était pas grande, mais parfaitement bien faite et d’une tournure charmante. L’empereur s’étant approché d’elle, entama aussitôt une conversation qu’elle soutint avec beaucoup de grâce et d’esprit, laissant voir qu’elle avait reçu une brillante éducation. Une teinte légère de mélancolie répandue sur toute sa personne la rendait plus séduisante encore. Sa Majesté crut voir en elle une femme sacrifiée, malheureuse en ménage, et l’intérêt que cette idée lui inspira le rendit plus amoureux, plus passionné que jamais il ne l’avait été pour aucune femme. Elle dut s’en apercevoir.
Le lendemain du bal, l’empereur me parut dans une agitation inaccoutumée. Il se levait, marchait, s’asseyait et se relevait de nouveau; je croyais ne pouvoir jamais venir à bout de sa toilette ce jour-là. Aussitôt après son déjeuner, il donna mission à un grand personnage que je ne nommerai pas, d’aller de sa part faire une visite à madame V…, et lui présenter ses hommages et ses vœux. Elle refusa fièrement des propositions trop brusques peut-être, ou que peut-être aussi la coquetterie naturelle à toutes les femmes lui recommandait de repousser. Le héros lui avait plu; l’idée d’un amant tout resplendissant de puissance et de gloire fermentait sans doute avec violence dans sa tête, mais jamais elle n’avait eu l’idée de se livrer ainsi sans combat. Le grand personnage revint tout confus et bien étonné de ne pas avoir réussi dans sa négociation. Le jour d’après, au lever de l’empereur, je le trouvai encore préoccupé. Il ne me dit pas un mot, quoiqu’il eût assez l’habitude de me parler. Il avait écrit plusieurs fois la veille à madame V…, qui ne lui avait pas répondu.

Son amour-propre était vivement piqué d’une résistance à laquelle on ne l’avait pas habitué. Enfin il écrivit tant de lettres et si tendres, si touchantes, que madame V… céda. Elle consentit à venir voir l’empereur le soir entre dix et onze heures. Le grand personnage dont j’ai parlé reçut l’ordre d’aller la prendre en voiture dans un endroit désigné. L’empereur, en l’attendant, se promenait à grands pas, et témoignait autant d’émotion que d’impatience; à chaque instant il me demandait l’heure. Madame V… arriva enfin, mais dans quel état! pâle, muette et les yeux baignés de larmes. Aussitôt qu’elle parut, je l’introduisis dans la chambre de l’empereur ; elle pouvait à peine se soutenir et s’appuyait en tremblant sur mon bras. Quand je l’eus fait entrer, je me retirai avec le personnage qui l’avait amenée.
Pendant son tête-à-tête avec l’empereur, madame V… pleurait et sanglotait tellement, que, malgré la distance, je l’entendais gémir de manière à me fendre le cœur. Il est probable que dans ce premier entretien, l’empereur ne put rien obtenir d’elle. Vers deux heures du matin, Sa Majesté m’appela. J’accourus et je vis sortir madame V…, le mouchoir sur les yeux et pleurant encore à chaudes larmes. Elle fut reconduite chez elle par le même personnage. Je crus bien qu’elle ne reviendrait pas.
Deux ou trois jours après néanmoins, à peu près à la même heure que la première fois, madame V… revint au palais; elle paraissait plus tranquille. La plus vive émotion se peignait encore sur son charmant visage; mais ses yeux au moins étaient secs et ses joues moins pâles. Elle se retira le matin d’assez bonne heure, et continua ses visites jusqu’au moment du départ de l’empereur. »

Une grande partie de ce récit corrobore donc celui de Marie.

Celle-ci, si elle avait encore des remords de conscience, n’en eût pas moins une véritable histoire d’amour avecNapoléon. Son récit les montre dans une intimité charmante. Le destin de la Pologne n’était jamais éloigné de leurs esprits. Napoléon était amoureux et le lui disait. Marie dans on récit n’avoue pas son amour mais sa vie parlera pour elle. Mais Napoléon ne pourrait rester longtemps à Varsovie.
« Marie! Je pars demain ! De grandes responsabilités pèsent sur moi, je suis rappelé pour repousser les orages prêts à éclater sur mes peuples. Me priveras-tu pour toujours du charme de ta présence ? Ne suis-je rien pour toi ?
Je fondis en larmes et j’allais m’écrier ! Vous partez ! Sans avoir rien fait pour nous ! C’est là le sentiment qui m’oppressait et qui faisait bruit dans tout mon moi. Je ne proférerai cependant que les mots : Que vais-je devenir, grand Dieu – Tu viendras à Paris, ma bonne Marie, je te donne Duroc pour tuteur, il veillera à tes intérêts, tu t’adresseras à lui dans tous les cas, tes désirs seront remplis, à moins que tu n’exige l’impossible. »

Pour Marie, la seule chose qu’elle demande est la liberté pour son pays. Elle lui redit la confiance qu’elle a en lui et qu’elle attendra dans la retraite de sa campagne qu’il fasse ce qu’il lui promis.
« Je sais que ton coeur n’est pas à moi, tu ne m’aimes pas, Marie ! je le sais car tu es franche, sans art, et, c’est par cela même que tu me charmes, mais tu es bonne, douce, ton coeur est si noble, si pur ! Pourrais-tu me priver de quelques instants de félicité passés chaque jour auprès de toi ? Ah Marie, je n’en puis avoir que par toi…Ces paroles furent exprimées avec un sourire si amer, si triste qu’il m’inspira un sentiment étrange pour le souverain du monde ! La pitié me jette dans ses bras et je promis tout ce qu’il voulut »

Marie, dans ses écrits, n’arrive pas à avouer qu’elle aime Napoléon.

