16/01/2021

L'apothéose de Dorothée 2/2

 

Caricature de la duchesse de Dino et du prince de Talleyrand à Londres

Pendant de longues années, Dorothée avait souffert de l'ostracisme qui frappait le prince, tenu par la branche aînée des Bourbons à l'écart du pouvoir. Maintenant ses rêves les plus chers prenaient corps. Tant de luttes, d'intrigues, de stratégies et de tactiques compliquées, de compromissions même que, dans son for intérieur, elle devait déplorer, produisaient enfin leurs fruits. Elle arrivait à Londres avec une âme de triomphatrice, dans une euphorie et une exaltation conquérantes, car il lui fallait défendre la place si âprement acquise. 

Princesse de Lieven ( 1785-1857) par Claude Marie Dubufe

Elle avait retrouvé son monde de Vienne, le prince Esterhazy, ambassadeur d’Autriche, le baron von Bülow, ambassadeur de Prusse et d’autres. Bien sûr la princesse de Lieven, maîtresse de Metternich qu’elle partageait avec la soeur de Dorothée, Whilhelmine du temps du Congrès, était de son entourage. La princesse de Lieven dont le mari était ambassadeur à Londres depuis 1812 fut une des grandes figures du monde diplomatique européen. Elle fut liée à Dorothée, sans jamais vraiment en être l’amie. La duchesse de Dino fréquentait chez lord et lady Holland, lady Jersey, lady Stafford, la duchesse de Cumberland, née princesse Frédérique de Mecklembourg-Strelitz, belle-soeur du roi et future reine de Hanovre, et tant d’autres. 

La reine d'Angleterre par William Beechey

Elle était reçue par la reine, née Adélaïde de Saxe-Meiningen ; à Brighton  quand la Reine y séjournait ; à Windsor d'où la souveraine la menait aux courses d'Ascot. « J'ai été à Brighton passer quelques jours chez la Reine qui me traite avec beaucoup de bonté ainsi que la duchesse de Cumberland et la duchesse de Kent. Toutes ces princesses sont allemandes et c'est un grand bien en pays étranger d'avoir des souvenirs et une langue d'enfance en commun. » 

La reine, qui était aimée du peuple anglais pour sa piété et sa modestie, était une femme de vertu qui refusait de recevoir à sa cour les femmes de réputation douteuse. Et pourtant, elle reçut, et fort bien, la sulfureuse duchesse de Dino, qui écrit « Je suis reçue avec une bonté parfaite et M. de Talleyrand l'est au gré de mes désirs. Je ne me plains que d'un peu trop d'empressement dans le public. Chaque matin les journaux vous relatent et cette évidence de détail me paraît une vraie calamité. M. de Talleyrand s'en arrange très bien. »

Selon madame de Boigne, Londres permettait aussi un éloignement d’Adolphe Piscatory, l’amant moins aimé désormais. L’ambassadeur de France à Londres ne pouvait se contenter de sa seule nièce pour traiter les affaires courantes et extraordinaires. Il lui fallait du personnel supplémentaire. Le 25 novembre 1830, un nouveau secrétaire de vingt neuf  ans arriva à l'ambassade. Il se nommait Adolphe de Bacourt qui plut à Talleyrand pour qui il devint vite le collaborateur de prédilection.  Né en 1801, il avait été en poste à Stockholm en 1822, puis à La Haye.  “Je connais peu de gens dont l'esprit puisse être comparé à celui de M. de Bacourt et je n'en ai jamais rencontré de plus honnête” dira de lui Talleyrand. Mais il n’est pas qu’un jeune secrétaire d’ambassade de 30 ans, doué et dévoué, il est aussi un jeune homme svelte, distingué, élégant, d’une grande politesse, sans aucune obséquiosité. La duchesse de Dino ne mit pas longtemps à remarquer ses qualités, car ils travaillaient ensemble. Elle sut l’apprécier et il ne fut pas insensible au charme de cette grande dame. Dorothée était belle, dans sa maturité, elle était intelligente et cultivée. Elle représentait aussi ce grand monde aristocratique et princier, fait de grandes manières et de désinvolture. De l’admiration mutuelle à l’amour, il n’y eut qu’un pas, facilement franchi. Adolphe de Bacourt et la duchesse se connaissaient avant sa venue à Londres mais elle ne l’avait sans doute pas regardé avance autant d’intérêt.

