Elle restera pour l’éternité littéraire “L’Etrangère” et pourtant Madame Honoré de Balzac était loin d’en être une.
Eve Rzewuska
par Ferdinand Georg Waldmüller en 1835
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Eve Rzewuska était née à Pohrebyszcze dans la nuit de Noël, sans que l’on sache exactement de quelle année. En effet, les années diffèrent selon les sources, selon les témoignages et selon l’intéressée elle-même. La date acceptée aujourd’hui est le 24 décembre 1803/5 janvier 1804. La première date correspond au calendrier julien et la seconde date au calendrier grégorien.
A la suite des trois partages de la Pologne entre la Russie, la Prusse et l’Autriche, la partie est et sud-est du pays avait été attribuées à la Russie. Les Polonais donc, même catholiques romains, étaient tenus de suivre le calendrier julien conservé par l’Eglise orthodoxe. Rappelons que c’est le pape Grégoire XIII qui en 1582 décida de modifier le calendrier. C’est ainsi le lendemain du 4 octobre 1582 est devenu le 15 octobre 1582. Cette double datation sera suivie tout au long de l’article quand de besoin.
Eve Rzewuska jouait elle-même avec ces confusions de date, avouant à Balzac lors de leurs premiers contacts en 1833, elle avait 27 ans, ce qui la faisait naître en 1806, perdant trois au passage.
Une chose est certaine, c’est son milieu d’origine, la très haute noblesse polonaise. Balzac la disait petite-nièce de Marie Leszczynska, reine de France. Rien n’était moins sûr car il est impossible de trouver le lien de parenté réelle entre les deux femmes…peut-être à la mode de Bretagne, les deux familles se connaissant bien et ayant bien des liens entre elles.
Armes des Rzewuski |
Les Rzewuski sont en effet une très grande famille polonaise, dont les membres ont occupé des positions importantes dans l’ancien royaume de Pologne.
Son arrière-grand-père le comte Wenceslas Rzewuski ( 1705-1779) a joué un grand rôle dans la Pologne du XVIIIe siècle. Il fut d’abord partisan de Stanislas Leszczynski, élu roi de Pologne le 13 septembre 1733. Quand Stanislas fut évincé du trône par Auguste III de Saxe, Wenceslas Rzewuski partit en exil avec le souverain déchu, qui finit par le délier de son serment, ce qui permit à Wenceslas Rzewuski se rallier le nouveau souverain qui le nomma hetman, soit connétable de la couronne, puis en 1762, voïvode de Cracovie, capitale royale de la Pologne. Stanislas Poniatowski devenu roi en 1763, Wenceslas Rzewuski s’opposa à lui. Cela lui valut d’être enlevé par les Russes, favorables à Poniatowski, et un exil de cinq ans en Russie. Mais il revint sur le devant de la scène, récupérant titres et positions. En 1732, il avait épousé la princesse Anna Colomba Lubomirska.
Position de la Volhynie en Ukraine |
Son fils aîné, le comte Stanislas Ferdinand Rzewuski (1737-1786) hérita de ses immenses domaines, en Volhynie et en Ukraine. Son épouse la princesse Catherine Radziwill ( 1740-1789) était la fille de l’homme le plus puissant de Lituanie. et fut richement dotée. Stanislas Ferdinand Rzewuski fut “porte-étendard” du Grand-duché de Lituanie et par son train de vie et ses dépenses inconsidérées mit en péril sa fortune et celle de sa femme. Cette dernière et ses enfants lui firent un procès qu’is gagnèrent en 1785, récupérant ainsi le reste de la fortune soit plus de 100 000 hectares de terre. Il mourut en 1786 laissant cinq enfants : Séverin, Adam-Laurent (1760-1825) Anne (1761-1800) Théophile, morte en 1831 et Françoise. L’oncle maternel des enfants, le brillant Charles-Stanislas Radziwill (1734-1790) s’occupa de marier richement ses nièces. Anne épousa le comte Plater, Théophile devint princesse François-Xavier Lubomirski (1747-1802) puis divorça pour épouser son beau-frère, le mari d’Anna, veuf en 1800. Françoise épousa un homme richissime Jean-Chrysostome Rdultowski (1735-1791).
Severin Rzewuski |
Influents et riches les Rzewuski représentaient le prototype de cette grande noblesse polonaise qui constituait un véritable pouvoir politique hostile à l’idée d’une monarchie forte et à toutes les réformes entreprises dans le sens d’une centralisation. Ils étaient de grands féodaux s’appuyant des propriétés immenses.
Adam-Laurent Rzewuski était une personnalité brillante. Pendant un an de 1789 à 1790, il fut ambassadeur de Pologne à Copenhague. On le surnomma le “beau Rzewuski”. Voici comment est décrit le personnage par un de ses contemporains, lors de sa réception à la cour: “Il avait un magnifique zupan ( robe de dessous) en lamé d’argent, à fleurs d’or, entremêlé de fils de soie de couleurs le plus brillantes; une ceinture de Sluck, toute raidie par sa trame d’or; aux côtés un sabre semé de brillants; sur le zupan un cordon de l’Aigle-Blanc; autour du cou une croix de Saint-Stanislas, et au cou une agrafe de grand prix qui retenait par dessus le zupan un knouts en velours vert magnifiquement et abondamment brodé d’or doublé de zibeline; par dessus encoree une étoile de l’Aigle-Blanc; sur la tête un bonnet de zibeline, avec une aigrette en plume de héron et bien agrafe garnie d’une émeraude de la grosseur d’un thaler, entourée de brillants gros comme des pois. Le dessus du bonnet était cramoisi avec une houppe de brillants; sur des bottes jaunes à fer d’argent retombait un pantalon en satin également cramoisi.” ( Mémoires de Jan Duklan Ochocki - Wilno 1857) Il était difficile de faire plus somptueux en cette fin du XVIIIe siècle, alors que la révolution avait éclaté en France.