07/02/2019

Marie Walewska - Troisième partie



La rencontre

Napoléon en 1806
« Tous attendaient avec une expression de joie, de triomphe, de noble orgueil cette arrivée tant désirée. J’étais apparemment plus tourmentée que les autres de cette fièvre d’impatience puisque je formai le projet irréfléchi , et j’engageais une de mes cousines, de m’accompagner pour aller au-devant de lui, ne fût-ce que pour l’entrevoir. Cette imprudence décida de mon sort et me priva de mon repos tout en croyant faire l’action la plus méritoire. »
Marie raconte ainsi sa première entrevue avec l’empereur :
« Vêtue simplement d’un chapeau noir à voile de la même couleur nous montâmes précipitamment avec mystère dans une calèche attelée de quatre bons chevaux au moment où les courriers venaient d’annoncer que Sa Majesté n’était plus qu’à une poste de Bronie. Incapable de raisonner, de réfléchir, je m’abandonnai à cet enthousiasme, à cette exaltation délirante universelle, alors persuadée que tout polonais, toute polonaise ne saurait trop faire paraître d’empressement à l’arrivée de celui que nous considérions comme le sauveur de la patrie…Descendues de voiture nous nous plaçâmes de manière à bien voir dans la direction que nous présumions la plus convenable. Mais seules femmes sans un homme pour nous protéger nous fûmes tellement enveloppées par la foule avide comme nous de l’apercevoir qu’il nous fut impossible de la forcer. Pressées, moulues, nous étouffions. Désespérée de la situation dangereuse où je me trouvais et craignant de manquer le triomphe…je jetais des cris de détresse…et un moment après je distinguais un militaire français de haut grade…j’élevais mes mains vers lui et m’écriais d’une voix suppliante en français : Ah Monsieur, tirez-nous d’ici et faite que je puisse l’entrevoir un instant, un seul instant ! Il nous dégagea en souriant, me tenant par la main il me conduisit à la portière de la voiture de l’empereur auquel il dit en me présentant : Sire, voyez celle qui a traversé les dangers de la foule pour vous ! Napoléon ôta son chapeau, se pencha vers moi, je ne sais ce qu’il me dit alors car j’étais trop pressée de lui exprimer ce dont j’étais pénétrée : Soyez le bienvenu, mille fois le bienvenu sur notre terre! Rien de ce que nous ferons nous rendra d’une manière assez énergique, ni les sentiments d’admiration que nous portons à votre personne ni le plaisir que nous avons à vous voir fouler le sol de cette patrie qui vous attend pour se relever. »




Général Duroc, duc de Frioul
Maréchal du Palais
Marie était transportée, voire délirante. Elle continue son récit « Napoléon me regardait attentivement, il prit un bouquet qui était dans la voiture et me le présentant dit : Gardez le comme garant de mes bonnes intentions, nous nous reverrons à Varsovie, je l’espère et je réclamerai un merci de votre belle bouche. »
Marie pensait rêver, incapable de croire qu’elle avait vraiment vu l’empereur et qu’il lui avait donné un bouquet.
Certains historiens mettent en doute cette première rencontre. Mais pourquoi ne pas croire le récit qu’en a fait l’intéressée elle-même ?
Si, selon son récit, Marie Walewska ne se vante auprès de personne de son escapade, il n’en est pas de même pour la cousine qui l’accompagnait. Aussi Marie eut-elle la surprise de recevoir un message d’un personnage important lui demandant de le recevoir. Il vint à midi et l’aborda en disant : « Madame, je viens vous demander pourquoi vous nous privez de l’avantage de faire admirer à notre auguste maître des plus belles fleurs de notre sol… aussi viens-je vous supplier de ne plus nous tenir rigueur et d’accepter l’invitation d’un bal chez moi. Je présume que vous n’avez plus besoin d’être présentée. Nous savons tout. » L’émissaire lui reprocha sa modestie car l’empereur après un dîner donné par le comte Stanislas Potocki, où il put admirer les plus belles femmes de Varsovie, s’étonna devant le général Duroc de ne pas y avoir vue « cette délicieuse inconnue de la poste de Blonie. »
Il semble qu’à la demande de Napoléon, on se soit mis à la recherche de l’inconnue. Le général Duroc et le prince Poniatowski finirent par découvrir qui elle était, grâce à l’indiscrétion de la cousine.
L’émissaire ajouta : « Allons, Madame, j’espère que vous serez des nôtres maintenant, que vous ne priverez plus de votre présence le Héros, en nous permettant de jouir de vos succès. » Marie hésite à accepter car si elle a rencontré l’Empereur, incognito, ce n’était pas pour se faire remarquer mais pour être la première à lui offrir l’hommage de Varsovie. « Je laisse à d’autres mérites l’honneur de lui plaire et de l’occuper » L’émissaire insista en lui demandant de déployer tous ses moyens de séduction « Faites la Circé , je vous en conjure. Sous la bannière du patriotisme nous vous suivrons tous, et qui sait, peut-être le ciel se servira—t-il de vous pour réaliser et accélérer le but vers lequel tendent tous nos désirs, toutes nos espérances. Vous mettrez peut-être aussi un jour au nom des heureuses chances de votre vie l’occasion qu’il vous donne d’être utile à la patrie, d’influencer son rétablissement. » Paroles de courtisan qui veut plaire au maître ou paroles de patriote qui veut par tous les moyens servir sa patrie ? Toujours est-il qu’il connaissait bien les sentiments de Marie « Ah Mon Dieu, tant de bonheur ne m’est pas réservé. » dit-elle. Pour elle le bonheur n’était pas de rencontrer ou de séduire Napoléon, le bonheur était de faire quelque chose d’utile à sa patrie.

