18/02/2017

L'extravagante Madame Tallien, née Thérésia Cabarrus (suite et fin)

Thérésia peinte par Isabey
Thérésia, une fois sortie de prison se lança dans une vie mondaine effrénée, pour rattraper toutes ces années  d’angoisse. Tallien était pratiquement le maître de la France, même si la Convention siégeait encore, et rien ne lui était refusé. Et à son tour, il ne refusait rien à sa maîtresse. Voitures, toilettes, bijoux, concerts, dîners, rien n’était assez beau pour elle, et elle savait obtenir tout ce qu’elle désirait. Les salles de spectacle acclamaient le couple dès qu’il paraissait dans sa loge. La France n’avait plus de roi mais le nouveau couple au pouvoir recevait des hommages quasi royaux. Il faut dire que pour ceux qui avaient survécu à la tourmente, aucune occasion ne devait être manquée pour remercier ceux à qui ils devaient enfin la liberté. 

Le 26 décembre 1794, il l’épouse. Désormais Thérésia Cabarrús sera Madame Tallien, et c’est sous ce nom qu’elle nous est encore connue. 

Elle est enceinte. Son fils Théodore était venu la rejoindre et habitait avec elle. La petite Rose-Thermidor Tallien naquit en mai 1795. Sa marraine fut la nouvelle grande amie de sa mère, Rose Tascher de la Pagerie, veuve du vicomte de Beauharnais, qui elle aussi a connu les affres de la prison. Elles s’étaient connues, mais peu fréquentées, durant la Révolution et avant leur incarcération, dans deux prisons différentes. Tallien avait pris son son aile les deux enfants Beauharnais, Hortense et Eugène, alors dans un dénuement complet, avant la libération de leur mère.

Les deux femmes devinrent rapidement inséparables et donnèrent ensemble le ton à Paris. Elles lancèrent la mode des tuniques à la grecque, des coiffures à la grecque, des étoffes légères qui laissaient non plus deviner mais voir beaucoup de choses. Elles étaient parées de bijoux.

La société, dans un désir de jouissance, les suivaient dans toutes leurs excentricités. Elles étaient appelées “les Merveilleuses”. Rien ne leur été refusé et elles ne se refusaient rien.

Madame de Beauharnais, sans ressources, avait trouvé un moyen de survivre. Elle choisit Barras comme amant et se fit offrir un hôtel particulier, rue Chantereine. 

Thérésia s’était installée avec Tallien allée des veuves, près des Champs-Elysées, dans un maison qui de l’extérieur ressemblait à une chaumière mais à l’intérieur tout était somptueux, à l’antique.  Elle y donnait sans cesse des fêtes.


La Chaumière des Tallien près des Champ-Elysées
Sur le plan politique, les choses n’étaient pas simples. La guillotine a  été reléguée mais les appétits de pouvoir ne sont pas morts pour autant même si le jeu est beaucoup moins dangereux que du temps de Robespierre. Tallien subit des attaques en règle et contre attaque en faisant fermer le Club des Jacobins le 24 décembre 1794 et supprimer le Tribunal révolutionnaire le 31 mai 1795.

Soupçonné de collusion avec les aristocrates, de par son mariage et l’amitié de sa femme avec Rose de Beauharnais, il donne des gages de républicanisme en faisant écraser les forces royalistes à Quiberon par Hoche et son armée. Il ordonne l’exécution de près d’un milliers d’émigrés faits prisonniers. Thérésia y gagnera, hélas pour elle, le surnom de “Notre-Dame de Septembre”. Elle est la femme de Tallien et ne peut donc ignorer, voire consentir à ces massacres, pour le public. Mais Thérésia qui déteste le sang et est, malgré tout, royaliste dans l’âme ne lui pardonnera pas ce massacre.

Ce massacre l’éloigne de Tallien.

Les royalistes gagnent les élections, ce qui inquiète Tallien. La Convention devient Directoire et l’étoile de Jean-Lambert Tallien commence à pâlir. Celle de Barras scintille. Il est le nouveau chef du Directoire depuis le 31 octobre 1795, dès sa création. Il s’arrange pour éliminer les autres. Aristocrate de naissance, il est un de ces hommes qui saura jouir le mieux de la nouvelle société. C’est un personnage haut en couleurs. Il aime les femmes et le montre. Il s’entoure de Thérésia et de Rose et les commérages vont bon train.

Barras (1755-1829)
Barras est son amant, mais il est aussi celui de Rose, qui se fait appeler désormais Joséphine. Thérésia reçoit chez lui en maîtresse de maison, que ce soit à Paris ou dans son château de Grosbois. Tout ce qui compte dans la société du Directoire est reçu par eux, à commencer. Joséphine de Beauharnais est presque chez elle. Il y a aussi l’ancien évêque d’Autun, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, Fouché, Cambacérès, Savary, Ouvrard, Choderlos de Laclos, Juliette Récmier, Benjamin Constant, un savant cocktail de la société d’Ancien Régime, de la société issue de la Révolution, née du crime et de l’agiotage, et de libéralisme. 

Image satirique datant de 1805 évoquant les orgies de Barras, Thérésia et Rose de Beauharnais

Autre image satirique anglaise “La doublure de Madame Tallien”
Elle reçoit également dans son salon le petit général Bonaparte, protégé de Barras, à qui il a prêté main-forte lors de l’insurrection royaliste du 13 vendémiaire an IV (5 octobre 1795). Bonaparte est le héros du siège de Toulon. Entre les deux a commencé un ballet de séduction mais pour Thérésia, Bonaparte n’est que du menu fretin, et pour Bonaparte Thérésia est encore trop haut placée. Elle lui fournit du drap pour remplacer son uniforme en piteux état et quand elle le voit dans ses nouveaux atours, elle lui lance :  “Eh bien, mon ami, vous les avez eu vos culottes !” . La plaisanterie fit rire l’assemblée mais par le corse au caractère ombrageux. Il ne le lui pardonnera jamais.

Le général Bonaparte
Elle le présente à Joséphine qu’il épouse le 9 mars 1796. Barras et Tallien sont les témoins du mariage. 

Son fils Théodore est mis en pension, et suivant la volonté de sa mère, il partage la chambre d’Eugène de Beauharnais et de Jérôme Bonaparte. Les trois resteront amis toute leur vie.

Son père, François Cabarrús, qui a retrouvé toute son influence et toute sa fortune est aussi un homme important dans le jeu diplomatique de la France de l’époque. Et cela ne nuit en rien à la réputation de Thérésia, qui a retrouvé une grande partie de son aisance financière personnelle. 

Tallien qui a perdu toute influence a été envoyé en Egypte avec l’expédition de Bonaparte, en juin 1798. La campagne d’Egypte, organisée par le Directoire, débarrasse les nouveaux maîtres de la France de deux encombrants dont ils ne savent pas trop quoi faire. Thérésia en est aussi débarrassée. 

Toujours Madame Tallien, elle devient la maîtresse de Gabriel Julien Ouvrard (1770-1846) au printemps 1798. Elle l’a connu chez Barras et c’est sur les conseils de ce dernier qu’elle lui confie sa fortune à gérer. Il est fournisseur aux armées, immensément riche, marié par ailleurs mais les scrupules de cet ordre n’ont jamais arrêté Thérésia. On dit que Barras lassé d’elle la lui aurait cédée.  

Ouvrard (1770-1846)
Il lui offre un hôtel particulier rue de Babylone et loue pour elle le château du Rancy. Sa chambre est décrite ainsi : “Donnant sur la verdure, elle était éclairée par deux portes-fenêtres. Trônant sur un estrade de drap vert mon lit d’acajou, orné de cygnes d’ébène et d’ivoire excitait l’admiration. Je fis aménager une alcôve : d’un baldaquin en forme de tente ronde d’échappaient des rideaux de satin blanc, le mur était tendu de soie lilas plissée bordée de franges oranges. Les fenêtres étaient encadrés de rideaux de satin blanc et de soie orange. Les portes étaient dissimulées derrière des tentures que soutenaient des thyrses. Sur ma coiffeuse reposait ma brosserie en vermeil, dans un coin la grande psyché en nacre. La commode décorée de bronzes dorés était assortie au bureau cylindre en acajou et citronnier richement doré et garni de chimères ailées.” ( Princesse de Chimay) 

Sous le Directoire, Ouvrard enrichi considérablement dans le commerce colonial et les fournitures militaires, contrôle trois maisons de commerce à Brest, Nantes et Orléans, une banque à Anvers et détient des participations importantes dans trois sociétés parisiennes. Il est également l’associé de fournisseurs aux armées pour le blé, pour les fournitures militaires et pour l’acier et le bois.

En septembre 1798, il obtient pour six ans la fourniture générale des vivres de la Marine, soit 64 millions de francs-or. Il est alors propriétaire des châteaux de Villandry, Azay-le-Rideau, Marly, Luciennes, Saint-Brice et Clos-Vougeot. Quelques mois plus tard, il reprend le contrat de fournitures de la flotte espagnole stationnée à Brest puis, les fournitures de l’armée d'Italie en 1799.


Coup d’état du 18 Brumaire, peint par François Bouchot
Musée du Château de Versaille
Il est arrêté en janvier 1800 sur ordre du premier consul Bonaparte, mais l’examen de ses comptes et de ses contrats, préparés par son directeur juridique Cambacérès, ne laisse apparaître aucune irrégularité. Ouvrard, libéré, participe aux approvisionnements de l’armée de Marengo et de l’armée d’Angleterre stationnée à Boulogne.

Avec un amant si riche, tout va donc merveilleusement bien pour Thérésia en cette fin du XVIIIe. Les orages sont derrière elle.

Bonaparte et Tallien finissent par rentrer en France. Le premier auréolé des gloires de la Campagne d’Italie, reviendra d’Egypte en conquérant, le second ne sera plus rien, même si sur la route du retour, son navire est capturé par les Anglais et qu’il est traité à Londres avec les plus grands égards par  les Whigs et James Fox.

Le coup d'État du 18 brumaire met un terme à la carrière publique de Thérésia. Bonaparte, qui l'a autrefois beaucoup admirée, ne l'admet pas à sa cour, ni sous le Consulat, ni sous l’Empire. Les rapports de Thérésia avec Bonaparte sont très tendus. Il écrit un jour à Joséphine : «Je te défends de voir madame Tallien, sous quelque prétexte que ce soit. Je n'admettrai aucune excuse. Si tu tiens à mon estime, ne transgresse jamais le présent ordre».

