08/07/2018

Marie, reine des Deux-Siciles, Quatrième partie




Marie Sophie

1848 - A l’Europe de la Saint-Alliance issue du Congrès de Vienne en 1814, l’Europe des Princes, et imposée par le chancelier Metternich, succéda l’Europe des Nations. Ce fut l’année du Printemps de Peuples. En l’espace de quelques mois, des révolutions éclatant un peu partout changèrent la donne.

Tout d’abord à Paris, Louis-Philippe, qui avait succédé à Charles X en 1830, fut renversé. Puis ce furent en Italie, Palerme, Naples, Milan, Florence qui virent la remise en cause de leurs souverains, tous liés au système autrichien et aux Habsbourg par mille liens familiaux. 


Metternich
A Vienne, Metternich dut s’enfuir sous les quolibets de la foule, lâché par la famille impériale qui, à son tour dut quitter sa capitale. En Hongrie, la République est proclamée par Kossuth, après la déchéance de la dynastie. La Pologne se révolta également contre l’autorité du Tsar. 

Ces mouvements, profonds dans leur idéaux, ne durèrent pas et la répression fut sévère dans tous les états qui finirent par rétablir les dynasties sur leurs trônes. François-Joseph succéda à Ferdinand en Autriche, la répression s’abattit sur la Hongrie. Dans les Deux-Siciles Ferdinand II retrouva un trône perdu fort peu de temps. La répression s’abattit sur Palerme et sur Messine. En France, la royauté fut abolie au profit de la République, dont le nouveau président, Louis-Napoléon Bonaparte, devint rapidement empereur.



L’Italie en mars 1860

Le calme revenu dans les états de Naples et de Sicile n’empêche pas le développement des idées nouvelles ailleurs dans la péninsule. L’idée nationale se développe autour de l’antique dynastie des Savoie, qui règne sur les royaumes de Piémont et de Sardaigne. 

Si l’histoire de Marie Sophie, et son destin, sont intimement liés à ce mouvement, il serait trop long d’exposer ici l’histoire de l’Unité italienne, faite grâce à Napoléon III au profit du Royaume de Piémont-Sardaigne et aux dépens de l’Autriche, des Etats Pontificaux et des Bourbons des Deux-Siciles. 

En 1860, toutefois, la situation à Naples n’est pas encore défavorable aux Bourbons. François II a rejeté les offres de Cavour et Marie Sophie peut être la reine incontestée des Deux-Siciles, rôle auquel elle s’est merveilleusement adaptée. Contrairement à sa soeur Elisabeth, la vie de cour et ses contraintes ne lui pèsent pas. Elisabeth ne voulait pas devenir impératrice, Marie Sophie a voulu être reine des Deux-Siciles. 

C’était sans compter avec l’esprit du siècle qui refusait désormais l’idée de monarchie absolue. L’empire français lui-même d’autoritaire devenait libéral. Et dans l’ombre italienne guettait un personnage fort connu en Europe et en Amérique depuis 1830, Giuseppe Garibaldi (1807-1882). Pour lui aussi, il est impossible de s’étendre sur sa vie dans cet article. 

Garibaldi à Palerme en 1860

En 1860, le républicain convaincu, qu’il était, avait accepté l’idée que l’unité italienne, son idée majeure, ne pouvait passer que par l’acceptation de la monarchie des Savoie, étendue à toute la péninsule, idée à laquelle Cavour n’était pas encore totalement favorable. Cavour et Garibaldi se sont bien trouvés sur le plan de l’opportunisme politique. Les divergences qu’ils pouvaient avoir quant à la forme de l’état, monarchie ou république, s’effaçaient devant leur idée commune d’une Italie unifiée. Et Cavour, une fois convaincu, sut parfaitement utiliser les capacités de Garibaldi à réaliser ce rêve, quitte ensuite à le renvoyer dans ses foyers. Et ce qui arriva.

Garibaldi avait dès le début des hostilités entre le Piémont et la France d’un côté et l’Autriche de l’autre, organisé un corps de volontaires, qui, le 28 mai 1859, battirent les Autrichiens à Varese. Les troupes franco-piémontaises, de leur côté, battirent les Autrichiens à Magenta le 4 juin 1859 et à Solférino le 24 juin, après être entrés dans Milan, capitale du royaume lombardo-vénitien, le 7 juin. 

