1500 kilomètres à travers l’Europe
Le voyage dont le but ultime est Vienne s’effectue en France en traversant les villes de Provins, de Troyes, de Dijon. A chaque étape on lui rend les honneurs. Le cortège comprend vingt-quatre voitures. Puis c’est Bâle en Suisse, Zurich et le lac de Constance. En Autriche, ils passent par Innsbrück dont les habitants illuminent et détellent la voiture de Marie-Louise. Ce sera ensuite Moelk et son abbaye puis Saint-Pölten.
Ont accompagné l’impératrice Mesdames de Montebello, de Montesquiou et de Brignole. Le roi de Rome a dans sa voiture Madame de Montesquiou, Madame Soufflot, sa fille, Fanny, et sa berceuse, Madame Marchand, mère du valet de chambre de Napoléon.
Madame Soufflot, dont le mari était le neveu de l’architecte du Panthéon, avait été choisie par Madame de Montesquiou pour être la sous-gouvernante de l’enfant-roi. Fanny, sa fille a 16 ans. Elle avait joué à St Cloud avec Napoléon François qui avait écrit “qu’il l’aimait de tout son cœur”.
La Cour d’honneur de Schönbrunn
Partis le 23 avril, le convoi arriva le 21 mai à Schœnbrunn ( Il faut aujourd’hui 15 heures ). Les Viennois sont massés le long du parcours pour l’accueillir. On crie en apercevant le bel enfant “Vive le prince de Parme”. On lui baise les mains.
La famille impériale était au complet pour les recevoir. Marie-Louise retrouve ses frères et soeurs, ses oncles et tantes qui la mènent à ses appartement. Le nouveau prince de Parme est mené dans les siens par Maman Quiou.
Quelle famille l’ancien roi de Rome trouve-t-il à son arrivée à Vienne ?
Il y a son grand-père, l’empereur, la troisième épouse, et cousine germaine, de ce dernier, Marie-Ludovica, née archiduchesse d’Autriche-Modène, ennemie acharnée des Français. Elle mourra de tuberculose deux ans après, en avril 1816.
François Ier par Friedrich von Amerling
Impératrice Marie-Ludovica par Johann Baptist von Lampi
Il y a ses oncles et tantes
Ferdinand Ier, futur empereur, est considéré comme débile. Il sera toujours présent pour son neveu, qu’il essaiera de divertir dans ses moments de tristesse en faisant le pitre.
Archiduc Ferdinand
Marie-Léopoldine va bientôt partir pour devenir impératrice du Brésil.
Archiduchesse Marie-Léopoldine par Joseph Kreutzinger
Archiduchesse Marie-Clémentine par Johann Peter Krafft
Marie-Clémentine va bientôt devenir princesse de Salerne, en épousant le fils du roi de Naples, son cousin, et jusqu’au mariage de sa fille avec le duc d’Aumale habitera Vienne.
Archiduchesse Marie-Caroline par Natale Schiavoni
Marie-Caroline sera bientôt reine de Saxe. François-Charles est très proche de son neveu et continuera de l’être après son mariage avec Sophie de Bavière. Marie-Anne est la petite dernière, débile comme son frère aîné.
Archiduc François-Charles
Ses oncles et tantes sont respectivement, Ferdinand, 21 ans, Marie-Léopoldine, 17 ans, Marie-Clémentine, 16 ans, Marie-Caroline 13 ans, François-Charles, 12 ans et Marie-Anne, 10 ans. Celui qui désormais sera Franz pour eux tous n’a pas encore quatre ans.
Il y avait aussi ses grands-oncles et grands-tantes habitant Vienne de façon permanente ou momentanée.
Ferdinand III, grand-duc de Toscane
Ferdinand III, grand-duc de Toscane, âgé de 45 ans, attendant d’être rétabli sur son trône. Il était veuf de la princesse Marie-Louise de Bourbon de Naples.