Prince Joseph Poniatowski par Josef Grassi
D’autres, principaux représentants et hommes d’état, vinrent la trouver ensuite pour la convaincre. Elle fut mise au pied du mur et se vit dans l’obligation d’assister au bal donné par le prince Poniatowskien l’honneur de l’empereur. Et ce d’autant que lecomte Walewski, flatté de voir sa femme ainsi sollicitée, lui demanda d’accepter et exigea de ne pas épargner la dépense pour sa toilette. Il devait bien se douter que si l’empereur des Français souhaitait voir sa femme, ce n’était pas uniquement pour le plaisir de la conversation.


Résidence du Prince Poniatowski à Varsovie

Marie choisit une simple robe de satin blanc avec un châle de gaze et un diadème de feuillage. Dans la crainte de manquer Napoléon, le comte Walewskipressait sa femme de finir sa toilette et de monter en voiture. Dès son arrivée Marie fait sensation mais elle cherche à se fondre dans la foule élégante, en vain. Le prince Poniatowski lui murmure : « On vous attendue impatiemment. On vous a vue arriver avec joie. On est content de vous avoir retrouvée. On s’est fait répéter votre nom jusqu’à l’apprendre par coeur…Et on m’a donné l’ordre de vous engager à danser ». La réponse de Marie fuse : « Je ne danse pas, je n’ai nulle envie de danser. » « C’est un ordre, Madame, auquel vous ne pouvez vous soustraire. » « Un ordre ! L’ordre de danser mais je ne suis pas une pirouette à faire tourner à volonté » dit-elle en riant. Et devant les reproche du prince Poniatowski lui faisant voir que l’empereur la regardait. « Il a beau nous observer, je ne quitterai pas ma place. Allez lui dire que je veux pas danser. » « Mais vous plaisantez, Madame, certainement mon intention n’est pas de me compromettre». Le couple attirait tous les regards et il est probable que chacun savait ce dont il s’agissait. Le prince la quitta et rendit compte de l’échec de sa mission au Maréchal Duroc.


Napoléon à l'époque de la rencontre par Gerhard von Kügelgen
Napoléon alors fit le tour des dames pour se les faire présenter. A chacune, il adressait un compliment. Marie tremblait de le voir arriver près d’elle. Au moment fatidique, elle s’entendit dire : « Le blanc sur le blanc ne va pas, Madame » et puis tout bas « Ce n’est pas l’accueil auquel j’avais le droit de m’attendre. » Et il passa non sans l’avoir observée attentivement. A dix-huit ans et demie, troublée, Marie était dans la la grâce de sa fraîcheur.
Le départ de l’empereur libéra l’atmosphère qui, d’un coup, fut plus joyeuse. Marie la timide fut soulagée du malaise voire du sentiment de honte qui s’était emparée d’elle.
Il semble que Napoléon ait adressé à biens des invités des questions malencontreuses que chacun se répétait à l’envie. Tous voulaient savoir ce qu’il avait dit à la comtesse Walewska.Ce fut de ses voisines qu’ils apprirent la remarque désobligeante, mais ne purent toutefois répéter la fin de la phrase dite à voix basse. Sur le chemin du retour, son mari lui posa également la question en lui annonçant qu’il avait accepté une invitation à un dîner auquel serait également présent l’empereur. Il lui recommanda d’être mieux parée à cette occasion. Elle s’étonna de la naïveté du comtequi ne semblait pas réaliser le but poursuivi par Napoléon. Elle fut tentées de lui ouvrir les yeux. Et elle avait bien raison car à peine dans son appartement, sa femme de chambre lui remit un billet que le prince Poniatowski avait été chargé par l’empereur de lui remettre, écrit et signé de sa main : « Je n’ai vu que vous. Je n’ai admiré que vous. Une réponse bien prompte pour calmer l’impatiente ardeur
C’était direct et sans ambages. Elle ordonna à sa femme de chambre de dire qu’il n’y avait pas de réponse. Mais le messager ne se tenait pas pour battu. Il suivit la femme de chambre et à travers la porte, il lui demanda de changea d’avis, pendant une demie-heure, mais elle tint bon. Et le prince Poniatowski repartit sans autre réponse.