La carrière d’Ouvrard connaîtra des hauts et des bas. Après avoir été arrêté en 1800, il rebondit jusqu’en 1806, où il se voit réclamer 141 millions de Francs-or par le Trésor public. En 1809, il est emprisonné pour dettes mais libéré trois mois plus tard. Il tente alors d’être l’instrument d’une négociant de paix secrète avec l’Angleterre. Il est alors emprisonné à nouveau pour trois ans. Il continue toutefois à fournir l’armée, mais au lieu des chaussures en cuir prévues au contrat, il fournit des chaussures en carton. Sous la Restauration, il redevient un acteur important de la  vie économique en conseillant au gouvernement d’émettre des rentes sur l’Etat pour cent millions, qui permettent de libérer la France de l’occupation étrangère. Ses bien lui sont rendus, sa dette vis-à-vis du Trésor annulée. Mais en 1823, il est à nouveau mis en faillite, perd toute sa fortune et est à nouveau emprisonné. En 1830, il  revient sur la scène économique une fois de plus et spéculant à la baisse sur la rente française, mais il ne récupère pas sa fortune et meurt à Londres en 1846, ruiné.

Thérésia et Ouvrard eurent quatre enfants :

Clémence, née le 1er février 1800.
Jules Adolphe Édouard, né le 19 avril 1801 à Paris, le futur docteur Jules Tallien de Cabarrús, mort le 19 mai 1870 à Paris,. 
Clarisse Gabriel Thérésia, née le 21 mai 1802.
Stéphanie Coralie Thérésia, née le 2 décembre 1803.

Officiellement ils étaient les enfants de Tallien car le père biologique, marié par ailleurs,  ne pouvait les reconnaître. Les enfants légitimes d’Ouvrard furent Jules, propriétaire du Clos-Vougeot, fit de la politique sous la Monarchie de Juillet et sous le Second Empire, Eucharis Elisabeth Gabrielle qui épousa Louis Victor de Rochechouart, comte de Mortemart, dont la descendance se trouve dans la famille d’Ormesson. Le mariage eut lieu le 13 décembre 1821 en présence de Louis XVIII, de Monsieur, comte d’Artois, et du duc d’Orléans. 

Tallien, qui a divorcé de Thérésia en 1802, totalement ruiné, est nommé consul de France à Alicante, grâce à Talleyrand. Il n’y resta que quatre mois. Atteint de la fièvre jaune, il rentra à Paris où il obtint une pension. A la Restauration, il ne fut même pas envoyé en exil comme le furent les régicides. Sa pension lui fut conservée. Thérésia l’aida autant qu’elle le put jusqu’à sa mort le 16 novembre 1820. Michelet dit de lui : “ Ce grand homme resta pauvre, les mains vides, sinon les mains nettes. Nous l’avons vu à Paris trainer aux Champs-Elysées à l’aumône de sa femme, alors princesse de Chimay.”

Leur enfant, Rose-Thermidor avait épousé le 18 avril 1815, le comte Félix de Narbonne-Pelet. Le couple eut six enfants dont la descendance existe toujours. Elle mourut en 1862. Elle ne garda pas ce prénom un peu trop marqué. Son père l’appelait Laure et sa mère, Joséphine. 

En 1804, l’Empire est proclamée, la meilleure amie de Thérésia devient impératrice des Français. 


Joséphine, impératrice des Français en 1808, par Isabey
Wallace collection - Londres
Joséphine n’était pas une ingrate et elle savait ce qu’elle et bien d’autres, devait à son amie. Elle prenait son rôle de marraine au sérieux, son fils Eugène était ami avec Theodore de Fontenay, le fils de Thérésia, mais son mari l’empereur ne voulait pas entendre parler d’elle. Il y eut sans doute plusieurs raisons à l’ostracisme dont elle était victime. Napoléon n’aimait certainement pas le souvenir des rumeurs d’orgies auxquelles les deux femmes s’étaient livrées avec Barras, il n’aimait pas non plus se souvenir que Thérésia avait repoussé ses avances. Sa liaison avec Ouvrard que Napoléon considérait comme son ennemi n’était pas non plus pour lui plaire. Elle lui demanda audience, lors d’un bal masqué où ils s’étaient mutuellement reconnus, et s’entendit répondre : “ Je ne nie pas que vous soyez charmante mais voyez un peu quelle est votre demande, jugez la vous-même et prononcez. Vous avez deux ou trois maris et des enfants de tout le monde. Soyez l’empereur, que feriez-vous à ma place ? Moi qui suis tenu de faire renaître un certain décorum.” Elle ne répondit pas. 

Mais il est vrai que Thérésia était aussi liée à Germaine Necker, baronne de Staël. Elle l’avait connue durant la Révolution et l’avait fréquenté sous le Directoire. Madame de Staël, persona non grata aux yeux de Napoléon, allait et venait entre la France et la Suisse et l’empereur ne voyait pas les critiques de son régime d’un bon oeil. Ni Germaine, ni son ami Benjamin Constant ne s’en privaient. Et c’est à elle qu’elle dut le bonheur en demie-teinte de la dernière partie de sa vie. 

C’est chez elle qu’elle revit celui qui sur le chemin de son retour à Paris en 1793, s’était présenté à elle comme “Joseph de Caraman.” Venue voir son amie, elle y trouva dans la bibliothèque un homme qui la reconnut aussitôt. 

Blason des princes de Chimay
François Joseph Philippe de Riquet de Caraman-Chimay était né le 20 novembre 1771. Il était l’arrière-arrière-petit-fils du constructeur du Canal du Midi, Pierre-Paul Riquet (1609-1680). L’ascension sociale de sa famille est exemplaire. 


François-Joseph de Riquet de Caraman, prince de Chimay
Victor Maurice de Riquet, marquis de Caraman (1727-1807) avait épousé le 26 octobre 1750 à Lunéville, Marie Anne Gabrielle Josèphe Françoise Xavière d’Alsace de Hénin-Liétard, fille du 12 ème prince de Chimay et du Saint-Empire. C’est de ce mariage qu’est issu François Joseph. Si son père était le marquis de Caraman, il était lui le 16ème prince de Chimay depuis le 28 juillet 1804.  En effet à la mort sans enfant du frère de sa mère, Philippe Gabriel Maurice Joseph d’Hénin-Liétard, 15ème prince de Chimay, François-Joseph avait hérité de la principauté et de la fortune des Chimay. 

Pierre Paul Riquet, comte de Caraman, constructeur du Canal du Midi
Le fils de Pierre-Paul Riquet (1609-1680), titré comte de Caraman en 1670 par Louis XIV,  Jean Matias de Riquet (1638-1714) comte de Caraman avait épousé en 1696, Marie-Madeleine de Broglie (1675-1699) fille du maréchal Victor de Broglie. C’était déjà un beau mariage. 

Le fils du couple Riquet de Caraman-Broglie, François 3ème comte de Caraman (1698-1760) avait épousé Louise Portail (1701-1784) fille d’Antoine Portail (1675-1724), Premier Président au Parlement de Paris et membre de l’académie française, probablement fort riche. 

C’est leur fils Victor Maurice, Lieutenant général des armées du roi, ambassadeur de France; premier gentilhomme de la Chambre du roi Stanislas de Pologne, maréchal de camp, inspecteur général de la cavalerie en 1767 qui épouse la princesse de Chimay. Né en 1727, il mourut en 1807. Il avait été proche de Marie-Antoinette à laquelle il inspira le Petit Trianon 

Victor Maurice de Riquet, marquis de Caraman
Si l’ascendance de François-Joseph tient au Saint-Empire, à la noblesse française d’épée et de robe, celle de Thérésia ne tient qu’au grand négoce international, fût-il anobli par le roi d’Espagne. Elle s’est mariée dans la noblesse de robe mais depuis ce mariage, elle a connu bien des amants qu’aucune famille bien née eût accepté de recevoir. 

A leur seconde et vraie rencontre, en 1805, il a 34 ans, elle en a 32. Ils sont beaux tous les deux. Epanouie, elle a déjà eu huit enfants, dont sept vivant.

Le frère aîné de François-Joseph est Victor (1762-1839). Il sera marquis puis duc de Caraman. Le second garçon de la fratrie est Maurice (1765-1835) il sera baron d’Empire, et comte de Caraman.  Les deux frères de François-Joseph eurent une brillante carrière au service de la France impériale ou royale. 

Le prince de Caraman-Chimay devait être très amoureux de la belle Thérésia. La réputation de celle que l’on appelle encore Madame Tallien, si elle l’éloignait de la Cour impériale, risquait aussi de lui aliéner la famille de quiconque la demanderait en mariage. Et pourtant, cela n’empêcha pas François-Joseph de le faire. A peine quelques mois de cour, dont on ne sait si elle fut platonique, mais on peut en douter, il la demanda en mariage. Thérésia avant d’accepter lui dit tout de sa vie, dont il avait déjà, une grande connaissance. Quand elle lui parla de ses enfants, il lui répondit “Vos enfants, Madame, seront les miens.”

Portrait présumé de Thérésia et de sa fille Rose-Thermidor Tallien
Il lui était difficile de résister à tant de noblesse de coeur et à tant de noblesse, tout court. Mais elle savait que l’opposition viendrait immédiatement de la part de sa famille. Le mariage avec Tallien n’était aux yeux des Catholiques qu’un chiffon de papier. Mais vingt ans auparavant Thérésia avait convolé avec le marquis de Fontenay et il n’était pas question pour le prince de Chimay de ne pas se marier à l’Eglise. Quant au clan Caraman-Chimay, il n’était pas question de mariage du tout.

Elle dut donc entreprendre la démarche d’une demande en annulation. Ce n’était certes pas simple mais Thérésia avait encore quelques relations, et le 12 février 1805, le cardinal de Belloy, archevêque de Paris “…Après avoir fait entendre plusieurs témoins probes et qui ont une connaissance parfaite des circonstances du prétendu mariage, dont il s’agit, a tout mûrement considéré, déclare ledit mariage non valable, non contracté, nul et abusif…”

Thérésia, mère de Théodore, n’avait donc jamais été marquise de Fontenay pour l’Eglise, mère de Rose-Thermidor, elle n’avait pas non plus été la femme de Tallien, et elle n’avait jamais épousé Ouvrard, le père de quatre autres de ses enfants. Fontenay ne mourut qu’en 1817 mais la belle était libre. 

Teresia Cabarrùs par Gérard
Musée du château de Versailles
Il fallait maintenant convaincre la très catholique et très royaliste famille de son fiancée. Une femme de petite vertu, même avec un grand coeur et une grande fortune, n’était jamais bienvenue dans certaines familles, mais une républicaine affichée comme l’avait été Thérésia ne pouvait en aucun cas être acceptée. 