Adam-Laurent Rzewuski
en grande tenue
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En 1790, il fut nommé Castellan de Vitebsk et se maria avec Justine Rdultowska, fille de Joahim Hyppolite Rdultowski. Elle lui apporta une dot de 700 000 ducats d’or. Au troisième partage de la Pologne en 1795, il fit allégeance à Catherine II de Russie et fut nommé Sénateur de l’Empire russe, Conseiller de la Cour, et Maréchal de la Noblesse du Gouvernement de Kiev. Ce retournement politique peut s’expliquer parce que toutes ses propriétés étaient comprises dans la partie russe de la Pologne partagée. C’était un fin lettré traducteur en polonais de Corneille et de Racine. Il fut membre de la loge Astrea de Saint-Petersbourg, la plus aristocratique de Russie.
Sa résidence principale était à Pohrebyszcze, en Volhynie, au sud-est de Berditcheff. Le domaine outre le château comprenait 20 000 hectares de terres. Il lui venait de l’héritage de sa mère. Le château néo-gothique était richement meublé. Voici comment il est décrit en 1881 : “le sol de l’entrée était en marbre blanc, décoré des armes des Rzewuski et des familles apparentées. A gauche de l’entrée se trouvait une chapelle, à droite une grande salle à manger. Les autres pièces étaient utilisées comme bibliothèques, salons ou chambres. Le salon blanc était orné de fort belles mosaïques et de meubles anciens de belle facture…Dans la galerie de tableaux se trouvaient des portraits de famille…La grande salle de bal était divisée en trois parties par huit colonnes corinthiennes, soutenant des poutres couvertes de frises en plâtre. Le plafond était décoré d’une grande rosace d’où pendait un lustre. Les murs et les colonnes étaient récouverts de stuc blanc”
Pohrebyszcze, domaine d’Adam-Laurent en Volhynie |
Parmi les tableaux appartenant à Adam-Laurent Rzewuski des Titien, des Murillo, un Greuze. Pour avoir une idée de ce que pouvait être sa collection il faut voir la collections Czartoriski à Cracovie, qui a permis ses trésors “Le Dame à l’hermine” de Léonard de Vinci, achetée au début du XXe siècle.
Le couple vécut en grands seigneurs et dépensa une partie considérable de leur fortune
Adam-Laurent Rzewuski |
Ils eurent sept enfants. L’aîné Henri (1791-1866) fut romancier. Le second Adam ( 1805-1888) fut général dans l’armée russe. Ernest ( 1811-1869) fut officier dans l’armée russe. Chacun des fils reçut de propriétés considérables, avec château, terres, fortêts et des serfs. Pohrebyszcze revint à Adam. Les quatre fille étaient considérées comme des beautés. Caroline (1795-1885) avait un épousé un homme très riche, Jérome Sobanski. La seconde, Alexandrine, morte en 1878, était Madame Alexandre Moniuszko, grand propriétaire foncier de Biélorussie. Eve devint madame Hanski, épouse d’un seigneur de plusieurs grands domaines. Enfin Pauline ( 1806-1866) épousa Jean Riznic, issu d’une famille d’armateurs et de banquiers à Trieste et à Odessa. Les quatre filles firent donc d’excellents mariages. Leur mère, Justine Rzewuska, était, selon son arrière-petite-fille, une grande dame orgueilleuse, imbue de sa naissance, traitant ses domestiques avec dureté, mais pouvant également être charitable.
Comtesse Rosalie Rzewuska (1788-1865)
née princesse Lubomirska
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Leur tante Rosalie Rzewuska (1788-1865), née princesse Lubomirska, décrit Adam-Laurent Rzewuski et sa famille : “Le castellan Rzewuski était un homme d’esprit remarquable et d’une instruction étendue. Il avait eu maintes occasions d’acquérir l’expérience des hommes et des affaire, et peut-être aimait-il trop à débiter avec emphase des lieux communs sur l’incertitude de la vie et la vanité des biens de la terre. Ses discours vertueux et dévots me semblaient parfois tirés d’un répertoire où ils auraient été préparés pour servir à volonté…Sa femme et ses enfants firent sous sa direction un cours de principes, comme on ferait un cours de littérature, et le goût déterminant seul le choix des opinions, elles firent chaos dans la tête des Rzewuski sans qu’ils tinssent le moins du monde à faire triompher une idée aux dépens d’une autre. Monsieur et madame Rzewuski avaient élevés leurs enfants au fond d’une campagne solitaire. Ils les avaient initiés à force de livres, à des idées vaniteuses en mondaines, telles qu’on aurait pu les prendre à Paris ou à la cour. Madame Rzewuska voulait de toute force que ses filles se marient grandement. Elle les entretenait continuellement de tous les partis qu’elle pouvait faire et les préparait à recevoir la visite des personnages que ses voeux appelaient secrètement. Ainsi l’une de ses filles devait tenir un livre entr’ouvert, l’autre dessinerait, la troisième broderait; enfin il y avait des poses de commande, auxquelles s’exerçaient les jeunes personnes, et qui devaient charmer leurs futurs adorateurs.” ( Mémoire de la comtesse Rosalie Rzewuska, publiés à Rome 1939-1950, T II page 301-302)
Cette description des jeunes filles attendant la venue de l’élu de leur mère n’est pas sans rappeler celle faite par Jane Austen dans “Orgueil et Préjugés” où l’on voit les cinq soeur Bennett poser sous les ordres de leur mère.
Une autre critique éclaire le caractère des quatre soeurs : “Les dames de la famille Rzewuski subjuguaient régulièrement ceux qui ls approchaient par une certaine beauté qui appartenaient à elles seules et par une froide splendeur de l’intelligence, par un esprit qui évoquait infailliblement le froid scintillement des stalactites.” (S.Wasylewski dans “l’Amour romantique”, Poznan 1928)
Ces deux portraits donnent une image négative des soeurs Rzewuski, sorte de bas-bleu aristocratiques, attendant de trouver leurs égaux pour convoler.
