Saint Michael’s Mount, l’homologue anglais du Mont Saint Michel, est situé à l’extrême pointe de la Cornouailles, sur la commune de Marazion. Contrairement au Mont Saint Michel, longtemps abbaye, puis prison et de nouveau abbaye, St Michael’s Mount est encore aujourd’hui la résidence d’une vieille famille anglo-normande, les St Aubyn.
Une île à proximité de la côte
La première construction, abbaye à l’origine, semble dater du VIIe siècle. Au XIe siècle, le roi Edouard le Confesseur en fit don à l’abbaye du Mont Saint Michel. La base des bâtiments que nous voyons actuellement fut édifiée au XIIe siècle. Puis St Michael’s Mount redevint indépendant sous le règne du roi Henri V, toute subordination d’un monastère anglais à un monastère étranger devant illégale.
Une architecture gothique revisitée
Objet de convoitises de la part de Jean Sans Terre qui le fit occuper en son nom, puis de la part de John de Vere, 13ème comte d’Oxford qui y tint un siège de 23 semaines contre les troupes du roi Edouard IV, durant la Guerre des Deux Roses en 1473. Il fut ensuite occupé par Perkin Warbeck, prétendant au trône d’Angleterre en 1497. Il vit aussi arriver l’Invincible Armada.
La reine Elizabeth Ier en fit don à son conseiller Robert Cecil, 1er comte de Salisbury. Son fils le vendit à Sir Francis Basset dont le frère Arthur, ardent royaliste y tint tête contre le Parlement et les troupes de Cromwell jusqu’en 1646.
La vie religieuse n’y étant plus qu’un souvenir depuis longtemps, en 1659 St Michael’s Mount fut vendu au Colonel John St Aubyn. Ses descendants y vivent toujours. Les St Aubyn, d’origine normande, arrivèrent en Angleterre avec Guillaume le Conquérant.
John St Aubyn, nouveau propriétaire du Mount, fut créé baronet le 11 décembre 1671 par le roi Charles II. Successivement cinq de ses descendants portèrent le titre et habitèrent le Mount, représentant diverses circonscriptions de Cornouailles à la Chambre des Communes. Le titre s’éteignit dans la première ligne à la mort du 5ème baronet, Sir John St Aubyn en 1839.
Sir John St Aubyn, Brt (1758-1839)
peint par Joshua Reynolds
Le 31 juillet 1866, le titre fut créé à nouveau pour Edward St Aubyn, fils naturel du cinquième baronet. Son fils, John St Aubyn, 2ème baronet de la nouvelle création fut élevé à la pairie avec le titre de Lord St Levan of St Michael Mount en 1887. Il avait jusque là siégé à la Chambre des Communes sous l’étiquette libérale.
Son petit-fils Francis, 3ème lord St Levan épousa The Hon. Gwendolen Nicolson, fille de Lord Carnock qui fut ambassadeur du Royaume-Uni à Istanbul, Saint Petersbourg et Madrid. Le second fils de Lord Carnock, Harold Nicolson, fut aussi un brillant diplomate mais il est beaucoup plus connu aujourd’hui pour avoir été le mari de Vita Sackville-West. Les très sérieuses familles St Aubyn et Sackville-West furent alors dans les cercles mondains de l’entre deux-guerres, Harold et Vita ayant défrayé la chronique de l’époque par leurs amours bisexuelles. Vita eut de nombreuses aventures et parmi ses conquêtes célèbres il y eut Virigina Woolf et Violet Trefusis. Harold eut aussi de nombreux amants parmi lesquels le journaliste Raymond Mortimer. Le couple eut deux garçons, Benedict et Nigel.
Sir Harold Nicolson (1886-1968)
Portrait par David Rolt
The Hon.Vita Sackville-West, lady Nicolson (1892-1962)
Portrait par László
L’attachement au Mount fut cependant plus fort que l’attraction londonienne. Le 4ème baron John Lord St Levan y maintint la tradition de sa famille. N’ayant pas d’enfant, il passa la main en 2003 à son neveu, James St Aubyn, qui, avec son épouse Mary, née Bennett, habite la demeure ancestrale.
Lord et Lady St Levan
Au cours des siècles d’importantes modifications architecturales ou de décoration intérieure furent apportées ainsi qu’au XXème siècle des innovations comme l’installation du chauffage central ou d’un monte-charge pour les bagages sans lui faire perdre son charme pour autant.