Elle écrivit au marquis de Caraman, qui soutenu par sa belle-soeur Laure de Fitz-James, épouse du 14ème prince de Chimay, dont François-Joseph avait hérité le titre et les biens, refusa de la recevoir. 

Le 19 août 1805, à Saint-François-Xavier, le couple se mariait dans une église vide. Aucune des deux familles n’était présente. François-Joseph aimait et respectait son père et sa tante, il adorait ses frères et soeurs mais son amour fut plus fort. Il ne lui sacrifiait ni carrière ni fortune car il était maître de ses biens et de son destin, mais il lui sacrifiait une harmonie familiale. Il ne revit plus son père.

Le mari partit immédiatement pour Chimay pour y préparer la réception de la nouvelle souveraine. Et ce fut bien ainsi qu’elle fut traitée dans sa nouvelle principauté, qui ne comprenait pas moins de dix-sept villages. Piquets de cavalerie, jeunes filles vêtues en blanc, enfants portant des corbeilles de fleurs, canon tiré, rien ne fut oublié dans cette cérémonie de réception. 


La princesse de Chimay en 1806, par Duvivier
D’une simple seigneurie, au Moyen-Age, en 1473 Charles Téméraire, sur les terres duquel elle se trouvait en fit un comté au profit des Croÿ, ses propriétaire. L’empereur Maximilien en fit une principauté en 1486, le jour de son couronnement à Aix-la-Chapelle. L’acte constitutif stipulait la primogéniture mâle pour la dévolution de la principauté mais à défaut une fille pouvait devenir princesse de Chimay de son chef, transmettant ainsi le titre et la terre à son mari et à sa famille.




Château de Chimay à l’époque
Mais le château était en ruines ou presque. Le nouveau prince et la nouvelle princesse prirent à coeur de restaurer la vieille forteresse, qui avait déjà brûlé sept fois au cours de son histoire. Elle ne ressemblait dans son austérité de granit gris et d’ardoises bleutées à aucune des demeures précédentes de Thérésia, ni en Espagne, ni en France, que ce soit en ville ou à la campagne. Elevée dans le raffinement de la société de la fin du XVIIIe siècle, elle devait affronter la rudesse des Ardennes. Elle ne laissa rien paraître de son désappointement tant son mari était heureux de la voir fêtée ainsi. 

Château de Chimay ( Province du Hainaut)
Etait-elle amoureuse de lui ? Probablement. Mais il est certain que Thérésia qui avait été une des reines de Paris et qui savait que ce rôle désormais lui était interdit car Paris avait une impératrice, son amie, était assez sage pour apprécier ce que signifiait d’être devenue princesse de Chimay et du Saint-Empire. 

Chimay, façade sur le village
Mais à peine arrivés, à peine quelques projets échafaudés, le couple partit pour la Toscane où François-Joseph avait des terres et passa par Paris. Ce voyage avait aussi un autre but, obtenir la bénédiction du pape afin de faire taire les mauvaises langues sur la validité religieuse du mariage. Leur première grande étape fut l’Etrurie, le nouveau royaume créé en 1801 par les Traité de Lunéville et d’Aranjuez sur en partie sur le Grand-duché de Toscane et en partie sur les principauté de Lucques et Piombino. La reine-régente en était Marie-Louise de Bourbon, fille de Charles IV roi d’Espagne, et veuve de Ferdinand Ier de Parme, pour le compte de son fils Louis Ier. 


Marie-Louise de Bourbon, reine d’Etrurie (1782-1824)
En Espagne la reine avait connu François Cabarrús et Goya, elle fit un accueil charmant au couple en les invitant à dîner. Thérésia superbement habillée et parée de ses plus beaux saphirs, cadeau de son époux, séduisit la souveraine. Puis ce fut Rome où le prince et la princesse de Chimay furentt reçus par Pie VII qui non seulement les retint un heure de façon familière, mais leur donna sa bénédiction. 


Pie VII (1742-1823)
Puis ils furent reçus par le cardinal Fesch, le frère de l’empereur des Français, qui leur fit les honneurs de ses salons en les présentant à la fine fleur de l’aristocratie romaine présente ce soir là. Le frère de Madame Mère savait recevoir et se montrait plus grand seigneur en l’occasion que Napoléon. Il faut dire que contrairement à la légende qui fait des Bonaparte presque des gens de rien, le clan Bonaparte en Corse, à Paris ou ailleurs a brillé par son éducation et ses manières. 

Cardinal Fesch (1763-1839) Primat des Gaules
Le retour à Paris leur fit découvrir les manigances de la princesse de Chimay qui avait essayé en vain de leur fermer les portes de Rome et l’accès au Saint-Père. 

Le 20 août 1808 naquit le premier enfant, Joseph, futur prince de Chimay. Et si le couple passait une partie de l’hiver à Paris, dans l’hôtel de la rue de Babylone, c’est à Chimay qu’il passait ses étés. Tous les enfants de Thérésia, à l’exception de Théodore, qui était officier dans l’armée en campagne au Portugal en 1808, vivaient avec eux. 

Le couple n’était pas reçu aux Tuileries mais la société du prince et de la princesse de Chimay était essentiellement artistique. Cherubini et Auber figuraient parmi leurs  commensaux habituels et plus tard Maria Malibran. 

En 1810, naissait Alphonse, leur second fils, puis en 1812, Marie-Louise, nommée ainsi en honneur de la nouvelle impératrice, qui mourut à un an, et enfin Louise en 1815.

La princesse de Chimay en 1810

1815 fut l’année du changement pour l’Europe avec la fin de l’épopée napoléonienne. Son ennemi, après avoir été brièvement roi de l’Ile d’Elbe, n’était plus rien, envoyé puis abandonné en plein Océan Atlantique, Joséphine, sa seule véritable amie, n’était plus et elle, Thérésia,  était toujours princesse de Chimay. 

Le retour de l’Ile d’Elbe avait semé la panique à Paris et partout en Europe, mais pour Thérésia, le plus douloureux fut de perdre son fils Théodore, qui colonel et officier de la Légion d’Honneur, était mort le 10 février 1815, chez ses grands-parents Fontenay, qui l’avaient élevé. 

Si son mari était bien prince de Chimay et propriétaire de tous les biens, sur le plan juridique, la situation était confuse car le Saint-Empire n’existait plus, Chimay avait été intégré à la France, et le restait encore en 1815.

Sous Louis XVI, il avait été officier au Royal Dragons, puis colonel de cavalerie dans l'armée Condé, Chevalier de l'Ordre royal & militaire de Saint-Louis, et de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, et lieutenant de louveterie. Louis XVIII accueillerait bien volontiers le prince de Chimay au sein du pouvoir monarchique qui se reconstitue, mais François-Joseph ne se fit élire à la Chambre pour y défendre les intérêts de sa principauté. Battu à l’élection suivante, c’est vers la Hollande qu’il se tournera car la Hollande s’est vue attribuer la Belgique au Congrès de Vienne. C’est lui qui confirmera en 1824 les droits de la principauté de Chimay et lui attribuera la fonction de Chambellan de la Cour.

La mort du marquis de Fontenay obéra la fortune de Thérésia car elle abandonna ses droits dotaux, soit 695 000 francs, qui bénéficièrent à son ancien beau-père pour lequel elle avait gardé beaucoup d’estime et qui avait élevé son fils. Elle se dit ruinée mais elle l’était probablement à sa façon. Elle dut vendre son hôtel de la rue de Babylone. Dès lors Chimay fut sa résidence. Elle y éleva ses enfants. 

La Cour de Hollande ne fut pas plus aimable à son égard que ne le fut celle des Tuileries. Le roi refusait qu’elle y paraisse et son mari se rendait seul aux bals ou aux réceptions des ambassades. 

Elle était heureuse à Chimay. Notre Dame de Thermidor était devenue Notre-Dame des Pauvres, en s’occupant des déshérités vivant dans sur le territoire de la principauté. Elle était aimée de tous ceux qui l’approchaient, et comme du temps de sa gloire, de tous ceux qu’elle secourait. Celui qui l’aimait sans doute un peu moins était son mari. La belle Thérésia était empâtée. Le beau François-Joseph n’était pas souvent là, pris entre tous ses devoirs. 

Thérésia, princesse de Chimay
Ses enfants lui étaient d’un grand réconfort, tant par leur présence, que par l’amour qu’ils avaient pour elle.  Leur réussite était une fierté pour elle. 

Joséphine Tallien était comtesse de Narbonne-Pelet, son mari n’avait pas une belle situation financière et Thérésia dut aider le couple bien souvent. Mais il avait un nom, un titre, une situation. Tout cela suffisait. Le couple eût une belle descendance.

Clémence  Isaure Thérésia Tallien de Cabarrús était mariée au colonel Legrand de Vaux. Née en 1800, elle mourut en 1884.
Jules Adolphe Edouard Tallien de Cabarrús, médecin de renom. Il épousa le 3 mai 1821 Adélaïde Marie de Lesseps, soeur de Ferdinand et cousine de l’Impératrice Eugénie. Le couple eut deux fils qui changeront leur nom en Tallien de Cabarrús en 1866. Il fut le médecin de Napoléon III. Leur descendance porte toujours le nom de Cabarrús, avec le titre de comte. Né en 1801, il mourut en 1870.
Clarisse Gabrielle Thérésia avait épousé le baron Achille Ferdinand Brunetière,  mousquetaire de la Garde du roi Louis XVIII, lieutenant de louveterie, directeur des haras sous le Second Empire. Née en 1802, elle mourut en 1877.
Augustine Stéphanie Coralie Thérésia Tallien de Cabarrús était baronne Amédée Ferdinand de Vaux, banquier. Née en 1803, elle mourut en 1884.

Les deux fils d’Edouard prirent officiellement le nom de Cabarrús. Ils furent titrés comtes, probablement à la suite de leur arrière-grand-père, François. La descendance d’Edouard existe toujours.

Joseph de Riquet de Caraman-Chimay  diplomate distingué - il mena entre autres les négociations entre la Hollande et la Belgique au moment de la partition - épousa Emilie de Pellapra, d’une riche famille lyonnaise veuve du comte de Brigode. Née en 1808, il mourut en 1886. Son descendance dans la primogéniture est actuellement le prince Philippe de Chimay. Une des arrière-petites-filles de Thérésia fut Elisabeth de Caraman-Chimay, comtesse Greffulhe, déjà cléèbre en son temps mais passée à la postérité grâce à Marcel Proust, sous les traits d’Oriane duchesse de Guermantes. Mais il eut aussi une descendance chez les Bauffremont.