Armes de la famille Hanski |
En 1819 Eve épousait Venceslas Hanski (1782-1841) issu d’une famille ancienne noble, bien que moins illustre que les Rzewuski mais fort riche. Il avait 37 ans, elle en avait 15. Aujourd’hui cette différence d’âge peut surprendre mais pas à l’époque et surtout pas dans leur milieu, le mariage reposant sur des intérêts mutuels bien compris. Il était très riche.
Venceslas Hanski par Josef Kriehuber |
Cela comptait pour elle car salon la loi polonaise, elle n’avait droit qu’à une infime part de l’héritage de ses parents et si elle voulait continuer à vivre sur le même pied, seul un mariage de raison pouvait le lui offrir. Elle était jeune et belle. Cela devait compter pour lui qui faisait ainsi une fin splendide. Son épouse était en outre une jeune femme cultivée, parlant quatre langues, outre le polonais, le russe, le français, l’anglais et l’allemand. Il était de règle dans la haute société de l’époque, notamment dans l’empire d’Autriche ou dans l’empire russe, de parler les langues étrangères majeures. Manquait à la polyglotte, l’Italien, la langue dite de l’amour.
Eve Hanska en 1825 par Holz von Sowgen |
Le mariage fut donc célébré entre le 7/19 février 1819, date du contrat signé entre les parents et le fiancé, et le 13/25 mai de la même année, date de la donation d’usufruit entre les époux. L’acte de mariage lui-même n’a jamais été trouvé.
Dans le monde de l’aristocratie russo-polonaise, les Hanski, même non titrés, ne sont pas n’importe qui, à la fois parce qu’ils sont nobles et surtout parce qu’ils sont très riches, et ce depuis le XVIe siècle. Plus propriétaires terriens que politiques, ils n’ont jamais accédé aux grand honneurs. Mais posséder plusieurs domaines avec tous les villages dans le gouvernement de Kiev, avoir des serfs, pouvoir acheter du prince Gaspard Lubomirski le domaine de Wierzchownia, près de la Volhynie, ce n’était pas rien.
Jean Hanski, le père de Venceslas, était toutefois sous-palatin de Kiev, porte-étendard de Zytomierz, chevalier de l’ordre de Saint -Stanislas. Sa mère, Sophie Skorupka, avait apporté un domaine de plus. Outre Venceslas, le couple eut trois filles, Marie épouse de Joseph Morzkowski, Monique épouse de Stanislas Bukar et Joséphine épouse de Venceslas Boreyko.
Venceslas Hanski a hérité de ses parents une fortune considérable, ses soeurs devant se contenter de la portion congrue. En 1804, il est chevalier de Malte, dans la branche russe. Il est nommé maréchal de la noblesse du district de Zytomierz. Maçon, il s’intéressa au développement des écoles polonaises dans sa région.
On ne sait pas grand chose de la vie de ses soeurs. On peut noter que la descendance de Monique Bukar se retrouve chez les Walewski. L’une de ses petites-filles, la petite-nièce de Wenceslas, Octavie, née en 1822, a épousé le général-baron autrichien, Jean-Baptiste de Löwenthal (1804-1891). Leur fille Séverine épousa en 1863, Louis Charles Elie, 2ème duc Decazes, qui fut ministre des Affaires étrangères de la IIIe République naissante. Sans avoir ancêtres et alliances princiers, ils sont situés au niveau le plus haut de la société aristocratique du XIXe siècle.
Louis 2ème duc Decazes ( 1819-1886)
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Mais le couple Hanski, qui ayant trouvé un intérêt mutuel au mariage, n’est pas assorti. Il est dépressif, elle est sensuelle, rêveuse avec des tendances au mysticisme. La tante d’Eve, Rosalie Rzewuska raconte dans ses mémoires cités plus haut :
“Hanski, riche, parcimonieux, désireux d’augmenter et de préserver sa fortune,a fait compris que si sa femme avait plus d’esprit que lui, il avait plus de raison qu’elle et qu’il devait la mener à la lisière. Pour lui faire éviter les dangers qu’il redoutait, il prit le parti de l’en éloigner et la garda, pendant maintes années, dans une campagne solitaire à Wierzchownia, où il s’était plu à bâtir un beau palais, à créer des jardins dispendieux, à établir de superbes fabriques. Il y avait beaucoup de serviteurs, des cuisiniers, des confiturière, un orchestre, que sais-je enfin, un grand état de maison, et tout ce qui peut contribuer aux jouissances de la vie. Il satisfaisait toutes les fantaisies de sa femme, lui achetait beaucoup de bijoux et de livres mais la tenait éloignée du grand monde.” (Mémoire de la comtesse Rosalie Rzewuska, publiés à Rome 1939-1950, T I page 432) Or Eve avait été élevée pour le grand monde.
Wierzchownia était un domaine de 20000 hectares avec 3000 serfs dont 300 domestiques de maison qui avait été construite quelques années auparavant, dans le style néoclassique de l’époque, superbement meublée. Les murs étaient ornés de tableaux achetés à Londres ou Milan, la superbe vaisselle venait de Chine et 25 000 ouvrages composaient la bibliothèque. Hanski était fier de dire qu’aucun meuble n’était russe.
Situation du domaine de Wierzchownia en Ukraine |
La journée au milieu de ces splendeurs, toutefois, y était morne pour Eve. Son mari passait la plupart de son temps à surveiller son domaine et le soir se retirait tôt après le dîner,
Château de Wierzchownia |
laissant sa femme seule. On suppose qu’il aimait sa femme, sans être amoureux d’elle. Et la différence d’âge se faisait sentir. Le couple eut cinq enfants, dont seule la troisième Anna Maryanna Jozefa survécut. Elle naquit le 14/26 décembre 1828 à Wierzchownia.