Ces victoires successives mirent en fuite le grand-duc de Toscane, le duc de Parme et le duc de Modène. A la suite de plébiscites, leurs états, y compris la Romagne, état pontifical, et une partie de la Lombardie se réunirent au royaume de Sardaigne.

Elles donnaient un sens aux paroles de Metternich, « L'Italie est comme un artichaut qu'il faut manger feuille à feuille» mais pas comme il l’avait espéré. 

Garibaldi prit alors la décision qu’il fallait unir à l’Italie naissante le royaume des Deux-Siciles qui constituait la partie géographique et politique la plus importante de la péninsule.

Il rassembla mille volontaires qui partageaient ses vues, les fameux “Mille” avec leur chemises rouges. Venus de Gênes, ils débarquèrent à Marsala, le 11 mai 1860, pour porter secours aux insurgés de Messine et de Palerme. Parmi les Mille, on comptait 46 napolitains et une cinquante de Siciliens, mais aussi quelques étrangers parmi lesquels des Anglais. 

Embarquement des Mille à Gênes

L’essentiel de la troupe était originaire de Gênes, Bergame, Brescia et Pavie. C’était une arme improbable composée de 150 avocats, 100 étudiants en médecine, des commerçants, de ingénieurs, des propriétaires terriens. Leur armement dans son ensemble était ancien, voire obsolètes. Seuls 200 carabiniers étaient correctement équipés. 

Les Chemises Rouges de Garibaldi

Mais aussi hétéroclite et peu formée qu’elle ait été, en peu de temps, quatre mois, la troupe de Garibaldi s’empara de la Sicile, puis du Basilicate, de la Campanie et enfin de Naples où elles entrèrent le 7 septembre 1860. C’en était fini du royaume des Deux-Siciles, François II et sa famille avaient quitté la capitale la veille. Les 21 et 22 octobre 1860, par plébiscite le royaume fut annexé par la nouvelle Italie. 

Le film de Visconti, “Le Guépard” évoque magnifiquement cette période, de la prise de Palerme, au plébiscite. 

A  Naples, dans les mois qui précédèrent la catastrophe, jamais la vie sociale ne fut aussi brillante. A l’initiative de Marie Sophie qui aimait être la reine, la mondanité prit un tour extraordinaire, contrastant avec le règne précédent. Le théâtre San Carlo brilla de tous se feux, comme les salons de la résidence royale. Le 1er janvier une cérémonie énorme, dite “du baise-main” réunit toute l’aristocratie venue présenter ses hommages aux souverains qui les reçurent dans la salle du trône. Puis le 16 janvier, ce fut l’anniversaire de François II et deux jours après le lancement de la frégate “Borbone”, bateau à vapeur de 68 mètres, armé de soixante canons, en présence des souverains. Elle fut ensuite rebaptisée “Garibaldi”.

La frégate « Borbone »

La semaine sainte donna aussi l’occasion de fêtes somptueuses de piété. Marie Sophie présidait à toutes ces cérémonies resplendissante de beauté. Elle n’avait rien à envier à Elisabeth dans ce domaine. Elle était toujours vierge, au grand étonnement de la cour, de la ville voire de l’Europe. Mais toujours entourée de beaux cavaliers, la rumeur lui prêta des amants. Par eux, le marquis Salvador Bermudez de Castro, le bel et entreprenant ambassadeur d’Espagne,  qui avait publié des poèmes remarqués en 1841, ami de François II qui le créa duc de Ripalta. Mais personne n’a jamais pu prouver qu’à cette époque Marie Sophie trompait son mari. Le marquis de Castro, un ami pour elle, fut quelques années après l’amant de sa soeur Mathilde, devenue sa belle-soeur, comme comtesse de Trani.

Marie Sophie

François II que d’aucuns, à commencer par sa famille, jugeaient imbéciles ne l’était pas. Mais il était timide, voire peureux, et fuyant. Et il était surtout entouré de courtisans et de généraux incapables et corrompus. Marie Sophie lui dit un jour “ Tu devrais pas donner à certains l’Ordre de San Janvier, mais l’Ordre de Sauve qui peut”. 