Charles-Louis, duc de Teschen par Georg Decker
Charles-Louis, âgé de 43ans, duc de Teschen, fut le vainqueur de Napoléon à la bataille d’Aspern. Il allait épouser l’année suivante la princess Henriette de Nassau-Weilburg.
Archiduc Joseph, palatin de Hongrie
Joseph, âgé de 38 ans, palatin de Hongrie, se partageait entre Vienne et Budapest. Veuf de la grande-duchesse Maria de Russie, il allait épouser l’année suivante la princesse Hermine d’Anhalt-Bernburg-Schaumburg-Hoym qui mourra en 1817.
Archiduc Antoine
Antoine, ancien prince-archevêque électeur de Cologne et de Munster était grand-maître de l’ordre teutonique. Il deviendra vice-roi du Royaume de Lombardie- Vénétie.
Archiduc Jean
Jean-Baptiste, âgé de 32 ans, est considéré comme l’intelligence de la famille, pas encore marié avec Anna Plochl, future comtesse de Méran, fille d’un maître de poste.
Archiduc Rainier
Rainier, âgé de 31ans, n’était pas encore vice-roi d’Italie. Il épousera en 1820 la princesse Elisabeth de Savoie-Carignan, fille de Charles-Emmanuel de Savoie, prince de Carignan et de Marie-Christine de Saxe.
Archiduc Louis
Louis, âgé de 30 ans, est officier général, célibataire. A la mort de l’empereur, il dirigera le conseil chargé d’aider le nouvel empereur.
Archiduc Rodolphe
Le dernier est Rodolphe, âgé de 26 ans. Il est déjà archevêque-coadjuteur d’Olmütz et, après avoir été l’élève de Beethoven, il a été son bienfaiteur et ami.
Tel était l’entourage familial immédiat du jeune prince qui l’adopta et l’aima dès le premier jour. Et il le leur rendit tout au long de sa vie.
Le jeune Franz connut aussi, pour peu de temps, en septembre 1814, son arrière grand-mère, Marie-Caroline, reine de Naples et sœur chérie de Marie-Antoinette. Elle n’avait jamais pardonné sa mort à la France. Elle haïssait Napoléon qui l’avait chassée de son trône de Naples.
Marie-Caroline, reine de Naples par Elisabeth Vigée-Lebrun
L’empereur déchu, elle modéra sa vue sur lui et se mit à l’admirer. Elle était venue à Vienne pour défendre ses droits au Congrès.
Elle n’admettait pas que sa petite-fille, Marie-Louise, ait été séparée de son mari. Elle lui reprochait de ne pas avoir tenté de s’évader de Vienne pour le retrouver. Elle a aimé Franz, oubliant les griefs qu’elle avait contre son père.
Mis à part son arrière grand-mère, Franz vécut toute sa vie entouré des oncles, tantes, grand-oncles et grand-tantes Habsbourg-Lorraine et leurs conjoints, et de bien entendu de son grand-père l’empereur qui l’adorait. Ils étaient sa famille, sa seule famille car il ne connaissait pas, ne pouvait pas connaître sa famille corse. Il y eut une exception. Sa tante Caroline Murat, très proche de Metternich, s’installa à Vienne en septembre 1815, puis en 1817, à Froshdorf, future résidence du comte de Chambord.
Caroline Murat, l’autre reine de Naples, en 1814 par Ingres
Il est fort peu probable que le prince ait été autorisé à la voir et qu’elle ait demandé à le voir. Quant à sa grand-mère Letizia Bonaparte, installée à Rome sous la protection du pape, pensait-elle seulement à l’enfant, que de toutes façons elle ne pouvait pas voir ?
Napoléon avait voulu donner à sa descendance le sang d’Autriche. Il y avait réussi au-delà de toute espérance. Le jeune prince français allait devenir rapidement un prince autrichien.