Eve passait ses soirées seule dans cette maison immense et isolée, que d’aucuns appelaient palais, terme bien fait pour séduire Balzac. Elle ne fréquentait pas les quelques dames des environs car leur société l’ennuyait. Elle n’aimait pas aller à Saint-Petersbourg dont la cour l’ennuyait également. Elle n’aimait pas recevoir les nobles visiteurs qui parfois s’annonçaient.
La fratrie Rzewuski entretenait dans l’ensemble de bons rapport entre ses membres; Compte tenu des distances qui les séparaient les uns des autres, ils s’écrivaient beaucoup et se visitaient parfois, pour de longs séjours. Il n’est pas inintéressant de savoir qui ils étaient car chacun a joué un rôle plus ou moins important sans sa vie. Et comme dans toutes les fratries, il y eut des hauts et des bas dans leurs relations.
Noble polonais |
Eve Hanska, dans son grand château, s’ennuyait de la vie intellectuelle, bien plus brillante, qu’elle avait connue chez ses parents que chez son mari.
Château de Wierzchownia en 2010 |
Son frère Henri, né en 1791, surtout lui manquait. Les lettres échangées entre eux ne suffisaient pas à combler le vide. Henri, après son Grand Tour qui le mena partout en Angleterre, en Allemagne, en Italie et surtout à Paris, rentra en Pologne pour y recevoir l’héritage de son père et se marier avec une femme laide, riche et vertueuse, Julie Grocholska ( 1807-1867). Puis la vie mondaine reprit le dessus, cette fois à deux. Tout d’abord à Saint-Petersbourg, puis à Rome où ils rencontrèrent Lamennais, Lacordaire et le poète polonais Mickiewicz. Ce dernier l’encourage à écrire, après avoir été charmé par ses talents de conteur. Il ne fut sans doute pas un bon écrivain mais il écrivait et publiait, ce qui aux yeux de sa soeur était déjà remarquable.
Henri Rzewuski |
Elle lui écrivit en 1833 : “Mon cher frère - malgré que vous ne me répondiez pas - renforcé peut-être dans votre orgueil de chef de famille, de grand propriétaire, grand agronome, grand horticulteur, que sais-je ? - je ne dis pas grand homme de lettres car, en vérité, chez ces Messieurs, il y a moins d’orgueil que chez les planteurs de choux aussi n’est-ce ni au lord, ni au quitte que je m’adresse, ce n’est non plus ni à l’agriculteur, ni à l’horticulteur, ni au planteur de choux…enfin, c’est en mettant de côté toute suzeraineté de Cudnow ( domaine d’Henri)…c’est à l’auteur de beaucoup de belles et grandes choses qui n’ont qu’un défaut, c’est celui d’atre griffonné en vilaines pattes de mouches…c’est à l’aimable Voyageur, l’aimable causeur devant la causerie duquel toutes les causeries du monde pâlissent, enfin c’est à mon vieux de science & jeune de coeur Henri que je jette le gant du défi en lui criant “Rends gorge déloyal, ou crie merci”. Comment pas un petit mot de réponse, pas un seul mot un pauvre petit mot. Allez, vous êtes un ingrat.”
Domaine de Cudnow appartenant à Henr |
Dans cette lettre, Eve se moque gentiment de son frère, en lui reprochant de ne pas lui écrire, mais elle exprime surtout son admiration.
La tante Rosalie dit d’Henri : “Il a prodigieusement d’esprit et de mémoire; il a beaucoup lu et rien oublié. Il a beaucoup écouté son père, et s’est si bien pénétré de ce qu’il lui a entendu raconter dur le passé, qu’il s’est incarné pour ainsi dire, et qu’il sait le décrire comme s’il y avait assisté.” Il avait en effet publié un recueil en 1839 “Souvenirs de Séverin Soplica, échanson de Parnava” une évocation de la Pologne du XVIIIe siècle.Il était devenu un auteur à succès. Et la tante de continuer “ Henri Rzewuski est un auteur distingué qui n’a point le talent d’inventer, mais la lumière des siècles passés se reflète si fortement dans son esprit que l’on croirait qu’il ne peint que ce qu’il a vu…On peut dire que son esprit est mal vêtu et qu’il ne s’agirait que de changer son costume, pour mieux le faire valoir. h-Henri est dévot et tient aux pratiques de la religion; il connait le bien et le mal…Mais l’habitude l’a vaincu; ses forces morales sont usées, il est bavard et se compromet lui-même et les autres…Il est incapable suite dans ses démarches et résolutions; il n’ aucune affection véritable, il juge avec sévérité ceux qui lui tiennent de plus près et ne résiste point à la tentation de les ridiculiser pour faire rire les spectateurs…Ne disait-il pas parlant de ses frères et de ses quatre soeurs “Pour me débarrasser de celles-ci, je sacrifierais volontiers ceux-là”. (Mémoires Tome II page 302-303)
Oeuvre d'Henri Rzeswuski
publiée anonymement à Paris
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Henri Rzewuski, le frère préféré d’Eveline, ne semble pas être le plus sympathique. Mais pour elle qui s’ennuie au fond de sa campagne, la vie de son frère et surtout ses capacités intellectuelles sont un phare.