François II

Toutes ces festivités ne pouvaient cacher la réalité de ce qui se préparait en Italie et l’imminence de l’attaque qui allait emporter le royaume. Garibaldi était tout sauf discret et son débarquement en Sicile ne fut une surprise pour personne. Le roi savait qu’il arrivait et où il devait arriver. Il savait aussi que Garibaldi agissait avec l’accord tacite de Cavour, même si ce dernier ne souhaitait pas en fait la disparition des Deux-Siciles. Mais il valait mieux pour lui, un Garibaldi, resté malgré tout républicain, dirigeant son énergie contre Naples et Palerme que contre Turin. 


Soldats de l’armée royale des Deux-Siciles

Face aux Mille que pouvait opposer François ?  93 00 hommes, soit le contingent le plus puissant de tous les états italiens, une flotte, la plus puissante de la Méditerranée, avec 11 frégates, 2 corvettes, 11 aviso et autres vaisseaux tous parfaitement armés. Le roi comptait sur cette armée formidable, dont le chef de la marine était son oncle, Louis de Bourbon-Siciles, comte d’Aquila (1824-1897), vice amiral. Ce dernier conseillait la fermeté à son neveu face à Garibaldi mais le roi le prit mal, pensant qu’il voulait prendre le pouvoir et se faire nommer régent. Il lui ordonna de quitter le royaume le 17 août 1860. Le comte d’Aquila, et son épouse, née princesse impériale du Brésil, finirent leur vie en exil à Paris.

Louis de Bourbon, comte d’Aquila

Il n’y avait hélas personne autour de lui pour conseiller le roi et dont il eut bien voulu écouter les conseil, le prince Filangieri, ayant compris le caractère hésitant voire faux de François II, avait donné sa démission, persuadé que rien ne pouvait plus être fait pour sauver les Deux-Siciles. 

La surprise vint que cette armée puissante fut défaite par une bande d’intellectuels à peine armés, dirigés certes par un homme de talent, voire de génie, mais si inférieure en nombre et en armement. 


Parcours de Mille


Le Piémont qui transporta Les Mille


Le roi et ses conseillers savaient donc que Garibaldi et ses Mille approchaient les côtes siciliennes. Il fallait organiser la défense de l’île mais la panique gagnait la capitale, le gouvernement et la famille royale. La nomination du général Landi, âgé de 72 ans, en fut le premier signe. Quand Marie Sophie l’interrogea sur ce choix, François lui répondit qu’il était le plus avancé en grade et donc que c’était à lui qu’incombait le devoir de commander l’armée. Marie Sophie lu conseilla de monter à cheval et de se montrer à la tête de ses troupes. Elle était plus que disposée à l’accompagner. Mais François rechignait à quitter la capitale.


Les bateaux des Mille devant Marsala


Bataille de Calatafamini

Les troupes de Landi, trois mille hommes, rencontrèrent celles de Garibaldi, mille cinq cents hommes, à Calatafimi le 15 mai 1860. Les troupes royales suivaient les rebelles depuis leur débarquement à Marsala, le 11 mai, sans jamais attaquer. Et quand Garibaldi prit l’initiative, Landi se mit sur la défensive et se retira devant l’ennemi. Il ouvrit la voie de Palerme sans pratiquement combattre. Il fut par la suite accusé d’avoir trahi au profit du Piémont. Il semble plus simplement qu’un certain nombre d’erreurs stratégiques aient été la cause de cette défaite. 

La nouvelle de cette défaite, suivie de la prise de Palerme, prit de court le roi et son gouvernement. Le prince Filangieri, à nouveau sollicité sur le conseil de Marie Sophie, accepta de prendre à nouveau les affaires en main, à la condition que d’une part le roi proclame enfin une constitution et que d’autre part, il aille rejoindre les troupes à Messine avec un renfort de quarante mille hommes, lui Filangeri assumant le pouvoir à Naples.


Prise de Palerme



Palerme après la bataille

Le comte de Chambord, consulté par François, lui conseilla aussi de monter à cheval et de rejoindre son armée. Mais François ne le voulut pas et les généraux qu’il consulta pour remplacer Landi se récusèrent, à l’exception du général Lanza, âgé de 73 ans. 

