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13/04/2023

Le couronnement du dernier roi de Hongrie

  


Les armoiries de la Hongrie

Le gouvernement hongrois a acheté, aux enchères à Vienne, le 20 mai 1921 deux tableaux du peintre Felix Schwormstädt (1870-1938) le premier représentant le couronnement de Charles de Habsbourg-Lorraine et Zita de Bourbon de Parme, comme roi et reine de Hongrie et le second le repas donné à la suite du couronnement. Le premier a été payé 19 050€ et le second 16 550€.

Nous le verrons en détail un peu plus loin. Ceci nous donne l’occasion de revenir sur cet évènement mémorable et funeste  pour l’histoire de l’Autriche-Hongrie.


Comte Tisza par Gyula Benczúr

Le comte Tisza (1861-1918) n'avait pas perdu de temps. Par deux fois ministre-président du royaume de Hongrie, en 1903-1905 et 1913-1917, farouche partisans d’une politique magyare au dépens des autres minorités. Alors que les Magyars ne représentaient que 49% de la population hongroise, ils détenaient 99% des sièges au Parlement de Budapest. Sa politique ultra-conservatrice, son refus du suffrage universel, son opposition à la modification du Compromis austro-hongrois,  son refus du trialisme avec les Slaves, et du fédéralisme entre toutes les composantes de l’empire font de lui un responsable majeur du démantèlement de la Hongrie au Traité de Trianon, où elle perdit deux-tiers de son territoire et de sa population. Sa réjouissance ouverte à l’annonce de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo montre combien il était hostile aux modifications du statu  quo, modifications souhaitées par l”héritier du trône.


Carte de l'Autriche (rouge) - Hongrie (bleu) avec la Bosnie-Herzégovine (vert) jusqu'en 1918. 


La double-monarchie éclatée en 1921

Le couronnement fut donc prévu pour le 30 décembre 1916. 

Pourquoi sitôt ? Dans l’esprit de Tisza, en jurant de respecter les territoires de la Couronne de Saint-Etienne, le nouveau roi Charles IV s’engageait à respecter le Compromis de 1867, objet de nouvelles discussions tous les dix ans, la prochaine devant avoir lieu en 1917. Il liait ainsi les mains du roi, l’empêchant d’envisager et de réaliser les modifications constitutionnelles qui auraient pu sauver la double monarchie. 



Les jeunes souverains

Un mois après les pleurs de Vienne, le jour de l'enterrement de François-Joseph, Budapest se réveillait dans l'allégresse. Au glas de l'Autriche répondait le carillon de la Hongrie. La ville n'avait jamais été plongée dans la tristesse, bien au contraire. Le deuil de la Cour, respectant l'usage de l'Etiquette espagnole, imposait aux dames qui y paraissaient d'être couvertes d'un long voile noir, tenu par un bonnet blanc. La frivolité s'empara alors des femmes de toutes les couches sociales et elles se mirent toutes à porter le deuil de l'Empereur, ce qui ne les empêcha nullement d'aller danser le soir ainsi vêtues. Si Budapest avait adoré Sissi, elle n'en avait pas moins haï François-Joseph et sa mort lui donnait l'occasion de bien des réjouissances. Son appel aux Russes pour mater la répression, les condamnations et les exécutions de 1848 ne lui avaient jamais été pardonnées. Depuis sept heures du matin, les carrosses avançaient au pas en une longue file qui allait de Pesth la neuve à Buda l'ancienne, sur le pont suspendu enjambant le Danube à moitié pris par les glaces.  Dans les voitures de l'autre siècle s'entassait l'aristocratie hongroise qui se rendait au couronnement. 


Le “Pont des Chaînes” le premier à relier Pesth et Buda

Charles et Zita étaient arrivés trois jours auparavant, le 27 décembre, pour se préparer à la cérémonie. Symbolique et politique avaient part égale. L'immense palais de la colline de Buda dominait la ville jumelle de Pesth. Lieu royal dès le Xème siècle, le bâtiment, reconstruit aux  XVIIIème et XIXème siècles, présentait de longues façades à colonnades. 


Palais Royal tel qu'il était au moment du couronnement

Le château médiéval avait disparu sous un gigantesque amoncellement de pierres sculptées, balcons, balustres et fenêtres immenses. Mais le château de Buda restait un lieu vide. Seule Marie-Thérèse y avait séjourné assez longtemps avec sa nombreuse progéniture. Ses successeurs ne s'étaient pas précipités en Hongrie pour y tenir cour. François-Joseph, quant à lui, avait délibérément boudé cette ville qui s'était insurgée en 1848 contre son autorité souveraine. Et si la Famille Impériale s'était souvent retrouvée à Gödöllö autour de Sissi, elle n'avait jamais résidé à Budapest, en dehors du minimum imposé par la vie politique. 

Le comte Tisza, désigné comme Palatin du Royaume de Hongrie pour la cérémonie, les représentants de la chambre des députés et de la chambre des Magnats, arrivèrent au Palais Royal pour présenter au Roi la Charte, préparée par le Parlement, définissant ses devoirs envers la nation hongroise. Zita de son côté reçut, dans la grande salle de bal toute en stuc blanc à filets d'or, les dames de la Cour venues lui apporter la robe du sacre ; puis elle rejoignit en leur compagnie Charles et les représentants de la nation hongroise, pour la première cérémonie dans la salle du trône. 

- Votre Majesté accepte-t-elle d'être couronnée Roi apostolique de Hongrie ? demanda Monseigneur Czernoch, cardinal-primat de Hongrie.

- Oui ! répondit Charles, ému. 

- Votre Majesté accepte-t-elle les termes de la Charte qui vient de lui être présentée ? questionna encore le prélat. 

- Oui ! répondit Charles à nouveau.

Les mêmes questions furent posées à Zita car elle aussi serait couronnée. Après qu'elle eût répondu, Charles apposa sa signature au bas de la Charte. La partie politique du couronnement était terminée.  


Étienne Ier sur le manteau de couronnement hongrois datant de 1031

Musée national hongrois.

La partie symbolique commença le lendemain. Accomplissant un rite millénaire, Zita eut à coudre une pièce de tissu dans le manteau du sacre qui avait été brodé par la première reine de Hongrie pour son mari, Etienne Ier (975-1038) premier souverain de la dynastie des Árpád, le 26 décembre de l’an Mil. Il sera canonisé en 1083 et est considéré comme le fondateur du Royaume de Hongrie. Toutes les reines de Hongrie eurent à accomplir ce rituel avant d’être couronnées.

