11/06/2018

Marie, reine des Deux-Siciles - Troisième partie





Marie Sophie par Winterhalter

La première vision qu’avait Marie Sophie de son futur royaume fut belle, celle qu’elle eut de son mari, fut différente.

Bien qu’ayant été habituée aux surnoms, courants dans sa fratrie, elle avait été surprise d’apprendre que le surnom de son mari était “Lasa”, pour lasagne, pâtes que le prince aimait particulièrement. Et c’est ainsi que son père l’appelait. Les autres l’appelaient “Cicillo”, de “Fransceschiello”, petit François. Il sera toujours appelé ainsi et est encore connu à Naples sous ce diminutif affectueux, mais pas très aristocratique. 

Les autres avaient aussi des surnoms, donnés par le roi, “Tetè” ou “Tetella” pour la reine, “Ciolla” pour Marie-Annonciade, “Petita” pour Marie-Immaculée, “Nicchia” pour Marie des Grâces.

Cette simplicité familiale, à laquelle elle était habituée chez elle, n’était peut-être pas ce qu’elle recherchait. 



Port de Bari au XIXe

A peine le navire accosté, François monta à bord. Et du portait que Marie-Sophie avait reçu, il ne restait que l’uniforme. Le prince était grand mais maigre et voûté, le visage jaunâtre, les épaules étroites, le regard mort, les yeux toujours baissés et l’air idiot. 


François II à l’époque du mariage

François de son côté eut la vision d’une beauté altière et rayonnante. La beauté des soeurs de Bavière n’était pas une légende. Il ne cessa de répéter par la suite “Dieu, comme elle est belle.”

Après François, elle dut faire connaissance de sa belle-mère, la reine Marie-Thérèse qui lui parla en allemand. Elle réalisa très rapidement que le jeune prince avait une attitude plus que respectueuse pour sa belle-mère. Il était craintif et soumis. 

Avec Ferdinand II, le contact fut réciproquement chaleureux. Il en fut de même avec ses beaux-frères et belles-soeurs.

Mais le plus difficile, une fois la cérémonie de mariage répétée dans la chapelle palatine, restait à accomplir. Non seulement François, à 23 ans, était vierge mais il n’avait reçu aucune éducation sexuelle. Agité et confus, son premier geste, une fois dans la chambre nuptiale, fut de se jeter sur le prie-Dieu et faire ses dévotions. Marie Sophie l’attendit en vain. Les courtisans, oreilles tendues derrière les portes, en furent pour leurs frais. François était malade et Marie Sophie s’était endormie. Il en fut longtemps ainsi mais il est probable que Marie Sophie, à peine nubile et aussi peu experte que lui en la matière, n’en pas été perturbée. Ce ne fut pas la même nuit de noces que celle de sa soeur, Elisabeth, qui, parait-il  à son grand traumatisme, fut honorée par un mari amoureux comme un sous-lieutenant.


Palais de l’Intendance à Bari

Les fêtes se succédèrent à Bari pendant un mois où la beauté de la mariée fit sensation, surtout le soir à l’opéra, où vêtue de blanc, ornée de diamant elle apparut dans la loge royale. Ce fut un mois de gaieté pour tous ces jeunes princes et princesses qui s’étaient adoptés mutuellement. Le 7 mars 1859, la cour prit la mer car l’état de Ferdinand II ne lui permettait pas de voyager par la route. Il leur fallut cinquante heures pour rejoindre Naples. 

François et Marie Sophie se sont rapprochés, dès leur arrivée à Caserte, le palais inspiré de Versailles et construit à quelques kilomètres de Naples. Il est le plus grand palais royal au monde avec ses 47 000 mètres carrés (4,7 ha) de superficie bâtie au sol, développée sur cinq étages. Commencé en 1752, il ne fut terminé qu’en 1845.





Vues de Caserte

Malgré leurs jeux innocents - comme pour François de se vêtir de la crinoline de sa femme et danser devant elle, écroulée de rire - Marie Sophie n’est pas heureuse car elle sait ce que l’on attend d’elle. Une reine qui n’est pas mère est à peine une reine. Et François ne prend pas le chemin d’être père, même s’il doit bientôt être roi. Ce fut à son confesseur de lui conseiller d’accomplir ses devoirs conjugaux mais s’il était amoureux de sa femme, et le lui prouvait par ses attention, il était impressionné par sa beauté et empêché par son phimosis. On ne sait pas quand Marie Sophie et François devinrent réellement mari et femme, mais on suppose que cela s’est passé après l’opération du phimosis, une fois en exil à Rome.




Caserte, chambre de François et Marie Sophie

Marie Sophie pleurait souvent, suivant les confidences de sa dame d’honneur. Mais elle avait une raison supplémentaire de pleurer, l’attitude de sa belle-mère. Comme sa soeur Elisabeth avec l’archiduchesse Sophie, elle était en conflit avec elle. Marie-Thérèse ne l’aimait pas et il se murmurait à la cour qu’elle se réjouissait de la situation, l’absence d’un héritier de François, rapprochait son fils aîné du trône, François n’étant que son beau-fils. 



Marie-Thérèse de Habsbourg-Teschen, reine des Deux-Siciles

Et celui-ci la craignait et l’invoquait à chacun des gestes de Marie Sophie qui risquait de déplaire à la reine. 