Mais il y eut avant cette transformation quelques épisodes douloureux. Sa mère l’abandonna, presque volontairement. Elle souhaitait vivre dans l’indépendance de Vienne, sur ses Etats de Parme, avec les hommes qu’elle avait choisis. Pour sa défense, il faut dire qu’elle n’avait pas d'alternative. Elle était gênante à Vienne où on ne savait comment traiter une archiduchesse d’Autriche qui avait été Majesté Impériale en France et était devenue Altesse Royale d’un minuscule état italien. Quant à son fils, selon l’expression connue, il était prisonnier de l’Europe. On ne lui permit jamais d’aller trouver sa mère qui, toutefois, venait parfois à Vienne. Dès le mois d’août, Marie-Louise partit prendre les eaux à Aix en Savoie. Sa santé l’imposait. On lui adjoint un officier qui porte un bandeau sur l’œil.
Neipperg
Il ne lui est pas très sympathique ce comte de Neipperg que Metternich lui impose. Il a 39 ans, plutôt bel homme, élégant dans ses manières et dans son uniforme. Il plait aux femmes et a une quantité de maîtresses un peu partout en Europe. Il est encore marié à Thérèse, comtesse Thurn-Valsassina, qui eut le bon goût de mourir en 1815. Ils ont quatre enfants.
Le but véritable de la mission est de tout faire pour empêcher Marie-Louise de rejoindre Napoléon exilé à l’île d’Elbe. Neipperg, qui a parfaitement compris, dit en partant : « Dans six semaines, je serai son meilleur ami et dans six mois son amant ». Il ne fallut pas si longtemps : au retour, Marie-Louise tombe dans ses bras et il n'est plus question de l'île d'Elbe.
On connait la suite. Nous le retrouverons, lui et ses enfants, dans la vie de Franz.
Madame de Montesquiou, qui pressent l’attirance de Marie-Louise pour Neipperg, est horrifiée. Elle n’a jamais été bonapartiste, elle n’avait que peu d’estime pour Marie-Louise. Mais là, c’est trop pour la femme d’honneur et de devoir qu’elle a toujours été. Elle écrit à une amie : “J’ai vu et je vois encore tous les jours des choses bien pénibles…” Mais elle aime l’enfant qui lui a été confié à sa naissance et fait tout pour l’entourer de sa tendresse. Elle se lève tôt pour lui faire faire ses prières, dans lesquelles son père n’est pas oublié. Elle sait tempérer son tempérament parfois capricieux. Il y a bien mille raisons pour qu’il l’appelle “Maman Quiou.”
“Le 20 mars 1815, anniversaire du jeune prince, Mme de Montesquiou lui apprit qu'il avait quatre ans et lui demanda depuis combien de temps il l'aimait. — Depuis quatre ans dit l'enfant, et il ajouta, je vous aimerai toute ma vie. » A ce moment, le grand chambellan, le comte d'Urban fut annoncé. La gouvernante crut sa visite motivée par l'anniversaire du prince. Après quelques instants, le comte déclara d'un air embarrassé qu'il désirait entretenir la comtesse de Montesquiou en particulier.
— Madame, dit-il, mon maître m'a chargé de vous dire que les circonstances politiques le forcent à faire des changements dans l'éducation de son petit-fils. Il vous remercie des soins que vous lui avez donnés et vous prie de partir sur le champ pour Paris.
Bouleversée par ces paroles, Mme de Montesquiou exigea que le docteur Freud, médecin de l'enfant, l'examinât et qu'il délivrât un certificat prouvant que son élève était en parfaite santé au moment où elle le quittait. Puis, elle attendit pour quitter l'enfant qu'il fût endormi ; elle l'embrassa plusieurs fois et attacha à son lit, un petit crucifix, qu'il avait souvent désiré. Les jours suivants, l'empereur d'Autriche fit ajourner le départ. On assigna à la comtesse de Montesquiou un appartement à Vienne, à la Plankengasse, où elle demeura quelques mois avec son fils Anatole.” rapporte Fanny Soufflot dans ses Mémoires.