Charles et Zita avaient tous deux une sensation étrange. Dans la sincérité de leur cœur, ils se préparaient à s'offrir tout entiers à la Hongrie, dans cette noce mystique qu'était le couronnement; mais dans leur esprit, il était difficile de ne pas se sentir prisonnier du piège qui se refermait sur eux. Charles avait été contrarié d'apprendre que Tisza avait été désigné comme Palatin.
II n'avait pas pu s'y opposer mais il aurait préféré avoir près de lui un autre homme. L'aristocratie hongroise ne manquait pas d'hommes fidèles à la dynastie ! Pourquoi ne pas avoir choisi le prince Esterhazy ou le comte Apponyi ? Mais malgré cela, ils se préparaient pour la cérémonie, comme les chevaliers le faisaient la veille de leur adoubement, par la prière et l'abandon à Dieu.  




La grande salle du trône

Le lendemain, 29 décembre, une nouvelle cérémonie était organisée dans la salle du trône. Le prince Festetics, Grand-Maître de la Cour, présenta au Roi et à la Reine les dignitaires du royaume. La présentation se termina sous leurs vivats. 

Puis les symboles de la Monarchie hongroise quittèrent le Palais Royal, pour être conduits à Saint Mathias, l'Eglise du couronnement. La couronne royale, l'orbe en or, la masse de cristal et le manteau du sacre avaient été transportés dans un carrosse tiré par six chevaux, entourés d'une garde d'honneur. A l'égal des reliques, ils avaient été accueillis par l'aumônier de la Cour pour  être portés en procession dans le chœur de l'église. Une garde d'honneur les veilla toute la nuit. 



Les symboles de la Monarchie hongroise

La brume s'était enfin levée. Plus de deux cent mille personnes étaient dans les rues et aux fenêtres. La ville entière, pavoisée aux couleurs de la Hongrie, rouge, blanc, vert, retentissait de cris et d'applaudissements au passage des voitures, chacun cherchant à reconnaître les  occupants. 




Les rues de Budapest le jour du couronnement


Puis ce fut un instant de silence. Le lourd carrosse d'apparat franchit les grilles, après avoir traversé les deux immenses cours du palais dont tout le personnel était massé aux fenêtres. Instant d'émotion où les premiers à apercevoir sur la place Charles, Zita et Otto, eurent du mal à retenir leurs larmes devant la gravité des visages entrevus à travers les vitres de cristal. Discrètement, Charles prit la main de Zita et la serra très fort. En face d'eux, Otto souriait ; devant son sourire, ses parents sourirent aussi.  




Carrosse du couronnement en route vers l’église Saint-Matthias

Visages lumineux de l'espoir des peuples, Charles et Zita marchaient vers leur destin au rythme lent des huit chevaux blancs qui tiraient la voiture. En ce jour, ils étaient plus de cinquante millions à être avec eux. Toute la Monarchie, en Autriche, en Hongrie, des tranchées aux palais, du Tyrol à la Bukovine, priait pour eux. 

La voiture prit alors la rue qui menait à l’église, toujours sur la colline de Buda, séparée du Palais de trois cent mètres seulement. L’église Saint-Matthias n’était pas le lieu habituel des couronnements des rois de Hongrie, qui était Pozsony ( nommée aussi Presbourg et aujourd’hui Bratislava) ancienne capitale royale de la Hongrie. François-Joseph et Elisabeth furent les premiers souverains hongrois à être couronnés à Budapest en 1867. Le dernier souverain à avoir été couronné à Pozsony , fut Ferdinand Ier en 1830. 


Saint Matthias

Dans la nef de Saint Matthias, petite cathédrale gothique, symbole religieux de tout un pays, ornée des armes des Habsbourg et des Bourbon-Parme et tendue de velours rouge, avait pris la place la famille impériale avec à sa tête l'archiduchesse Maria-Josepha, mère du roi, et la duchesse Maria-Antonia de Parme, mère de la reine.  



Membres de l’aristocratie devant l’église

Derrière les mères des souverains se pressait toute l'aristocratie de Hongrie. Fiers magnats aux costumes rutilants, dolmans bordées de fourrure, coiffes surmontées d'aigrettes attachées par des pierres précieuses, belles dames aux robes de velours de soie, de brocarts d'or et d'argent, manteaux de zibeline, traînes brodées portées par des pages, tiares, rivières en diamants, longs colliers de perles à l'orient précieux, tous, serrés les uns contre les autres, dans l'espace étroit de  la cathédrale, attendaient le Roi et la Reine dans le chatoiement d'un autre temps.





Grande tenue de Magnat


Grande tenue pour leurs épouses 




La comtesse Zichy en grande tenue le jour du couronnement

Le martèlement des sabots de l'escadron de hussards qui précédait le carrosse interrompit le bavardage futile et les sourires qu'ils s'adressaient mutuellement. Le silence qui suivit à l'extérieur leur fit comprendre que le carrosse s'était arrêté devant le porche de l'Eglise. La foule, retenant son souffle, vit Charles descendre le premier. Il était en uniforme rouge de général hongrois. Puis le jeune prince Otto descendit. Un murmure d'admiration s'éleva en voyant l'enfant de quatre ans habillé de satin blanc, à la tunique à brandebourgs d'or, portant crânement  sa coiffure en brocart d'or à parement d'hermine. 


Le prince royal Otto et la reine Zita arrivant à l'église 

Enfin la foule put admirer Zita. Quand la Reine parut dans sa robe de satin blanc brodée d'entrelacs de fleurs et de feuillage d'or, une ovation s'éleva de la foule qui, dès lors, ne se retint plus de clamer son admiration et son amour pour le jeune couple qui portait tous ses espoirs. Charles avait exigé la présence du prince héritier à leurs côtés, symbole de leur amour mutuel et de la continuité dynastique. Une fois de plus, il avait bousculé le protocole. 

Monseigneur Czenoch, après leur avoir souhaité la bienvenue, les précéda dans l'église. Emus, ils descendirent les dix marches menant à la nef, le bras de Zita posé sur celui de Charles. Otto les précédait. Ils marchaient vers l'autel soutenus par l'amour de tout un peuple, accompagnés par la musique des hérauts. Le primat de Hongrie les guida jusqu'à leurs trônes surmontés d'un vaste baldaquin, en velours rouge, placé à droite de l'autel. 

Le cérémonial mis en place autrefois, en 1867, pour François-Joseph et Elisabeth put commencer. 

Deux évêques vinrent chercher Charles pour l'accompagner dans le chœur, où était assis l'ensemble des prélats. Il prononça alors en latin les paroles rituelles : 

- Moi Charles, de par la volonté de Dieu, roi de Hongrie, je m'engage devant Dieu et ses anges à veiller à la loi, à la justice et à la paix pour le bien de l'Eglise de Dieu et du peuple qui m'est confié. 

Zita debout, les mains jointes, priait. L'archiduchesse Maria-Josepha et la duchesse de Parme, les larmes aux yeux, priaient aussi pour leurs enfants, pour que le fardeau du pouvoir ne leur fût pas trop lourd, pour que Charles pût être ce roi de justice et de paix comme il venait de s'y engager, pour que Zita l'y aidât, sans que jamais ni l'un ni l'autre ne faiblissent, portés par leur amour.  