Le Grand Hall
James et Mary St Aubin, lord et lady St Levan depuis 2013, habitent le Mount en permanence, ayant renoncé à la facilité de la vie citadine. Leur existence est rythmée par les marées. Ils accueillent famille et amis plus souvent qu’ils ne vont en visite tant la vie y est prenante.
Un petit salon
En 1954, le 3ème baron St Levan donna le Mount au National Trust, tout en signant un bail de 999 ans permettant à la famille St Aubyn de continuer à y habiter.
La bibliothèque
Bien sûr, le Mount est ouvert au public et c’est avec plaisir que James et Mary vous font visiter l’intérieur ou les magnifiques jardins. Des visiteurs célèbres furent la reine Victoria, le roi Edouard VII ou la reine Elizabeth, la reine mère et plus récemment le prince de Galles et la duchesse de Cornouailles. Chaque année le Mount attire plus de 250 000 visiteurs.
Le prince de Galles et la duchesse de Cornouailles en visite au Mount
The Hon. Mrs Robert Boyle, née Fiona St Aubyn, soeur de James, a écrit un livre délicieux en collaboration avec Stanley Ager, le butler de sa grand-mère Gwendolen Lady St Levan, dans lequel elle évoque outre les grandes manières anglaises, les affres d’une visite royale. Pas si simple d’avoir un membre de la famille royale à la maison même si l’on est habitué à son cercle ! Le livre qui vient d'être réédité connait un grand succès aux Etats-Unis, à l'instar de Downton Abbey
Dernière édition du Butler's Guide
Le St Aubyn Estate comprend aujourd’hui le Mount et toutes les constructions qui y sont bâties où vit le personnel nécessaire à l’entretien d’un tel domaine, un ensemble de cottages, fermes et bâtiments commerciaux sur les 2500 hectares de la propriété en dehors de l’île.
Un lieu idéal de vacances en Cornouailles pour les amoureux de beaux bâtiments, de la mer et d’histoires de pirates.
Pour plus d’informations touristiques sur le Mount cliquez ICI
La baronne Blixen est née Karen Christentze Dinesen le 17 avril 1886 à Rungstedlund à 20 kilomètres au nord de Copenhague dans une famille de la riche bourgeoisie terrienne. Son père Adolph Wilhelm Dinesen était officier de l’armée danoise mais également un écrivain reconnu.
Adolphe Denisen
Sa mère Ingeborg Westenholz était issue d’un milieu de négociants extrêmement fortunés et cultivés.
Ingeborg Westenholz
Son père fût élevé au château de Katholm, une propriété de près de 1200 hectares et sa mère au Manoir de Mattrup une propriété de près de 2 000ha, toutes les deux dans le Jutland.
Château de Katholm
Manoir de Mattrup
Le capitaine Dinesen était un être complexe. Libéral dans un milieu très conservateur – il fut élu sous cette étiquette au Parlement danois en 1892 - officier danois suite à l’affaire des duchés en 1864 où dans la guerre que lui fit intentionnellement la Prusse, le Danemark perdit les duchés du Holstein et de Schleswig, il s’engagea dans l’armée française en 1870 pour combattre les Prussiens. Puis il voyage au Canada et aux Etats-Unis au cours de l’année 1871. Il y vécut même en trappeur pendant six mois.
Cabane d'Adolph Denisen dans le Wisconsin
Après un voyage dans la région de Constantinople, il acheta en 1879, grâce à son héritage, prélude à son mariage, la propriété agricole de Rungstedlund où naquit Karen.
Domaine de Rungstedlund
Le mariage des parents de Karen, célébré en 1881, ne fut pas du goût de Madame Westenholz, belle-mère qui trouvait Adolph Wilhelm Dinesen trop fantasque à son goût. Cinq enfants naquirent Inger (dite Ea en 1883), Karen (en 1885, dite Tanne), Ellen (en 1886, dite Ella), Thomas (en 1892) et Anders (en 1894).
Ingeborg Denisen avec ses trois filles
Karen, alors que sa mère se consacrait à son aînée Inger, fut le compagnon de promenade de son père dans la campagne environnant le domaine. Il lui transmit son amour de la nature et de la chasse et en fit la confidente enfantine de son âme tourmentée.
Ecrivain, sous le nom de plume de Boganis, Dinesen connut le succès et il est aujourd’hui avec son ouvrage “ Lettres de Chasse ” un classique de la littérature danoise.