Marie-Thérèse toutefois passait l’essentiel de son temps dans le chambre de son mari, qui entouré de prêtres et de ministres, continuait à gouverner le royaume, avec une inquiétude grandissante, non quant à sa santé car il se savait condamné mais pour le royaume dont il percevait les dangers qui le menaçaient. Ayant François et Sophie à son côté, tous les jours, il leur conseillait de se méfier des “Parents de Turin”. La guerre entre l’Autriche, la France et le Piémont, première étape vers l’unité italienne, se préparait. Le roi le savait mais il n’était pas prêt à porter secours à l’empereur d’Autriche, du moins pas avec ses armées. Il répondit à l’ambassadeur de Vienne venu lui demander son aide : “De l’argent tant que vous voulez, mais pas d’hommes.”


Ferdinand II roi des Deux-Siciles

Le 16 avril 1859, le gouvernement de Vienne lança un ultimatum à celui de Turin d’avoir  à désarmer, pour le maintien de la paix. Le 20, Napoléon III mobilisait. Le 27, on apprenait à Naples que Leopold II, grand-duc de Toscane, “Zi Popo” comme l’appelaient familièrement ses cousins napolitains, avait été chassé par une insurrection. Le 29 avril, les troupes franco-piémontaises franchissaient la frontière austro-piémontaise en Lombardie. Le 22 mai 1859, deux jours après la première défaite autrichienne à Montebello et treize jours avant la bataille décisive de Magenta, Ferdinand II mourait. Il avait 49 ans et laissait le royaume dans les mains d’un incapable, “il suo caro Lasa” “son cher Lasa", comme il le désignait dans son testament,  en un moment tragique de son histoire. 
Mais une autre guerre commençait au sein de la famille royale. Marie-Thérèse, une fois veuve, n’avait aucune intention d’abdiquer de son influence. Et dès les premiers jours du règne de François II, une lutte de pouvoir s’engagea entre elle et sa belle-fille, qui n’avait pas non plus l’intention de s’effacer. 



Marie Sophie et ses belles-soeurs à la mort de Ferdinand II

Durant la vie de son mari, la reine, désormais douairière, avait été, de par son action politique, la personne la plus importante du royaume. Elle était détestée par la bourgeoisie libérale. Les courtisans, dits du “Parti Autrichien”, tenants de l’absolutisme, la soutenaient. Pour marquer son pouvoir, elle se permettait d’entrer dans le bureau du nouveau roi sans se faire annoncer, et encore moins demander audience. Elle le tutoyait et continuait de l’appeler “Lasa” ou “Franceschino”, Lasagne ou Petit François, au grand déplaisir de Marie Sophie. Et ce d’autant plus qu’à chaque parole de sa belle-mère, François répondait en balbutiant : “Oui Maman !” 

Pour son avènement François II proclama une amnistie pour les détenus du fait des évènements de 1848. Il avait également ordonné l’abolition du contrôle des citoyens suspects de libéralisme, système particulièrement détesté par la population. Cet acte laissait espérer une libéralisation du régime à la fureur du “parti autrichien” et de Marie-Thérèse. Elle intervint auprès de son beau-fils pour qu’à la suite de cette mesure libérale, il envoya un contre ordre secret aux préfets, leur demandant de ne pas tenir compte du décret officiel. 



La nouvelle reine des Deux-Siciles

Marie Sophie, de son côté, avait décidé de se libérer, et de libérer son mari, de l’influence de Marie-Thérèse. François était pris entre  deux sentiments, celui de faire plaisir à sa femme dont il admirait la beauté et l’intelligence, et la peur quasi physique qu’il avait de sa belle-mère. Les premières manifestations d’indépendance furent futiles mais efficaces. La reine dépensa sans compter pour sa toilette, allant jusqu’à changer de tenues quatre fois par jour, alors que la reine douairière portait chaque jour la même robe noire. 



La reine des Deux-Siciles

Elle fuma ostensiblement devant elle. Après avoir découvert l’art de la photographie, elle ne cessa de se faire tirer le portrait. Elle montait à cheval tous les jours. Et enfin comble d’audace, elle se baignait en public dans le port de Naples, à la grande joie des assistants. Marie-Thérèse enrageait de ne pouvoir rien faire












La ressemblance avec sa soeur Elisabeth est frappante
Lorsque la photo de Marie Sophie parut en première page du “Journal des Dames”, à Paris, faisant ainsi concurrence aux deux autres beautés de l’époque, sa soeur Elisabeth et l’impératrice Eugénie, de rage Marie-Thérèse déchira le magazine. Enfin, comble de rébellion, la reine réussit à faire admettre ses chiens dans la salle-à-manger et s’entoura de perroquets et de canaris, tous ces animaux étant détestés par la reine douairière. 



Palais royal de Naples

Mais Marie Sophie marqua un point beaucoup plus important en montrant son vrai caractère fait de bravoure et de courage. La garde suisse du roi, le 7 juillet 1859, n’acceptant pas l’abolition de leurs régiments, demandé par la Suisse et à laquelle le roi consentait, prit les armes contre lui et se porta vers le palais royal. Dans l’affolement de ce qui tournait à l’insurrection, Marie-Thérèse s’apprêtait à fuir, avec ses enfants, François II s’était réfugié pour prier dans la chambre de sa défunte mère “la Regina Santa”. Marie Sophie, avec sang froid, au risque de faire tirer dessus, affronta les rebelles, auxquels après avoir écouté leurs doléances, elle ordonna de rentrer dans leurs casernes, ce qu’ils firent.

Pour François, il s’est agi d’un miracle du à sa sainte mère. Mais Marie Sophie eut droit à l’admiration des Napolitains pour son courage. 