Tableau de Felix Schwormstädt peint en 1917 et acquis par la Hongrie en 2021.


Puis il posa sa main sur l'Evangile et s'agenouilla devant le cardinal- primat de Hongrie. Prenant le Saint-Chrême, Monseigneur Czenoch oignit Charles au poignet droit, au coude et à l'épaule. Deux évêques s'approchèrent alors pour poser sur ses épaules le manteau du sacre. 

La chorale entonna la messe du Couronnement de Liszt qui avait été composée pour le couronnement de François-Joseph et d’Elisabeth en 1867.  

Le cardinal prit l'Epée qui reposait sur un coussin de velours et la tendit à Charles qui, de sa main droite, la brandit vers l'assemblée en traçant le signe de la Croix, après quoi il la rendit au Primat qui la reposa sur son coussin. Charles alors s'agenouilla pour recevoir la couronne de Saint-Etienne, que le primat et le palatin placèrent sur sa tête. Puis il reçut le sceptre et l'orbe. 

Aux côtés de Monseigneur Czenoch, Tisza se rengorgeait. Sa qualité de Palatin le faisait, à l'égal du cardinal, le maître de la cérémonie. Tout de noir vêtu, peu concerné par la mystique du moment à laquelle sa religion le rendait indifférent, il souriait. Il avait enfin ce qu'il voulait, le roi à ses genoux. 

L'assemblée tout entière, bien loin des considérations machiavéliques du Président du Conseil, cria alors : « Vive le Roi ! » 

Charles de Habsbourg-Lorraine, roi héréditaire de Hongrie, était désormais et pour l'éternité Charles IV, roi apostolique de Hongrie. En hongrois :  “ IV. Károly magyar apostoli király”

Toutes les cloches de la ville se mirent à sonner à la volée et les canons à tonner. Le peuple de Hongrie apprenait ainsi que son roi était couronné. 

Charles se tourna alors vers Monseigneur Czenoch et lui demanda :

- Monseigneur, nous vous prions de bénir l'épouse unie à nous devant Dieu et de la toucher avec la couronne royale pour la louange et la glorification de Notre Sauveur Jésus-Christ. 

Zita s'agenouilla sur le prie-Dieu placé devant son trône. L'évêque de Vezprem s'approcha d'elle et plaça sur sa tête la couronne qu'avait ceinte Elisabeth. Le cardinal-primat s'approcha à son tour de la Reine, portant la couronne de Saint-Etienne qu'il posa un instant sur son épaule droite. 

- Reçois la couronne de la souveraineté, dit-il, afin que tu saches que tu es l'épouse du roi et que tu dois toujours prendre soin du peuple de Dieu. Plus haut tu es placée, plus tu dois être humble et rester en Jésus-Christ. 

Ces paroles symboliques ne furent jamais aussi significatives que pour les nouveaux souverains, amants du Christ et de sa Vérité. 

Et les cloches de Budapest sonnèrent à nouveau, cette fois pour la Reine. 

Puis le prélat revint vers Charles et lui plaça de nouveau la couronne sur la tête. 

Quelques rayons de soleil à travers les rares vitraux, transperçant les volutes d'encens, projetaient des éclats rouge et bleu dans la lumière dorée de milliers de cierges. Pour la communion, ils reçurent les deux espèces. La cérémonie s'achevait. 

Zita quitta la cathédrale seule, alors que Charles avait encore à adouber cinquante chevaliers, parmi lesquels le fils, le gendre et beaucoup d'amis de Tisza. Charles sortit de l'Eglise couronné. Sur le parvis la foule lui fit une nouvelle ovation. Des milliers de « Eljen » ( Vivat en hongrois)  se répercutèrent dans toute la ville, sortant des poitrines d'un peuple qui voulait croire à une ère nouvelle et dont la spontanéité et l'amour firent  frémir le jeune couple. 


Charles prête serment 

avec à sa gauche le cardinal Czernoch, primat de Hongrie et le comte Tisza.

Charles eut alors à prononcer le sermon du Sacre, celui pour lequel Tisza s'était précipité à Schönbrunn. Il traversa la place de la cathédrale pour prendre place au pied de la Colonne de la Trinité, située en son milieu, inspirée de la Colonne de la Peste du Graben à Vienne. Le Palatin lui présenta le texte qu'il tint pendant que Charles, un crucifix dans la main gauche et trois doigts de la main droite levés, d'une voix claire pour être entendu de tous, lut : 

- Nous, Charles, par la grâce de Dieu, Empereur d'Autriche, roi de Bohême, quatrième roi de Hongrie de ce nom, jurons par le Dieu vivant, la Vierge Marie et tous les Saints de Dieu que nous n'aliénerons pas les frontières de la Hongrie et de ses pays associés, ni rien qui puisse appartenir à ces pays à un titre quelconque; que nous ne réduirons pas, mais que dans la mesure du possible nous augmenterons et étendrons leur territoire et que nous ferons tout ce que nous pourrons faire justement pour le bien- être et la gloire de nos pays, avec l'aide de Dieu et de ses Saints. 

C'est avec jubilation que Tisza cria alors trois fois « Vive le Roi ». Il avait entendu ce qu'il désirait. Charles, le monarque au regard pur, ne pouvait plus lui échapper. 

Ils étaient désormais “Károly király” et “Zita királyné”, prisonniers d’un système dont malgré leur souveraineté ils ne pouvaient changer les règles.

La foule reprit son acclamation. 

Zita et Otto prirent place dans le carrosse pour regagner le Palais- Royal.  



Le roi Charles IV de Hongrie en tenue de général de Hussards portée pour le couronnement 

par Gyula Merész, 1919

On approcha alors un magnifique cheval gris, aux étriers et au harnachement d'or fin. Charles l'enfourcha et, toujours revêtu du manteau du sacre et la couronne sur la tête, il traversa à nouveau la vieille Buda, suivi d'un attelage dans lequel avaient pris place les prélats. Arrivé sur la place Saint Georges, devant le Palais Royal, il pressa son cheval et d'un galop rapide monta les pentes du Diszter, un monticule composé de terre apportée de chacun des comtés de toute la Hongrie. Il s'immobilisa au sommet et brandit l'épée du couronnement aux quatre coins cardinaux,  symbolisant la défense du royaume contre tout envahisseur. 


Première page du “Illustrirte Zeitung” - dessin de Lajos Márton 25 Janvier 1917

Le roi, désormais couronné jure de défendre les territoires de la Couronne de Saint-Etienne

En ces jours de guerre, chacun ressentit au fond de soi la portée du geste de Charles. Bien au-delà du symbole, le pays était réellement à défendre contre les Russes et les Italiens, qui menaçaient aux frontières. 

Zita avait regagné directement le palais royal pour assister aux engagements de Charles. 