Le 28 mars 1895, il se suicida sans aucune raison apparente, son fils Thomas soupçonna qu’atteint de syphilis, il ne voulut pas connaître la degradation physique et mentale liée à cette maladie, incurable à l’époque. La famille sembla avoir vécu plus tard dans la culpabilité de ce geste.
Karen avait neuf ans et la famille retourna vivre au Manoir de Mattrup, domaine des Westenholz.
Après une scolarité à la maison, selon le cursus d’une jeune fille de la bourgeoisie cultivée elle étudia l’histoire de l’art à Copenhague, Paris et Rome.
Riche, elle pouvait vivre à sa guise, indépendante des codes de la bonne société, ce qui ne la conduisit toutefois qu’à écrire et publier – une emancipation quasi sacrilège pour l’époque - dans des revues périodiques danoise en 1905, sous le pseudonyme de Osceola, le nom d’un leader de la tribu des Seminole, sans doute inspiré par les voyages de son père en Amérique du Nord.
Elle s’adonna également à la peinture.
Elle publia son premier ouvrage en 1907, un conte “ Les Reclus ”, puis d’autres jusqu’en 1909. Devant leur peu de succès, elle cessa d’écrire.
Ce fut aussi le temps des amours. A défaut d’être aimée de son cousin, Hans von Blixen-Finecke, pour lequel elle éprouvait une passion, et après une période de désespoir devant l’indifférence du jeune homme, elle épousa le jumeau de celui-ci le baron Bror von Blixen-Finecke, un aristocrate suédois. Ils se marièrent à Mombasa au Kénya le 14 janvier 1914.
Baron Bror von Blixen-Finecke
Le couple, avec de l’argent de la famille de Karen, acheta une plantation de café “ M'Bagathi ” au Kénya d’une superficie d’environ 3000 ha et employa des ouvriers africains de la tribu des Kikuyu.
Karen avec plateaux en argent, verres en cristal, porcelaines précieuses, meubles, linge, portraits de famille, bijoux et livres rares entendait de faire de sa ferme un lieu de civilisation.
La maison sur la plantation de café, la "Ferme africaine"
Malgré leurs différences il y eut entre elle et Bror une affection mutuelle. Longtemps après l'échec de ce mariage, elle continua de parler de ces premiers temps de vie commune comme de l'une des périodes les plus heureuses de sa vie.
Karen Blixen en Afrique, sur sa ferme
Karen aima de suite l’Afrique et les Africains de manière sensuelle – mais non sexuelle car on ne lui connait aucun amant africain - " Ils entrèrent dans mon existence, écrivait-elle à la fin de sa vie, comme une sorte de réponse à quelque appel de ma nature profonde, peut-être à mes rêves d'enfance, où à la poésie que j'avais lue et adorée longtemps auparavant, ou aux émotions et aux instincts qui gisaient au plus profond de moi ”.
Karen Blixen avait toutefois une grande conscience de son rang et gardait ses distances vis-à-vis des colons qui lui étaient socialement inférieurs. Ses lettres marquent bien le mépris pour la banalité des colons blancs et des Anglais en particulier dont les préjugés raciaux la choquaient. Karen était loin d’être convaincue de la supériorité de la race blanche.
L’affaire dénommée “ Karen Coffee Co. ”, confiée à la gestion du Baron Blixen connut rapidement des déboires financiers en raison de son incompetence en matières financière et agricole. Mais la pire pour Karen restait à venir. Après un an de mariage, elle découvrit que son mari lui avait transmis la syphilis et qu’il la trompait sans honte.
Le couple s’éloigna et divorça en 1925. Et après s’être soignée avec succès au Danemark en 1915, Karen reprend seule la gestion de l’affaire, condition imposée par sa famille. Son frère, Thomas, vint l’aider de 1918 à 1923. Il fut convaincu que la ferme n'est pas économiquement viable.
Au cours des années suivantes, la situation empirant, Karen ne cessa de demander de l'argent à sa famille pour faire survivre la ferme.
Karen devant un des bâtiments de la ferme
En 1918, elle avait rencontré Denys Finch Hatton, chasseur de grand fauves et pilote, son grand amour africain. Il était le second fils du comte de Winchelsea. Il s’installa à la ferme après le divorce de Karen. Il organisait des safaris pour de riches clients, dont le Prince de Galles en 1928.
La chambre de Denys dans la ferme
La relation de Karen et Denys, bien que non sans nuages, fut profonde et leur amour mutuellement partagé. Il mourut dans un accident d'avion le 14 mai 1931, à l'âge de 44 ans.