Le départ de Madame de Montesquiou fut un véritable déchirement pour l’enfant, qui ne pouvait en comprendre les raisons. Le retour de Napoléon est la principale cause de ce renvoi. L’entourage français doit être éliminé pour faire de lui un prince uniquement autrichien. Pendant deux jours Franz crie, pleure, se désole. Il refuse de manger, de jouer, il la réclame sans cesse. Pour l’apaiser on lui dit qu’elle va revenir. Madame Soufflot, Fanny et Madame Marchand sont encore là. On leur a adjoint la comtesse Mitrovsky, dont le rôle est de rapporter ce qui se passe autour de l’enfant. Le service masculin est remplacé par un service autrichien.
Le baron de Méneval
Méneval, qui avec le général Caffarelli et le baron de Bausset, préfet du palais impérial, avait accompagné Marie-Louise et l’enfant, est prié de partir. Au service de Napoléon depuis 1802, baron d’Empire, âgé de 37 ans, il pleura en quittant celui qui pour lui était encore le roi de Rome. En lui disant adieu, il ajouta “Je vais revoir votre père, avez-vous quelque chose à lui dire ?” L'Aiglon lui répondit avec tristesse : “Monsieur Méva, vous lui direz que je l'aime toujours bien”. Méneval refusa toujours de servir les Bourbons et les Orléans.
Napoléon était, bien entendu, tenu au courant de ce qui se passait à Vienne. Il avait compris que son fils ne lui serait jamais rendu. Il a aussi compris qui était devenue Marie-Louise. Elle avait reçu le paiement de son abandon, le 27 mai 1815, par la confirmation de l’attribution des duchés de Parme, Plaisance et Guastalla. Elle en est satisfaite, bien que tout droit à succession soit refusé à son fils, car le duché doit revenir aux Bourbons à sa mort. La défaite de son époux à Waterloo, le 18 juin 1815, ne pouvait que la combler car elle avait abandonné toute idée de retour en France. Il faut dire qu’elle sera une bonne duchesse de Parme, attentive et appréciée de ses sujets.
Il y a encore autour du jeune prince, Madame Soufflot, qu’il appelle Toto, Fanny, et Madame Marchand, qu’il appelle Chanchan.
Le 30 juin 1815, Metternich, sans même l’avis de Marie-Louise, nomme le comte Maurice Dietrichstein-Proskau-Leslie, gouverneur de l’enfant.
Le comte Maurice Dietrichstein
Le comte Maurice Dietrichstein (1775-1864) appartenait à l’une des familles princières les plus riches de l’Empire d’Autriche. Marié et père de trois enfants, il n’avait accepté ce poste que parce que l’Empereur François le lui avait expressément demandé. Sa fidélité a été récompensée par la découverte d’un jeune homme intelligent et attachant, à la mémoire duquel il sut plus tard rendre hommage. Le jeune enfant, devenu duc de Reichstadt, avait pour lui admiration et attachement. Son sentiment envers son pupille évolua.
Son premier acte fut de demander le renvoi des Mesdames Soufflot et Marchand, dont les propos, selon lui, ne convenaient pas à l’éducation qu’il entendait donner. Sa mission était d’en faire un prince allemand. Il écrivit à Marie-Louise : “ Il est nécessaire d’écarter du prince tout ce qui peut lui rappeler l’existence qu’il a menée…avant tout, il ne faut pas qu’on lui inculque des idées exagérées sur les qualités d’un peuple auquel il ne doit plus appartenir…il me semble que le prince, dont on m’a fait l’honneur de me confier l’éducation, doit être considéré comme un descendant d’Autrichien et élevé à l’allemande…Tout ceci est impossible si l’on n’éloigne résolument son entourage féminin” (J. de Bourgogne - Papiers intimes et journal du duc de Reichstadt).