D'une fenêtre du palais donnant sur la place, à côté de sa mère la Reine, Otto voyant son père superbe, cria : “ Papa, papa !”

La foule s'enthousiasma à nouveau en entendant le petit garçon. Lorsque Charles redescendit sous le carillonnement joyeux de toutes les cloches des églises de Budapest, des salves d'artillerie éclatèrent, l'hymne national retentit un peu partout dans la ville. 

« Eljen a Kiraly » (Vive le Roi) clamaient encore le peuple et l'aristocratie massée sur les pentes de la colline du palais. 

La pompe antique des cérémonies du couronnement s'achevait. 

Au Palais-Royal, le temps pressait à nouveau. Pendant trois jours Charles et Zita s'étaient préparés à la cérémonie religieuse. Ils avaient accompli le rituel pour sacrifier aux coutumes de leur pays et, aussi, par la conscience qu'ils avaient de se fondre dans la nuit des temps et de relier le passé au présent. 

Il restait encore une cérémonie.  




Second tableau de Felix Schwormstädt peint en 1917 et acquis par la Hongrie en 2021.

Après que le comte Tisza, le Palatin, eût présenté au Roi et à la Reine la cruche d'or, pour le lavage de mains symbolique, et que Monseigneur Czenorch leur eût tendu les serviettes, ils passèrent à table. Dans la salle du trône, une estrade avait été dressée pour supporter la table royale, en fer à cheval, où seuls le Roi, la Reine, le Cardinal-primat, le Palatin Tisza, le Nonce apostolique et l'évêque de Kalocsa furent admis à s'asseoir et à contempler la vaisselle d'or.  




L’unique photo de l’évènement

Un grand dîner de dix neuf services leur fut présenté, présenté seulement, car bien qu'il fût plus de midi et malgré leur faim, rôtis, poulets, jambons, truites et friandises repartirent à la cuisine. Ils devaient être servis dans un hôpital de la ville.  




Le plan de la salle avec la table royale

Plus de quatre cents personnes assistaient à cette étrange cérémonie. Etaient assis autour de la table à gauche de la reine, le Nonce Apostolique et le comte Tisza, à droite du roi, le cardinal-primat de Hongrie et l’évêque de Kalocsa

A la fin de ce simulacre de repas Charles se leva et dit en portant un toast :  Vive la Hongrie !”
Et le primat se levant à son tour répondit : “ Vive le Roi !” 

Le temps pressait. Il fallait faire vite. Charles et Zita quittèrent la salle du trône pour prendre cette fois une collation véritable. Ils se sourirent à nouveau. Ils avaient maintenant à recevoir la partie de la noblesse qui ne leur avait pas encore été présentée.
Le prince Zdenko Lobkowitz (1858-1933), aide de camp du roi, s'approcha du couple pour rappeler que le photographe était prêt.
Une estrade avait été préparée avec deux fauteuils de style Louis XV, un grand tissu de brocard tendu derrière. Il leur fallut à nouveau revêtir les vêtements du sacre pour poser devant l'objectif. Otto fut appelé pour se joindre à ses parents.  


Le roi, la reine et le prince royal de Hongrie pour moins de deux ans

Mais encore fallait-il gouverner. La guerre n'attendait pas. Comme par enchantement, le front avait été calme. Les adversaires avaient-ils eux aussi respecté le moment sacré ?
La salle du trône bruissait de commentaires sur le couronnement. Chacun était satisfait du rôle qu'il avait joué. Chacun admirait l'autre pour s'entendre à son tour admirer de lui. Toutefois, un mécontentement sourdait. L'aristocratie hongroise, splendide et susceptible, ne comprenait pas que les souverains, sitôt couronnés, les quittassent ainsi pour retourner à Vienne, l’ennemie. Pas de bal après le couronnement, cela ne s’était jamais vu. Les cérémonies leur avaient fait oublier que c'était la guerre et combien il eût été indécent de danser alors que des millions d'hommes se battaient encore. 

Pour Charles et Zita, la Hongrie, son peuple et ses Magnats avaient offert la dernière fête du Moyen-Age, mais le couronnement n'était pas qu'une fête : il était avant tout la cérémonie sacrée par laquelle Dieu leur avait remis la Hongrie à défendre, puis à garder en paix. 

Le train royal quitta Budapest sous les vivats des gens du peuple qui les accompagnaient à la gare. Pour eux, il n'y avait pas de bal à regretter ! Ils regardaient leurs souverains, transfigurés, avec amour et espoir que de leur jeunesse viendrait la paix tant attendue. Elle ne vint pas hélas sans douleur ni déchirement. Pour les Hongrois, le Traité de Trianon est une blessure encore vivante et il n’est pas un français qui ne se le voit reprocher après dix minutes de conversation. 

L’acquisition de ces tableaux par la Hongrie ne montre pas un attachement aux Habsbourg. Il s’agit plutôt de la célébration du dernier grand évènement de la Hongrie éternelle.

( Texte tiré de l’ouvrage de Patrick Germain - “Charles et Zita, derniers souverains d’Autriche-Hongrie” - Préface de Mgr l’archiduc Rodolphe, dernier fils des souverains) 



Signature du Traité de Trianon le 4 juin 1920 mettant fin définitivement à l’Autriche-Hongrie







01/09/2022

L'Aiglon - Cinquième partie : l'entrée dans la légende




 Le duc de Reichstadt, d'après Daffinger 


La carrière militaire du duc de Reichstadt débuta le 17 aout 1828. Son grand-père le nomma capitaine dans son régiment de chasseurs tyroliens. Marie-Louise lui offrit alors le sabre des Pyramides.

Il était fier et reconnaissant à son grand-père de lui permettre d’être militaire. Le fait n’était pas rare pour un membre de la famille impériale, mais Franz ne l’était qu’à moitié et cela réalisait le premier de ses rêves. 

 


Sabre des Pyramides


Dans une lettre à Foresti, en août 1828, il décrit l’évènement : “Je me hâte de vous annoncer le plus agréable événement de ma vie, un événement qui ne fut pas moins inattendu que réjouissant, un événement qui couvait en silence, un événement qui fait de moi tout d'un coup le plus heureux des hommes.  



Buste de Pietro Tenerani vers 1830

Hier, quelques instants avant qu'on se mît à table, l'Empereur fit venir ma mère dans son cabinet de travail ; après un entretien assez court, elle sortit, et c'est avec un visage rayonnant que je la vis causer avec le général (Neipperg) et le comte ( Dietrichstein); de même à table, où elle ne cessa de me regarder en souriant. A la fin du repas, l'Empereur fit sa partie, comme à l'ordinaire, et ce n'est qu'au moment où l'on se retirait qu'il m'appela. — « Tu désires quelque chose depuis bien longtemps déjà, me dit l'Empereur. — Moi, Sire? répondis-je fort embarrassé, et je pensai que ma mère voulait me faire une farce. — Oui, répliqua-t-il, et pointe prouver combien je suis content de toi et quels services j'attends de ta personne, je te fais capitaine de mon régiment de chasseurs. Deviens un brave homme, c'est tout ce que je souhaite. » “Sa Majesté me quitta sur ces mots. Ivre de joie et incapable de balbutier une réponse, je m'éloignai. Dans la grande salle, l'Impératrice, les archiduchesses et tous ces messieurs m'attendaient; je reçus les félicitations de tout le monde. Après cela, j'allai chez ma. mère, à qui je suis particulièrement redevable de ma nomination. Depuis quelques jours déjà, elle avait entrepris l'Empereur à ce sujet, et hier enfin elle formula sa demande.”