Elisabeth de Caraman-Chimay, comtesse Greffulhe (1860-1952)
Alphonse de Riquet de Caraman-Chimay fut officier de cavalerie dans l’armée hollandaise. Il avait épousé sa cousine Rosalie. de Riquet de Caraman. Né en 1810, il mourut en 1865. Il eut une descendance.

Louise de Riquet de Caraman-Chimay épousa Georges de Hallay, marquis de Cetquën, officier de cavalerie. Née en 1815, elle mourut en 1876. Elle eut aussi une descendance.

La descendance de Thérésia Cabarrús, princesse de Chimay, est nombreuse et on la retrouve parmi tous les grands noms de France.

La fin de la vie de Thérésia ne fut en rien comparable à ses débuts. Venue au monde dans une période d’insouciance et de libertinage, elle connut son apogée dans la licence de la Révolution et du Directoire et mourut dans la dévotion. Il est  vraie que la société de la Restauration ne fut pas la société de l’Ancien Régime en Thérésia s’adapta à ses nouvelles conditions de vie.


Le prince et la princesse de Chimay de nos jours
Elle mourut à Chimay le 15 janvier 1835. Son mari lui survécut jusqu’au 2 mars 1843.

Madame Tallien dans un film muet de 1916
Tallien avait dit d’elle de façon un peu féroce “ Elle aura beau être princesse de Chimay, elle sera toujours la princesse des Chimères”. C’était injuste et faux car jamais Thérésia ne fut dans la chimère, personne ne fut plus réaliste, voire opportuniste, qu’elle. Mais ce sens des réalités et de ses intérêts n’a jamais pu faire oublier combien elle est profondément bonne et attentive aux autres. Trente ans princesse de Chimay, elle reste, là aussi de façon injuste, Madame Tallien pour l’Histoire, alors qu’elle ne le fut que fort peu de temps et dans des circonstances que l’on peut lui pardonner. 


Les Trois Grâces par Antonio Canova
Thérésia Cabarrùs, Joséphine de Beauharnais, Juliette Récamier






















21/01/2017

L'extravagante Madame Tallien, née Thérésia Cabarrus




Thérésia Cabarrús à 20 ans, par Jean-Louis Laneuville 
Juana María Ignacia Thérésia Cabarrús est sans doute une des personnages les plus connus de l’Histoire de France, mais dont l’image est largement ternie par la légende.

Baile a orillas de Manzanares - Goya
Thérésia, le prénom sous lequel elle est connue, naquit le 31 juillet 1773, au château de San Pedro, situé dans un quartier du sud de Madrid. Son père était François Cabarrús, financier né à Bayonne en 1752, donc d’origine française, et sa mère, Maria Antonia Galabert, fille d’une famille d’industriels français établis à Valence, en Espagne
La carrière de François Cabarrús connut des hauts et des bas. Conseiller du roi Charles III d’Espagne, il était fort riche. Homme des Lumières, partisan du progrès il contribue au développement de l’Espagne, son nouveau pays. En 1782, il relance la Banco de San Carlos. Cette banque est chargée d'acquitter toutes les obligations du trésor. Elle est aussi chargée de l'administration des fonds des armées de terre et de mer. Elle a un rayonnement intérieur, aussi bien qu'à l’étranger, par l’intégration d’actionnaires de premier plan, dont beaucoup de français. Elle est à l’origine de la Banque Nationale d’Espagne. En 1783, il crée la Compagnie Royale des Philippines qui regroupe le commerce espagnole des Amériques et de l’Asie. Il est aussi à l’origine du canal qui permet l’alimentation en eau de la ville de Madrid. Le projet ne sera terminé que sous Isabelle II.


Francisco Cabarrús par Goya
En reconnaissance de ses talents, le roi Charles IV l’anoblit en 1789. Mais en 1790, c’est la chute. La banque a perdu des actifs, Cabarrús doit faire face à une cabale menée par un parti anti-réformiste, anti-révolutionnaire et anti-français. Accusé de détournement de fonds, Cabarrús, un des hommes le plus populaires d’Espagne, est jeté en prison. Sous l’influence de Manuel Godoy, le roi le fera libérer deux ans après et le fera comte en 1792. Il continuera sa carrière de financier, et commencera une carrière politique et diplomatique. Il acceptera le poste de ministre des finances du nouveau roi d’Espagne, Joseph Bonaparte, en 1808. Mais il meurt le 27 avril 1810.

Blason des Cabarrus
Son acceptation de l’offre de Joseph Bonaparte ne fut pas pardonnée à sa famille, car au retour de Ferdinand VII, son héritage fut confisqué, puis restitué à ses héritiers, dont sa veuve et ses enfants, parmi lesquels Thérésia. Il laissait des terres en France, des immeubles à Madrid, des milliers d’hectares à Valence et des capitaux très importants dans différentes banques. 

Thérésia naquit donc dans une famille extrêmement fortunée et occupant le premier plan dans la société espagnole. 

La Pradera de San Isidoro par Goya
Elle fut mise en nourrice, selon la tradition de l’époque. Période durant laquelle, elle partagea la vie des petits paysans d’un village de la Sierra, avec pour meilleure amie un chèvre, Tita. Elle courait pieds nus, vêtue d’une robe grossière. Elle avait une tenue et un langage de sauvageonne. Indigné de ne pas la trouver chez ses parents, son grand-père Galabert vint la chercher alors qu’elle avait trois ans. Après deux ans passés dans sa famille, elle fut envoyée à Paris, de 1778 à 1783, pour être pensionnaire chez Madame Leprince Beaumont, établissement réputé qui fit d’elle une jeune fille accomplie selon les règles de la haute société de l’Ancien Régime. Aquarelle, dentelle, tapisserie, leçons de danse et de maintien vinrent doc parfaire son éducation. Elle y rencontra Sophie de La Valette (1776-1852), future Madame Gay, qui restera son amie toute sa vie. La fille de Sophie, Delphine Gay (1804-1855), épousera plus tard Emile de Girardin et sera une égérie du mouvement littéraire romantique. 

Sophie Gay, née de Lavalette par Isabey
Thérésia avait deux frères, François et Dominique, qu’elle retrouva à Madrid à son retour en 1785.

Elle a douze ans et déjà conquiert des coeurs. Le premier fut le frère de sa mère, Maximilien Galabert. Subjugué par sa beauté, il la demande en mariage à son beau-frère. Il s’est dit même qu’il fut son premier amant. François Cabarrús non seulement refusa son consentement mais il mit son beau-frère à la porte. Elle ne le revit que bien plus tard et dans des circonstances encore plus dramatiques.

Pour Thérésia, cette demande en mariage eut un effet bénéfique. Son père décida qu’il était temps de l’expédier à nouveau à Paris, en compagnie de sa mère, et cette fois non dans le but de parfaire son éducation mais pour y trouver un mari digne d’elle dans la société parisienne, c’est-à-dire dans l’aristocratie. 

François Cabarrús entretenait d’excellentes relations avec une famille très lancée, les Laborde. Issu du même monde de la finance et du négoce, Jean-Joseph de Laborde (1724-1794) est un des hommes les plus riches de France et de plus il est marquis, de fraîche date certes, mais marquis tout de même. 


Le marquis de Laborde
Les Cabarrús auraient volontiers vu une alliance entre leurs enfants, mais pas les Laborde, qui y voyaient plutôt une mésalliance. Malgré des vacances au château de Méréville, propriété du financier, et une attirance entre elle et le chevalier de Méréville, son fils aîné, Laborde ne se laissa pas fléchir. Il faut dire que sa fille Pauline, fut duchesse des Cars et sa fille Mathilde duchesse de Mouchy. Le chevalier ne se maria pas et eut plus tard Thérésia, une fois mariée, dans son lit. 

Le chevalier de Méréville
Certains disent que ce fut l’autre fils, Alexandre de Laborde, qui aima Thérèsia. Peut-être les deux ! Alexandre se maria dans son monde et eut une descendance, encore existante en la personne du baron Sellière et bien d’autres. 

Mais Thérésia ne manquait pas de prétendants à son coeur, en attendant de prétendre à sa main. Parmi eux figuraient Félix Lepeletier de Saint-Fargeau, le frère du révolutionnaire, et Alexandre de Bauffremont (1773-1833). Ce dernier épousa en 1787 Marie-Antoinette de Quelen, fille du duc de La Vauguyon, ambassadeur de France à Madrid. 

Naviguant entre la noblesse de cour, voire du Saint-Empire, et la noblesse parlementaire, Madame Cabarrús et sa fille menèrent la vie de la haute société de l’Ancien Régime à son chant du cygne.

Et c’est dans la noblesse parlementaire que se marie Thérésia. Son père est comte de trop fraîche date, malgré sa haute position à Madrid, et son immense fortune, pour permettre à sa fille de prétendre à plus haut, la noblesse de Cour et d’épée. 
La famille du fiancé, les Devin, est loin d’être négligeable. Jean-Jacques, le fiancé, est conseiller à la troisième chambre des enquêtes du Parlement de Paris, autrement dit une sinécure qui rapporte 60 000 livres par an (600 000 euros) . Son père Jacques-Julien a été Secrétaire du Roi de 1754 à 1768 puis Président en la Chambre des Comptes de Paris jusqu'en 1789, soit une position plus qu’honorable. Le grand-père maternel est Jean Le Couteulx, riche marchand parisien, dont la famille appartient à la société financière de la capitale, anoblie récemment. Du côté paternel, comme du côté maternel, Jean-Jacques Devin, chevalier de Fontenay, puis, par acquisition marquis de Bouloi, au baillage de Nemours, tient à la grande bourgeoisie parlementaire et financière. Il sera connu comme le marquis de Fontenay et son épouse portera le titre de marquise de Fontenay. 

L’hôtel de Chenizot, rue Saint-Louis en l’île à Paris
Demeure de la famille Devin de Fontenay
Le mariage est célébré à Paris le 21 février 1788, en la chapelle privée du duc de Penthièvre.  La mariée n’a que quinze ans et en sus de sa jeunesse, elle apporte une grande beauté et une dot de 500 000 livres (un peu plus de cinq millions d’euros). Le ménage dispose d’une fortune de 800 000 livres et des 60 000 livres de rente annuelle de la charge de Conseiller du marquis de Fontenay.

Cela aurait pu être la robe de mariage de Thérésia
Le jeune couple s’installe dans l’hôtel de la famille Devin, l’Hôtel de Chenizot, rue Saint-Louis en l’île. Mais le couple possède une propriété aux environs de Paris, le château de  Fontenay, dont la famille prit le nom. 