Lors de l’exposition des reliques de Saint Janvier, le sang de ce dernier se liquéfia dans son ampoule. Le présage était mauvais. 

La cour était désormais divisée en deux partis, le “parti autrichien” avec à sa tête la reine douairière, l’aristocratie, l’armée et l’église et le “parti constitutionnel”, à défaut de libéral avec à sa tête le général prince Carlo Filangieri di Satriano, qui mettait ses espoirs dans la nouvelle reine.

La rencontre du prince et de la reine fut comme un coup de foudre. Aucun des deux n’était libéral, mais les deux comprenaient le besoin de changement dans le royaume des Deux-Siciles. Filangieri était un héros des guerres de Napoléon pour lequel il avait combattu. Pour la reine, admiratrice de Napoléon comme sa famille de Bavière, c’était un élément important. Mais Filangieri, après avoir été destitué par les Bourbons, fut réhabilité par eux, en raison de ses qualités militaires, reconnues de tous.

Il n’avait pas hésité en 1848 à faire bombarder Messine qui se révoltait contre eux auquel ils n’était fidèle que par son serment de soldat et non par conviction intime. Marie Sophie aspirait à être une héroïne. Elle fut séduite par la franchise du veux soldat qui lors de leur première rencontre lui dit : “Majesté, les rois doivent se faire avant tout craindre et s’il est possible aimer. Mais notre souverain ne réussit ni l’un ni l’autre.” Et cela, elle le savait.

François II désigna le prince comme chef du gouvernement, sous l’influence de sa femme, mais il fut entouré de ministres à la solde de Marie-Thérèse, un ambigüité dangereuse. La reine et le prince n’étaient pas toujours d’accord. Marie Sophie était favorable à la constitution mais ne voulait pas entendre parler d’accord avec les Savoie. Filangieri, au contraire, pensait qu’il fallait au royaume des Deux-Siciles se rapprocher de Napoléon III, de l’Angleterre et éventuellement du Piémont. François II ne savait quel parti prendre. Pour lui, le sort de son royaume dépendait de la Providence divine. Et il passait son temps à répéter “Dieu que cette couronne est lourde à porter”. Et il se réfugiait dans la lecture d’ouvrages théologiques voire mystiques, sous l’influence de son confesseur Mgr Borelli. 



Carlo Filangieri, prince de Satriano (1784-1867)

Pour l’église le Piémont et les Savoie étaient des parents du diable, car trop libéraux, voire maçonniques. La politique de Cavour à l’époque n’avait pas pour objectif l’unité de la péninsule. Une fois le nord de l’Italie, à commencer par la Lombardie, la Vénétie, les duchés de Parme et Modène et le grand-duché de Toscane conquis, il considérait que le reste, soit les Etats Pontificaux et le royaume des Deux-Sicile, pouvait rester indépendants. Il offrit à François II, en échange de son soutien dans la guerre d’indépendance contre l’Autriche, la réciprocité de l’indépendance entre les deux royaumes et une libéralisation du régime napolitain, de lui laisser les villes de Perugia et d’Ancona, dépendant des Etats Pontificaux. Cavour demandait également que soit neutralisée Marie-Thérèse dont l’influence absolutiste empêchait toute évolution. 

Ayant reçu cette offre, qui le satisfaisait, le prince Filangieri objecta à l’envoyé de Cavour qu’il lui semblait difficile que son souverain, beau-frère de l’empereur d’Autriche, accepte de lui faire la guerre. Ce à quoi l’envoyé, le comte Salmour, répondit que les Savoie étaient également liés aux Habsbourg et que les affaires d’état passaient avant les liens familiaux. Filangieri répondit : “ Vous ne connaissez pas notre roi.”

En effet, quand il apporta ces offres, le prince se vit répondre par François II  “ Mais c’est un vol, un vol du pape !”, parlant des deux cités qu’on lui proposait. Filangieri, ayant compris que cela signifiait la fin des Deux-Siciles, offrit sa démission au souverain. Il accepta toutefois d’être rappelé, pensant pouvoir encore influencer le souverain, avec l’aide de Marie Sophie, décidément acquise à l’idée d’une constitution. Prenant l’exemple de la Bavière, état constitutionnel depuis 1848, et où tout se passait bien, elle finit par convaincre son mari. “ La monarchie est une institution trop puissante pour avoir peur d’un parlement, et une constitution rallierait les progressistes au trône, de telle manière que le constitutionnalisme ne serait plus le monopole des Savoie”, dit-elle avec raison.

Devant un tel danger libéral, Marie-Thérèse rameuta ses troupes et organisa un complot pour destituer son beau-fils et mettre sur le trône son fils aîné, Louis, comte de Trani. Le 4 septembre au matin du jour où Filangieri devait lui remettre le projet de constitution François II fut mis au courant du complot. La réponse de François fut “ Mon père avait raison, constitution égale révolution.”

Marie Sophie demanda alors à Filangieri de réunir les preuves de la trahison de sa belle-mère. Furieuse, en présence de Filangieri, elle les montra à François, qui lui demanda ce qu’il devait faire. Elle lui répondit : “Châtie-la, Lasa, châtie la.” “Mais Sophie comme puis-je faire une chose pareille à la femme de mon père ?” dit-il alors. Et il ne fut plus question du complot, ni de constitution.