 A la fin de 1829, il fut nommé chef de bataillon au régiment Lamezan-Salins et le 14 juin 1831, il fut affecté au régiment hongrois n°60, commandé par le colonel comte Ignace  Gyulay.



Colonel Gyulay.


Mais on s’agitait autour de lui et cette agitation ne lui était pas favorable. Sa cousine Napoléone Bacciochi (1806-1869), fille d’Elisa Bonaparte, soeur aînée de Napoléon, l’approcha en novembre 1830. Quand il la vit, il lui demanda “Qui êtes-vous, Madame ?” “Je suis votre cousine, Napoléone Camerata” “ Camerata, je ne connais pas ce nom-là”. Qu’il l’ait connue avant ou non n’avait pas d’importance car, renseignements pris, il sut qu’elle passait pour folle, une excitée de la cause bonapartiste. Et si le duc de Reichstadt devait poser ses pions pour un futur possible, ce n’était pas elle qui pouvait l’aider, bien au contraire. Edmond Rostand en fit, à tort, une héroïne. A l’une de ses lettres, la dernière, il répondit “ “…L’honneur me prescrit que je n’ai pas reçu les deux premières dont vous parlez; que celle à laquelle je réponds sera immédiatement livrée eux flammes et que le contenu, autant que je le devins, restera à jamais enseveli en mon sein…” ( Dans Octave  Aubry, “Le roi de Rome”)



Comtesse Camerata par Stapleaux, en 1830



La rencontre avec la comtesse Camerata

Franz savait trop bien qu’il était soumis à une surveillance étroite et si la comtesse Camerata avait pu l’aider, cela aurait été immédiatement signalé à Metternich. Mais comme elle avait la réputation d’une folle, elle ne semblait pas dangereuse. Et Franz se méfiait.


Dietrichstein continuait de veiller sur le prince désormais émancipé de sa tutelle. Il continuait ses rapports à Marie-Louise  “Le prince a fait mardi ses visites militaires avec le comte Hartmann. Hier il a passé la matinée dans la caserne pour voir son bataillon en détail et s’orienter dans ses occupations. Je ne l’ai pas vu du tout aujourd’hui, car il alla rejoindre son bataillon dans la caserne à 6 heures du matin, puis à l’exercice sur les glacis.” ( Lettre du 16 juin 1831) Il a de l’affection pour lui et s’inquiète de son état de santé, de son avenir et de ses fréquentations. Il a encore le haute main sur sa maison.


Mais la vie d’officier du duc de Reichstadt fut de courte durée. 



Gravure d'Epinal de l'époque


Au mois d’août 1831, une “fièvre catarrhale” le prit. Malfatti le força à garder le lit un jour. Le lendemain, son patient lui brûla la politesse et fut comme d’ordinaire à l’exercice. Le médecin après en avoir conféré avec Hartmann, adressa un nouveau rapport à l’empereur. Le prince disait-il avait besoin de repos. L’extrême chaleur l’avait éprouvé. Le choléra qui après avoir ravagé Londres et Paris venait d’entrer à Vienne et y faisait des morts nombreux, pouvait facilement atteindre le duc ; dans l’état de faiblesse où ses écarts l’avait réduit, il ne saurait y résister. Hartmann transmit  le rapport à l’empereur qui donna ordre à Malfatti de venir le lui répéter, en présence de Reichstadt, à l’issue de la revue qu’il devait passer le lendemain sur le glacis.

Arrivé au champs de manœuvres, le docteur s’approcha du souverain et devant le jeune homme renouvela son avertissement. L’Empereur se tourna vers son petit-fils et lui dit :

“Franz, tu as entendu le docteur Malfatti ; rends-toi immédiatement à Schönbrunn.”

Le prince salua en signe d’obéissance. Mais ses yeux luisaient de colère et, passant devant le médecin, il lança d’un ton indigné : “C’est vous qui me mettez aux arrêts !”.

Quitter Vienne et l’armée, en ce moment de contagion, lui paraissait honteux. Il fut plusieurs jours à s’apaiser. Cependant forcé de se soumettre, baigné par l’air frais et le calme de Schönbrunn, il reprit des forces et retrouva l’appétit. Il dormit longuement. Sa poitrine chassa l’oppression. Il revit Malfatti sans rancune et le pria même d’oublier son injustice. 



Malfatti


Voici ce que dit le médecin lui-même,  de son patient et de son état de santé : “Je fus appelé par le duc de Reichstadt, avec le titre de son médecin ordinaire, dans le mois de mai 1830. Je succédais à trois hommes d'une haute réputation : le célèbre Franck, les docteurs Golis et Standenheimer. M. de Herbeck avait rempli près du prince les fonctions de chirurgien ordinaire. Ces médecins n'avaient pas laissé de journal de la santé du jeune duc. M. le comte de Dietrichstein eut la bonté d'y suppléer en m'instruisant de beaucoup de détails qu'il était indispensable de connaître. 

“Le prince mangeait très peu et sans appétit ; son estomac semblait trop faible pour supporter la nourriture qu'aurait exigée sa croissance, singulièrement rapide et même effrayante : à l'âge de dix-sept ans, il avait atteint la taille de cinq pieds trois pouces ! De légers maux de gorge le faisaient souffrir de temps en temps ; il était sujet à une sorte de toux habituelle et à une journalière excrétion de mucosités. Le docteur Standenheimer avait déjà manifesté de vives inquiétudes sur la prédisposition du prince à la phtisie de la trachée-artère. Je pris connaissance des prescriptions qui avaient été décidées contre ces symptômes inquiétants. 