Caroline Rzewuwka, née en 1796, était aussi l’aînée d’Eveline. La comtesse Rosalie Rzewuska, mine de renseignement sur la famille, mais pas toujours très charitable dit d’elle : “ Caroline était remarquablement séduisante, et malheureusement pour elle, ses succès ne furent que trop nombreux. Sa faiblesse l’entraînait plus que son coeur, et bien qu’elle eut voulu romancer ses erreurs, en les attribuant à l passion, le monde les jugea sévèrement. Elle ne cherchait point à se disculper, et on se demandait parfois si elle était humble ou effrontée.” ( Mémoires II, page 302)
Il faut dire à la décharge de Caroline qu’elle avait été mariée en 1813, l’âge de 17 ans, à Jérôme Sobanski qui avait 34 ans déplus qu’elle et se trouvait être à un an près de l’âge de son père. Il était un richissime propriétaire foncier de Poldolie - province située au centre-ouest de l’Ukraine, partagée aujourd’hui entre l’Ukraine et la Moldavie. L’union ne dura pas. Après la séparation en 1816, le divorce fut prononcé en 1825. Le couple eût toutefois une fille Constance qui épousa en 1835 le prince Xavier Sapieha (1807-1833). Rappelons ici que la grand-mère de la reine des Belges, Mathilde, était née Sophie, princesse Sapieha-Komorowska (1919-1997) et que son arrière-grand-mère était la comtesse Teresa Sobanska (1891-1875).
Caroline Rzewuska |
Caroline Rzewuska était une beauté célébrée : “ Je me souviens de ses apparitions vers 1830…je me souviendrai toujours de toque écarlate en velours ornée d’une plume d’autruche qui allait extrêmement bien à sa garde taille, à ses épaules opulentes et à ses yeux ardents.” Telle que la décrit un contemporain.
A peine séparée de son mari, elle devint la maîtresse du général Ivan Ossipovitch Witt (1781-1840).
Général Ivan Ossipovitch Witt |
Une digression dans la vie de la fratrie Rzewuski avec la présentation de la mère de l’amant de Caroline, Sofia Clavone ou Glavani, permet de comprendre mieux leur situation :
“Sofia Clavone naquit dans la ville turque de Bursa le 11 janvier 1760. Son père, Constantin Clavone était un pauvre marchand de moutons (certains disent qu’il était boucher), et sa mère, Maria, une beauté locale. Lorsque Sofia eut douze ans, la famille déménagea dans la grande ville de Constantinople, et s’installa dans le quartier grec de Phanar. Sofia et sa sœur vécurent dans ce quartier jusqu’à la mort inopinée de son père, lorsque la jeune fille eut atteint ses quinze ans. Sa mère fut obligée de se remarier à un arménien pour survivre.
En 1776, toute la famille perdit sa maison lors du grand feu qui ravagea Constantinople. La mère de Sofia y perdit son deuxième mari, et elle entreprit de demander de l’aide à l’ambassadeur polonais, Boskamp Lyasopolskomu. Ce dernier, séduit par la détresse de cette mère, et de ses deux jeunes et jolies filles, consentit à les aider, mais en contrepartie, il réclama la jeune Sofia comme maitresse en échange de 1 500 piastres.
La mère accepta sans sourciller de monnayer sa fille, et Sofia s’installa avec sa famille dans un coin de l’ambassade. Sofia et sa soeur apprirent le français avec les filles de l’ambassadeur polonais (car il était bien sûr marié). La mère de Sofia décida d’utiliser la beauté de ses filles pour survivre, et quelques mois plus tard, la sœur ainée de Sofia rejoignait le harem du pacha turc en tant que concubine.
Quant à Sofia, pendant deux ans, elle devint la maitresse de l’ambassadeur polonais. Rappelé à Varsovie le 27 mai 1778, Boskamp Lyasopolskomu installa la jeune fille à Constantinople dans un appartement loué chez l’interprète turc de l’ambassade, et mis sur la banque au nom de Sofia la somme de 1 500 piastres à titre de dot. Mais la jeune fille n’était toujours pas libre de ses mouvements.
En effet, en décembre 1778, Sofia reçut l’ordre de rejoindre l’ambassadeur polonais à Varsovie : en effet ce dernier lui promettait de lui trouver un riche marchand polonais pour mari, lui ne pouvant (et ne voulant) l’épouser puisqu’il était déjà marié.
Sofia se mit en route en janvier 1779 pour rejoindre la capitale polonaise, en compagnie des tuteurs nommés par Boskamp, et voyagea à travers la Bulgarie : en avril, elle arriva à Kamenets Podolsk en Ukraine Elle y rencontra le commandant du fort local, Joseph de Witte (d’origine hollandaise) qui tomba amoureux d’elle. Déjouant la surveillance dont elle était l’objet, Sofia rejoignit le fougueux officier qui lui proposa le mariage. Désireuse de quitter son état d’esclave sexuelle, la jeune femme accepta.
Le jeune couple se maria le 14 juin 1779 dans l’église catholique du village de Zinkovtsy, sans l’autorisation des parents du jeune homme. Sofia avait alors dix-neuf ans, et Joseph de Witte en avait quarante. C’était un bel homme qui était devenu lieutenant général dans l’armée russe et avait la faveur de l’impératrice Catherine II.
Le jeune couple passa deux ans à Kamenetz Podolsk où le mari détenait le titre de commandant de la forteresse russe, puis le comte de Witte emmena en 1781 sa jeune épouse pour un tour de l’Europe. Dans toutes les capitales d’Europe, la beauté de la jeune femme va susciter l’admiration de tous.
La reine de France accueillit le jeune couple à Trianon, où Sofia de Witte attira les regards du jeune comte d’Artois, frère de Louis XVI. Cet incorrigible séducteur semble avoir mis la jeune femme dans son lit. Elisabeth Vigée Lebrun fera un portrait de Sofia, elle relatera dans ses mémoires que « la jeune femme était vraiment très belle, mais qu’elle le savait et qu’elle en jouait outrageusement ».
En 1782, le couple revint à Kamenetz en ayant fait halte à Vienne après avoir traversé la Moravie et la Slovaquie. Cette année là, le père de Joseph de Witte mourut, et Sofia prit le titre de comtesse de Witte. Son mari reçut du ministre russe Grigori Potemkine le grade de commandant de Kherson, et 6000 roubles de salaire par an.