Le prince Filangieri donna sa démission le 16 mars 1860. En le croisant au palais, Marie-Thérèse triomphante fit le geste de lui cracher au visage et lui claqua la porte au nez. Marie Sophie, dès lors, cessa d’adresser la parole à sa belle-mère, se contentant de la saluer quand elle la croisait.

Filangieri était un véritable homme d’état qui avait compris que la survie de son pays dépendait de nouvelles alliances. L’Autriche était vaincue et un rapprochement avec Napoléon III, favorable aux Deux-Siciles, était la seule chance. Napoléon III contrôlait la politique du Piémont qui ne pouvait rien faire sans lui. Il était un allié de poids et n’aurait pas permis la fin d’une monarchie aussi vieille que l’Europe si celle-ci avait embrassé le siècle. 

François II prit alors comme premier ministre le prince de Cassaro, un ami personnel de sa belle-mère. Les jeux étaient faits. 



François II et Marie Sophie

18/05/2018

Marie reine des Deux-Sicile - Deuxième partie


Marie-Sophie, jeune reine des Deux-Siciles

“Mais il est beau !” s’exclama Marie Sophie en découvrant le portrait de son futur époux, dans une miniature, entourée de diamants et de pierres précieuses, présentée par le comte Ludolf, ami personnel du roi Ferdinand II des Deux-Siciles et envoyépour procéder aux préliminaires du mariage.



François de Bourbon des Deux-Siciles
Les tractations n’avaient pas été simples. Et ce d’autant moins qu’elles devaient se faire avec le roi de Bavière, l’oncle de la future fiancée, Maximilien II, qui avait à coeur les intérêts de sa cousine et de son royaume. 



Maximilien, roi de Bavière

Le premier problème à affronter était d’ordre médical. Le comte Ludolf dut expliquer que si le duc de Calabre été affligé d’un phimosis, cela pouvait s’opérer. Le roi de Bavière, qui avait eu des rumeurs sur la virilité du prince, fut rassuré, Ludovica aussi. On avait craint pire que cela. Mais le comte Ludolf avait eu aussi vent d’un problème concernant Marie Sophie. Elle ne serait pas encore nubile, à 17 ans. Ludovica dut en convenir mais écarta l’argument en disant que sa nubilité ne saurait tarder grâce aux traitements d’eaux chaudes salées qu’elle subissait. L’échange était crû mais nécessaire car toute union princière avait pour but la descendance. Alors il fallait être certain qu’aucun obstacle ne se dresserait. On tomba d’accord, il n’y avait rien de grave d’un côté comme de l’autre.

Le deuxième problème que souleva le roi de Bavière était la religiosité du prince. Toutes les cours d’Europe savaient que François avait reçu une éducation quasi monastique et qu’il était chaste, pire encore puceau. Son confesseur dormait d’ailleurs dans sa chambre pour y veiller. On était loin de l’esprit Bourbon et napolitain. Un prince pieux ne pouvait déplaire à la catholique Bavière, mais tout avait des limites. La réponse de l’émissaire fut sans appel. La religiosité du prince, héritée de sa mère la future bienheureuse, Marie-Christine de Savoie, contrebalancerait la foi plutôt chancelante de la jeune duchesse. Marie Sophie, en bon fille du duc Max, et comme sa soeur Elisabeth, n’était pas confite en dévotion. L’argument porta.


Marie-Christine de Savoie, mère de François II
Le troisième problème, aux yeux de Maximilien II, était que le futur roi avait été refusé comme prétendant par les cours de Turin et de Bruxelles. La réponse fut satisfaisante. La princesse Marie-Clotilde de Savoie ne pouvait convenir à Ferdinand II car disait-il “ Nous avons déjà trop de parents à Turin.” La princesse Charlotte de Belgique, future impératrice du Mexique, avait été refusée par le roi des Belges, Léopold Ier, son père, car il préférait une alliance autrichienne à une alliance napolitaine. L’argument porta une fois de plus.

Enfin, dernier problème, la dot ! Max et Ludiovica avaient huit enfants à marier et donc à doter. Ils n’étaient pas riches et ne pouvaient donc offrir que vingt cinq mille ducats à leur fille Marie Sophie. Comparé aux douze millions du roi Ferdinand, cela était peu. Mais la cour de Naples se montra généreuse et offrit trente six mille ducats en plus pour doter la fiancée.  

La Résidence à Munich
Il n’y avait donc plus de problèmes. Le roi de Bavière donna son consentement, à la grande satisfaction de l’envoyé napolitain et surtout de la duchesse Ludovica. 

On pouvait procéder à la cérémonie des fiançailles. Elle eut lieu le 22 décembre 1858. Et c’est à cette occasion que Marie Sophie put enfin contempler le visage de son fiancé, qu’elle trouva beau. 


Chapelle Palatine
Le mariage fut célébré le 8 janvier 1859, dans la chapelle du palais royal de Munich. Le prince Léopold de Bavière (1821-1912), frère du roi, représentait François. Il sera, plus tard régent de Bavière pour ses neveux, Louis II et Othon Ier. Marie Sophie, vêtue de brocart et de velours blanc, avec un voile en dentelle retenu par un diadème en diamants, fut menée à l’autel par son frère Louis, son père n’ayant pas jugé bon d’être présent. 