François, suivant l’avis du pape Pie IX, accepta toutefois l’idée de proclamer une constitution. Furieuse, la reine douairière, Marie-Thérèse, l’insulta lors d’un conseil d’état. Elle lui reprocha son manque de courage et de bon sens, son incapacité à gouverner, son manquement à la parole donnée à son père de ne jamais accepter de constitution. Elle le tutoya en l’appelant par son prénom. Marie Sophie prit la parole en lui disant : “Vos propos vous déshonorent. Vous n’avez aucun droit de vous adresser à Sa Majesté sur ce ton. Il est votre roi. Respectez le et cessez de l’appeler par son prénom comme s’il était votre sujet.”

Marie-Thérèse se leva et, avant de quitter la salle avec ses enfants, dit : “Je ne vous appellerai jamais Majesté, Altesse.”

François II, le 25 juin 1860, proclama enfin la constitution. Mais comme c’était la quatrième que les Bourbons des Deux-Siciles proclamaient depuis 1812, cela n’eut pas l’effet attendu car au lieu de l’explosion de joie qu’attendaient le roi et la reine, il n’y eut que de l’indifférence. Et pire, Naples commençait à sombrer dans l’anarchie  dans l’opposition, voire bagarres,  entre libéraux et réactionnaires. 

François II nomma le 14 juillet comme ministre de l’intérieur et chef de la police, Liborio Romano (1793-1867), un aristocrate acquis aux idées libérales. Le choix ne fut pas des plus heureux car le nouveau ministre fit appel à la Camora, la mafia napolitaine, pour maintenir l’ordre dans la ville, et voyant la remontée de la péninsule par les Mille, prit  des contacts secret avec Cavour et Garibaldi lui-même. Il conseilla enfin à François II de quitter la ville et de se réfugier à Gaète.

Outre la nomination de généraux âgés et incompétent, le roi ajouta à ses erreurs celle d’un ministre qui le trahit immédiatement.

Liborio Romano

La famille royale était toujours divisée en deux parties, d’un côté le roi et Marie Sophie qui tentaient de résister et de l’autre Marie-Thérèse qui se préparait à quitter Naples pour Gaète. Elle y établit une deuxième cour composée de ministres et de prêtres réactionnaires. 

La population napolitaine devant cette confusion commençait à rêver à un nouvel ordre sous la couronne des Savoie, qui les sauverait de l’anarchie.

Marie Sophie continua tout au long du mois d’août 1860 à mener la même vie, jugée extravagante. Elle continua à monter à cheval entourée de beaux cavaliers, à se baigner dans le port de Naples, comme par bravade face aux évènements qui se préparaient. François, de son côté, avait enfin compris qu’il lui fallait se rapprocher des Savoie qui ne voyaient pas l’aventure de Garibaldi d’un bon oeil, et ce d’autant moins qu’ils savaient que Mazzini (1805-1872), le chantre, très actif, de la révolution et de la république, était derrière le mouvement. 

Mais une fois de plus François II se trompait car les agents à Naples du roi de Sardaigne renseignaient Cavour et ce dernier finit par être convaincu que le royaumes des Deux-Siciles était condamné à disparaître et que rien ne le sauverait. L’idée monarchique ne pouvait être sauvée en Italie que par l’Unité.

Cavour écrira : “Quand le peuple a peur par les fantômes sortis de la réclusion à perpétuité lorsque l'armée est érodée par l'espionnage, par la méfiance à l'égard de ses chefs et par la dévalorisation des faveurs accordées aux troupes mercenaires, quand deux ou trois générations de soldats  ne se sont jamais mesurées à d'autres ennemis que leur propre peuple, l’édifice s’écroule, non par faute de puissance matérielle, mais par une  absence totale de tout sentiment généreux, de toute force morale.”

Et c’était bien la situation du royaume qui avait tant fait rêver Marie Sophie.


Affiche du Guépard, film de Lucchino Visconti

11/06/2018

Marie, reine des Deux-Siciles - Troisième partie





Marie Sophie par Winterhalter

La première vision qu’avait Marie Sophie de son futur royaume fut belle, celle qu’elle eut de son mari, fut différente.