Adolphe de Bacourt (1801-1865)

Selon Charles de Rémusat, « Dorothée de Courlande avait alors trente-neuf ans, et était encore dans presque tout l'éclat de sa beauté, qui n'avait jamais eu celui de la jeunesse. Elle était d'une taille moyenne mais élégante, et son port et sa démarche avaient une dignité gracieuse qui la faisait paraître plus grande qu'elle ne l'était en effet. Elle était maigre, et son teint légèrement foncé et maladif avait toujours besoin d'un peu de rouge. Les traits étaient beaux, sans une parfaite régularité. Le plus saillant était, un nez d'oiseau de proie, mais délicat et comme ciselé avec finesse. Sa bouche, aux lèvres un peu épaisses, mais expressives, laissait sortir, à travers de belles dents blanches, une parole embarrassée, que ne déparait pas un léger défaut de prononciation. Mais ce qui illuminait son visage, un peu petit et terminé en pointe, c'étaient, au-dessous d'un large front, cerné de cheveux d'un noir de jais, d'incomparables yeux d'un gris bleu, armés de longs cils, entourés d'une teinte bistrée, et dont le regard enflammé et caressant avait toutes les expressions. Elle les clignait un peu, sa vue étant assez basse, et elle en augmentait ainsi la douceur, et cependant la vivacité en était telle que, lorsqu'on l'avait perdue de vue, on aurait juré qu'elle avait de grands yeux noirs comme du charbon. La séduction de sa bouche et de ses yeux était extrême, sans autre défaut que de trop ressembler à une séduction. Elle était toujours assez parée, le fard relevant ses regards. » ( Dans Louis J. Arrigon 1949 Revue des Deux Mondes)


La duchesse de Dino

Il est difficile de savoir quand Talleyrand réalisa ce qui se passait dans sa maison. En avril 1831, Adolphe fut cloué au lit et Dorothée se transforma en infirmière dévouée. En fût-il informé et jaloux ? Probablement. 


Lettre de Dorothée à Madame Adélaïde, envoyée de Londres

Le 15 novembre 1831 était signé le traité définitif relatif à la Belgique.  Le 29 novembre insulté à la chambre de Lords, Talleyrand, se vit défendu dans un vibrant hommage par le duc de Wellington : “ Il n’a pas existé d’hommes dont le caractère privé eût été plus honteusement diffamé  et le caractère public plus méconnu et plus faussement représenté que le caractère public et privé du prince de Talleyrand.” Talleyrand répondit : “J’en suis d’autant plus reconnaissant à Mr le duc que c’est le seul homme d’état dans le monde qui ait jamais dit que du bien de moi.”

Outre la création du royaume de Belgique, le grand succès de l’ambassade à Londres fut de poser les bases de ce qui sera l’Entente Cordiale. “ Une alliance intime entre la France et l’Angleterre a été au début et à la fin de ma carrière politique mon vœu le plus cher, convaincu, comme je le suis, que la paix du monde, l’affermissement des idées libérales et le progrès de la civilisation ne peuvent que reposer sur cette base.” Mme de Boigne constate cette réussite exceptionnelle dans ses mémoires : "L'attitude prise par M. de Talleyrand à Londres avait tout de suite placé le nouveau trône très haut dans l'échelle diplomatique. Tous les collègues de M. de Talleyrand en Angleterre le connaissaient d'ancienne date. Il tenait une très grande maison dont la duchesse de Dino faisait parfaitement les honneurs ; ils avaient, l'un et l'autre, réussi à se mettre en tête de tout ce qui menait la mode". 