Marie-Louise vers 1816
“Le 19 octobre, Marie-Louise écrivit à Mme Soufflot la lettre suivante. « Madame, les, circonstances m'obligent à mettre mon fils dans les mains des hommes, je ne veux pas vous laisser partir, Madame, sans vous assurer de toute la reconnaissance que je vous ai vouée pour toutes les peines que vous vous êtes donné (sic) pour la première éducation de mon fils qui a si complètement réussi au gré de mes désirs. Je désirerais vous procurer de loin comme de près, toute ma satisfaction, et je vous prie de croire que je serais heureuse de trouver une occasion pour vous le prouver. Croyez à tous les sentiments de considération avec lesquels je serai toujours, Votre très affectionnée Marie-Louise. » Le 28, l'impératrice écrivait à son père : « Mme Soufflot est partie mercredi de bonne heure. Des deux côtés il a coûté énormément des larmes. Mais j'ai loué sur ce point mon petit, car je ne vise que cela de développer son bon coeur de plus en plus. » C'est en effet le 24 octobre 1815, que la chancellerie avait remis à Mme Soufflot et à sa fille Fanny, l'autorisation d'utiliser les chevaux du service des postes.” ( Mémoires de Fanny Soufflot)
Le prince au moment de la séparation, le 20 octobre, donne à Fanny tout ce qu’il a de plus précieux, son petit fusil, son cimeterre de Mameluk, ses décorations, ses médailles. Ils étouffent tous de sanglots car ils savent tous qu’ils ne se reverront plus.
Marie-Louise de son côté offrit une miniature du jeune prince par Isabey, une tabatière garnie de diamants, un cachet d'or aux armes de Bonaparte et des Habsbourg-Lorraine, une montre entourée de perles avec couronne de lauriers, chiffrée d'une couronne impériale . A Fanny, elle offrit une bague représentant d'un côté le profil du roi de Rome et de l'autre le double profil de l'empereur et de l'impératrice ; le hochet en corail du petit roi, don de la reine Caroline, au jour de sa naissance, ainsi que sa crécelle en bois de tulipier et d'ébène ; le jeu de lettres en ivoire avec lequel le petit roi avait appris à lire avec Mme Soufflot, son chrémeau de baptême en dentelles au chiffre impérial.
Hochet du roi de Rome en corail et vermeil
Madame Lefèvre-Portalis, descendante de Fanny Soufflot écrivit : “Mon arrière grand-mère pouvait encore montrer à ses petits-enfants un charmant costume en nankin avec décoration, une robe de dentelle, sa croix de la Légion d'honneur, sa cave à liqueurs en cristal décoré or, le petit fusil finement gravé et fabriqué par Bürdet, une épée sculptée et une giberne. Enfin quantité de jouets donnés à elle-même par le jeune roi : son tambour, une dînette, un jeu de patience, une toupie, des soldats de plomb, etc.. “
Ces objets sont restés longtemps en possession de la famille Soufflot. Peut-être sont-ils toujours entre les mains de leurs descendants ? Sinon, que sont-ils devenus ?
Il reste Madame Marchand, que l’on juge inoffensive. La berceuse veillait l’enfant, lui chantait des de vielles chansons, l’habillait. Il l’appelait Chanchan. Il la tyrannisait un peu, puis l’embrassait. On considéra qu’elle aussi ravivait trop le souvenir de son père. Le 27 février 1816, elle lui fit dire sa prière, le coucha et l’embrassa pour la dernière fois et partit. Elle n’avait pas eu le courage de dire adieu à “son petit chéri”. A son réveil, quand Franz trouva Mr de Foresti, son sous-gouverneur au pied de son lit et qu’il vit le lit de Chanchan vide, il comprit tout de suite. Il dit alors tout simplement “ Monsieur de Foresti, je voudrais me lever”. Il n’ya plus rien ni personne de français autour de lui.
Jean-Baptiste de Foresti, ancien officier, froid, distant, avec une instruction moyenne était sans finesse. Il ne comprit pas le désarroi de l’enfant qui lui était confié.
Le comte Maurice Dietrichstein exigea qu’on ne parle plus qu’en allemand. Mais le 17 juin 1816, Dietrichstein rapporta à Marie-Louise que l’enfant trépignait et criait : “Je ne veux pas être un allemand, je veux être un français”.