Bien qu’ayant été habituée aux surnoms, courants dans sa fratrie, elle avait été surprise d’apprendre que le surnom de son mari était “Lasa”, pour lasagne, pâtes que le prince aimait particulièrement. Et c’est ainsi que son père l’appelait. Les autres l’appelaient “Cicillo”, de “Fransceschiello”, petit François. Il sera toujours appelé ainsi et est encore connu à Naples sous ce diminutif affectueux, mais pas très aristocratique. 

Les autres avaient aussi des surnoms, donnés par le roi, “Tetè” ou “Tetella” pour la reine, “Ciolla” pour Marie-Annonciade, “Petita” pour Marie-Immaculée, “Nicchia” pour Marie des Grâces.

Cette simplicité familiale, à laquelle elle était habituée chez elle, n’était peut-être pas ce qu’elle recherchait. 



Port de Bari au XIXe

A peine le navire accosté, François monta à bord. Et du portait que Marie-Sophie avait reçu, il ne restait que l’uniforme. Le prince était grand mais maigre et voûté, le visage jaunâtre, les épaules étroites, le regard mort, les yeux toujours baissés et l’air idiot. 


François II à l’époque du mariage

François de son côté eut la vision d’une beauté altière et rayonnante. La beauté des soeurs de Bavière n’était pas une légende. Il ne cessa de répéter par la suite “Dieu, comme elle est belle.”

Après François, elle dut faire connaissance de sa belle-mère, la reine Marie-Thérèse qui lui parla en allemand. Elle réalisa très rapidement que le jeune prince avait une attitude plus que respectueuse pour sa belle-mère. Il était craintif et soumis. 

Avec Ferdinand II, le contact fut réciproquement chaleureux. Il en fut de même avec ses beaux-frères et belles-soeurs.

Mais le plus difficile, une fois la cérémonie de mariage répétée dans la chapelle palatine, restait à accomplir. Non seulement François, à 23 ans, était vierge mais il n’avait reçu aucune éducation sexuelle. Agité et confus, son premier geste, une fois dans la chambre nuptiale, fut de se jeter sur le prie-Dieu et faire ses dévotions. Marie Sophie l’attendit en vain. Les courtisans, oreilles tendues derrière les portes, en furent pour leurs frais. François était malade et Marie Sophie s’était endormie. Il en fut longtemps ainsi mais il est probable que Marie Sophie, à peine nubile et aussi peu experte que lui en la matière, n’en pas été perturbée. Ce ne fut pas la même nuit de noces que celle de sa soeur, Elisabeth, qui, parait-il  à son grand traumatisme, fut honorée par un mari amoureux comme un sous-lieutenant.


Palais de l’Intendance à Bari

Les fêtes se succédèrent à Bari pendant un mois où la beauté de la mariée fit sensation, surtout le soir à l’opéra, où vêtue de blanc, ornée de diamant elle apparut dans la loge royale. Ce fut un mois de gaieté pour tous ces jeunes princes et princesses qui s’étaient adoptés mutuellement. Le 7 mars 1859, la cour prit la mer car l’état de Ferdinand II ne lui permettait pas de voyager par la route. Il leur fallut cinquante heures pour rejoindre Naples. 

François et Marie Sophie se sont rapprochés, dès leur arrivée à Caserte, le palais inspiré de Versailles et construit à quelques kilomètres de Naples. Il est le plus grand palais royal au monde avec ses 47 000 mètres carrés (4,7 ha) de superficie bâtie au sol, développée sur cinq étages. Commencé en 1752, il ne fut terminé qu’en 1845.





Vues de Caserte

Malgré leurs jeux innocents - comme pour François de se vêtir de la crinoline de sa femme et danser devant elle, écroulée de rire - Marie Sophie n’est pas heureuse car elle sait ce que l’on attend d’elle. Une reine qui n’est pas mère est à peine une reine. Et François ne prend pas le chemin d’être père, même s’il doit bientôt être roi. Ce fut à son confesseur de lui conseiller d’accomplir ses devoirs conjugaux mais s’il était amoureux de sa femme, et le lui prouvait par ses attention, il était impressionné par sa beauté et empêché par son phimosis. On ne sait pas quand Marie Sophie et François devinrent réellement mari et femme, mais on suppose que cela s’est passé après l’opération du phimosis, une fois en exil à Rome.