Le 30 juin 1832, Dorothée et lui reviennent en France, à la suite de sa demande de congé, probablement pour éloigne Dorothée de Bacourt. Ils passent l’été dans des villégiatures différentes, lui à Bourbon-l’Archambaud, elle à Bade. « La société de Mme la Grande Duchesse avec laquelle je suis fort liée depuis des années ; quelques Allemands, et deux ou trois autres personnes sans couleur tranchée, suffisent fort à mes devoirs sociaux qui, pour une personne qui commence sa journée à six heures et la finit à six, ne sont pas très impérieux. » La grande-duchesse n’est autre que Stéphanie de Beauharnais, princesse impériale de France, mariée à Bade par la volonté de l’empereur. Dorothée rétablit sa santé en compagnie du milieu de sa jeunesse, celui des principautés allemandes. Ils se retrouvent enfin à Rochecotte “où l’air est si pur”. 

Le Boiteux guidant l'Aveugle - Talleyrand et Lord Palmerston, caricature de 1832

A leur retour en Angleterre, ils ne trouvent pas le même accueil qu’à leur arrivée. Leur situation mondaine est inchangée mais la situation politique du pays y est tendue, suite à la réforme électorale.  Début 1833, ils reçoivent Prosper Mérimée qui écrivit plus tard à propos de Talleyrand : “ Il m’a gracieuseté beaucoup…C’est un gros paquet de flanelle enveloppé d’un habit bleu et surmonté d’une tête de mort recouverte de parchemin…” Il recueillit de la bouche du prince à qui il demandait si la Révolution avait produit de bons ou de mauvais effet sur le peuple français : “On avait de la débauche avant la Révolution mais on avait de la grâce. On était coquin mais on avait de l’esprit. Maintenant on est débauché grossièrement et coquin platement.” Puis en septembre c’est au tour de Thiers, un grand ami de la duchesse, de venir les voir. 

Mais la mort rodait au tour du prince. Sa grande amie, la princesse de Vaudémont meurt le 1er janvier 1833. “Je perdais une amie avec laquelle j’étais lié depuis cinquante ans.” Puis c’est autour du prince de Dalberg de mourir.

Talleyrand demande un nouveau congé pour raison de santé et pour la nécessité de s’occuper de ses affaires. La réalité est que l’atmosphère est très tendue à l’ambassade. La jalousie du vieux barbon est patente. Il accable son secrétaire, Bacourt, de sarcasmes. Il fallait partir et c’est à Valençay qu’ils se réfugièrent. L a princesse de Lieven donna un dîner d'adieu à Talleyrand et à la duchesse ; ils y parurent avec une figure bouleversée. « Je dois vous faire part, écrivait la princesse à lord Grey, de la tragique manière dont lui (Talleyrand) et Mme de Dino prennent tous les deux leur départ. » On peut aisément imaginer Dorothée triste de quitter son amant et Talleyrand peu fier de lui.