Voici comment Thérésia, sous la plume d’Elisabeth, princesse de Chimay, épouse de son descendant, décrit ses appartements du château de Fontenay :

“Ma chambre était au premier étage. Une cheminée où brillait un feu de bois éclairait un décor raffiné de boiserie au milieu duquel trônait un immense lit à baldaquin. Cette chambre s’ouvrait sur un boudoir attenant. Je me souviens d’y avoir admiré de jolis panneaux décorés de chinoiseries datant du règne de Louis XV.” (“La princesse des Chimères “, Elisabeth de Chimay - Editions Plon 1993)

La propriété est décrite par un chroniqueur au XVIIIe “ Il y a beaucoup de belles maisons bourgeoises dans Fontenay, surtout celle de Monsieur Devin, que l’on nomme le château. Elle jouit d’un côté d’une vue très agréable sur Sceaux, sur Bourg-la-Reine, sur l’Haÿ-les-roses, et de l’autre sur le Plessis-Piquet et la riante campagne des environs. Les parterres sont en terrasse et les promenades, dans une espèce de petit parc, forment des amphithéâtres. Le jardin potager et fruitier, qui est au-dessous, et séparé par une ruelle, est de toute beauté.” ( Archives municipales de Fontenay-aux-Roses - Gaston Coeuret, Les Tribulations post-mortem d'Augustin Pajou, 1994) L’ensemble qui fait près de trois hectares abrita l’Ecole Normale Supérieure de jeunes filles à partir de 1880, et fut démoli en 1960. 

Le château de Fontenay en 1900 
( avec en premier plan les bâtiments de l’Ecole Normale)

Nous savons que les Fontenay avaient un train de maison de onze domestiques, sept hommes et quatre femmes, pour le seul château et son parc. C’était de loin la demeure las plus belle du village. 

Plan de la propriété au XVIIIe
La nuit de noces, bien que dans un endroit à l’époque idyllique, commença bien mal, toujours selon Elisabeth de Chimay, d’après les archives familiales. Thérésia comprit très vite que cet amant brutal ne pouvait la rendre heureuse. Et dès les premiers jours le mariage battait de l’aile. Le marquis de Fontenay retourna à ses maîtresses et la marquise prit des amants. 

La vie privée de Thérésia Cabarrús devint publique. La société d’Ancien Régime permettant une grande liberté de moeurs dans les hautes classes, elle sut en user.

Alexandre de Lameth (1760-1829), futur membre du Club des Jacobins, mais pour l’instant colonel de cavalerie au Deuxième Royal-Lorraine, auréolé de la gloire de la Guerre d’Indépendance des Etats-unis, à laquelle il participa à l’état-major de Rochambeau, semble avoir été le premier de la longue série d’hommes qui partagèrent la vie ou simplement le lit de Thérésia. 


Alexandre de Lameth
Puis ce fut le duc d’Aiguillon. Vint le tour de Félix Lepeletier de Saint-Fargeau, un ancien soupirant.

Thérésia mit au monde son premier enfant, Antoine François Théodore Devin de Fontenay, le 2 mai 1789. Portant officiellement le nom de son père, sa filiation ne fut pas totalement certaine. On lui prêta divers pères dont Félix Lepeletier de Saint-Fargeau. Quoiqu’il en soit, il fut le premier d’une longue fratrie, décomposée selon la terminologie contemporaine. Il fut un brillant officier durant les guerres de l’Empire.

Félix Lepeletier de Saint Fargeau
De son mariage à la Révolution, outre ses amants, la marquise de Fontenay reçut dans son salon qui comptait à l’époque et compterait dans le futur immédiat : le général de La Fayette, les deux frères Lameth, Antoine de Rivarol, le cardinal Dominique de La Rochefoucauld, le comte de Mirabeau. Chamfort fut aussi de ses réceptions. Comme beaucoup d’aristocrates, elle semble avoir été affiliée, en 1789, à une loge maçonnique, la loge Olympique. Une chose est certaine, elle partage l’enthousiasme de son milieu pour les idées nouvelles qui après la réunion des Etats-Généraux aboutit à la constituante et à la prise de la Bastille. La nuit du 4 août 1789 ne semble pas l’avoir effrayée.

Le début de la Révolution ne semble pas non plus avoir arrêté la vie mondaine à Paris. La Cour n’est plus à Versailles, elle survit aux Tuileries, mais une fois le premier flot d’émigrés parti, la haute société continue à se divertir.

Thérésia durant la Révolution
Au printemps 1790, le marquis et la marquise de Fontenay donnent une fête champêtre dans leur château de Fontenay, en hommage à Jean-Jacques Rousseau. Des jeunes filles toutes de blanc vêtues, aux frais de la marquise, offraient des fleurs aux invités, à leur descente de voiture. Parmi ces invités, il y eut Chamfort (1740-1794) le poète moraliste, Mirabeau (1749-1791) le tribun, Barnave (1761-1793) le monarchiste révolutionnaire modéré, Robespierre (1758-1794) le futur tyran, Camille Desmoulins (1760-1794) le brillant orateur, Florian (1755-1794), l’auteur à la mode, venu en voisin. On joua des airs du “Devin du Village”, opéra dont Jean-Jacques écrivit le livret, “Richard Coeur de Lion”, opéra comique composé par André Grétry, “Castor et Pollux”  de Rameau. Puis on dîna dans le parc. Ce fut une vraie fête d’Ancien Régime, dont les invités étaient pourtant les acteurs principaux du drame qui venait de commencer. Un coup de vent, parait-il, frisa les perruques, dont celle de Robespierre. Dans ses mémoires, Thérésia écrivit : “Ce jour-là, j’étais Notre-Dame de Fontenay.”

Les premiers ennuis arrivèrent rapidement. Le père de Thérèsa, François Cabarrús connaissait des revers de fortune, comme il a été vu plus haut, Accusé de détournement de fonds, n’ayant pas la faveur du nouveau souverain,  Charles IV, il est arrêté le 24 juin 1790 et mis en prison. Puis il fut déclaré innocent par un jugement du tribunal, reçut une indemnisation considérable, accrut titres et possession et fut même nommé Gentilhomme de la Chambre du Roi en plus du titre de comte.

Mais en 1790, son arrestation inquiéta sa fille à la fois par le souci qu’elle se faisait de sa sûreté mais aussi parce que les millions de son père allaient faire défaut à un ménage au bord de la ruine. Monsieur de Fontenay avait non seulement dépensé tous les bénéfices de sa charge, mais aussi la dot de sa femme. 

Mais les soucis n’empêchent pas Thérèsa de vouloir jouir de la vie et des hommes. Sa réputation se fait. C’est ainsi qu’en avril 1791, un échotier de “La Chronique Scandaleuse” n’hésite pas à écrire : “ Madame de Fontenay se donne complètement et avec ivresse à tous les familiers de sa maison”, desquels on peut exclure son mari. Vrai ou faux, il n’en reste pas moins que Thérèsa fait scandale. 

Mais à quoi ressemblait Thérésia  ? Selon un contemporain : “Grande et élancée, elle avait déjà atteint toute sa taille et dépassait de la tête la plupart des femmes. Elle était souple comme un jonc. Surmontés de sourcils bien arqués qui leur donnaient un petit air impatienté mais adorable, les yeux étaient largement ouverts : il y avait du velours, de l'or, du diamant dans ces yeux à la fois bons et impérieux, angéliques et mutins. On se sentait tressaillir quand la belle enfant les laissait reposer sur vos yeux ou les effleurait seulement de son regard : oh ! ce regard !... une fascination. C'était à tomber à genoux devant.”

Thérésia peinte par David
De façon plus sèche, voici sa description faite par ses geôliers lors de son incarcération en 1794 : 
« Thérèse Cabarrus, femme Fontenay, âgée de vingt ans, native de Madrid, en Espagne, sans état, demeurant à Versailles, taille cinq pieds quinze pouces, cheveux et sourcils bruns, front ordinaire, yeux bruns, nez moyen, bouche petite, menton rond.”

Il y a aussi un point dont on n’est pas totalement sûr, c’est son appartenance à une loge maçonnique. La princesse de Chimay dans son ouvrage, cité plus haut, relate une lettre écrite par Monsieur d’Espinchal écrite à Thérèsa : “Si la Révolution n’avait pas fait disparaître les archives de la respectable “loge olympique” on y relirait avec intérêt le procès-verbal de la reception de la soeur Thérésia Cabarrús. Jamais novice plus jolie, plus aimable, plus spirituèle ne s’était présentée. L’adoption se fit pas acclamation et tous ceux qui y assistèrent ont d’autant plus de plaisir à s’en souvenir que depuis cette époque, soeur Cabarrús fidèle à son serment et au vrai principe de la maçonnerie, n’a cessé de secourir, d’aider, de servir ses frères et soeurs”. Le témoignage de la princesse de Chimay fait foi mais, comme il est écrit, nous n’avons plus aucune archive de la loge en question. Plusieurs autres témoignages renforcent celui de la princesse de Chimay. 

Le 14 juillet 1790, à la Fête de la Fédération, à laquelle elle assistait, plus en mondaine qu’en citoyenne, elle mit les yeux pour la première fois sur Jean-Lambert Tallien qui prononça un discours du haut de la Tribune. 

Tallien fut très applaudi et Thérèsia interrogeant son voisin sur l’identité de l’orateur , qu’elle avoua plus tard trouver à son goût, s’entendit répondre : “ Il est le fils du maître d’hôtel du marquis de Bercy qui lui a payé ses études , ce qui lui a permis d’être clerc de notaire puis employé à un poste subalterne dans l’administration. Mais depuis le début de la Révolution, il a abandonné sa situation et s’essaie dans la presse.”

Il n’y eut rien de remarquable au cours de l’année 1791 dans la vie de Thérèsia, mais la fuite à Varennes les 20 juin, puis le retour ignominieux à Paris le 21 juin avait fait monter la tension entre le monarque, l’assemblée et le peuple.  

Assaut des Tuileries le 10 août 1792
Le 10 août 1792, l’assaut des Tuileries par les sans-culottes met un terme à ces dissensions. Le roi est déposé, puis envoyé à la prison du Temple avec sa famille. La monarchie est abolie et la république proclamée le 21 septembre
Tallien a participé à l’assaut du 10 août, a défendu, voire organisé, les massacres de septembre dans toutes le prisons de Paris. Parmi les nombreuses victimes, il y eut la princesse de Lamballe. 