Caserte, chambre de François et Marie Sophie

Marie Sophie pleurait souvent, suivant les confidences de sa dame d’honneur. Mais elle avait une raison supplémentaire de pleurer, l’attitude de sa belle-mère. Comme sa soeur Elisabeth avec l’archiduchesse Sophie, elle était en conflit avec elle. Marie-Thérèse ne l’aimait pas et il se murmurait à la cour qu’elle se réjouissait de la situation, l’absence d’un héritier de François, rapprochait son fils aîné du trône, François n’étant que son beau-fils. 



Marie-Thérèse de Habsbourg-Teschen, reine des Deux-Siciles

Et celui-ci la craignait et l’invoquait à chacun des gestes de Marie Sophie qui risquait de déplaire à la reine. 

Marie-Thérèse toutefois passait l’essentiel de son temps dans le chambre de son mari, qui entouré de prêtres et de ministres, continuait à gouverner le royaume, avec une inquiétude grandissante, non quant à sa santé car il se savait condamné mais pour le royaume dont il percevait les dangers qui le menaçaient. Ayant François et Sophie à son côté, tous les jours, il leur conseillait de se méfier des “Parents de Turin”. La guerre entre l’Autriche, la France et le Piémont, première étape vers l’unité italienne, se préparait. Le roi le savait mais il n’était pas prêt à porter secours à l’empereur d’Autriche, du moins pas avec ses armées. Il répondit à l’ambassadeur de Vienne venu lui demander son aide : “De l’argent tant que vous voulez, mais pas d’hommes.”


Ferdinand II roi des Deux-Siciles

Le 16 avril 1859, le gouvernement de Vienne lança un ultimatum à celui de Turin d’avoir  à désarmer, pour le maintien de la paix. Le 20, Napoléon III mobilisait. Le 27, on apprenait à Naples que Leopold II, grand-duc de Toscane, “Zi Popo” comme l’appelaient familièrement ses cousins napolitains, avait été chassé par une insurrection. Le 29 avril, les troupes franco-piémontaises franchissaient la frontière austro-piémontaise en Lombardie. Le 22 mai 1859, deux jours après la première défaite autrichienne à Montebello et treize jours avant la bataille décisive de Magenta, Ferdinand II mourait. Il avait 49 ans et laissait le royaume dans les mains d’un incapable, “il suo caro Lasa” “son cher Lasa", comme il le désignait dans son testament,  en un moment tragique de son histoire. 
Mais une autre guerre commençait au sein de la famille royale. Marie-Thérèse, une fois veuve, n’avait aucune intention d’abdiquer de son influence. Et dès les premiers jours du règne de François II, une lutte de pouvoir s’engagea entre elle et sa belle-fille, qui n’avait pas non plus l’intention de s’effacer. 



Marie Sophie et ses belles-soeurs à la mort de Ferdinand II

Durant la vie de son mari, la reine, désormais douairière, avait été, de par son action politique, la personne la plus importante du royaume. Elle était détestée par la bourgeoisie libérale. Les courtisans, dits du “Parti Autrichien”, tenants de l’absolutisme, la soutenaient. Pour marquer son pouvoir, elle se permettait d’entrer dans le bureau du nouveau roi sans se faire annoncer, et encore moins demander audience. Elle le tutoyait et continuait de l’appeler “Lasa” ou “Franceschino”, Lasagne ou Petit François, au grand déplaisir de Marie Sophie. Et ce d’autant plus qu’à chaque parole de sa belle-mère, François répondait en balbutiant : “Oui Maman !” 

Pour son avènement François II proclama une amnistie pour les détenus du fait des évènements de 1848. Il avait également ordonné l’abolition du contrôle des citoyens suspects de libéralisme, système particulièrement détesté par la population. Cet acte laissait espérer une libéralisation du régime à la fureur du “parti autrichien” et de Marie-Thérèse. Elle intervint auprès de son beau-fils pour qu’à la suite de cette mesure libérale, il envoya un contre ordre secret aux préfets, leur demandant de ne pas tenir compte du décret officiel. 