Denys Finch Hatton
La même année la ferme fut vendue car la situation financière de l’exploitation ne permettait plus de continuer et l’entreprise liquidée. Karen Blixen passa les derniers mois à vendre la dernière récolte et tenter d'assurer la situation de ses employés.
Keren Blixen écrivit à propos de l’Afrique: " Je me rends compte combien j'ai été favorisée d'avoir pu mener une vie libre et humaine sur une terre paisible, après avoir connu le bruit et l'inquiétude du monde ".
Elle rejoignit Rungstedlund le 31 août 1931, ruinée et désespérée.
Salon à Rungstedlund
Sa vie, quitter la ferme et l’Afrique, lui semblaient alors un échec total. Elle passerait le reste de sa vie dans la propriété familiale.
Karen Blixen et sa mère en 1936
C’est alors que naquit l’écrivain désormais mondialement connue.
" Personne n'a payé plus cher son entrée en littérature " , a-t-elle écrit d’elle-même.
Après plusieurs refus, en 1934 est enfin publié sous le pseudonyme de Isak Dinesen “ Sept contes gothiques ” par un éditeur américain, Robert Haas. Le succès est immédiat.
En 1937, elle publie “ La Ferme Africaine ”, " Den afrikanske Farm ", en danois, " Out of Africa " en anglais.
Couverture d'une des premières éditions
En 1942, elle publie les “ Les Contes d’Hiver ” puis en 1957 “ Les Derniers Contes ”, et en 1958 “ Anecdotes du Destin ” qui comprend “ Le dîner de Babette ”. Il y eût bien sûr beaucoup d’autres publications, même posthumes.
Affiche du film dans sa version française
Elle devint dans les dernières années de sa vie l’un des personages principaux de la littérature et un auteur mondialement reconnu.
L’ensemble de l’oeuvre de Karen Blixen s’apparente beaucoup plus au conte fantastique qu’au roman d’amour tel qu’écrit dans “ La Ferme Africaine ”. Le merveilleux nordique s’illustre dans des histoires mi réalités mi rêves. D’un style classique, inspiré du XIXème siècle, il est à noter que ces livres furent écrits en anglais avant d’être traduits en Danois.
Karen Blixen
Si “ La Ferme Africaine ” fut l’histoire d’amour d’une femme avec un homme et l’Afrique, “ Le dîner de Babette ” fut l’histoire de la générosité, de la gratuité et du don de soi, dans un petit village du Jutland. Les deux firent l’objet de films aujourd’hui cultes. Meryl Streep en Karen Blixen elle-même dans le premier et Stéphane Audran en Babette dans le second.
En 1959, Karen fit un voyage triomphal aux Etats-Unis. Reçue par toutes les meilleures hôtesses de la société américaine, elle eût même le plaisir de dîner en compagnie de Marylin Monroe et de son mari Arthur Miller, comme elle en avait exprimé le souhait.
Avec Marylin Monroe
Elle mourut dans sa maison de Rungstedlund, le 7 septembre 1962. Elle fut enterrée dans le parc de sa demeure. Toute sa vie celle que nous connaissons sous le prénom de Karen fut appelée Tania ou Tanne par ses intimes.
Karen Blixen à la fin de sa vie
Ecrivain mondial, elle ne reçut toutefois pas le Prix Nobel de Littérature mille fois mérité.
Le domaine où elle naquit, vécut une grande partie de sa vie et où elle mourut est aujourd’hui administrée par une fondation “ The Rungstedlund Foundation ”, créée par Karen Blixen et ses frères et soeurs. Il fut ouvert au public en 1991 à la suite de son inauguration par SM la reine de Danemark.
A Schwarzau, tout était à la fête. Du village au château, ce n'étaient qu'oriflammes et orphéons. Personne ne se souvenait d'autant d'agitation dans la petite bourgade. Il est vrai que l'on n'y recevait pas tous les jours la famille impériale, et pour quelle circonstance !
Château de Schwarzau
Un grand soleil luisait sur les maisons jaunes aux toits bas, rendant encore plus gaie l'avalanche de banderoles et de bouquets, les uns bleus et rouges, les autres noirs et jaunes, aux couleurs des Maisons de Parme et de Habsbourg.
Les habitants du village et de tous les alentours étaient dans la rue. Ils attendaient de voir leur Empereur. Leur impatience était partagée par les hôtes du château.