“La connaissance personnelle que j'avais d'une disposition morbifique héréditaire dans la famille de Napoléon dirigea mes premières recherches, et je m'assurai de l'existence d'une affection cutanée herpes farinaceum. Je ne pus approuver l'usage des bains froids et de la natation, que le chirurgien, M. de Herbeck, avait aussi combattus, peut-être par suite seulement de la connaissance qu'il avait acquise de la faible organisation de la poitrine du prince. Dans le but de réagir sur le système cutané, j'employai avec succès les bains muriatiques et les eaux de Seltz coupées avec du lait. Le prince devait passer à l'état militaire dans l'automne suivant ; c'est là que tendaient ses voeux, que se concentraient tous ses désirs. Il avait déjà obtenu l'autorisation tant sollicitée. Je ne me recommandai pas à ses bonnes grâces, comme vous pouvez l'imaginer, lorsque je m'opposai formellement à ce changement de vie. J'en développai les raisons à ses augustes parents dans un mémoire que je leur adressai le 15 juillet 1830. J'établissais que, dans l'état de croissance excessive en disproportion avec le peu de développement des organes, dans la disposition générale de faiblesse, particulièrement de la poitrine, toute maladie accessoire pourrait devenir extrêmement dangereuse, soit dans le présent, soit dans l'avenir, et que, par suite, il était indispensable de mettre le prince à l'abri de toutes les influences atmosphériques, de tous les efforts de voix auxquels il serait continuellement exposé dans le service militaire. 

Mon mémoire fut accueilli par l'empereur : l'entrée au service militaire fut ajournée pour six mois. A la suite de soins assidus et de révulsions artificielles, les symptômes inquiétants se mitigèrent d'une manière visible. L'hiver se passa heureusement ; mais la croissance continuait encore.” Ceci est rapporté par Alexandre Dumas Père dans ses Mémoires.


Malfatti rapporte qu’il avait été clair avec Franz. “Au printemps de l'année 1831, le prince fit son entrée dans la carrière des armes. Dès ce moment, il rejeta tous mes conseils ; je ne fus plus que spectateur d'un zèle sans mesure, d'un emportement hors des limites pour ses nouveaux exercices. Il crut ne devoir écouter désormais que sa passion, qui entraînait son faible corps à des privations et à des fatigues absolument au-dessus de ses forces. Il eût regardé comme une honte, comme une lâcheté de se plaindre sous les armes. D'ailleurs, j'avais toujours à ses yeux le tort grave d'avoir retardé sa carrière militaire ; il paraissait redouter que mes observations ne vinssent encore l'interrompre. Aussi, quoiqu'il me traitât avec une extrême bienveillance dans les relations sociales, comme médecin, il ne me dit plus un seul mot de vérité. Il me fut impossible de le déterminer à reprendre l'usage des bains muriatiques et des eaux minérales, qui lui avaient été si utiles l'année précédente. Le temps lui manquait, me disait-il. Plusieurs fois, je le surpris, à la caserne, dans un état d'extrême fatigue. Un jour, entre autres, je le trouvai couché sur un canapé, épuisé de forces, exténué. Ne pouvant me nier alors l'état pénible où je le voyais réduit : 

« - J'en veux, me dit-il, à ce misérable corps, qui ne peut pas suivre la volonté de mon âme ! 

« - Il est fâcheux, en effet, lui répondis-je, que Votre Altesse n'ait pas la faculté de changer de corps comme elle change de chevaux, lorsqu'elle les a fatigués. Mais, je vous en conjure, monseigneur, faites attention que vous avez une âme de fer dans un corps de cristal, et que l'abus de la volonté ne peut que vous devenir funeste.” (Alexandre Dumas Père- Mémoires )


En cet été 1831, la famille impériale l’avait rejoint à Schönbrunn, sauf Marie-Louise qui avait regagné Parme. Reichstadt, désormais sans activité militaire, avait retrouvé l’archiduchesse Sophie. Il passait avec elle dans le château ou les jardins de tendres heures. Pour le distraire, l’empereur l’emmenait aux grandes manœuvres et le faisait assister au Kriegspiel ( jeu de la guerre ) avec les généraux. Il lui permit même à la revue finale de prendre pour un jour le commandement de son bataillon et de défiler à sa tête devant toute la cour.


Malfatti, le médecin qui s’était souvent occupé de Sophie pendant sa grossesse, et en lequel toute la famille impériale avait une grande confiance, fut accusé pour le moins de négligence avec le duc de Reichstadt, voire de complicité d’assassinat, obéissant ainsi aux ordres de Metternich. La négligence fut possible mais jamais un ordre de laisser mourir le duc de Reichstadt ne lui fut donné. Le seul remède que Malfatti, compte tenu des connaissances médicales de l’époque, pouvait ordonner,  était une cure au soleil d’Italie. Mais les aléas de la politique ne le permettait pas. Même si Metternich n’avait pas été aussi intransigeant, il est probable que Louis-Philippe, au trône à peine assuré, aurait demandé des comptes de la présence du prince sur le sol italien. La famille impériale ne semble pas lui en avoir voulu car en 1837, il fut créé comte de Montergio.

 


 Le duc de Reichstadt sur la place d'armes le 30 novembre 1831


Dietrichstein, toutefois, commença à se méfier du Dr Malfatti et en avertit Marie-Louise, hélas trop tard. Une fois l’épidémie de choléra terminée, le prince put reprendre ses activités militaires. 


Le 9 janvier 1832, “La baronne Louise de Sturmfeder, gouvernante de François-Joseph, vit de sa fenêtre le prince passer en revue en compagnie de son bataillon qui allait prendre la garde. Madame l’archiduchesse, le petit (François-Joseph) et moi, nous sommes restés plus d’un quart d’heure à la fenêtre pour regarder le duc de Reichstadt passer aujourd’hui l’inspection de la garde. Une foule de curieux s’était assemblée pour le voir. Il paraissait prendre son service très au sérieux et cherchait autant qu’il m’a semblé à imiter son père dans son attitude et sa manière de porter son chapeau. L’archiduchesse Sophie à qui j’avais fait par de mes observations me dit que c’était en effet son seul but. Après avoir terminé son inspection, il monta avec beaucoup d’adresse sur un petit cheval noir puis il partit au galop, suivi de l’aide de camp, et accompagné des cris de joie, derrière la fenêtre fermée de mon petit qui l’appelle « Ada ».”




En janvier 1832 par Leopold Bucher 


Le 16 janvier, sur  la Josefplatz, il apparut pour la dernière fois à la tête de son bataillon, à l’occasion de l’enterrement du général de cavalerie, Bersina von Siegenthal. Lorsqu’il voulut à la fin de la cérémonie donner le commandement pour la salve, la voix lui manqua et on dut le reconduire chez lui grelottant d’une fièvre qu’il avait cachée à son entourage.


Un jour à la fin de mars s’étant obstiné à sortir par un temps froid et humide, saisi par l’action de l’air, il courut de toute la vitesse de son cheval. Le soir il alla encore se promener au Prater, en voiture découverte. Dans cette île du Danube, extrêmement humide, il resta jusqu’après le coucher du soleil, un accident de voiture força le prince à faire un long trajet à pied. Le soir, il fut pris d’un violent accès de fièvre et d’une fluxion de poitrine qui détermina les plus graves accidents, notamment la perte de l’ouïe de l’oreille gauche. » (Jean de Bourgoing - Le fils de Napoléon Payot – Paris – 1932)


Sophie attendait son deuxième enfant. Pendant cette période, Sophie se rapproche encore de Franz, ce qui a fait dire aux commères de Vienne que l’enfant était de lui. 