La nouvelle reine des Deux-Siciles

Marie Sophie, de son côté, avait décidé de se libérer, et de libérer son mari, de l’influence de Marie-Thérèse. François était pris entre  deux sentiments, celui de faire plaisir à sa femme dont il admirait la beauté et l’intelligence, et la peur quasi physique qu’il avait de sa belle-mère. Les premières manifestations d’indépendance furent futiles mais efficaces. La reine dépensa sans compter pour sa toilette, allant jusqu’à changer de tenues quatre fois par jour, alors que la reine douairière portait chaque jour la même robe noire. 



La reine des Deux-Siciles

Elle fuma ostensiblement devant elle. Après avoir découvert l’art de la photographie, elle ne cessa de se faire tirer le portrait. Elle montait à cheval tous les jours. Et enfin comble d’audace, elle se baignait en public dans le port de Naples, à la grande joie des assistants. Marie-Thérèse enrageait de ne pouvoir rien faire












La ressemblance avec sa soeur Elisabeth est frappante
Lorsque la photo de Marie Sophie parut en première page du “Journal des Dames”, à Paris, faisant ainsi concurrence aux deux autres beautés de l’époque, sa soeur Elisabeth et l’impératrice Eugénie, de rage Marie-Thérèse déchira le magazine. Enfin, comble de rébellion, la reine réussit à faire admettre ses chiens dans la salle-à-manger et s’entoura de perroquets et de canaris, tous ces animaux étant détestés par la reine douairière. 



Palais royal de Naples

Mais Marie Sophie marqua un point beaucoup plus important en montrant son vrai caractère fait de bravoure et de courage. La garde suisse du roi, le 7 juillet 1859, n’acceptant pas l’abolition de leurs régiments, demandé par la Suisse et à laquelle le roi consentait, prit les armes contre lui et se porta vers le palais royal. Dans l’affolement de ce qui tournait à l’insurrection, Marie-Thérèse s’apprêtait à fuir, avec ses enfants, François II s’était réfugié pour prier dans la chambre de sa défunte mère “la Regina Santa”. Marie Sophie, avec sang froid, au risque de faire tirer dessus, affronta les rebelles, auxquels après avoir écouté leurs doléances, elle ordonna de rentrer dans leurs casernes, ce qu’ils firent.

Pour François, il s’est agi d’un miracle du à sa sainte mère. Mais Marie Sophie eut droit à l’admiration des Napolitains pour son courage. 

Lors de l’exposition des reliques de Saint Janvier, le sang de ce dernier se liquéfia dans son ampoule. Le présage était mauvais. 

La cour était désormais divisée en deux partis, le “parti autrichien” avec à sa tête la reine douairière, l’aristocratie, l’armée et l’église et le “parti constitutionnel”, à défaut de libéral avec à sa tête le général prince Carlo Filangieri di Satriano, qui mettait ses espoirs dans la nouvelle reine.

La rencontre du prince et de la reine fut comme un coup de foudre. Aucun des deux n’était libéral, mais les deux comprenaient le besoin de changement dans le royaume des Deux-Siciles. Filangieri était un héros des guerres de Napoléon pour lequel il avait combattu. Pour la reine, admiratrice de Napoléon comme sa famille de Bavière, c’était un élément important. Mais Filangieri, après avoir été destitué par les Bourbons, fut réhabilité par eux, en raison de ses qualités militaires, reconnues de tous.

Il n’avait pas hésité en 1848 à faire bombarder Messine qui se révoltait contre eux auquel ils n’était fidèle que par son serment de soldat et non par conviction intime. Marie Sophie aspirait à être une héroïne. Elle fut séduite par la franchise du veux soldat qui lors de leur première rencontre lui dit : “Majesté, les rois doivent se faire avant tout craindre et s’il est possible aimer. Mais notre souverain ne réussit ni l’un ni l’autre.” Et cela, elle le savait.

François II désigna le prince comme chef du gouvernement, sous l’influence de sa femme, mais il fut entouré de ministres à la solde de Marie-Thérèse, un ambigüité dangereuse. La reine et le prince n’étaient pas toujours d’accord. Marie Sophie était favorable à la constitution mais ne voulait pas entendre parler d’accord avec les Savoie. Filangieri, au contraire, pensait qu’il fallait au royaume des Deux-Siciles se rapprocher de Napoléon III, de l’Angleterre et éventuellement du Piémont. François II ne savait quel parti prendre. Pour lui, le sort de son royaume dépendait de la Providence divine. Et il passait son temps à répéter “Dieu que cette couronne est lourde à porter”. Et il se réfugiait dans la lecture d’ouvrages théologiques voire mystiques, sous l’influence de son confesseur Mgr Borelli. 