Stanislas Malachowski

Le lendemain, Marie eut à nouveau à montrer sa détermination. Elle reçut un deuxième billet dans les mêmes termes que le premier. Elle les mit tous les deux dans une enveloppe et les renvoya à l’expéditeur. Mais ses épreuves n’étaient pas finies. Napoléon n’était pas habitué à ce qu’on lui résiste. Le comte Walewski vint la prévenir que le Maréchal Duroc et d’autres grands personnages, en fait les membres de la Commission de gouvernement, chargée d’administrer la Pologne, avec probablement parmi eux Stanilas Malachowski, son président, l’attendaient au salon. Elle refusa de descendre prétextant une migraine. Son mari était furieux. Elle était «indignée, courroucée, humiliée» que Napoléon ait pris son élan de patriotisme à Bronie pour une avance amoureuse.

Mais c’était mal connaître Napoléon et ses émissaires que le comte Walewski introduisit lui-même dans les appartements de Marie. « Le porteur du billet était là devant moi lançant des regards foudroyants. » Il s’agissait du prince Poniatowski.
Il n’est pas inutile de rappeler ici qui il était. Né en 1763, il commença sa carrière dans l’armée autrichienne où il devient colonel et aide de camp de l’empereur. En 1789, il quitte l’armée autrichienne pour rejoindre son oncle le dernier roi de Pologne. Il intègre l’armée polonaise en tant que major-général. Stanislas II Auguste lui confie le commandement de l’armée polonaise d’Ukraine lors de la Guerre russo-polonaise de 1792. après la capitulation de Stanislas II, il quitte l’armée suivi des meilleurs officiers. En 1794, il rejoint l’Insurrection de Kościuszko et se bat comme simple soldat pour l’indépendance de la Pologne, mais il reçoit tout de même le commandement d’une division. Après l’échec de l’insurrection, il se retire dans ses terres, jusqu’en 1806 où il est nommé gouverneur de Varsovie par Frédéric-Guillaume III de Prusse.
À l’arrivée de Napoléon, et avec la formation du gouvernement provisoire du Grand duché de Varsovie, le prince Poniatowski se rallie à l’Empire, pensant que cela est la seule chance pour la Pologne de retrouver son indépendance et son territoire. Il est fait ministre de la Guerre du grand-duché et généralissime. Il défend les frontières contre les Autrichiens et les repousse en 1809, lors de la bataille de Raszyn.

 Bataille de Raszyn en 1809
À la tête de ce ministère, il réorganise une nouvelle armée polonaise qui se distingue par la suite dans toutes les futures batailles napoléoniennes.
Il était donc déjà à l’époque de Marie un personnage considérable en Pologne, de par son nom, sa fortune et sa position, en passe de le devenir dans toute l’Europe. On ne peut qu’admirer la comtesse Walewska d’avoir su lui résister. Mais il était dit qu’il influerait sur sa destinée par la constance de son insistance. Il ne fut pas seul, car le comte Walewski insistait aussi pour que Marie acceptât d’être présentée à la Cour impériale et qu’elle s’initiât aux arcanes de son étiquette.


Marie Walewska ( Greta Garbo) et Napoléon ( Charles Boyer)
Un personnage, dont le nom n’est pas cité, « un père de famille respectable » lui dit enfin d’un ton sévère : « Tout doit céder, Madame, en vue de considérations si hautes ! si majeure! pour toute une nation ! Nous espérons donc que votre mal ( la migraine supposée, prétexte invoqué par elle ) passera d’ici au dîner projeté, duquel vous ne pouvez vous dispenser sans paraître mauvaise polonaise. » 




08/01/2019

Marie Walewska - Deuxième partie


Le mariage

Les paroles prononcées par Eva Łączyńska ne relevaient pas du voeu pieux. A peine sa fille rentrée à la maison, qu’elle s’occupa de réaliser son projet de marier sa fille au plus vite avec un homme riche et influent. Il ne semble pas qu’il lui ait été difficile de le trouver. 


Château de Walewice

Suivons Maria, qui sera désormais Marie, dans ses confidences: « Quelques jours après mon retour sous le toit natal, un samedi qui se trouvait être la veille de la Pentecôte, elle me signifia l’ordre de me préparer une toilette soignée pour le lendemain car, disait-elle, nous irons entendre la messe à l’église paroissiale de Walewice et comme le comte de Walewski, seigneur du lieu a l’habitude d’inviter ses voisins à dîner au château, je présume que nous serons obligées d’y aller et je désire que vous paraissiez avec avantage. » (Fonds Marie Walewska )

Salle-à-manger de Walewice

Marie n'a vu dans cette proposition qu'une occasion de bien s'habiller et de s'amuser. Le comte Walewski avait 70 ans et était veuf depuis 15 ans, à cette période. Il avait de plus un petit-fils âgé de plus de 9 ans que Maria, raconte-t-elle toujours. Il avait la réputation de vivre retiré dans sa campagne. Sortant de son couvent, elle ne pouvait imaginer ce que sa mère tramait.