L’amant éloigné, la jalousie se fait moins pressante. Il ne sait probablement pas que lorsque Bacourt écrit à Dorothée, il l’appelle “mon ange, ma jolie pie borgne” et qu’il lui déclare “Je vous avoue que c'est cette idée qui m'inspire une telle déplaisance de rentrer sous le joug de la mauvaise humeur de M. de Talleyrand. Vous avez  beau me le dépeindre comme étant devenu un mouton et d'ailleurs il y a entre nous un fossé qui ne peut se combler. Je puis lui pardonner les torts qu'il a eus à mon égard, les mettre sur le compte de son âge, de sa santé, des affaires, mais je n'en ai pas moins pris la détermination de vivre ici de clerc à maître et de ne jamais redevenir pour lui ce que j' ai été…Une fois hors des affaires et placés tous les deux sur un terrain neutre, les positions changent et nous pouvons très bien vivre en paix. Aussi je ne  veux pas que vous m'accusiez, mon amie, de chercher à placer une barrière insurmontable à notre réunion… J'abonde encore bien davantage dans Votre opinion sur la nécessité, pour les gens qui s'aiment, de fuir le monde et de choisir un petit coin bien caché." L’amour de Bacourt pour Dorothée peut aussi déranger Talleyrand sur un point de vue religieux. Dorothée, convertie au catholicisme, n’avait jamais été une fervente paroissienne. Adolphe la remet sur le chemin de la foi. Et Dorothée de dire : “Il est plaisant d'être aimée par des âmes chrétiennes car elles ont une fidélité qui n'appartiennent qu'à elles.” Le voltairien qu’a été Talleyrand jusqu’à la fin n’appréciait sans doute pas cette conversion. 

1834 voit un évènement heureux, au mois de mars, Pauline, la “minette” du prince fait sa première communion à Londres et lui demande sa bénédiction. 

Mais il va falloir quitter Londres et bientôt la vie. “La pâleur livide, la lèvre inférieure pendait, ses épaules se courbaient en avant; sa claudication était si forte qu’à chaque pas, le corps oscillait de droite à gauche comme s’il avait tomber.” Tel était le prince en 1833. Ils quittèrent Londres le 18 août 1834. Le retour à Paris ne fut pas triomphal. Ils n’avaient pas perdu l’amitié et la faveur du roi et de sa soeur. La famille royale les reçoit à dîner le 11 décembre 1834. Mais le public était monté contre lui. Chateaubriand écrivit : “Sa momie avant de descendre à la crypte a été exposée un moment à Londres comme représentant de la royauté-cadavre qui nous régit.” Il oublie que la France doit beaucoup à cet homme complexe aux mille faces qui a su la préserver et qu’il fut un diplomate bien plus brillant que le vicomte.

Pour Dorothée, Londres fut le grand moment de sa vie.  "Ces quatre années m'ont placées dans un autre cadre, offert un nouveau point de départ, dirigée vers une nouvelle série d'idées ; elles ont modifié le jugement du monde sur moi. Ce que je dois à l'Angleterre ne me quittera plus, j'espère, et traversera, avec moi, le reste de ma vie" 

Valençay fut leur refuge. Ils y menaient la vie un peu ennuyeuse des châtelains, remplie toutefois d’obligations, et entrecoupée de visites. 


Valençay

 

Bureau de Talleyrand à Valençay

PhotIls en eurent deux qui ne leur ont pas laissé d’impression favorable. George Sand vint presque en catimini et écrivit ensuite un article affreux sur le couple. Balzac vint le 28 novembre 1836. “M. de Balzac, qui est un tourangeau, est venu dans la contrée pour y acheter une petite propriété…Malheureusement il faisait un temps horrible, ce qui m’a obligée à le retenir à dîner. J’ai été polie mais très réservée. Je crains horriblement tous les publicistes, gens de lettres, faiseurs d’articles; j’ai tourné ma langue sept fois dans ma bouche avant de proférer un mot, et j’ai été ravie quand il est parti. D’ailleurs, il ne m’a pas plu. Il est vulgaire de figure, de ton, et je crois, de sentiments; sans doute, il a de l’esprit, mais il est sans verve ni facilité dans la conversation. Il est même très lourd; il nous a examinés et observés de la manière la plus minutieuse, M. de Talleyrand et moi.” ( Mémoires de la duchesse de Dino)  La  duchesse préfère, et de loin, les hommes politiques aux écrivains. Du côté de Balzac, la sympathie ne fut pas plus grande. Il s’inspire d’elle pour un de ses personnages, la marquise d’Espard, femme procédurière, aux nombreux amants, qui avoue n’avoir jamais rencontré l’amour véritable. Dorothée se reconnut-elle dans ce personnages ? On ne le sait pas. De Talleyrand Balzac, écrivit : “certain prince qui n’est manchot que du pied, que je regarde comme un politique de génie et dont le nom grandira dans l’histoire…un homme qui se vante de ne jamais changer d’opinion, est un homme qui se charge d’aller toujours en ligne droite, un niais qui croit en l’infaillibilité…l’homme supérieur épouse les événements pour les conduire…” Talleyrand fut flatté par ce portrait si vrai de l’homme d’état qu’il avait été.