La première mention de la liaison de Sofia (âgée de vingt-neuf ans) et de Grigori Potemkine (âgé de cinquante ans) date de 1789 : à cette date, elle est l’invitée d’honneur du camp militaire d’Otchakov, où le prince Potemkine ordonna des bals et des collations dont la belle comtesse de Witte est l’invitée d’honneur. A cette époque, son mari se vit conférer le grade de général de l’armée russe.
Mais le prince Potemkine meurt en 1791, dans les bras d’une autre de ses maitresses, laissant Sofia sans protecteur.
Dans le courant de l’année 1792, Sofia rencontra celui qui allait devenir son deuxième époux, le plus riche magnat de l’Ukraine : un comte général polonais du nom de Stanislav Schensny Potocki, ; c’était un homme marié de quarante ans (il avait onze enfants de sa deuxième épouse Jozefa Mniszech) et le coup de foudre entre Stanislav et Sofia fut immédiatement réciproque. Elle devint rapidement sa maitresse, et lui donna trois enfants illégitimes Konstantin (né en 1793), Nikolai (né en 1794) et Helena (née en 1797).
Potocki, amoureux fou de Sofia, proposa à Joseph de Witte, époux de Sofia d’engager une procédure de divorce en échange de deux millions de zlotys. Le mari de Sofia accepta (sa femme était devenue depuis plusieurs mois la maitresse de Potocki et l’avait quitté) et la jeune femme entama la procédure : elle obtint un divorce catholique légal en février 1796. Quant à Potocki, il divorça de son épouse seulement après la mort de Catherine II en 1798. Potocki épousa Sofia le 17 avril 1798 dans une cérémonie orthodoxe à Toultchine, Sofia était alors enceinte de son fils Alexandre qui naitra à la fin de l’année 1798, et qui devait devenir son fils préféré. Après ce mariage, elle devint officiellement Sofia Potocka.
Au moment de son troisième mariage, Potocki venait de prendre sa retraite de général d’infanterie de l’armée russe : c’est ainsi qu’il se retira avec Sofia sur ses terres de Tulczyn en Ukraine (232 km au sud-ouest de Kiev) où les Potocki possédait un palais magnifique (qui existe toujours) dont il a été parlé sur ce site. http://www.noblesseetroyautes.com/palais-potocki-a-tulchyn/
Le ménage fut heureux malgré les crises de mysticisme de Stanislav vers la fin de sa vie, jusqu’au jour où Sofia tomba amoureuse de son beau-fils, Feliks Georg Potocki (issu du précédent mariage de Potocki) et de seize ans plus jeune qu’elle. Les rumeurs disaient qu’il était probablement le père du dernier enfant de Sofia : Boleslaw. Son mari (qui semble n’avoir pas soupçonné la liaison de sa femme) eut le bon gout de mourir le 15 mars 1805, et Sofia rompit sa liaison avec son beau-fils qui devait mourir en 1810 sans s’être jamais marié.”
(Sources http://www.logpatethconsulting.homeip.net/blogpress/?p=2107)
(Sources http://www.logpatethconsulting.homeip.net/blogpress/?p=2107)
Sofia Clavone
par Elisabeth Vigée Lebrun en 1781
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La légende veut que l’empereur Joseph II, après l’avoir rencontrée à Spa, fut si impressionnée qu’il demanda à Mozart de composer quelque chose en son honneur sur le thème du harem. Peut-être fut-elle à l’origine de “L’enlèvement au Sérail” ? Il recommanda à sa soeur Marie-Antoinette de la recevoir et la reine fut à ce point charmée par elle qu’elle l’appelait sa fille adoptive.
Cette longue digression permet de mieux comprendre que Caroline n’eut aucune hésitation à vivre officiellement en concubinage avec un homme en vue et sans que personne n’y trouve vraiment à redire, tant leurs alliances étaient illustres, leur fortune immense et la société de l’époque permissive, même si la partie prude de la société d’Odessa où le couple résidait se montrait choquée.
Witt était marié à une princesse Lubormirska et ne divorça pas, alors qu’en Russie à l’époque, il pouvait facilement le faire, comme sa mère l’avait fait pour devenir comtesse Potocka. Il était le chef des colonies militaires du sud de la Russie, dont faisait partie la Crimée et un spécialiste de la police politique durant les dernières années, despotiques, du règne d’Alexandre Ier.
Cela n’empêchait pas Caroline de jouer les coquettes et les poètes exilés en Russie, comme Adam Miskiewicz (1798-1855),
Adam Miskiewicz (1798-1855) |
On ne sait ce qui s’est passé le lendemain, mais Pouchkine quitta brusquement Saint-Petersbourg pour aller se marier à Moscou.
Witt fut nommé gouverner militaire de Varsovie en août 1831. Elle le suivit.
On retrouve ici la tante Rosalie : “ Faible jusqu’à la lâcheté, d’un caractère indécis et chancelant, elle n’avait qu’une seule volonté positive, celle de séduire et de plaire, la grâce de son langage et de sa figure eût désarmé les juges les plus sévères.” (Tome II p.206-207)
Mais le général Witt se lassa de la belle Caroline. Quand soupçonnée d’aider ses compatriotes polonais, et que Saint-Petersbourg se lassa du scandale de la liaison, elle reçut du Tsar l’ordre de quitter Varsovie, sans que son amant y ait trouvé à redire.