Massacre de Septembre

Mort de la princesse de Lamballe
Tallien a même recommandé, en sa nouvelle qualité de secrétaire greffier de la commune insurrectionnelle de Paris, d’en faire autant en province. Puis, membre de la Montagne, élu au Comité de Sûreté Générale, il demande la mise en accusation de Louis XVI et vota la mort du roi.

Louis XVI devant la Convention
30 000 émigrés avaient quitté la France avant août 1792. A partir de septembre, leurs biens sont confisqués. Eux-mêmes furent bannis et toute personne suspect de collusion avec eux ou avec l’ennemi, fut susceptible d’être emprisonnée et condamnée à la guillotine. Le 7 octobre 1792, un décret de la Convention ordonne qu’ils soient exécutés dans les 24 heures de leur jugement.   La Terreur avait commencé. Elle ne finira qu’à la mort de Robespierre, le 28 juillet 1794. 

Le marquis et la marquise de Fontenay, désormais le Citoyen et la Citoyenne Fontenay, sont eux aussi suspects malgré leurs dons patriotiques faits à la commune de Fontenay le 21 février 1793, lui 20 000 livres et elle 9 000 livres. 

La plupart de leurs amis étaient partis, il ne leur restait qu’à les imiter. Ils décidèrent de partir pour Bordeaux et de là tenter de quitter la France. Le 30 novembre 1792, ils avaient commencé une procédure de divorce mais ils partirent ensemble. Elle avait l’intention de rejoindre sa famille en Espagne, où son père avait retrouvé la faveur de la Cour, lui en Martinique, le plus loin possible. Leur fils Théodore et deux domestiques les accompagnent. A Bordeaux habitait l’oncle de Thérésia, Maximilien Galabert. 

Le ci-devant marquis de Fontenay n’avait pas d’argent pour payer son passage aux Amériques. La ci-devant marquise de Fontenay lui offrit ce qui lui restait de ses bijoux. Elle l’aida même à obtenir son passeport. Il partit abandonnant femme et enfant, qui ne semblaient pas regretter son départ. La ci-devant marquise redevint la Citoyenne Cabarrús. Elle loua un appartement à l’hôtel Franklin et même désargentée recommença la vie mondaine qui lui était chère. Il est probable que le nom de Cabarrys y Galabert a du aider à ouvrir certaines portes et surtout à obtenir les crédits qui lui permettaient de survivre le plus luxueusement possible.

Hôtel Franklin à Bordeaux
L’hôtel Franklin, dénommé l’hôtel d’Angleterre avant 1793, avait déjà reçu des hôtes de marque comme Arthut Young, l’économiste, ou le prince Frédéric-Auguste, fils du roi d’Angleterre, Georges III.

Thérésia s’est donc installée avec son fils et ses deux domestiques dans un très bel immeuble du XVIIIe, caractéristique de l’architecture bordelaise, en plein coeur de la la ville. Bordeaux et ses Girondins est loin de l’esprit de la Montagne qui sévit à Paris. Bordeaux est la ville du grand négoce, celui du vin et celui, très fructueux, de la traite des noirs. Des fortunes immenses s’y sont bâties au cours des siècles, dont jouissent leurs propriétaires sans l’ombre d’un scrupule.


Tallien durant la Révolution
Lorsque Thérésia y arrive, Bordeaux ne connait pas la Terreur et elle y recommence la vie mondaine qui est la sienne depuis son arrivée en France. Mais en septembre 1793 arrive celui qui a fait tomber les Girondins, à la Convention en juin 1793 au profit des Montagnards et donc de Robespierre. Sa mission est de mettre fin aux idées libérales de la ville et de sa société. Le jacobinisme veut éradiquer toute velléité de fédéralisme. Paris contre la province. Tallien fait arrêter près de mille personnes, trois cents sont condamnées à mort. Il s’en prend à la fortune des bordelais qu’il spolie au profit des sans-culottes, sans s’oublier au passage. Il écrivit à la Convention : “…Les sans-culottes sont sorties en foule au devant de nous, des branches de laurier à la main et nous ont accompagnés aux cris de Vive la République ! Vive la Montagne ! Tous les témoignages publics d’allégresse ont été prodigués…Jaloux de compléter notre ouvrage en abattant les têtes orgueilleuses qui ont voulu fonder ici un empire autre que celui de nos saintes lois, nous avons publié dès le lendemain de notre arrivée, un arrêté dont nous vous demandons la confirmation. Le désarmement ordonné dans cet arrêté s’exécute aujourd’hui avec un zèle incroyable, et donnera des armes superbes et en grande quantité à nos chers sans-culottes. Il y a des fusils garnis en or. L’or ira à la monnaie, les fusils aux sans-culottes et les fédéralistes à la guillotine.”

Thérésia, dont l’influence est toujours grande, essaie d’en user pour aider ses amis. Elle aide ceux qui ont tout perdu grâce à l’argent dont elle dispose encore. 

Voici que raconte une de ses filles, Madame du Hallay, d’après le récit de sa mère :

“Elle apprend qu'un navire anglais est sur le point de prendre la mer avec plus de trois cents passagers, familles nobles, familles parlementaires, familles royalistes de Bordeaux, qui n'échapperont pas au tribunal révolutionnaire. Mais le capitaine anglais, qui n'est pas un sauveur pour l'amour de Dieu et de son prochain, mais par amour de l'or, ne veut pas mettre à la voile faute de trois mille francs qui manquent à la somme consignée par les émigrants. M‘“” de Fontenay s'indigne devant son oncle. Quoi ! s’écrie-t-elle, tant de monde périrait faute de trois poignées d'or  »
Et, sans vouloir écouter ni son mari ni son oncle, elle monte en voiture, elle va trouver le capitaine et lui compte la somme imposée. Le capitaine veut lui donner un reçu. « Non, lui dit-elle ; je ne vous demande que la liste de vos passagers. »
Le capitaine se contente de copier à la hâte les vingt principaux noms.
Madame de Fontenay revint toute joyeuse et s'arrêta devant le théâtre, à la rencontre de son oncle, s'écriant : “Ah ! que je suis contente de m'être arrêtée à Bordeaux! »

Mais son geste vint aux oreilles des Jacobins.

« La voilà ! la voilà! cria la populace en courant à elle. La voilà, celle qui a sauvé les aristocrates! »
Et sans plus parlementer, les plus décidés se jetèrent sur elle et l'entraînèrent dans le flot hurlant, loin de son oncle et de ses amis. Pendant que l'un lui arrachait sa mantille, l'autre tentait de la fouiller pour avoir la liste de ceux qu'elle venait de sauver. En ce temps-là, on était accoutumé à toutes les formes de l’émeute. Aussi M'‘“' de Fontenay ne s'effraya-t-elle pas. Elle était d'ailleurs vaillante et aventureuse. a Que me voulez-vous? dit-elle. Je ne suis pas une ennemie du peuple. Vous voyez par ma cocarde que je suis une patriote. »
On criait à tue-tête: « Qu'elle nous donne la liste! qu'elle nous donne la liste! »
Elle avait compris.  « On vous a trompés, citoyens ; ceux qui se sont embarqués ne sont pas des contre-révolutionnaires. — Eh bien, donne nous la liste, puisque tu l'as dans ton sein. »
Et, sans mettre de gants, le plus brutal de la bande faillit déchirer  le corsage de madame de Fontenay, Mais elle le repoussa avec une énergie toute romaine, rougissant d'indignation autant que de pudeur. Et comme c'était un caractère viril, que cette femme alors si délicate, toute de nerfs et de feu, elle prit elle-même la liste dans son corsage, elle la montra aux sans-culottes, et elle leur dit, comme pour les défier: « Je ne vous donnerai pas cette liste. Si vous voulez me la prendre, tuez-moi. »
Et elle mordit la liste de ses belles dents.


Hôtel Franklin détail de la façade
Telle était le caractère de Thérésia ! Bien peu de choses l’arrêtaient. Et elle n’avait peur de rien ni de personne.

Pour aider son amie Justine Boyer-Fonfrède, dont le mari, un des plus riches armateurs de Bordeaux guillotiné à Paris pour ses convictions girondines, en essayant de lui faire rendre ses biens, elle intervient directement auprès de Tallien le nouveau maître de la ville. Elle l’a croisé à l’opéra, a échangé quelques mots avec lui et a compris tout de suite l’effet que la femme avait fait sur l’homme. 

L’envoi du billet à Tallien eut pour effet de la faire arrêter. En effet, Jean-Lambert n’avait pas que des amis et recevoir un billet de la ci-devant Fontenay pouvait signifier une collusion avec l’ennemi girondin. Tout en elle, son nom, sa fortune supposée, sa famille la désignaient à la vindicte des représentants du peuple. Deux d’entre eux, Matte et Héron, virent là l’occasion de se débarrasser de Tallien qu’ils détestent. 

Début décembre 1793, elle est enfermée à la prison du fort du Hâ, bâtisse du XVe siècle dont la “Tour des Anglais” est considérée comme sûre par les révolutionnaires. C’est l’antichambre de la guillotine à Bordeaux. Incarcérée, Thérésia y subit les pire conditions. Elle n’avait que 18 ans. Et sa jeunesse n’acceptait pas ce destin. Thérésia avait du charme et des charmes. Elle s’en était déjà servi sous les ors de l’Ancien Régime, elle sut s’en servir à partir d’une prison. Se souvenant de l’effet qu’elle avait fait à Tallien, lors de leur rencontre, elle demanda à ses geôliers de le rencontrer. Il accepta. Il est probable que chacun des deux, l’une en écrivant et l’autre en acceptant la rencontre, savait ce qui allait se passer. 

Fort du Hâ à Bordeaux, lieu de détention de Thérésia
A peine libérée, ou même avant selon certains, elle se donna à lui. Probablement pour sauver sa vie, mais aussi parce qu’il lui plaisait. Tallien était bel homme, avait de la prestance et il exerçait le pouvoir. Tout pour séduire Thérésia, qui ne se cacha jamais de son appétit des hommes, du pouvoir et de l’argent. Mais d’une nature profondément bonne, elle sut toujours utiliser ses charmes pour aider les autres. Thérésia était une nature amoureuse et cette nature s’étendait bien au-delà de sa propre personne et des avantages qu’elle pouvait en tirer. Elle allait jusqu’à aider, sans contrepartie, ceux qui avaient besoin d’elle. Elle le prouva toute sa vie, même une fois assagie. 