La gare de Schwarzau le jour du mariage
- Quand Sa Majesté arrive-t-elle ? demanda Charles au prince Zdenko Lobkowitz.
- Encore deux minutes, Altesse Impériale, lui répondit-il en contrôlant l'heure sur sa montre. - Vous entendez, reprit Charles, je crois que l'Empereur arrive.
Devant le château de Schwarzau, attendant l'empereur de gauche à droite, l’archiduc Charles, Alfonso de Bourbon duc de Madrid, chef de la Maison de Bourbon, le prince Félix de Parme, frère de Zita, l’archiduc Max, le frère de Charles, légèrement obscurcie par (à sa droite) et les prince Sixte et René de Parme, deux frères Zita.
Le fiancé portait l'uniforme de capitaine du 7ème dragon, son régiment, dolman bleu sur pantalon garance, et arborait en sautoir l'Ordre de la Toison d'Or.
En effet, au loin la clameur enflait. Les bravos et les vivats se rapprochaient. La grande grille du parc, qui n'avait plus servi depuis 1894, date de sa dernière visite, avait été rouverte spécialement pour François-Joseph.
La voiture de l'Empereur la franchit. C'était une splendide automobile, aux armes impériales peintes de manière discrète sur les portières, peinture laquée et cuivres rutilants.
Le chauffeur et le mécanicien, militaires, casquettes galonnées sur la tête, médailles de service sur la poitrine et bottes lustrées aux pieds, en occupaient la partie avant ouverte.
A l'arrière, fermé, était assis l'Empereur avec à sa gauche l'un de ses aides de camp, le capitaine de vaisseau Nicolas Horthy de Nagyhana, en grande tenue.
L’empereur François-Joseph et son aide de camp, Nicolas Horthy
Un vacarme terrible couvrit les musiques de la ville et le bruit de la voiture impériale, qui remontait la Kaiserallee : les officiers aviateurs de Wiener Neustadt, à bord de leurs avions, survolaient le château.
Survol du château
A l'entrée principale, devant la grande porte cochère dont les deux battants étaient ouverts pour la circonstance, au milieu de l'immense façade du château, se tenait Charles, en compagnie du chef de la Maison de Bourbon, don Jaime, duc de Madrid. Ce dernier était bien marri de se trouver à côté de celui qui lui ravissait le cœur de Zita, mais il savait faire contre mauvaise fortune bon cœur. Un peu en arrière se tenaient les jeunes princes de Parme, Sixte, Xavier et Gaétan.
Devant le porche : le comte d’Avernas, l'archiduc Max, le prince Louis de Parme, le comte Pietro-Lucchesi Palli regardant l’évolution de l’avion
Tous les hommes levèrent la tête pour voir exécuter les acrobaties aériennes des amis de Charles.
La voiture de l'Empereur vint se ranger devant le portail, dont les montants avaient été parés de feuilles de myrte pour la circonstance. François-Joseph, alerte, en descendit, suivi par Horthy.
- Que Votre Majesté me permette de lui souhaiter la bienvenue et de lui exprimer toute ma joie de la savoir parmi nous aujourd'hui, complimenta Charles en accueillant son oncle.
- Mon cher Charles, c'est un tel bonheur d'être avec vous aujourd’hui que c'est moi qui devrais te remercier, lui répondit l'Empereur avec sa bonhomie habituelle.
Puis, se tournant vers le duc de Madrid :
- Mon cher Jaime, quelle joie de te voir aussi pour sceller une nouvelle union entre nos maisons.
- Que Votre Majesté me permette de la remercier, au nom de ma Famille, de l'honneur qu'elle nous fait aujourd'hui, dit le duc de Madrid.
- Allons Jaime, l'honneur est pour nous de voir entrer dans ma Famille une aussi jolie princesse. J'ai hâte de l'embrasser, conclut François-Joseph.
Ils pénétrèrent tous trois sous le vaste porche voûté de la demeure et s'engagèrent dans le grand escalier de pierre, couvert d'un tapis rouge, menant au premier étage. Des torchères en bois doré, portant les armes des Bourbon-Parme, décoraient la montée. Dédaignant de prendre appui sur la rampe sculptée, l'Empereur gravit les marches de son pas élastique déjeune homme.
La duchesse de Parme et la princesse Zita en tenue de mariée l'attendaient sur le palier.