Mais il lui fallait être un Habsbourg, pour son bonheur pensaient ses maîtres. Et devant les réticences de l’enfant, Marie-Louise intervint : “ Tu dois écouter ces messieurs et parler allemand. Sinon ton grand-papa ne voudra plus te voir.” C’était un chantage odieux car l’empereur François commençait à représenter beaucoup pour Franz.
François d’Autriche avait fondu devant le petit garçon, aux lourdes boucles blondes, qui lui avait été laissé par sa mère, comme un dépôt, en ce jour de mai 1814. Il avait aimé tout de suite ce premier petit-fils. Il l’avait aimé non parce qu’il était abandonné, mais tout simplement parce que l’enfant était aimable et aimant. L’enfant venait passer des heures à ses côtés, à jouer dans un coin de son bureau, pendant que, lui, l’empereur veillait aux affaires de l’Europe, il venait partager ses repas, assis comme un grand en face de lui. Il le prenait sur les genoux pour lui raconter les histoires que tous les grands-pères du monde aiment à raconter à leurs petits-enfants. Il le consolait de ses chagrins d’enfant.
Bureau de l'empereur François à la Hofburg
Il l’embarrassait parfois avec ses questions.
“- Bon-Papa, n’est-il pas vrai que quand j’étais à Paris j’avais des pages ?
- Oui, je crois que tu avais des pages.
- N’est-il pas vrai aussi que l’on m’appelait le roi de Rome ?
- Oui, on t’appelait le roi de Rome.
- Mais Bon-Papa, qu’est-ce donc qu’être roi de Rome ?
- Quand tu seras plus âgé, il me sera plus facile de t’expliquer ce que tu me demandes. Pour le moment, je te dirais qu’à mon titre d’empereur d’Autriche, je joins celui de roi de Jerusalem, sans avoir aucun pouvoir sur cette ville. Et bien, tu étais roi de Rome comme je suis roi de Jerusalem.” ( Dans Octave Aubry - Le Roi de Rome )
L'empereur François à sa table de travail
Le petit Franz avait toujours su qui était son père. Mais quand, enfant, il demanda s’il était un bien grand criminel pour être gardé en prison, l’empereur, en accord avec Marie-Louise et Dietrichstein avait décidé qu’on lui parlerait le moins possible de Napoléon. Et, si cela devait se faire, en aucun cas, aucune parole injurieuse ne devait être proféré contre l’ancien empereur des Français. François d’Autriche avait au fond de lui conservé une grande admiration pour son ennemi d’antan. Et cela n’avait été que contraint qu’il avait dû reprendre les armes contre lui. En Europe, le véritable ennemi de Napoléon était l’Angleterre. En Autriche, c’était le peuple lui-même qui lui en voulait beaucoup plus que la famille impériale d’avoir, par deux fois, occupé leur ville, s’y comportant en occupant mal élevé. Les rapports de police qui remontaient jusqu’à l’Empereur, étaient significatifs. Certains dans le peuple et la bourgeoisie, à Vienne, traitaient Franz de bâtard, et auraient même voulu voir annuler le mariage de Marie-Louise. Personne au sein de la Famille Impériale, à la Cour ni dans l’aristocratie n’aurait pensé ainsi de l’enfant.
Quand le petit prince avait appris la mort de son père, en 1821, il avait beaucoup pleuré. Et le grand-père, impuissant devant ce chagrin, n’avait pu le consoler. Personne n’aurait pu le faire et personne de l’avait fait. Tous, oncles et tantes, cousins et cousines ont compati au chagrin de l’enfant. Et lui, n’en voulut pas à sa famille autrichienne, ne reprocha jamais à son grand-père d’avoir été le vainqueur de son père et pardonna à sa mère les erreurs d’une vie agitée. Un seul homme était à ses yeux responsable de tout, le chancelier Prince de Metternich.
L’éducation habsbourgeoise qui sera donné au prince réussira au-delà de toute espérance.
Le duc de Reichstadt représenté en petit jardinier en 1815
par Carl von Sales
château de Schönbrunn.