A peine au salon, « Les premiers préludes d’échanges passés, ma mère apercevant un piano dans le salon s’empressant de l’ouvrir pour produire ce qu’elle appelait mes talents. J’eus beau résister, il fallut se soumettre de bonne grâce et faire entendre mon répertoire de danses nationales qui bien mal joué sur un piano désaccordé n’en fut pas moins applaudi à grand bruit. » (Fonds Marie Walewska ) Mais Eva Łączyńska ne pouvait se contenter de ce premier effet «  Je suis fâchée de ne pas en savoir autant dit encore ma mère, à mon grand chagrin, vous l’auriez vue danser et c’est son triomphe, c’est là où elle excelle. »

« Et bien Madame, il ne tient qu’à vous de me procurer ce plaisir. Voulez-vous accepter un bal chez moi, je m’empresserai de vous l’offrir. Je le veux bien, répondit ma mère enchantée. C’est à des seigneurs riches comme vous l’êtes, Mr le comte, à donner des réunions aux pauvres voisins comme nous et faciliter aux mères la possibilité de produire leurs filles afin de les établir » Cette scène n’est pas sans rappeler « Orgueil et Préjugés » de Jane Austen, où Madame Bennett ayant cinq filles à marier, emploie un stratagème pour obtenir un bal de Me Bingley, qu’elle pressent comme un mari souhaitable pour sa fille aînée.  

Chargées de « cornet de bonbons, de nougat, de bouquets » elles quittèrent le château. Sur le chemin de retour la mère ne perdit pas de temps pour placer ses jalons. 

Façade de Walewice

« - Ma chère Marie, me dit ma mère, pendant que nous traversions la grande cour ainsi que les belles avenues du château, si vous pouviez régner ici, cela ne serait pas si mal. J’aurais une vieillesse heureuse et tranquille.

- Comment cela ma mère ( car je ne la comprenais pas
- Oh mon enfant, vois-tu, Mr W ( ainsi dans le texte) est vieux, cela est vrai mais aussi il est riche. En vous épousant, il serait tenu pas les usages du pays à vous faire de grands avantages, étant veuf et vous fille. Son caractère est bon, doux, vous en feriez tout ce que vous voudriez. Et ce beau château, ce parc, ce magnifique mobilier nous donneraient un grand bien-être. Vous pourriez aider vos frères, vos soeurs et me faire couler une vieillesse heureuse. »

Dans un premier temps Maria est incrédule, voire interdite. Eva Łączyńska insista : 
«  - Si vous vouliez mettre un peu de complaisance, de bienveillance, je suis plus que certaine que la semaine prochaine après le bal, il ne demanderait pas mieux que vous donner le titre de comtesse de W. et son beau château. 
  • Ah ! Que Dieu m’en préserve ! fut la réponse qui m’échappa.
  • A peine l’eus-je lancée qu’un vigoureux soufflet m’en fit repentir. Habituée à craindre et honorer ma mère, je ne répliquais plus. Mes larmes m’inondèrent tandis qu’elle continuait à m’accabler de reproches. »

S’il est vrai que les jeunes filles savaient que leur mari serait choisi par la famille, elles ne s’attendaient pas à épouser un vieux barbon. Le mariage était une loterie. Certaines tiraient le bon lot, d’autres pas. Marie avait conscience que la situation financière de sa famille n’en faisait pas un grand parti, malgré sa beauté, son instruction et son intelligence. Pas de dot et une situation mondaine écornée ! Sa mère lui reprocha alors d’être une charge pesante pour la famille, d’oublier qu’elle lui devait son éducation et qu’il valait mieux épouser un homme âgé mais riche que de vivoter. Mais les soixante-dix ans du comte Walewski était une idée à laquelle la jeune fille de quinze ans et demie ne pouvait se résigner. De plus, elle pensait que lui-même n’aurait pas cette idée ridicule.

Mais la magie d’un bal lui fit oublier ces préoccupations. Les bouquets, les guirlandes de fleurs, une robe en gaze lui permirent d’oublier comment et pourquoi ce bal était organisé. Et le jour du bal arriva. Eva Łączyńska insista avant le départ sur l’espoir qu’elle mettait en sa fille. C’était un grand bal avec de nombreux invités que le comte Walewski recevait, en tenue de chambellan du roi Stanislas Poniatowski. Il attendait Mare avec une impatience qu’il ne dissimula pas . « J’attendais impatiemment la reine de mon bal. » Marie était éblouie et embarrassée à la fois. Tant de monde, tant de compliments lui tournaient la tête.