L'empereur arrêta la révérence de Zita pour l'embrasser sur les deux joues. La jeune fille rougit, car elle savait le vieil homme avare de manifestations sentimentales. Après avoir salué son cousin le Roi de Saxe et son neveu François-Ferdinand, François-Joseph donna l'ordre du départ. Le cortège se forma alors et redescendit le grand escalier.
Zita murmura quelques paroles à don Jaime, à qui elle donnait le bras, mais il ne lui répondit pas. Dans son uniforme rutilant de colonel russe, il était tellement fier de remplacer le père de sa si jolie cousine qu'il semblait avoir pris quelques centimètres de taille. Ils traversèrent la cour, envahie par tous les gens de maison venus admirer leur jeune princesse et leur Empereur, pour pénétrer sous le porche qui menait à la chapelle. Là se pressaient les invités dans un espace exigu, habitué certes aux hôtes de prestige, mais jamais en si grand nombre. Diadèmes, rivières de diamants et colliers de perles ornaient toutes les femmes. Les hôtes étaient tous liés par un réseau de parenté quasi inextricable.
La duchesse de Parme et sa sœur l'archiduchesse Maria-Teresa, respectivement en lilas et blanc et en jaune maïs, avaient fait assaut d'élégance. Lorsque le maître de chapelle Eder attaqua l'hymne nuptial7, l’assistance se tut et se leva.
Charles, très ému, donnait le bras à sa mère l'archiduchesse Maria-Antonia. A côté d'eux, François-Joseph était rayonnant. Zita était menée à l'autel par le duc de Madrid et sa mère. Puis venaient les oncles de Charles, le roi Frédéric-Auguste de Saxe et l'archiduc François-Ferdinand, héritier immédiat du trône.
La mariée portait une magnifique robe de satin ivoire finement brodée d'argent, dont la traîne était ornée des lys des Bourbon, bordée de guirlande de myrte et garnie en son milieu d'un véritable bouquet de myrte odoriférant (la robe a été donnée à la chapelle du château de Schwarzau pour en faire des habits sacerdotaux que l’on peut encore voir). Au devant, des dentelles de Valenciennes étaient disposées en larges volants. Une délicate couronne de myrte ornait les cheveux que couvrait le long voile de la mariée, tombant sur la traîne et retenu par le magnifique diadème offert par François-Joseph.
Charles prit place devant le prie-Dieu. Zita le rejoignit. La messe servie par Gaétan et Louis, les deux plus jeunes frères de Zita, pouvait commencer.
L’empereur François-Joseph, avait à sa droite, debout l’archiduchesse Marie-Thérèse et l'archiduc Franz Ferdinand. Dans la première rangée (de gauche à droite) la mère de l'époux, l'archiduchesse Maria Josefa, puis par la mère de la mariée, la duchesse Maria Antonia de Parme, et Alfonso de Bourbon, duc de Madrid. (Photo ci-dessous)
Dans la Chapelle
Emus, Charles et Zita échangèrent quelques brefs regards quand arriva l'instant solennel de la célébration.
- Charles François-Joseph consentez-vous à prendre pour épouse Zita, Marie des Neiges..., ici présente ?
- Oui répondit Charles à voix basse, très ému.
- Zita, Marie des Neiges... consentez-vous à prendre pour époux Charles François-Joseph ici présent ?
- Oui, répondit Zita, à voix si forte qu'elle se fit entendre jusqu'au fond de la petite chapelle.
Après un moment d'étonnement, un léger sourire se répandit dans la petite nef, allégeant la charge d'émotion trop forte.
Les deux nouveaux mariés échangèrent leurs anneaux. Charles y avait fait graver leurs noms « Charles d'Autriche - Zita de Bourbon-Parme ».
L’échange des consentements
- Franz pourrait s'asseoir, glissa Maria-Teresa dans l'oreille de sa sœur Maria-Antonia.
Les deux femmes commençaient à ressentir un peu de fatigue. Mais même à l'église, le protocole impérial s'imposait. François-Joseph restait debout, parfois agenouillé en même temps que les mariés. Tous se devaient de le suivre.
La cérémonie s'achevait. Le cardinal Bisletti donna au jeune couple la bénédiction du pape Pie X.
- Que le Seigneur accorde toutes ses grâces aux futurs souverains de la bienheureuse Autriche, conclut le prélat.
Un nouveau murmure emplit la chapelle. François-Ferdinand eut un mouvement d'énervement qui n'échappa à personne. Chacun connaissait sa susceptibilité et craignait un esclandre.