Bacourt était encore dans la vie de Dorothée l’amant et peut-être plus encore l’ami. Il le restera jusqu’à sa mort. Elle obtint en septembre 1835 sa nomination d'ambassadeur à Carlsruhe. Il resta en poste dans le grand duché de Bade durant quatre années, parsemées de séjours rue Saint-Florentin et de cures à Bade. 

Le grand moment approchant, il fallait rappeler au prince de Talleyrand qu’il avait été évêque d’Autun, qu’il avait transgressé les lois de l’Eglise et qu’il lui fallait le reconnaitre pour pouvoir quitter ce monde avec l’apparat du cérémonial religieux, à défaut de la sincérité.



La princesse de Talleyrand en 1810, par Isabey

Il a été précédé dans ce grand moment par la princesse de Talleyrand qui mourut le 10 décembre 1835. Après avoir eu une vie dissipée, elle était tombée dans la dévotion et fit une fin exemplaire, administrée par Mgr de Quelen, archevêque de Paris. L’oraison funèbre de son mari fut lapidaire : “Cela simplifie beaucoup ma position”. Elle eût de belles funérailles familiales, le deuil étant conduit par les neveux de Talleyrand. 

La duchesse de Broglie, fille de Madame de Staël, lorsque l’on vanta devant elle le grand savoir-vivre du prince, répondait : “C’est qu’il lui faudrait maintenant, c’est de savoir mourir”. Et il s’y appliqua.

L’image que la rétractation devait permettre d’oublier

Une conspiration s’organisa autour de lui, menée par la duchesse de Dino et sa fille Pauline. Veuf, Talleyrand ne pouvait plus être en conflit avec l’Eglise. Mais il avait défié le pape au moment de son mariage. Il lui fallait se repentir, c’est du moins ce que pensait son entourage, Dorothée en tête. Bacourt l’avait ramenée au sein de l’Eglise, sa mission à elle était d’y ramener son toujours sulfureux oncle, amant, ami. Le risque était aussi socialement grand. Pas de rétraction, pas d’obsèques religieuses ! Mgr de Quelen retransmit les consignes de Rome. 

Gravure de Talleyrand à 79 ans avec sa signature

L’abbé Dupanloup, futur grand personnage de la France catholique, fut appelé à essayer de le convaincre. Devant l’abomination que représentait Talleyrand pour l’abbé, il refusa dans un premier temps, puis se laissa convaincre. Il relata son entretien : “Le prince me reçut avec une extrême bienveillance…de son fauteuil monumental, il dominait si absolument et si poliment toutefois tout ce qui l’entourait de son regard élevé, de sa parole brève, rare, spirituelle et si accentuée. Je ne sache pas que les rois soient plus rois dans leur intérieur que Mr de Talleyrand ne le paraissait dans son salon.” Dans son admiration, Dupanloup séduit par le Diable, écrivit aussi : “ C’est une chose que j’ignorais et qu’on ignore, généralement, c’est que Mr le prince de Talleyrand était vénéré et chéri de tout ce qui l’approchait. Et comme cette vénération et cette tendresse lui ont été fidèles pendant toute sa vie presque séculaire, il faut bien , me disais-je, que ceux qui en ont dit tant de mal et jamais de bien aient eu un peu tort et n’aient pas tout vue.” Talleyrand jugea Dupanloup : “ Votre abbé me plait, il sait vivre.” Il ne pouvait faire plus beau compliment. Savoir vivre, ce n’était uniquement des manières, mais un esprit qu’avait si bien incarné le prince.