Escalier de Walewice

Le comte Walewski ouvrit le bal avec Eva Łączyńska  et Marie eut pour cavalier un jeune homme «  de l’extérieur le plus distingué » qu’elle avait remarqué en arrivant mais dont elle n’avait pas compris le nom lors de sa présentation. Elle dans avec lui plusieurs polonaises de suite, séduite par l’esprit, l’aisance et l’allure du jeune homme dont le nom que le comte Walewski introduisit ainsi « Voici un oiseau de passage que j’arrêtai au vol pour vous présenter un partner ( sic) digne de vous : Comte Souvorov !…Je ne saurais rendre le bouleversement intérieur que je ressentis au retentissement de ce noms connu pour avoir figuré parmi les ennemis les plus acharnés de notre patrie. »


Arkady Souvorov, cousin de l’amoureux de Marie

En effet, probablement l’oncle du jeune homme, le comte Alexandre Souvorov (1730-1800) comte de Rymnik, prince d'Italie, comte du Saint-Empire romain germanique, généralissime au service de l'Empire russe, était un des militaires russes les plus honnis en Pologne. Il fut chargé par Catherine II d’écraser l’insurrection fomentée par Tadeusz Kościuszko. Il est le responsable du massacre de Praga, où rappelons-le,  le 4 novembre 1794 par le massacre de Praga, dont il a été parlé plus haut.


Salle de bal d'un château polonais

« En un mot, c’était un russe  ! Et mon coeur se soulevait contre cette origine. Je la voyais teinte du sang de mes compatriotes, oppressant ma terre natale. » » dit-elle en parlant du beau jeune homme. Et c’est avec horreur qu’elle regardait désormais celui qui lui avant plu portant un nom qui lui était odieux.  Le comte Souvorov de son côté avait été séduit et charmé par Marie et il prit son embarras pour de la timidité, normale chez une jeune fille bien élevée. 

A la fin du bal quand le comte Walewski la complimentait sur sa conquête, aimable mais sans doute un peu hypocrite, et qu’il lui vantait l’immense fortune du jeune homme, elle répliqua : « Il la doit sans doute aux confiscations de victimes nobles et dignes que son père a dépouillées . Fi! L’horreur, ne m’en parlez pas. » Toujours conciliant le comte Walewski lui vanta les mérites du jeune homme qui contrevenait à son père avait les meilleurs sentiments envers les Polonais. 
« - Ne le repoussez donc pas, Mademoiselle Marie, son admiration doit au moins lui valoir un bon accueil. 
Ah ! Monsieur, un Russe ne doit jamais s’attendre à un bon accueil de ma part. » 

Pour comprendre cette horreur des Russes, il faut se souvenir qu’ils avaient tué et son père et précipité sa famille dans la gêne. 

Marie Walewska par Lefèvre
Propriété de la famille Walewski

Le comte Walewski eut alors un jeu subtil. Il avança ses pions en disant : 

«- Si je me mettais sur les rangs avec lui, Mademoiselle Marie, hein, que diriez-vous ? Me donneriez-vous la préférence ?

- Laissons ce propos, Monsieur le comte.
- Non, non, je veux vous mettre au pied du mur et voir jusqu’où peut aller votre patriotisme…Si vous n’aviez d’autre chance qu’un vieillard compatriote et un jeune et aimable russe, lequel de nous…
- Certainement à mon compatriote, si je n’avais pas d’autre porte de sortie. »

Et elle n’avait pas d’autre porte de sortie. Souvorov, probablement intrigué par le long aparté entre Walewski et Marie, et surtout par sa froideur soudaine, tenta à nouveau de séduire la jeune fille.

Elle déclara « Je restais muette, froide et sèche, sans plus poser mes yeux sur les siens. J’avais peur de son regard. Il me paraissait porter le privilège de la fascination. Je l’avais éprouvé » 

Au moment où sa mère et elle montaient en voiture, Souvorov s’approcha et lui dit : «  Je serais trop malheureux si cette délicieuse soirée à laquelle j’avais si loin de m’attendre ici ne devait me laisser que des souvenirs ! Je n’eu ni le temps, ni la force de répondre, dégageant ma main qu’il pressait sur son coeur, je m’élançais dans la voiture avec l’élan de la crainte échappant au danger. »

Vue d'ensemble du château
Elle continue dans son récit « J’eus beau vouloir repousser l’image que j’entourais de toutes les haines de mon patriotisme, elle revenait sans cesse armée de tout son prestige de séduction, de ce regard que j’avais fixé à peine et qui me poursuivait avec toutes ces expressions d’amour, toutes ces promesses de bonheur et ferait palpiter mon coeur ! Inutilement en cherchais-je d’autres, je fus effrayé de n’y avoir vu personne, remarqué personne que lui seul ! Tout s’effaça jusqu’au souvenir de la fête, de la danse, du plaisir, tout excepté lui!. »

Aveu à peine en demie-teinte qu’elle n’avait pas été insensible au charme du beau russe au nom honni !