Il ne semble pas que Caroline ait vraiment aidé ses compatriotes car lorsqu’elle reçu la lettre elle répondit au comte de Benckendorf, ministre de la police de l’empire : “ J’ose dire que jamais femme n’a été dans le cas de montrer plus de dévouement, plus de zèle, plus d’activité pour le service de son Souverain que j’ai mis souvent au risque de ma perdre, car vous ne pouvez ignorer, mon général, qu’une lettre que je vous ai adressée d’Odessa a été saisie par les insurgés de Podolie et qu’elle a mis contre moi, haine et vengeance dans le coeur de tous ceux qui en eu connaissance…le plus profond mépris que je porte au pays à qui j’ai le malheur d’appartenir ( la Pologne) ; tout cela devait me mettre au dessus des soupçons dont je suis maintenant la victime. Tous les intérêts de ma vie ne s’attachent donc qu’à ceux de Witt et les siens sont toujours à la gloire de son pass et de son Souverain…que mon coeur honore comme Mon Maître et chérit comme un père qui veille sur nos destinées à tous…Je vis donc des Polonais, j’en reçus même quelques-uns qui répugnaient à mon caractère…Je ne succombe que sous une idée - c’est celle que le courroux de Sa Majesté se soit fixé un seul instant sur celle dont la seconde religion ici-bas est son dévouement et son amour pour son Souverain.” ( archives d’état de la Fédération de Russie in Roger Perrot - Eve de Balzac éditions Stock 1999 - L’ensemble des documents cités dans cet article provient en garde partie de cet ouvrage)
Il semble qu’elle n’ait pas vraiment aidé les Polonais et quand on sait comment l’insurrection de Pologne en 1830 et 1831 fut réprimée par les troupes russes et que l’élite de la société polonaise dut fuir à l’étranger pour ne pas finir en Sibérie et que leurs terres furent confisquées, une telle lettre laisse un goût d’amertume.
Caroline Rzewuska était non seulement lâche mais aussi traître à sa patrie.
Le couple toutefois reprit sa vie commune quand Witt fut à nouveau nommé à Odessa. le belle Caroline séduisit alors le maréchal Marmont duc de Raguse qui fut reçu par eux, au point qu’elle envisagea un moment de le rejoindre à Rome. Witt s’amouracha de la femme de son demi-frère la comtesse Marie Potocki. Devant son refus, Witt perdit la raison et finit par mourir gâteux.
Caroline se remaria en 1837 à Stéphane Chircowitz, aide de camp de Witt, amoureux d’elle depuis longtemps.
La tante Rosalie approuva ce mariage et écrivit à Eve Hanska : “ …Votre sévérité envers Caroline, vous avez eu tort surtout de la lui témoigner. C’est votre aînée, puis sa conduite ne vous regarde point…”
Il semble donc qu’Eve ait été choquée par la conduite de sa soeur et par son remariage rapide après la mort de Jean Sobanski dont elle était séparée depuis 1816, soit vingt et un an après. Cela est étonnant car on ne sait pas si Eve était choquée par la liaison de sa soeur avec Witt.
Eve toutefois alla faire une visite à sa soeur quelques temps après. Elles s’étaient réconciliées. Il est possible que la mort de la fille de Caroline, Constance princesse Sapieha, le 2 janvier 1838, ait aidé Eve à surmonter son jugement sévère. Caroline avait pris la route pour se rendre chez les Sapieha en Lituanie et en arrivant au château de Wysokie, elle eut la douleur de trouver un catafalque dressé dans la grande salle de réception sur lequel reposait Constance. Eve avait perdu trop d’enfants pour ne pas compatir à la douleur de sa soeur.
En 1844, Balzac dans une lettre à Eve la met en garde contre sa soeur alors que cette dernière est en visite à Wierzchownia : “ Chère, Votre soeur Caroline joue la comédie, et je ne sais quoi j’ai le plus à admirer de votre admirable simplicité dans votre confession ou de sa duplicité…Ne vous laissez plus prendre à rien.”
Caroline voyage beaucoup alors que son mari a perdu ses divers emplois dans l’armée. Nommé gouverneur de Bessarabia en 1845, mais perdit son poste à nouveau et mourut d’une crise cardiaque en 1846.
Elle fut alors une veuve joyeuse car son mari était un homme trop sérieux et elle s’ennuyait avec lui, probablement obligée à plus de contrainte qu’avec Witt.
Caroline rejoint sa soeur à Paris. Elles fréquentent plus le monde de la littérature que le grand monde aristocratique, où leur style de vie ne pouvait que détoner dans l’atmosphère prude et confinée de la Monarchie de Juillet. Elles sont riches et indépendantes.
Caroline s’éprend de Jules Lacroix (1809-1887), de quatorze ans son cadet, auteur mineur, qui a produit des oeuvres poétiques et en 1858 une pièce montée au Théâtre Français, Oedipe-Roi. Il était aussi un cousin de Madame Ingres. Ils se marient le 6 novembre 1851 à La Madeleine. Eve ne semble pas heureuse de ce mariage. Le couple mène la vie de la grande bourgeoisie européenne, entre la saison d’hiver à Paris, des séjours dans les différents châteaux en France ou en Ukraine, appartenant à leurs amis et à leurs familles et des cures à Carlsbad.
Le couple dès lors restera proche d’Eve devenue Madame de Balzac.
Caroline, née comtesse Rzewuska, épouse Sobanska, maîtresse officielle de Witt, veuve Chircowitz et enfin Madame Jules Lacroix mourut à Paris le 16 juillet 1885, deux ans avant son mari.
Sa vie fut riche en aventures et rebondissements. Balzac de l’aimait pas du tout et peut-être n’avait-il pas tort car le personnage n’est pas très sympathique.
Les autres membres de la fratrie sont Alexandrine, Adam, Ernest et Pauline. Leur vie fut plus conforme aux règles de leur milieu.
Alexandrine, appelée Aline, était née avant 1803. Elle fut une victime de sa soeur Caroline qui eut une aventure avec son fiancé Nicolas Jaroszynki et ce dernier se suicida. Aline fut mariée en 1831 avec Alexandre Moniuszko, lui aussi grand propriétaire foncier dans la région de Minsk. Il était aussi chambellan de l’empereur de Rusisie au moment du mariage. Leur différence d’âge était de deux ans. C’était un homme de goût et de culture. Il mourut très jeune, en 1836, laissant sa veuve et deux filles, Pauline et Ernestine.