Maîtresse de Tallien, maîtresse de Bordeaux, la Cabarrús, ainsi nommée par les contemporains, eut un train de vie scandaleux. Rien n’était assez beau ni assez cher pour elle. Ils n’habitent pas ensemble mais ils s’affichent partout, à l’opéra, dans les salons, en calèche. 
Fête de l’Etre Suprême à Bordeaux
Peu après sa libération elle écrivit le “Discours sur l’éducation”, qui fut lu dans la séance tenue au temple de la Raison de Bordeaux, le 1er décadi du mois de nivôse, jour de la fête nationale, célébrée à l'occasion de la reprise de Toulon par les armes de la république. Il s’agit d’une esquisse d’un plan d’éducation pour la jeunesse, mais c’est surtout pour Tallien l’occasion d’afficher une splendide créature, somptueusement habillée, une Déesse de la Raison en chair et en os, et pour elle le plaisir de triompher. 

Le 17 février 1794, elle incarne à nouveau la Déesse de la Raison, en une cérémonie qui célèbre l’abolition de l’esclavage. Vêtue d’un péplum blanc, chaussée de cothurnes, une pique à la main, coiffée d’un bonnet phrygien, elle traverse la ville sur un char doré, tiré par des jeunes gens. 


Thérésia peinte par Marie-Geneviève Bouliard
Peut-on parler d’amour dans ce couple qui exhibe ses folies, à l’unisson toutefois de l’ambiance révolutionnaire ? 

C’est un amour assez étrange qui eut des effets surprenants et bénéfiques. Il est certain qu’il l’aima, il est possible qu’elle lui rendit son amour. Non seulement il ne lui refusait ni or ni argent, mais il en lui refusa pas non plus les vies qu’elle lui demanda de sauver. Certains l’ont accusée d’avoir vendu ses aides. Rien ne le prouve et la princesse de Chimay rapporte les propos du comte de Paroy : “ Les Bordelais auraient dû lui ériger une statue pour les grands services qu’elle a rendus, elle ne reçut que de l’ingratitude dans le champ immense de ses bienfaits. J’ai été témoin de tous le bien qu’elle a fait, je l’ai vue tourmentée de celui qu’elle n’a pas pu faire…”  Pour le comte de Ségur : “ Peu de familles, à Bordeaux, peuvent lui refuser un souvenir d’admiration et de reconnaissance. Je suis du nombre de ceux dont elle a brisé les fers.”

Mais train de vie tapageur, liaison d’un bon républicain et d’une ci-devant, guillotine fonctionnant au ralenti (102 exécutions en sept mois alors qu’il y eut 1379 arrestations) , éveillent les soupçons de Paris, soupçons alimentés par les dénonciations des ennemis de Tallien. 

Il ne fait pas bon être appelée “Notre-Dame de Bon Secours” et d’être celui qui aide à justifier cette appellation. 


Joseph Fouché
Prévenu par Fouché qu’il serait bientôt sur la liste des suspects, Tallien part pour Paris afin de justifier son zèle révolutionnaire auprès de Robespierre. 

Ce dernier a reçu un message envoyé par Marc-Antoine Jullien (1775-1848),  son espion à Bordeaux, “Bordeaux est un labyrinthe d’intrigues et de gaspillage. La justice révolutionnaire y est moins avide de sang que d’argent. Une femme attache à son char les autorités et la ville entière. Cette favorite a pour nom Dona Thérésia Cabarrús. C’est elle qui retient le bras de la justice. C’est elle qui a exigé la destitution du Comité de surveillance pour donner libre cours à ses détournements. Je dénonce l’union libre de Tallien avec cette étrangère. J’accuse Tallien de faiblesse et de modérantisme…”

Tallien réussit à se justifier auprès de la Convention, dont il est élu président grâce aux “Indulgents” dont Danton est le président. Il ne peut toutefois empêcher l’arrestation de ce dernier dont il est plus proche que de Robespierre et de ses amis, dont Camille Desmoulins le 30 mars 1794. Ils seront guillotinés le 5 avril. 

Thérésia est seule à Bordeaux, sans protecteur, alors que la Terreur y fait rage. Il semble qu’elle ait tenté et réussit à séduire Julien le nouveau maître de la ville. Jullien écrit à Robespierre : “ Elle m’offre tout simplement de m’embarquer en sa compagnie pour l’Amérique septentrionale afin de fuir Tallien qui l’a compromise, et de partager avec moi sa fortune qui, selon elle, serait bien suffisante pour nous deux.” 

Le 16 avril 1794, une loi du Comité de Salut Public interdit aux ci-devant nobles de séjourner dans des ports ou des villes frontalières. Thérésia ne peut donc plus rester à Bordeaux. Partir mais où ? Paris s’impose à son esprit, Tallien n’est-il pas un des maîtres à nouveau ?

Sur le passeport qui lui est délivré, elle est ainsi décrite : “ Taille cinq pieds six pouces, visage blanc et joli, front bien fait, sourcils clairs, yeux bruns, nez bien fait, bouche petite, menton rond”. C’est assez vague mais cela devait suffire à l’époque pour reconnaître quelqu’un…

On y lit aussi “ Délivré à la citoyenne Cabarrús Thérèse, épouse divorcée Fontenay, âgée de vingt ans, ayant joui ci-devant des privilèges de la noblesse, native de Madrid. En France depuis sept ans, domiciliée à Bordeaux, cours de Tourny, laquelle nous a déclaré aller dans la commune d’Orléans, où elle affirme vouloir se retirer conformément à la loi des 27 et 28 germinal dernier.”

Un passeport sous la Révolution
En effet, on ne l’a pas autorisée de rentrer à Paris, mais Orléans est plus proche que Bordeaux, Tallien, son protecteur, également.

En route, près de Blois, à la chaussée Saint-Victor, elle croise un jeune homme qui vient se présenter à elle : “Joseph de Caraman”, fils du marquis de Caraman. Il est jeune, 23 ans, et il est beau. 

Mais il lui faut atteindre Orléans où elle a la surprise de se voir offrir un passeport pour Paris.

Tallien et elle partis de Bordeaux, la guillotine y fonctionne à nouveau à plein régime. Pour le seul mois de juillet 1794, 126 exécutions. 

C’est dans sa demeure de Fontenay qu’elle s’installe. Elle est accompagnée de sa femme de chambre et de Jean Guéry, fils  d’un ami de son père, mais aussi son jeune amant du moment. Mais Fontenay n’est plus sûr. Elle y est très connue et sa réputation de "putain révolutionnaire" désormais suspecte l’y a précédée. On y dénonce facilement. Mais point n’est besoin de dénonciation pour que l’Incorruptible, son véritable ennemi, sache où elle est. C’est lui qui a permis son approche de Paris. Il semble qu’il lui ait tendu un piège. Cette femme lui fait horreur. Elle représente tout ce qui le terrorise et qu’il déteste, le plaisir. 

Maximilien de Robespierre
C’est à une lutte entre le Vice et la Vertu qu’il l’a conviée, persuadée que la Vertu, du moins la sienne, triomphera. L’Incorruptible tient la catin dans ses mains et à travers elle, Tallien. Il sait que les amants se sont vus à Paris et qu’il est venu la rejoindre, sous un déguisement, à Fontenay dès son arrivée. Il lui confie : “ Je suis allé voir Fouché et Barras. Ils sont terrifiés par la tournure que prennent les évènements. Robespierre devient de plus en plus exigeant. Il menace de mort tous ceux qui en le considèrent pas comme le chef de la Révolution. Où s’arrêteront son ambition et ses fureurs de sang. Tu ne dois pas rester ici Thérésia. Chaque jour tu dois changer de résidence. Robespierre n’a pas caché son sentiment à ton égard; il te hait, te rend responsable des acquittements à Bordeaux, il va tout mettre en oeuvre pour et faire arrêter.”

Désormais Thérésia souhaite gagner l’Espagne pour rejoindre sa famille mais elle n’avait pas les documents qui lui permettent de quitter Paris et comme à chaque étape du voyage elle doit montrer des papiers elle est prisonnière dans la ville et ses alentours. 

Pendant une dizaine de jours, elle se cache et change de domicile tous les soirs. Les agents de Robespierre la traquent. L’ordre de son arrestation a été signée par Robespierre, Billaud-Varenne, Barère, Collot d’Herbois et Prieur, le 3 prairial de l’an XI (22 mai 1794). Elle est arrêtée par le bras armé de Robespierre, le général Boulanger (1755-1794) à Versailles, dans la nuit du 11 au 12 prairial (30 au 31 mai 1794). 

Elle est enfermée à la prison de La Force où elle fut accueillie en prison par “Qu’on la foute à la souricière”, puis mise au secret dans un cachot obscur et humide, infesté par les rats, avec un morceau de pain rassis pour toute nourriture.

La prison de La Force
Elle fut ensuite transférée à la prison des Carmes. La légende veut qu’elle y ait rencontrée Joséphine de Beauharnais. Rien ne le prouve mais la légende a sous doute pris racine dans la grande amitié qui lia les deux femmes quelques mois plus tard

L’appel à la prison des Carmes sous la Terreur
Voici comment est décrite la vie dans les prisons sous la Terreur : 

“Il ne paraît pas qu'en général la surveillance fût très active dans les prisons de la Révolution, si l'on en juge par la nature des ruses qu'on employait, et avec plein succès. Voulait-on faire tenir un journal aux prisonniers, on n'avait qu'à le faire servir à envelopper du beurre ou des oeufs. Voulait-on faire franchir le guichet à une lettre d'amour, il suffisait de la cacher dans une botte d'asperges ou de la coudre dans un ourlet. Pendant longtemps, un prisonnier correspondit avec sa femme en employant pour messager un chien dont le collier servait de boîte aux lettres. La boîte aux lettres, à la Force, c'était le bec d'un pigeon. La différence qu'on remarque entre le régime adopté dans telle prison et le régime suivi dans telle autre dit assez qu'à l'égard des prisonniers il n'existait rien qui ressemblât à une politique. Le Comité de salut public n'avait jamais été chargé, ni de l'administration des prisons, ni de leur surveillance. La loi confiait ce soin aux municipalités; et, à Paris, c'était la police municipale qui, sous le contrôle du Comité de sûreté générale, s'occupait de ce qui concernait les prisons et c'était du caractère, tantôt humain, tantôt cruel, de ses agents, que le sort des détenus dépendait.

Même remarque à faire concernant les administrateurs de police: il y en eut de très durs, et il y en eut de très humains, il y en eut qui, comme Marino, firent redouter leurs visites, et d'autres qui, comme Grandpré, mettaient de l'affabilité à recevoir les plaintes qu'on leur adressait, de l'empressement à y faire droit.