En avril 1832, Metternich avait enfin donné l’autorisation du voyage en Italie. Cela ne devait pas lui être difficile si l’on en croit sa femme la princesse Mélanie qui écrivit dans son journal, le 10 avril :


“L’Empereur a dit à Clément qu’il avait réuni des médecins en consultation pour se prononcer sur l’état du duc de Reichstadt et que tous avaient déclaré que la situation du malade leur paraissait désespérée. Il crache déjà des morceaux de poumon, et n’a plus que quelques mois à vivre. Que la volonté du ciel s’accomplisse ! Quoi qu’il en soit, nous trouvons fort triste la destinée de ce prince qui ne manque ni d’esprit, ni de talent, ni de génie.”


A cette nouvelle, Reichstadt demanda des cartes et des ouvrages sur l’Italie. Il se disait guéri. Cachant son inquiétude, Sophie qui était à côtés essayait de tempérer son ardeur. Elle lui demandait de se reposer et veillait à ce qu’il ne soit pas dérangé. 




L'archiduchesse Sophie en 1832 par Karl Joseph Stieler


Le 28 avril 1832, la reine Caroline écrit à Sophie : “Mon Dieu, que votre nouvelle sur Reichstadt m’afflige. Je ne peux plus penser à rien d’autre depuis hier. Les nouvelles alarmantes ne m’avaient pas paru dignes de la moindre attention, les attribuant à la malveillance, mais comme depuis longtemps vous le nommiez plus dans vos lettres, je m’étais proposée (justement hier) de vous demander pourquoi. n’y aurait-il pas moyen de l’envoyer dans un climat chaud ?…Si l’empereur veut conserver son petit-fils qu’on agisse franchement avec la France, qu’on dise l’état dans lequel il est et qu’on ne veut pas le sacrifier à de misérables considérations mondaines et qu’on demande qu’il puisse séjourner dans le voisinage de la France en garantissant la tranquillité du pays par l’entourage qu’il plaira à l’Empereur de donner et qui sera même, je crois, nécessaire pour la propre sûreté du jeune homme. Enfin, qu’on donne les sûretés raisonnables mais qu’on agisse pour le bien du malade car Ischl n’est rien pour un état pareil, un palliatif tout au plus dont le résultat ne mène pas loin. Prenez bien à coeur ce que je vois dis là, chère Sophie….Que dit donc sa pauvre mère ? Connait-elle son état ? Malheureuse femme…Elle s’était tant attachée à lui dans ce dernier séjour et m’en parlait avec une satisfaction et un sentiment de bonheur qui faisait plaisir à entendre.”  (Document 794-2)

Quelques jours après, elle écrit : “ je suis charmée au moins qu’on ne rejette pas tout-à-fait un climat chaud pour Reichstadt” ( Document 800-2)


Dès le mois avril donc, tout le monde le sait condamné. Marie-Louise, rassurée par Malfatti, n’est pas encore au courant. Ce n’est qu’en juin que Dietrichstein lui écrivit en lui demandant de venir au plus vite : “Hélas ! Pourquoi suis-je condamné à [vous] causer tant de peines […] ? Je bénis votre résolution de venir à Vienne […]. Si Dieu le veut, peut-être que votre présence produira quelque bonheur, au moins, des soulagements…”


Sophie était présente à Schönbrunn, à ses côtés, l’égayant par sa présence. Elle lui faisait la lecture. Le 22 mai, il s’était installé à Schönbrunn dans les appartements du premier étage qu’occupait Sophie et François-Charles qui le lui avaient cédé car plus ensoleillés que les siens. Il était installé dans les grandes pièces de l’aile gauche que Napoléon avait occupées après Austerlitz et après Wagram. Sa chambre était celle même où Napoléon avait dormi. 



Chambre de Franz à Schönbrünn


Près de sa chambre Reichstadt disposait du magnifique salon de laques, noir et or, qui avait servi de cabinet de travail et d’audience à Napoléon. 



Chambre des Vieux-Laques


De l’autre côté on entrait dans la « chambre de porcelaine », bleue et blanche, pièce de prédilection de Sophie.

 


Salon de porcelaine


L’empereur l’avait nommé colonel de son régiment. Franz n’eut pas la force de lui écrire pour le remercier.


Ranimé par l’air de Schönbrunn, dormant mieux, souffrant moins, il partait en voiture chaque matin pour aller visiter les environs. En revenant de Laxenburg, un orage le surprit et le soir même il était alité à nouveau, avec de la fièvre et crachant du sang.


Sophie, toujours présente, bien que fatiguée par sa grossesse, passa dès lors ses journées à ses côtés. Quand il ne put plus marcher, on le conduisit en chaise à porteur dans le jardin de Sophie où il y avait un pavillon. Il s’étendait sur un grand fauteuil “vêtu d’une robe de chambre à raies blanches et rouges, avec un pantalon blanc et un bonnet à la grecque d’où s’échappaient ses boucles blondes.” Franz essayait de dissimuler ses crachements et Sophie ses larmes. Elle, comme les autres, le savait condamné. Son état ne laissait plus aucun espoir.

Metternich avait écrit au comte Apponyi, ambassadeur d’Autriche à Paris : “Le mal du duc de Reichstadt est une phtisie pulmonaire caractérisée, et si cette maladie ne pardonne pas à tout âge, elle tue à 21 ans. Je vous prie de rendre le roi Louis-Philippe attentif au personnage qui succédera au duc. Je me sers du mot succéder car dans la hiérarchie Bonapartiste, il y a une succession toute avouée et respectée par le parti. Le jeune Louis Bonaparte est un homme  engagé dans les trames des sectes ; il n’est pas placé comme le duc de Reichstadt sous la sauvegarde des principes de l’Empereur. Le jour du décès du duc, il se regardera comme appelé à la tête de la République française.”


Le cynisme du chancelier fait froid. Pour lui le jeune homme est déjà mort et il faut songer à se méfier de son successeur. 


Franz ne s’alimentait plus. On songea alors à lui administrer l’extrême-onction car il pouvait mourir à tout instant. La cérémonie eut lieu le 20 juin 1832.