La duchesse de Hohenberg, en posant la main sur le bras de son mari, le calma aussitôt. François-Joseph, abîmé dans ses pensées, ne sembla rien remarquer. Le vœu bien innocent du prélat n'avait pas dû lui déplaire, car que souhaiter de mieux à l'Autriche qu'une jeune impératrice, digne de succéder à sa chère Sissi ? Et Charles lui-même, n'était-il pas pour lui l'héritier idéal, au lieu de ce turbulent François-Ferdinand, toujours prêt à le contredire ?
L'orgue tonnait à nouveau. Zita, radieuse, se tourna vers Charles qui lui tendit son bras. Elle fit la révérence à François-Joseph en lui adressant son plus beau sourire. Encore ému, il écrasa une larme au coin de l'œil. Puis le jeune couple descendit la courte allée de la chapelle, suivi de l'Empereur donnant le bras à la duchesse de Parme, du duc de Madrid avec l'archiduchesse Maria-Josefa, et du roi de Saxe et François-Ferdinand.
Toute la noce, de la manière la plus bourgeoise qui soit, sortit du château, gagna la façade sud au pied de la terrasse et s'installa devant l'objectif du photographe. Puis le groupe se dispersa et chacun fit quelques pas. Quand Sophie de Hohenberg s'approcha de Zita pour la féliciter et l'embrasser, elle esquissa une révérence que Zita arrêta tout de suite.
- Non, tante Sophie, pas de révérence entre nous, lui murmura-t-elle à l'oreille en l'embrassant.
Charles, apercevant la scène, se rapprocha de Zita.
- Merci, ma chérie, murmura-t-il à son tour. Zita lui renvoya son plus beau sourire.
Le cortège se reforma pour entrer dans la maison et gagner la salle à manger, nouvellement décorée pour la circonstance, dans un style moderne tranchant avec l'aménagement de tout le reste du château.
Il était une heure de l'après-midi ; le soleil inondait la pièce, mettant en valeur le portait du Roi Louis XIV, leur Grand Ancêtre commun à tous.
La salle à manger du château de Schwarzau la veille du mariage
Les invités se répartirent entre les quatre tables entourant la table des mariés, placée au centre ; chacune était abondamment fleurie, en son milieu, de pyramides de rosés et de dahlias blancs.
La table d’honneur pour le dîner de la veille du mariage
L'archiduc Frédéric et l'archiduchesse Isabelle, trop lointains par le sang et par le cœur, n'étaient pas de la noce. Personne ne s'en plaignait.
Zita s'installa avec François-Joseph à sa droite et Charles à sa gauche. Les autres se placèrent suivant le protocole rigoureux de la Cour, ce qui était le mieux pour éviter de froisser qui que ce soit.
Le repas servi dans la vaisselle d'or des Parme fut relativement frugal, ne comportant que deux viandes et un crustacé. Les conversations allaient bon train.
- Si tu savais ce que Zita m'a dit quand je l'ai conduite à l'autel, dit le duc de Madrid à sa voisine, l'archiduchesse Maria-Annunziata.
- Tu m'en vois fort curieuse, lui répliqua-t-elle
- « Tu vois, Jaime, tu me conduis à l'autel comme tu l'avais souhaité. » répéta le prince avec humour.
Maria-Annunziata éclata de rire. Son autre voisin lui demanda la raison de son hilarité. Elle ne sut si elle devait répéter ou non la gentille moquerie de sa cousine. Elle choisit d'éluder, d'autant que cette conversation la gênait un peu. Don Jaime ne savait sans doute pas que, s'ils étaient tous là autour de Charles et de Zita aujourd'hui, c'était grâce à elle et à sa mère, Maria-Teresa. Elle espérait que son cousin n'apprît jamais le complot qu'elles avaient fomenté pour décider Charles à se prononcer.
- Je ne regrette rien, pensait-elle, en jetant un regard vers Charles puis vers son cousin. Puis, jetant de nouveau un regard vers une Zita rayonnante, elle se redit à elle-même : "nous avons très bien fait".
De son côté, François-Joseph ne boudait pas son plaisir. Tout lui convenait : l'excellence de la chère, la qualité des vins, la beauté du lieu. Mais son véritable plaisir était de voir sa proche famille réunie dans l'harmonie et la bonne humeur. Pour une fois, il n'expédia pas le repas. Il goûtait le bonheur de les voir tous autour de lui et semblait vouloir le prolonger.