Carlo Filangieri, prince de Satriano (1784-1867)

Pour l’église le Piémont et les Savoie étaient des parents du diable, car trop libéraux, voire maçonniques. La politique de Cavour à l’époque n’avait pas pour objectif l’unité de la péninsule. Une fois le nord de l’Italie, à commencer par la Lombardie, la Vénétie, les duchés de Parme et Modène et le grand-duché de Toscane conquis, il considérait que le reste, soit les Etats Pontificaux et le royaume des Deux-Sicile, pouvait rester indépendants. Il offrit à François II, en échange de son soutien dans la guerre d’indépendance contre l’Autriche, la réciprocité de l’indépendance entre les deux royaumes et une libéralisation du régime napolitain, de lui laisser les villes de Perugia et d’Ancona, dépendant des Etats Pontificaux. Cavour demandait également que soit neutralisée Marie-Thérèse dont l’influence absolutiste empêchait toute évolution. 

Ayant reçu cette offre, qui le satisfaisait, le prince Filangieri objecta à l’envoyé de Cavour qu’il lui semblait difficile que son souverain, beau-frère de l’empereur d’Autriche, accepte de lui faire la guerre. Ce à quoi l’envoyé, le comte Salmour, répondit que les Savoie étaient également liés aux Habsbourg et que les affaires d’état passaient avant les liens familiaux. Filangieri répondit : “ Vous ne connaissez pas notre roi.”

En effet, quand il apporta ces offres, le prince se vit répondre par François II  “ Mais c’est un vol, un vol du pape !”, parlant des deux cités qu’on lui proposait. Filangieri, ayant compris que cela signifiait la fin des Deux-Siciles, offrit sa démission au souverain. Il accepta toutefois d’être rappelé, pensant pouvoir encore influencer le souverain, avec l’aide de Marie Sophie, décidément acquise à l’idée d’une constitution. Prenant l’exemple de la Bavière, état constitutionnel depuis 1848, et où tout se passait bien, elle finit par convaincre son mari. “ La monarchie est une institution trop puissante pour avoir peur d’un parlement, et une constitution rallierait les progressistes au trône, de telle manière que le constitutionnalisme ne serait plus le monopole des Savoie”, dit-elle avec raison.

Devant un tel danger libéral, Marie-Thérèse rameuta ses troupes et organisa un complot pour destituer son beau-fils et mettre sur le trône son fils aîné, Louis, comte de Trani. Le 4 septembre au matin du jour où Filangieri devait lui remettre le projet de constitution François II fut mis au courant du complot. La réponse de François fut “ Mon père avait raison, constitution égale révolution.”

Marie Sophie demanda alors à Filangieri de réunir les preuves de la trahison de sa belle-mère. Furieuse, en présence de Filangieri, elle les montra à François, qui lui demanda ce qu’il devait faire. Elle lui répondit : “Châtie-la, Lasa, châtie la.” “Mais Sophie comme puis-je faire une chose pareille à la femme de mon père ?” dit-il alors. Et il ne fut plus question du complot, ni de constitution.

Le prince Filangieri donna sa démission le 16 mars 1860. En le croisant au palais, Marie-Thérèse triomphante fit le geste de lui cracher au visage et lui claqua la porte au nez. Marie Sophie, dès lors, cessa d’adresser la parole à sa belle-mère, se contentant de la saluer quand elle la croisait.

Filangieri était un véritable homme d’état qui avait compris que la survie de son pays dépendait de nouvelles alliances. L’Autriche était vaincue et un rapprochement avec Napoléon III, favorable aux Deux-Siciles, était la seule chance. Napoléon III contrôlait la politique du Piémont qui ne pouvait rien faire sans lui. Il était un allié de poids et n’aurait pas permis la fin d’une monarchie aussi vieille que l’Europe si celle-ci avait embrassé le siècle. 

François II prit alors comme premier ministre le prince de Cassaro, un ami personnel de sa belle-mère. Les jeux étaient faits. 



François II et Marie Sophie