Le 13 janvier, la nouvelle duchesse de Calabre quittait Munich pour Vienne où le protocole l’obligeait à s’arrêter. Mais plus encore que le protocole, ce fut pour le plaisir de voir sa soeur. Elles furent ensemble quelques jours, partageant les derniers moments d’insouciance de la nouvelle princesse napolitaine. Elisabeth dira plus tard de ces journées joyeuses : “ Il semblait que le destin, conscient du triste avenir de Marie, avait voulu lui offrir quelques journées de gaité insouciante. Je savais bien que ma pauvre soeur devait s’attendre à une belle-mère comme la mienne. Et c’est pour cela que j’avais décidé de la faire jouir le plus possible de ces vacances viennoises…”



L’impératrice Elisabeth en 1859
Le 30 janvier 1859, Marie Sophie quittait Vienne pour Trieste. Et contrairement aux usages Elisabeth l’accompagnait pour la remise de sa soeur aux représentants de la cour de Naples, qui eut lieu le 2 février au palais du gouverneur, selon un antique cérémonial. Dans une salle du palais était symbolisée la frontière entre la Bavière et les Deux-Siciles. Marie Sophie, princesse bavaroise, entourée de sa cour allemande, entra dans le salon par une porte et ressortit par l’autre, princesse napolitaine, entourée de sa nouvelle cour.



La frégate « Fulminante »



La Frégate "Tancredi"
Le roi Ferdinand II avait envoyé deux frégates, la “Fulminante” et la “Tancredi” pour chercher sa nouvelle belle-fille. Elle embarqua sur la “Fulminante” à bord de laquelle Sissi l’avait accompagnée.



Ferdinand II vers 1850

Ferdinand II, bien que malade, avait tenu à aller à Bari pour accueillir en personne Marie Sophie. Trois cents kilomètres n’étaient pas une petite distance à l’époque. Le roi des Deux-Siciles était un personnage étrange. Monté sur le trône en 1830, à 20 ans, il essaya dans un premier temps de réorganiser l’état, il réintégra dans l’armée ceux des officiers qui avaient servi sous Murat. Il sut se faire aimer du peuple à défaut des intellectuels libéraux. Lors des révolutions de 1848, il n’hésita pas à faire bombarder Palerme, ce qui lui valut le surnom de “Re Bomba”. Après un intermède libéral, en 1849, il reprit une politique absolutiste voire répressive. La réputation du Royaume des Deux-Siciles, à travers l’Europe, était loin d’être flatteuse. 
Le roi parlait volontiers le napolitain. Familier avec tous, il aimait la grivoiserie et les plaisanteries graveleuses. 
Son premier mariage avec Marie-Christine de Savoie ne fut pas une réussite. Il disait d’elle : “ la reine est une belle femme, mais froide, si froide…” Il est vrai qu’elle était belle mais il est vrai aussi que l’éducation de Marie Christine ne l’avait pas préparée à un époux qui aimait les macaroni et les oignons crus. Elle disait de lui : “ Je pensais avoir épousé un roi. En fait j’ai épousé un manant.” 
Marie-Christine mourut le 31 janvier 1836, à l’âge de 23 ans. Si on lui découvrit des vertus religieuses ensuite, elle a été béatifiée en 2014, elle ne fut pas vraiment aimée de son vivant car  trop religieuse, trop loin de l’exubérance de ses sujets napolitains. Elle mourut en donnant naissance à François. 


Marie-Thérèse d’Autriche, 
reine des Deux-Siciles
Ferdinand se remaria l’année suivante, le 27 février 1837, avec Marie-Thérèse de Habsbourg-Teschen, archiduchesse d’Autriche. Elle était la fille de l’archiduc Charles-Louis, frère de l’empereur François, et héros de la bataille d’Aspern, et de Henriette de Nassau-Weilburg. Marie-Thérèse était l’arrière petite-fille de la Grande Marie-Thérèse, comme son mari, elle par Léopold II et lui par Marie-Caroline. 

On disait de Ferdinand II “ fidèle à sa femme, tendre avec ses enfants, modeste et affectueux à la maison”. Cette vision idyllique et patriarcale de l’homme ne correspond pas au souvenir laissé par le souverain. 

De Marie-Thérèse, il n’existe aucun souvenir flatteur, car si elle aimait son mari et ses enfants, son intérieur et une vie retirée, elle n’en était pas moins partisane de l’absolutisme et influençait son mari dans ce sens. Ses mots étaient : “Châtiez, Ferdinand,  Châtiez…”

Pour le couple, constitution égalait révolution.

Elle n’était pas la reine qu’attendait les peuples des Deux-Siciles. On la décrivait ainsi “ Elle ressemblait plus à une ouvrière qu’à une reine. Yeux durs et clairs, le front couronné de deux bandeaux de cheveux noirs, tirés vers la nuque. Privée de grâce, buche grande et sévère, vêtue avec une simplicité excessive..”

Quand elle n’était pas admise au Conseil, on la surprenait à écouter, oreille contre la porte. 

Ferdinand et Marie-Thérèse s’entendaient bien. Ils eurent douze enfants dont huit survivants : 

Louis, comte de Trani (1838-1886) qui épousa Mathilde duchesse en bavière, une autre soeur de Marie et d’Elisabeth. Sa mort reste mystérieuse.

Louis comte de Trani
Alphonse, comte de Caserte (1841-1934). Il épousa sa cousine Marie-Antoinette de Bourbon des Deux-Siciles (1851-1958). Ils sont les ancêtres des deux branches actuelles prétendant au trône des Deux-Siciles.

Alphonse comte de Caserte
Marie-Annonciade (1843-1871) épousa l’archiduc Charles-Louis (1833-1896), frère de l’empereur François-Joseph. Ils sont les parents de l’archiduc François-Ferdinand, assassiné à Sarajevo, et les grands-parents de l’empereur Charles.