Il se leva et le silence se fit dans l'assemblée.
- Ce mariage qui nous réjouit tous m'est une grande joie et me satisfait au plus haut point, commença l'Empereur ; l'archiduc Charles a choisi la princesse Zita comme compagne de sa vie. Je le félicite pour le choix de son cœur et accueille avec une joie profonde l'archiduchesse Zita comme membre de ma Maison.
Charles baisa galamment la main de Zita, qu'il tenait dans la sienne depuis que le toast avait commencé.
Puis, se tournant vers la duchesse de Parme, l'Empereur reprit :
- Je remercie Votre Majesté Royale, Madame la duchesse, pour le splendide accueil que vous nous faites aujourd'hui.
En remerciement, la duchesse inclina la tête avec grâce. François-Joseph continua :
- Que Dieu protège l'archiduc Charles et l'archiduchesse Zita. Vivent les mariés !
L'ensemble des convives applaudit le discours de l'Empereur. Certains même osèrent des vivats. Mais François-Joseph était trop heureux ce jour pour s'en formaliser.
Sophie et François-Ferdinand échangèrent un long regard.
Comme dans toutes les noces, le Maestro Dostal, Maître de Chapelle de la Cour, joua "La Marche nuptiale" de Mendelssohn, pour le plus grand plaisir de tous et surtout des enfants, pour qui cet hymne présentait l'avantage d'être connu, puis la "Zita Walzer" qu'il avait composé pour la circonstance. Puis ce furent des valses de Lehar et de Strauss, de la vraie musique de noces.
Le repas terminé, ils se retrouvèrent, tous, à admirer les cadeaux de mariage qui trônaient dans deux vastes salons attenants : diadème en diamant, collier de perles à vingt-deux rangs, statues en bronze, un canari, une planète nouvellement découverte et dénommée
"Zita" et mille autres objets pittoresques ou somptueux.
Les pelouses devant le château furent envahies par la population qui était restée jusqu'à ce moment massée devant les grilles. La noce traversa à nouveau la bibliothèque pour gagner la grande galerie du premier étage, qui occupait toute l'aile sud du château. De là elle accéda à la terrasse du premier étage, dont les piliers de fonte, entourés de glycines fleuries, supportaient un auvent en cuivre verdi par le temps.
Les mariés, l’empereur et la duchesse de Parme
La foule devant le château
La foule réclamait son Empereur. Elle avait envahi le « jardin de palmiers », qui s'étendait sous la terrasse et dans lequel s'épanouissaient, entre autres, des bananiers, incongrus dans cette partie de l'Europe. Elle lui fit une ovation quand il apparut. François-Joseph fit signe à Charles et à Zita de le rejoindre. L'ovation reprit de plus belle. Ensuite ce fut toute la noce qui se présenta. Le photographe était encore là pour immortaliser le moment.
Au balcon
Tout le monde à Schwarzau connaissait la petite princesse. Que de fois ne l'avait-on vue, avec la princesse Franziska, portant des paniers de provisions et de médicaments pour les plus pauvres ? Que de chemises ou de vêtements de laine, cousus ou reprisés par elles, n'avait-on porté et ne portait-on pas encore ?
Bien sûr, tous connaissaient Charles, qu'ils avaient vu en photo ou traversant les rues du village. Mais c'était leur Zita qui se mariait aujourd’hui.
L'ovation ne se divisait pas. Elle était non seulement pour les trois héros de la fête, mais aussi pour les deux dynasties, les Bourbon de Parme qui avaient si bien su s'intégrer à eux et les Habsbourg, sous la houlette desquels il avait toujours fait bon vivre.
Personne n'ignorait la maxime de la Maison Impériale : « Quand les autres font la guerre, toi heureuse Autriche tu te maries. »
Les invités au mariage
Sont assis au premier rang à côté des mariés, l’archiduchesse Maria Josefa, la mère du marié, juste à côté de l’empereur Franz Joseph, Maria Antonia duchesse de Parme, la mère Zita, avec ses enfants Henrietta et Gaëtan, le roi Friedrich Auguste III de Saxe, le frère de l’ archiduchesse Marie Josefa et oncle de Charles, l'archiduchesse Marie-Valérie, la plus jeune fille de l'empereur François-Joseph et l'archiduchesse Marie-Thérèse, la troisième épouse de l'archiduc Karl Ludwig, belle-grand-mère de Charles et tante de Zita. Mais la fête finissait et François-Joseph donna le signal de départ.