Sa petite fille, Alexandrine Wankowicz, la décrivit ainsi : “ C’était le type de la grande dame d’autrefois, très distinguée, très soignée et aimant la toilette, petite de taille et, il m’aurait semblé, moins jolie que ses soeurs, artiste dans l’âme, jouant du piano si merveilleusement bien qu’un jour, il parait que Liszt, sans qu’elle le sache au salon, l’a applaudie par un “bravo, madame la comtesse, bravo!”
La présence de Liszt chez Aline montre bien le haut niveau culturel et artistique dans lequel évoluaient les Rzewuski. Balzacc la trouvait provinciale, prétentieuse et ennuyeuse. Mais son jugement n’est pas objectif car il semble vouloir plaie à Eve en disant cela, les deux soeurs ayant toujours eu de relations compliquées. Mais de toutes les soeurs, c’est celle qui a le mieux connu Balzac, les deux entretenant aussi des relations compliquées.
Elle séjournait à Paris au moment de la révolution de 1848 “ divinement mise, d’un petit air jeunet, à ravir, inquiétant, elle doit avoir des idées de mariage; elle voudrait avoir ses fonds et ses économies pour profiter du moment…Hier j’ai vu votre soeur, elle est toujours la femme du monde la plus heureuse d’être ici…” (Balzac dans une lettre à Eveline). Ces compliments ne devaient pas trop lui faire plaisir car elle était restée elle à Wierzchownia. Et ce d’autant moins qu’il la voit au moins une fois par semaine et l’emmène avec sa fille au théâtre. Elle séjournera ensuite fréquemment à Paris, avec ses filles, voyant Balzac fréquemment puis après sa mort, sera proche d’Eve dont elle accepta souvent l’hospitalité.
Elle mourut en 1878, laissant une postérité dans la famille du comte Martini-Bernardi de Florence, mari de sa fille Ernestine. Elle senble bien avoir été une grande dame jusqu’à la fin, menant une vie digne et sans scandales.
Adam, né en 1805, meurt en 1888. En 1826, il rejoint l’armée sous le commandement de l’amant de sa soeur Caroline, Jean Witt. Il eut une belle carrière militaire. Comme sa soeur, il choisit le parti en aidant activement à la répression de l’insurrection polonaise en 1831. Il eut une carrière classique, dont le commandement militaire de Kiev, et finit général. Il fut créé comte de l’empire russe. Il fut aussi actif dans la maçonnerie russe. Il posséda les domaines de Wierzchownia, acheté à sa nièce, et Pohrebychtche, par héritage de son père. Marié deux fois, il eut une fille de sa seconde épouse, Catherine devenue par mariage princesse Guillaume Radziwill. Sa postérité, dans les Radziwill et les Blucher est éteinte. Eve et lui ont toujours entretenu d’excellentes relations.
Pauline, la dernière des filles, née en 1808, épousa Jean Ricnic (1792-1861), en 1826. Il était d’une famille d’armateurs et de banquiers ayant des comptoirs à Trieste et à Odossa, où elle le rencontra chez sa soeur Caroline. D’une famille patricienne de Raguse, sa mère étant une princesse Mavrocordato, il appartenait à la famille des Obrenovicz, la famille princière de Serbie qui fut détrônée par les Karageorgevicz. Bien qu’étant dans le commerce, il appartenait à un milieu avec lequel une alliance n’était pas déchoir. Pauline fut amie de la reine de Naples, Caroline Murat, alors en exil à Trieste et c’est à elle que fut vendue le Palais Ricnic de Trieste quand des revers de fortune, suite à des impayés de fourniture de la part du gouvernement russe, atteignit la famille. Ils s’installèrent alors dans le petit domaine de Hopczyça, un manoir agréable, différent des fastes de Pohrebychtche, reçu en dot à son mariage. Sa fille Marie (1827-1895), épouse en premières d’Edouard comte Keller, fut une des beautés de son époque. Elle divorça en 1876 pour se remarier en Angleterre à Charles Saint-Yves (1842-1909).
L’arrière-petite-fille de Pauline, Renée de Forsanz(1876-1961) épousa en 1900 le futur général Maxime Weygand (1867-1965) à la naissance mystérieuse.
Pauline Mourut en 1866 Hopczyça. Tous s’accordent pour vanter le charme et la distinction de Pauline. Donce mais ferme, elle fut une épouse irréprochable.
Ernest, né en 1812, est donc le dernier de la fratrie. Beau et séduisant, il n’a tout de même pas l’intelligence des autres. Il était médiocre en tout. Il avait épousé Constance Iwanowska (1821- 1880), une riche héritière, cousine de Carolyne Iwanowska (1819-1887) épouse du prince Nicolas de Sayn-Wittgenstein, connue pour sa liaison avec Franz Liszt qu’elle faillit épouser à Rome le 22 octobre 1861. Le mariage semble avoir été interdit par le tsar lui-même. Le gouvernement impérial avait aussi confisqué ses nombreux domaines comportant des milliers de serfs. Ne pouvant se marier le couple resta ami.
Ernest divorça peut-être de sa femme car il écrivit à sa soeur Eve “ Je voudrais aussi décider ma femme à m’accorder le divorce en attendant si tu connais quelque belle et riche héritière, fais moi les affaires.” Difficile d’être moins romantique ! Le couple eut trois enfants dont il ne semble pas qu’il y ait de postérité. Il mourut en 1869 et sa femme en 1880.
Cet exposé de la fratrie Rzewuski montre que les relations entre ses membres avaient des hauts et des bas. Cela montre aussi une certaine instabilité affective, les divorces y sont nombreux. Cela monter enfin le milieu social qui était le leur. Parfaitement nés, parfaitement alliés, plus la plupart très riches, ils appartenaient à la couche supérieur de la société européenne. C’était somme toute un milieu dans lequel Balzac se sentait chez lui mais il n’est pas sûr qu’ils l’aient vraiment considéré comme un des leurs.
Fin de la première partie
Fin de la première partie
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