Marie Annonciade princesse des Deux-Siciles
archiduchesse Charles-Louis d'Autriche
Marie-Immaculée (1844-1899). Elle épousa l’archiduc Charles-Salvator d’Autriche-Toscane(1839-1892). Un de leurs fils, François-Salvador épousa l’archiduchesse Marie-Valérie, fille de François-Joseph et d’Elisabeth.

Marie Immaculée princesse des Deux-Siciles
archiduchesse Charles Salvator d'Autriche
Gaétan, comte de Girgenti (1846-1871). Il épousa en 1868 Isabelle de Bourbon d’Espagne (1851-1831), princesse des Asturies. Il se suicida en 1871.

Comte de Girgenti ( Agrigente)


Maria-Pia (1849-1882). Elle épousa le duc Robert de Parme (1848-1907).  Ils sont les ancêtres de l’infante Alice, princesse de Bourbon-Parme qui vient de disparaître. 


Maria-Pia princesse des Deux-Siciles
 duchesse de Parme
Pascal, comte de Bari (1852-1904). Il fit un mariage morganatique avec Blanche de Marconnay.

Pascal comte de Bari
Marie-Louise (1855-1874). Elle épousa Henri de Bourbon-Parme, comte de Bardi, frère du duc de Parme, Robert.


Marie Louise princesse des Deux-Siciles 
comtesse de Bardi
Si Marie-Thérèse ne fut pas une bonne souveraine, elle fut une bonne mère.

Ferdinand II et sa famille
C’était la fratrie dans laquelle entrait Marie-Sophie. La plupart étaient plus jeunes qu’elle. 

Le voyage de Caserte à Bari dura dix-neuf jours, qui furent pour Ferdinand II dix-neuf jours de souffrance. Sur le parcours à Avellino, le cortège rencontra la neige, rare en Italie du sud, le roi dit à son épouse, en napolitain : “Neh, Tetella, vi che bella surpresa t’aggio cumbinata ! Non te pare de sta a Vienna, co tutta sta neve ?” “Neh, Tetella ( il la surnommait ainsi) quelle belle surprise je t’ai préparée. Ne te semble-t-il pas d’être à Vienne avec toute cette neige ?”

Tout au long du voyage, il distribua des cadeaux, 35 000 pains, 230 vêtements pour hommes, 109  robes, 540 chemises, 60 lits, il dota 400 jeunes filles, et distribua de l’argent sans compter. 

Arrivé à Bari, son état avait empiré au point qu’il ne put aller sur le port accueillir sa belle-fille. 


Royaume des Deux-Siciles

Le royaume des Deux-Siciles vers lequel cinglait Marie Sophie avait été créé en 1816 par  le roi Ferdinand Ier de Bourbon (1751-1825), en unifiant deux royaumes, Naples et Sicile, avec la bénédiction du Congrès de Vienne. Ferdinand Ier était le grand-père de Ferdinand II. Il avait épousé en 1768, l’archiduchesse Marie-Caroline, fille de Marie-Thérèse et soeur chérie de Marie-Antoinette. Par sa mère, Marie-Amalie de Saxe (1724-1760), reine d’Espagne, il était aussi le cousin germain de Louis XVI. Dans sa nombreuse descendance, outre son fils François Ier (1777-1830) figurait Marie-Amélie (1782-1866) épouse de Louis-Philippe, roi des Français. 

Le royaume des Deux-Siciles, tout au long de son existence fut loin d’être un havre de paix. 

Entre insurrections, révolutions, occupations les souverains passèrent d’une conception libérale avec l’octroi s’un semblant de constitution à une conception autoritaire de monarchie absolue, sous laquelle il se trouvait en 1859.

Mais avec ses 111 900 kilomètres carrés (un cinquième de la France), sa population de 9 millions d’habitants, il était loin d’être un pays arriéré. Une agriculture florissante, une industrie naissante et déjà importante, un système bancaire, une marine, la seconde en Europe, une capitale, Naples une des villes les plus peuplées et prospère dans toute l’Europe, avec une vie culturelle importante étaient des atouts, une autre ville, Palerme aux atouts nombreux, autant d’éléments que la volonté de développement économique, et donc d’indépendance, une constante de ses souverains, allait employer.  


Théâtre San Carlo à Naples

En 1860, au moment de l’annexion, les finances publiques du royaume représentaient 66% des finances publiques de la péninsule, quand le grand-duché de Toscane représentait 13% et le royaume de Sardaigne,  4%. 

L’image donnée en Europe du royaume des Deux-Siciles, avant l’annexion, n’était en rien celle donnée aujourd’hui par le Mezzogiorno italien, auquel il correspond, géographiquement. On peut sans risque de se tromper dire que l’annexion italienne a été une catastrophe économique pour le royaume, et ses habitants. 

Marie Sophie arriva le 11 février 1859 pour se marier dans l’auguste Maison de Bourbon et régner sur un état qui comptait dans le concert des nations de l’Europe.  La salve de canons qui accueillit l’entrée du navire dans le port de Bari a du faire chaud au coeur de la jeune princesse bavaroise qui se mariait pour devenir reine. 