De retour à la maison est plus que troublée par cette rencontre inattendue, Marie se tourna vers la prière : « Mon Dieu, mon Père ne permet pas que je donne mon coeur et mes affections à un ennemi de ma patrie et de ma religion. » Elle cherche aussi des réponse à ses doutes dans la lecture de « L’imitation de Jésus-Christ. »

Des voisins de campagne vinrent en visite le lendemain et n’épargnèrent pas Marie en lui posant des questions sur ses intentions, sur ses résolutions car chacun supposait qu’elle ne pouvait refuser un tel parti, mais elle ne semblait pas changer d’avis.Pour elle un russe reste l’ennemi, aussi beau garçon et riche soit-il. Mais ce n’est pas sans un pincement au coeur qu’elle le dit. Le comte Walewski et le comte Souvorov vinrent aussi en visite. Marie était sur des épines car le jeune homme se montrait non seulement charmant mas attentif à l’histoire de la Pologne, à ses vicissitudes, à ses hommes célèbres. Lors d’une promenade dans le parc, il arriva ce que la jeune fille redoutait le plus. Il se déclara en lui disant : « Seriez-vous assez insensible, assez cruelle pour me refuser ? » Tremblante de la tête aux pieds, car elle savait sa réponse définitive, elle lui dit que « le soin de lui faire trouver le bonheur ne m’était pas réservé, que de trop grandes distances nous séparaient pour pouvoir nous rapprocher. » Souvorov insista et Marie en s’éloignant lui dit « Jamais, jamais! » Elle se réfugia dans sa chambre pour pleurer et prier. Sa mère l’y trouva sans un état effrayant et lui recommanda de dormir. Mais après une nuit agitée, elle était dans les mêmes dispositions. Son coeur était partagé entre l’amour qu’elle éprouvait pour Souvorov et ses devoirs envers sa patrie. Le comte Walewski vint aux nouvelles dès huit heures du matin et surtout en messager du jeune homme qui offrait sa fortune à Marie, lui promettait d’acheter une propriété en Pologne afin de ne pas la séparer des siens. Sa mère monta lui transmettre la demande en mariage. Elle lui dit le bien qu’elle pensait de Souvorov mais elle lui dit aussi qu’elle préfèrerait qu’elle épousât le comte Walewski mais qu’elle comprenait très bien que Marie lui préférât le jeune et beau Souvorov. Elle lui dit aussi que si elle ne l’acceptait pas, Walewski la demanderait en mariage et qu’elle souhaitait qu’il soit écouté. Eva Łączyńska allait droit au but. c’était l’un ou l’autre. Marie était libre de choisir mais elle devait choisir et pas question de refuser et l’un et l’autre. Marie, en fille obéissante finit par céder et elle choisit d’épouser Walewski, « Le bonheur n’est plus fait pour moi. J’y ai renoncé de mon plein gré. J’ai pris la raison pour guide etc elle se trouve en opposition avec mon coeur. »

Eva Łączyńska fût satisfaite de son consentement qui comblait ses espérances, sa fille mariée au gentilhomme le plus riche de la région, polonais de surcroît. Peu importait son âge, Marie allait régner sur le domaine de Walewice.



La jeune fille ouvrit enfin la lettre de Souvorov que sa mère lui avait apportée qui se terminait ainsi « Dictez des lois, je m’y soumettrai aveuglément. Patrie, fortune, avenir contre ton cour, ta main est un échange bien doux. » 
Le coeur brisé par son choix, Marie fut entre la vie et la mort pendant trois semaines. Quand elle revint à elle, elle trouva sa mère et le comte Walewski à son chevet. Ils avaient fait tout ce qu’il pouvait pour la soigner en appelant les meilleurs médecins de Varsovie. Mais la vue du comte raviva sa peine et elle mit trois mois à se remettre. Elle demanda des nouvelle de Souvorov. Il était reparti à Saint-Petersbourg dès le lendemain de son refus. 
« Je revins à la vie mais à regret. Je m’étonnais qu’un rayon de bonheur à peine entrevu, échappé aussitôt, ait vu décolorer et flétri mon existence, briser mon coeur si profondément. »
Le comte Walewski, en grand seigneur, lui offrit de reprendre sa parole et de la laisser libre d’épouser qui elle voulait. Mais ayant renoncé au bonheur d’aimer et d’être aimée, par son sentiment patriotique exacerbé, Marie refusa. Elle allait épouser le veux comte et se consacrer à celui qui ne souhaitait qu’être son ami. Souvorov ne reparut plus dans sa vie.

Armes des Colonna-Walewski

Le 17 juin 1804, Marie Łączyńska devint comtesse Walewska. Et c’est sous ce nom qu’elle passera à la postérité. 

« On me para (sic), on me conduisit à l’autel, on souleva ma main pour la placer entre celles de celui qui en obtenait l’acquisition. Je ne sais ni ce que je faisais, ni ce que je pensais, ni même ce qui se passait autour de moi alors. »

Eglise Sainte-Margaret à Kiernozia
où fut célébré le mariage
La tristesse et l’apathie de la mariée faisaient contraste avec le bonheur de son mari et de sa mère.