Le 28 mars 1838, son frère Archambaud mourut. Edmond et Dorothée devenaient duc et duchesse de Talleyrand. 

Le 15 mai Dupanloup apporta la lettre de rétractation préparée par l’archevêque de Paris. Il ne la signa pas.

Le dilemme pour Talleyrand était le suivant. Sa rétractation n’avait de sens que pour éviter à sa famille la honte d’obsèques civiles, mais elle ne devait être qu’in extremis car il se refusait à entendre les sarcasmes de la société. 

Pauline fut l’ultime ambassadeur auprès de celui qui était certainement son père. Il lui promit de signer et il signa à l’heure qu’il avait choisie, entre cinq et six heures. A 4 heures du matin étaient réunis Dorothée, duchesse de Talleyrand, l’abbé Dupanloup et les témoins choisis pour assister à la signature, le prince de Poix, le comte de Saint-Aulaire, ambassadeur à Vienne, le baron de Barante, ambassadeur à Saint-Petersbourg, Royer-Collard, symbole de la vertu, et le comte Molé, président du conseil. A 6 heures, Dorothée lui lut la lettre de rétraction : “…Dispensé plus tard par le vénérable Pie VII de l’exercice des fonctions ecclésiastiques, j’ai recherché dans ma longue carrière politique les occasions de rendre à la religion et à beaucoup de membres honorables du clergé catholique tous les services qui étaient en mon pouvoir. Jamais je n’ai cessé de me regarder comme un enfant de l’Eglise. Je déplore de nouveau les actes de ma vie qui l’ont contrastée, et mes derniers voeux seront pour elle et pour son chef suprême”. Il n’avait été d’église que par obligation : “ toute ma jeunesse a été conduite vers une profession pour laquelle je n’ai été pas né.”

A 8 heures le roi Louis-Philippe et Madame Adélaïde arrivèrent en dernier hommage à celui qu’ils avaient aimé et admiré. Puis ce fut la confession reçue, avec une grande émotion, par l’abbé Dupanloup. 

Le prince de Talleyrand mourut le 17 mai 1838 à 3h 35 de l’après-midi, en serrant la main de Bacourt, devant Dorothée, Pauline, sa famille et ses amis récitant la prière des agonisants. 

Royard-Collard écrira : “J’ai vu M. de Talleyrand malade, je l'ai vu mourir, je l'ai vu mort ; ce grand spectacle sera longtemps devant mes yeux. Mme de Dino a été admirable. M. de Talleyrand est mort chrétiennement, ayant satisfait à l’Eglise et reçu les sacrements. C'est le dernier cèdre du Liban, et c’est aussi le dernier type de ce savoir vivre qui était propre aux grands seigneurs gens d'esprit" 

Les obsèques eurent lieu 22 mai à 11 heures en l’église de l’Assomption. Elles furent splendides. Toute France officielle était. La bienséance fit que Dorothée ne put y assister. La famille royale avait envoyé six carrosses pour suivre le convoi. Les duc de Valençay et de Dino, ses petit-neveux, fils de Dorothée, reçurent les condoléances. Il reposera ensuite dans la crypte de Valençay. Toute la population était là pour accueillir la dépouille de leur bienfaiteur. 

La duchesse de Talleyrand, toujours mariée, était veuve de l’homme qu’elle avait accompagné et aimé pendant plus de vingt ans. Elle était désormais libre de ce lien étrange qui a suscité tant de commentaires et d’incompréhension. La question reste encore sans réponse. Riche, jeune, belle, Dorothée de Biron, princesse de Courlande, avait consacré, sans rien ne l’y obligeât, les plus belles années de sa jeunesse à un  homme qui devait avoir bien de charme pour l’avoir retenue ainsi. 

La tombe de Talleyrand à Valençay






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