Armes de Marie Sophie de Wittelsbach, duchesse en Bavière
 reine des Deux-Siciles



06/05/2018

Marie, reine des Deux-Siciles - Première partie


La reine des Deux Siciles
“Vous n’avez pas l’air bien, mon cher cousin, dit-elle à Mr de Charlus, Appuyez-vous sur mon bras. Soyez sûr qu’il vous soutiendra toujours. Il est assez solide pour cela.” Puis levant fièrement les yeux devant elle : “Vous savez qu’autrefois à Gaète, il a déjà tenu en respect la canaille. Il saura vous servir de rempart.” Et c’est ainsi, emmenant à son bras le baron, et sans s’être laissé présenter Morel, que sortit la glorieuse soeur de l’impératrice Elisabeth.” ( Marcel Proust - La Prisonnière).

Marie Sophie Amélie de Wittelsbach, duchesse en Bavière et reine des Deux-Siciles venait de faire son entrée dans le monde la littérature française. Quand on lui a rapporté  ce texte, après la mort de l’auteur, la souveraine, âgée de 80 ans, aurait dit : « Je ne connais pas ce Monsieur Proust, mais lui doit me connaître : j’aurais agi ainsi qu’il me décrit dans son livre, il me semble. »

La dernière reine des Deux-Siciles était, en effet, bien connue de ses contemporains, non seulement pour avoir été la soeur de l’impériale Elisabeth mais aussi, et surtout, pour avoir eu une vie digne d’un héroïne de romans. 


Marie Sophie de Wittelsbach, duchesse en Bavière

Née le 5 octobre 1841, à Possenhofen, elle est la quatrième d’une fratrie de huit. Né en 1831, Louis est l’aîné, puis viennent Hélène en 1834, Elisabeth en 1837, Marie Sophie, Mathilde en 1843, Charles-Théodore en 1845, Sophie Charlotte en 1847 et Maximilien en 1849. 




Ludovica de Wittelsbach, princesse royale de Bavière

Leurs parents sont Maximilien de Wittelsbach, duc en Bavière, connu comme “le bon duc Max” et Ludovica de Wittelsbach, princesse royale de Bavière.

Maximilien de Wittelsbach, duc en Bavière

Ludovica avait été mariée à l’âge de 20 ans à son lointain cousin de la branche cadette. Et elle, dont le soeurs étaient Marie-Augusta, vice-reine d’Italie, princesse de Leuchtenberg et veuve du prince Eugène de Beauharnais, Caroline-Auguste, reine de Wurtemberg puis impératrice d’Autriche, Elisabeth, reine de Prusse, Amélie et Marie Léopoldine successivement reines de Saxe, et Sophie, archiduchesse d’Autriche, mère de l’empereur et le frère Louis, roi de Bavière, n’était que duchesse en Bavière. 

Elle avait coutume de dire : “Mes soeurs ont fait de brillants mariages mais malheureux. Le mien n’est que malheureux.”


Palais des ducs en Bavière à Munich
Il faut dire que le “bon duc Max” n’est là que pour lui faire des enfants, passant le reste de son temps, en voyage, plus intéressé par les chevaux, le jeu et les femmes, sauf la sienne. 

Cela dit, Ludovica n’est pas malheureuse. Mariée au “plus beau prince d’Europe”, artiste, intelligent, exubérant et sans doute plus intéressant que ses beaux-frères, elle se contente de son sort qui est de vivre l’hiver dans leur palais de Munich et l’été dans leur propriété de Possenhoffen, sur les bords du lac de Starnberg, “Possi”. Elle se consacre à ses enfants pour lesquels, elle commence tôt à élaborer une stratégie matrimoniale. Après tout n’est-elle pas au coeur d’un immense réseau royal, et il n’y a pas de raison que ses filles ne puissent en tirer avantage. 

Il ne semble pas vraiment utile de présenter plus Ludovica et Max, personnages dont les vies appartiennent à l’histoire, à la légende et à la romance.



Possenhoffen à l’époque 
La différence d’âge entre leurs enfants - 18 ans entre l’aîné et le dernier - fait que certains son plus proches entre eux que d’autres. 

Possenhoffen aujourd'hui

Elisabeth et Marie Sophie sont proches même si quatre ans les séparent. Proches surtout pas leur allure identique et par leur caractère indépendant, voire fantasque à l’image de leur père, dont elles seront toujours très proches. Max qui voulait qu’elle connaisse la vie n’hésitait pas à les emmener avec lui quand il rendait visite à ses maitresses. Il saura aussi leur inculquer des idées “révolutionnaires” quant aux rapports sociaux et à l’ennui de vie de cour. Plus un compagnon de jeux qu’un père il leur apprendra aussi à fumer. 


Elisabeth de Wittlesbach, duchesse en Bavière
"Sissi"
L’éducation qu’elles reçurent fut identique à celles de princesses de l’époque. Elles eurent simplement un peu plus de liberté et cette liberté se retrouvera dans leur esprit tout au long de leur vie.

Elles seront de même taille et pratiqueront le sport toute leur vie. Elisabeth est meilleure à cheval, Marie-Sophie à la nage et au tir. Elisabeth aime la poésie et se laisse volontiers aller à rêver, Marie-Sophie est plus terre-à-terre et n’a pas beaucoup de sympathie pour les intellectuels. Les deux soeurs seront les seules souveraines de la fratrie, avec chacune un histoire bien différente. Mais elles resteront proches l’une de l’autre tout au long de leur vie. 