Intérieur de l'église
Ils partirent en voyage de noces, dans un classique tour d’Italie. A Rome, ils furent reçus dans l’aristocratie, le comte étant allié des Colonna. Son nom était en fait Colonna-Walewski. La relation famille entre les Walewski et les princes Colonna est loin d’être certaine. Pour Marie, il semble qu’ils étaient reçus en cousins. Mais dans ouvrage sur la descendance de Napoléon et Marie Walewski, il est dit que le nom Colonna attaché à Walewski prend racine dans l’histoire de la Pologne. Selon le comte Walewski, chef de la branche française, « Cette famille prétend, que le mot « kolumna » polonais aurait été attribué  en complément du patronyme d’un Walewski, par le roi polonais de l’époque, en remerciement de sa tenue irréprochable et ferme au combat, comme une colonne, contre des troupes ottomanes au XIVème siècle. » ( Communication personnelle faite à l’auteur). Les armes des Walewski sont décrites ainsi : « Coupé au 1. D’or à l’’aigle à deux têtes naissante de sable,, le vol étendu couronné d’or : au 2. D’azur à la colonne d’argent sommée d’une couronne d’or. » ( extrait du N° 635 des « Chercheurs et Curieux » de Juillet août 2005.)

Parente des Colonna ou non, la nouvelle comtesse entre dans une famille importante et fortunée de la grande noblesse polonaise, ordre auquel elle-même appartient mais au niveau de la petite noblesse. 

De retour à Walewice, le couple mena la vie qu’il s’était choisie, lui heureux d’être au bras d’une aussi jeune belle femme qu’il présenta à tout le monde, elle résignée « languissante, triste, apathique, puisant ma résignation dans la prière et mes exercices religieux. »

Enfin Marie revint à la vie grâce à la maternité. « Il me semble que j’avais quitté la vie pour moi et que c’était mon fils qui la recommençait. »

Le 13 juin 1805 naquit Antoine Basile Rodolphe Colonna-Walewski. Elle doublement attachée à son enfant tout d’abord en tant que mère et ensuite en tant que polonaise. Son fils aurait pu être russe si elle avait épousé Souvorov, mais il était polonais et elle en tirait de la fierté. Ses sentiments patriotiques s’étaient assoupies dans la léthargie de son mariage. Son fils les réveilla. 

Napoléon en 1806 par Franz Gherard von Kügelgen
En 1806, Napoléon, empereur depuis près de deux ans, est le centre d’attention des polonais qui mettent beaucoup d’espoir. Marie écrit : « Nous étions à l’époque où le vainqueur de l’Europe donnait des lois au monde comme aux souverains ! Disposait des états à sa volonté - élevant de nouvelles dynasties, rabaissant les anciennes ! Quel temps ! Plus propice pour nos espérance ! Aussi la fermentation était-elle générale ! Revendiquer nos droits, notre indépendance nationale, secouer un joug honteux, oppressif et illégitimes où nous tenaient les trois puissances réunies ! Il était le sauveur universel qui, filtrant depuis la haute classe jusqu’au peuple, faisait mousser les esprits…La France devint la patrie adoptive des proscrits, ainsi que de tous les nobles et dignes fils de la mère commune. » 


Alexandre Ier de Russie
par George Dawe
Les Polonais sont certains que Napoléon va leur venir en aide. Le 2 décembre 1805, à Austerlitz, n’avait-il pas battu à plate couture les troupes du tsar Alexandre Ier et de l’empereur d’Autriche,  François ? 

François de Habsbourg-Lorraine
Dernier empereur romain germanique
Premier empereur d'Autriche 
L’empereur des Français y avait révélé son génie militaire. Tous les espoirs sont donc permis aux Polonais. Beaucoup d’entre eux se mettent au service de la France. En 1806, à Iena, ce sont les Prussiens, troisième puissance occupante de la Pologne, qui sont vaincus par Napoléon.

Napoléon Ier passant en revue la Garde Impériale à Iéna
Par Horace Vernet
Marie Walewska, «  pénétrée d’une exaltation patriotique qui m’a occupée uniquement et ranimait ma vie » ne va pas tarder à rencontrer l’homme et le destin qui firent d’elle probablement la polonaise la plus connue de toute l’histoire.

« Napoléon, cet homme au bras de fer qui n’avait qu’à vouloir pour conquérir le monde - alors - après avoir humilié l’Autriche, anéanti la Prusse, agrandi la Bavière, la Westphalie, la Saxe et allait enfin s’occuper des destinées de la Pologne. Son arrivée attendue ardemment dans la capitale nous paraissait la fin de tous nos maux » 

Le couple Walewski s’était installé à Varsovie en septembre 1806, louant un hôtel particulier digne de leur fortune. Marie fit son entrée dans le grand monde, dans lequel, au mécontentement de son mari, elle ne se sentait pas à l’aise. Mais le grand événement en préparation, souhaité et attendu par toutes les classes sociales, était l’arrivée de Napoléon. 
Miniature de Marie Walewska
Par Marie-Victoire Jaquotot