Dès le 27 floréal (16 mai 1794) , un arrêté de police était affiché dans les corridors de la maison Lazare, portant «que le défaut de surveillance dans les prisons y avait introduit un luxe immodéré; que les tables y étaient servies avec une profusion indécente; que les sommes que les détenus s'étaient procurées pouvaient y devenir dangereuses; que désormais il serait établi un réfectoire, auquel tous indifféremment seraient obligés d'aller manger; que jusqu'alors il serait payé à chacun d'eux trois livres par jour, sous la déduction de dix sous pour les frais de garde; qu'enfin, il serait établi dans la maison une boîte dans laquelle les lettres, les paquets et le linge seraient mis pour être ensuite portés à leur adresse par des commissionnaires.»

En conséquence de cet arrêté, chaque prisonnier toucha cinquante sous par jour, à partir du 20 prairial (8 juin); et, le 24 messidor (12 juillet), le réfectoire annoncé fut établi, au grand désespoir de ceux des détenus à qui leur position de fortune avait assuré jusqu'alors toutes les jouissances de table que la fortune permet.” ( Le Soir, Edition du 17 novembre 1789)

Le sort de la belle Thérésia semble scellé. C’est la guillotine qui l’attend, à peine 20 ans. Elle le sait mais ne s’avoue pas encore vaincue. Pour être libérée, on lui demande de signer un document contre Tallien, elle refuse, sachant ce que vaut la parole des bourreaux. Elle comparait devant le Tribunal Révolutionnaire qui la condamne à mort le 7 Thermidor (25 juillet 1794). Elle réussit à faire passer un billet à Tallien : “L’administrateur de la police sort d’ici. Il vient de m’annoncer que demain je monterai à l’échafaud. Cela ressemble bien peu au rêve que j’ai fait cette nuit. Robespierre n’existait plus et les prisons étaient ouvertes. Mais grâce à votre lâcheté, il ne se trouvera bientôt plus personne en France pour le réaliser.”

Thérésia en prison
Tallien reçut le billet le jour même. Il comprit sa signification et obtint que l’exécution de Thérésia fut différée de deux jours, le 10 thermidor au lieu du 8. Deux jours qui ont permis de changer le cours de l’Histoire.

Ce 8 thermidor, à la tribune de la Convention, Robespierre dénonce, sans les nommer, ceux qu’il considère comme ses ennemis et par conséquent les ennemis de la République : 
Barras, Fouché, Fouquier-Tinville, Billaud-Varenne, Barère, Carnot, Cambon et bien sûr Tallien. Il propose alors d’ “épurer le Comité de salut public lui-même, constituer l'unité du gouvernement sous l'autorité suprême de la Convention nationale, qui est le centre et le juge.” L’impression de ce discours est demandée mais la quasi-unanimité des membres de la Convention s’y oppose, se rendant aux arguments suivants  “Quand on se vante d’avoir le courage de la vertu, il faut avoir celui de la liberté. Nommez ceux que vous accusez.”  “ Il ne faut pas qu’un homme se mette à la place de tous. S’il a quelques reproches à faire, qu’il les articule."

Aux Jacobins, le soir même Robespierre répète son discours : “ Frères et amis, c’est mon testament de mort que vous venez d’entendre. Mes ennemis, ou plutôt ceux de la République sont tellement puissants et tellement nombreux que je ne puis me flatter d’échapper longtemps à leurs coups…”

Il est applaudi par les Jacobins qui demandent l’exclusion des membres du club qui ont voté contre Robespierre, parmi lesquels Tallien.  On entend “A la guillotine”.

Dans la nuit à Paris, les opposants à Robespierre sont prêts à agir.  Barras, Fouché, Tallien, Lebon et Carrier, directement menacés par Robespierre, savent “qu’ils ont l’honneur d’être inscrits sur ses tablettes à la colonne des morts.” (Fouché) Ils se battent pour sauver leur vie. Tallien se bat aussi pour sauver Thérésia. Ils se cherchent des alliés en promettant la fin de la Terreur. Carnot et Barrère se joignent à eux. La présence de ces derniers va emporter la volonté de la majorité de la Convention de se débarrasser de Robespierre. Les conventionnels n’étaient pas tous des sanguinaires. Beaucoup étaient lâches devant la tyrannie. La perspective de la liberté les séduisait.

Le 9 thermidor,  la séance est ouverte à 11 heures du matin par Collot d’Herbois.

Séance à la Convention le 9 Thermidor
Saint-Just, élégamment vêtu d’un habit chamois et d’un gilet blanc, monte à la tribune et déclare : “Je ne suis d’aucune faction, je les combattrai toutes…On a voulu répandre que le gouvernement était divisé : il ne l’est pas ; une altération politique, que je vais vous rendre, a seulement eu lieu.”

Tallien l’interrompt : “Hier un membre du gouvernement s’en est isolé et a prononcé un discours en son nom particulier ; aujourd’hui, un autre fait la même chose… Je demande que le rideau soit entièrement déchiré !” Sa déclaration est suivie d’un grand tumulte.

Billaud-Varenne, à peine arrivé en séance avec les membres du Comité de Salut Public, escalade la tribune et interrompt Tallien : “Je m’étonne de voir Saint-Just à la tribune après ce qui s’est passé. Il avait promis aux deux comités de leur soumettre son discours avant de le lire à la Convention.”

Ni Robespierre, ni Saint-Just ne répondent. 

Billaud-Varenne attaque directement Robespierre avec vigueur et lorsque celui-ci veut lui répondre, les cris de “A bas le tyran !” couvrent sa voix. Déconcerté, il hésite à continuer. 
Saint-Juste ne dit plus un mot, il se contente de regarder. 

Tallien reprend la parole à nouveau à la tribune, suivi par Billaud-Varenne. Dans le vacarme et la confusion, il demande l’arrestation du général Hanriot (1759-1794), le bras armé de Robespierre, et de son état-major, ainsi que de Dumas (1753-1794), président du Tribunal révolutionnaire, surnommé Dumas le rouge, qui a à son actif les morts de Madame Elisabeth, soeur de Louis XVI et des Carmélites de Compiègne, entre autres. 



Les Carmélites de Compiègne, guillotinées Place de la Nation 
le 17 juillet 1794
Robespierre veut absolument prendre la parole. Il monte à la tribune. “A bas le tyran !” l’en empêche à nouveau. Le président donne la parole à Barère qui fait voter un décret ôtant à Hanriot le commandement de la garde nationale. Vadier lui succède à la tribune et fait rire la Convention aux dépens de Robespierre en évoquant l’affaire Théot, une prophétesse qui disait que la mission de Robespierre était écrite dans Ezechiel. 

Afin d’en finir, Tallien demande qu’on “ramène la discussion à son vrai point”, c’est à dire la mise en accusation de Robespierre.

Ce dernier s’écrie : “Je saurai bien la rappeler à…”  De nouveaux cris couvrent sa voix. 

Tallien reprend son réquisitoire. Robespierre veut avoir la parole ; on s’y oppose. “Pour la dernière fois, président d’assassins, je te demande la parole - Tu n’auras la parole qu’à ton tour” répond Thuriot qui a remplacé Collot à la présidence.

Louchet, député de l’Aveyron, montagnard et pour Danton, ose demander le premier un décret d’arrestation contre Robespierre. Robespierre essaie de parler. Sa voix est couverte par la clameur. Le président met la motion aux voix et la déclare aussitôt votée à l’unanimité. Toute la Convention est debout, criant  “Vive la République !”. Louvet demande d’étendre la motion à Couthon, Saint-Just et Augustin de Robespierre. 

Barère monte à nouveau à la tribune avec un décret proposé par le Comité de salut public : il comporte l’arrestation des deux Robespierre, Saint-Just, Couthon, Le Bas, ainsi que de Dumas, Hanriot, Boulanger, Lavalette, Dufresse, Daubigny et Sijas.

Vers quatre heures de l’après-midi, les députés arrêtés sont conduits au Comité de sûreté générale. 

La Commune de Paris prend alors fait et cause pour Robespierre qu’elle réussit à faire libérer. Puis c’est au tour des autres d’être libérés. C’est l’insurrection de la Commune contre la Convention. Barère fait prendre un décret par la Convention qui n’a cessé de siéger de mettre hors la loi les députés et les insurgés. C’est en soi une condamnation à mort. 

Toute la nuit l’indécision règne entre les divers membres de la Commune qui souhaiteraient une prise en mains des événements par Robespierre et par Saint-Just. Il est enfin décidé de procéder à l’arrestation  de Collot d’Herbois, Amar, Bourdon, Fréron, Tallien, Panis, Carnot, Dubois-Crancé, Vadier, Javogues, Dubarran, Fouché, Granet, Moyse Bayle. Barre semble oublié. “Tous ceux qui n’obéiront pas à cet ordre suprême, dit l’arrêté, seront traités comme ennemis du peuple” est-il écrit. Mais les sans-culottes, soutien de Robespierre, ne bougent pas pour arrêter lesdits ennemis du peuple. 

Robespierre et ses amis sont à l’Hôtel de Ville de Paris, siège de la Commune. Deux colonnes d’hommes armés de la Convention, dont l’une est menée par Barras investissent la commune. On ne sait si Robespierre a tenté de se suicider ou si sa mâchoire  a été blessée dans l’échauffourée. Saint-Just se rend sans avoir été blessé. 


Arrestation de Robespierre
Robespierre et ses partisans, au nombre de vingt et un, furent guillotinés en fin d’après-midi le 10 thermidor.


Mort de Robespierre
Thérésia avait gagné. C’est en prison qu’elle l’apprit. Elle devait y rester encore trois jours, impatiente de sortir de l’infect cachot dans lequel elle croupissait mais tranquille sur son sort. D’après Elisabeth de Chimay, elle accueillit son amant plutôt fraîchement quand celui-ci, paré des plus beaux atours, plumes au chapeau comprises, vint la chercher. D’après d’autres récits, c’est Dulac, l’homme de confiance de Tallien, qui vint la chercher. Ce dernier n’avait pas un instant à lui.

Quoiqu’il en soit, la sortie de Thérésia est triomphale. Une ovation l’attendait à sa sortie de prison. Elle fut alors appelée “Notre-Dame de Thermidor”. Le peuple savait le rôle joué par Tallien dans la chute de Robespierre. Il savait aussi que s’il avait sauvé sa tête et celles de sas amis et de milliers de gens, en mettant fin à la tyrannie, il l’avait aussi fait par amour de belle maîtresse. 

Robespierre s’est perdu le jour où il s’est attaqué à Thérésia. 

La guillotine continua de fonctionner un peu mais c’était pour débarrasser la France des derniers soutiens de Robespierre. 

La suite de la vie extravagante de Thérésia Cabarrus, Notre-Dame de Thermidor, vous sera contée prochainement