Hélène de Wittelsbach, duchesse en Bavière
princesse de Tour et Taxis
Quand Hélène eut vingt ans, Ludovica commença sa grande manoeuvre matrimoniale. Le duc Max n’était pas riche, du moins pas aussi riche que ses cousins royaux. Il ne fut pas non plus Altesse Royale, avant 1845. Les jeunes duchesses en Bavière avaient donc quelques handicaps pour trouver un mari convenable, ce qui signifiait un prince, souverain de préférence. Mais elles avaient des atouts, leur formidable parenté, et surtout leur grande beauté. Elisabeth et Marie-Sophie étaient les plus belles mais Hélène, la sérieuse, avait aussi une beauté certaine. 

Hélène 19 ans - Elisabeth 15 ans en 1853
Le “plus beau parti d’Europe”, l’empereur d’Autriche, était leur cousin germain. Les Wittelsbach et les Habsbourg avaient pratiqué une politique matrimoniale conjointe depuis des siècles. Il était donc normal, comme cela se faisait dans toutes les famille à l’époque, à tous les niveaux de la société, que l’on tourne ses yeux vers le premier cercle. La duchesse Ludovica et l’archiduchesse Sophie, se mirent d’accord. Hélène était la parfaite épouse pour François-Joseph. Les deux soeurs organisèrent un complot. François-Joseph avait 24 ans, il était beau, Hélène en avait 20, elle était belle. Ils ne se connaissaient pas beaucoup car depuis l’âge de 18 ans, il était sur le trône, trône auquel il avait accédé, après les évènement dramatiques de 1848, et la fuite de la famille impériale de Vienne, trône qu’il devait aux renonciations de son oncle, l’empereur Ferdinand, de son père l’archiduc François-Charles et au complot dit “des Dames”, organisé par sa mère l’archiduchesse Sophie, sa double tante l’impératrice douairière Caroline-Augusta, et par l’impératrice consort, Marie-Anne, née princesse de Savoie. Pendant six ans, François-Joseph avait eu bien d’autres soucis que de fréquenter ses cousines bavaroises et il avait aussi été amoureux d’une autre de ses cousines, l’archiduchesse Elisabeth (1831-1903), fille du palatin de Hongrie. 

Archiduchesse Elisabeth, princesse de Modène
duchesse de Teschen 

Elisabeth est veuve du prince Ferdinand de Modène, frère de la comtesse de Chambord et de la comtesse de Montizon. Son frère l’archiduc Etienne a pris position pour la Hongrie en 1848. Une union avec elle ne présente aucun avantage politique, c’est du moins ce que pense l’archiduchesse Sophie qui éloigne la jeune cousine de la cour en lui signifiant qu’elle doit se remarier, ce qu’elle fit avec l’archiduc Ferdinand-Charles d’Autriche-Teschen (1818-1874), pensant ainsi obéir aux ordres de l’empereur. Le couple sera l’ancêtre de l’infante Alice, princesse des Deux-Siciles, qui vient de disparaître, et de la famille royale d’Espagne, puisque leur fille Marie-Christine épousera Alphonse XII. Par la fille qu’elle eut de son premier mariage, l’archiduchesse Elisabeth est aussi l’ancêtre de l’actuelle famille royale de Bavière.
François-Joseph dut s’incliner devant la volonté de sa mère et renoncer à son amour pour sa cousine. Epouser Hélène, son autre cousine, ne lui posait aucun problème. Tout le monde connaît la suite. Quand il aperçut Elisabeth, qui ne devait pas être là, il en tomba amoureux au point de se déclarer “amoureux comme un sous-lieutenant et heureux comme un dieu.”

Cela ne fit pas l’affaire de l’archiduchesse Sophie, mais après tout une cousine en valait bien une autre, et pour Ludovica, Hélène ou Elisabeth, peu importait car une de ses filles devenait impératrice d’Autriche.

Marie Sophie n’avait que quatorze ans et cela changea sa vie. Avec le romantisme du mariage de sa soeur préférée, son accession au trône d’Autriche, elle vit désormais en “Sissi” le modèle de sa vie. Les lettres qu’elle recevait d’elle de Vienne confortaient son idée de la vie qu’elle souhaitait. 



François de Bourbon
Prince héritier 
des Deux Siciles

Et quand elle a fut en âge de se marier, il ne fut question que de se trouver un mari selon son goût, c’est-à-dire un roi ou un prince héritier. Il n’y en avait pas beaucoup de célibataires à l’époque. Il n’y en avait qu’un, François de Bourbon, prince héritier du Royaume des Deux-Siciles. Ludovica toutefois chercha à s’informer auprès de sa soeur Sophie : « Marie pense que vous avez les informations les plus précises et les plus certaines relativement à ce jeune homme et elle a besoin d’être rassurée à ce propos…car l’idée d’appartenir à un homme qui ne la connaît passé qu’elle ne connaît pas la rend terriblement anxieuse…Qu’il ne soit pas joli garçon, elle le sait déjà. » La grande piété de François était aussi source d’inquiétude pour Ludovica, qui, à la différence de sa soeur, ne versait pas dans une grande religiosité. Mais quels qu’aient été ses doutes, le parti était trop brillant pour hésiter longtemps. 

Les tractations avec la cour de Naples furent longues. Mais Marie Sophie commença à rêver d’un prince qu’elle ne connaissait pas et dont elle n’avait pas encore vu le portrait. Mais elle l’imagina, avec l’aide de sa mère, beau et sympathique.

Quand elle demanda à son père ce qu’il en pensait, l’autorisation au mariage, devant être donnée par le roi de Bavière, son cousin, il lui répondit par télégramme envoyé de Monte-Carlo : “ Je te le déconseille. C’est un imbécile. » 


Le duc Max et sa famille, Marie Sophie est l’avant-dernière à droite