Jean de Bourgoing, fidèle aux souvenirs de Prokesch-Osten, raconte : “À 10 heures Reichstadt se confessa ; avant 11heures, les employé et la domesticité de la Cour se réunirent dans la chapelle du château. Le curé de la chapelle de la Hofburg, Wagner, donna la bénédiction à l’assemblée avec le ciboire. Chaque assistant ayant reçu un cierge, le cortège quitta la chapelle ; à sa tête marchaient les  laquais en livrée suivis des officiers civils de la maison du duc, les autres domestiques et employé de la Cour, ainsi que le clergé qui n’entraient pas en fonction pendant cette cérémonie. Les membres de la Famille impériale étaient précédés des chambellans n’étant pas de service et des conseillers intimes. Le roi de Hongrie, prince impérial d’Autriche, était accompagné du prince de Salerne et des archiducs, François-Charles, Louis et Antoine précédant le Saint-Sacrement porté sous un dais ; derrière celui-ci marchaient la reine de Hongrie et les archiduchesses Sophie et Clémentine. La fin du cortège était formé par les femmes de service du château qui avaient demandé, comme le procès-verbal le mentionne, à pourvoir assister à la cérémonie.






Plan appartement de Franz


Le cortège en quittant la chapelle traversa une haie de grenadiers et, en passant par l’escalier bleu et la galerie arriva aux appartements du duc, où le général comte Hartmann et la capitaine baron de Moll l’attendaient pour accompagner le Saint-sacrement dans la chambre du malade. Selon le cérémonial le dais aurait dû être porté jusqu’auprès du lit. Comme le duc ne devait pas savoir qu’il recevait en réalité les derniers sacrements, les porteurs restèrent dans le cabinet attenant à la chambre ; pour la même raison les prières ne furent pas dites à haute voix. On prit aussi les mesures nécessaires pour que la Wiener Zeitung ne mentionnât pas cette cérémonie. L’archiduc François-Charles en rendit compte à l’Empereur : «  Reichstadt comme Wagner me l’a assuré lui-même s’est conduit comme un vrai pêcheur repentant et a cherché la consolation et les secours là où seulement on peut les trouver. Il lit la Bible et les livres de prières, de préférence ceux que l’Impératrice lui a donnés. Il a prêté grande attention aux paroles de Wagner. L’intérêt que les gens manifestent pour Reichstadt est réellement touchant. Aujourd’hui il est très irrité et les nerfs le tourmentent beaucoup…Comme on ne voulait pas que cette cérémonie, prescrite pas le cérémonial de la Cour d’Autriche, donc nullement due à un caprice de l’archiduchesse Sophie, trahit au duc de Reichstadt la gravité de son état, on la modifia de manière à ce que le malade put croire qu’il n’avait que communié. L’archiduchesse Sophie assuma la responsabilité de ce pieux mensonge. « Personne ne voulait le lui proposer, raconte la baronne Sturmfeder, gouvernante de François-Joseph à la fin, la mère de mon enfant (Sophie) s’y décida et elle obtint en un quart d’heure ce que les autres n’auraient même pas risqué de proposer.”


Le 24 juin, la reine Caroline écrit à nouveau : “…Une lettre de votre cousine Amélie à Marie qui parle de l’état empiré du pauvre Reichstadt avec lequel vous dites vos dévotions ce qui ne peut manquer de vous avoir fortement émue je me suis décidée à partir mercredi 7 et j’en ai informé votre frère ( le Roi Louis Ier) La crainte du malheur qui parait inévitable et des suites qu’il pourrait avoir sur votre état ne me laisse plus de repos…Le 30 j’espère être de bonne heure  auprès de vous, ma bonne Sophie, et partager vos peines et vos inquiétudes, si toutefois jusque là le pauvre cher malade existe encore” (Document 813-2)


Marie-Louise arriva à Schönbrünn le 24 juin pour constater : “Mon malade est toujours de même, un jour mieux, un jour moins bien mais la fièvre lente continue, sa maigreur augmente et ses forces se consomment. Aujourd’hui que l’air et pur et bon, je l’ai trouvé assis sur son balcon, respirant pour la première fois, après treize jours, l’air; cela a paru lui faire plaisir” ( Lettre de Marie-Marie-Louise à sa fille Albertine Montenuovo en date du 4  juillet)



Marie-Louise au chevet de son fils


Il avait dit, en pleurant, à Prokesch-Osten : “Si Joséphine avait été ma mère, mon père ne serait pas allé à Sainte-Hélène et moi, je ne languirais pas à Vienne. Certainement, ma mère est bonne, mais elle est sans force. Elle n’était pas la femme que mon père méritait”


Elle passe ses après-midi avec son fils, puis dîne chez Sophie, à peine remise de ses couches, avec l’archiduc François-Charles, la reine Caroline et la princesse Marie de Bavière. Il semble qu’il y ait un mieux le 11 juillet, Marie-Louise écrit : “Il est assez calme et gai ; nous tâchons de faire tout pour le distraire, et mon frère François ( le mari de Sophie) surtout est un ange de bonté pour lui, ce qui me touche tant. Ma belle-soeur (Sophie) va très bien et le petit Ferdinand aussi (Max, le futur empereur du Mexique). Quand on demande à Franzi (François-Joseph) : Que fait le petit frère, il répond : il grogne. En général il est bien jaloux de lui.” ( Lettre à Albertine Montenuovo du 11 juillet 1832)


Napoléon François Charles Joseph Bonaparte, prince impérial français, roi de Rome, espoir d’une dynastie, s’éteignit le 22 juillet 1832, un peu avant cinq heures du matin, dans le même lieu et le même jour de l’année où il avait appris la mort de son père. Il était alors Son Altesse Sérénissime, Franz duc de Reichstadt. Se trouvaient à ses côtés, sa mère, l’ex-impératrice des Français, duchesse de Parme, son oncle l’archiduc François-Charles, les généraux Hartmann et Mareschall, les docteurs Malfatti et Nickert, ainsi que d’autres personnes à son service. On dut emporter Marie-Louise qui s’était évanouie. François-Charles eut alors à prévenir Sophie, avec ménagement. Elle aussi s’évanouit en entendant la nouvelle. Pendant plusieurs jours, elle eût de la fièvre. 



La mort de Franz dans l’imagerie populaire



Le 24 juillet, suivant le cérémonial des archiducs, il fut enterré dans la Crypte des Capucins à Vienne. Sur son cercueil, on grava : “Fils de Napoléon, empereur des Français, et de Marie-Louise, archiduchesse d’Autriche”. Il s’appelait Napoléon Bonaparte, comme son père, mais cela fut volontairement oublié.


Il avait été revêtu de son uniforme de colonel, il avait été exposé dans son cercueil à l’extérieur de velours rouge, brodé d’or. Ses insignes militaires reposaient sur un coussin, des officiers des gardes hongroise et allemande le veillaient. Le peuple de Vienne, canalisé par les huissiers du palais, défila pour lui rendre hommage. Sur le passage du cortège, la foule vêtue de noir était compacte. Le fils de Napoléon était pleuré par une ville qui, si elle n’avait pas aimé le père, avait adoré le fils.



Sur son lit de mort par Franz Xavier Stöber 


L’ensemble de la famille impériale se trouvait avec l’empereur et l’impératrice à Persenbeug. Il semble que François ait été volontairement éloigné de Schönbrunn car l’impératrice craignait pour sa santé de le voir assister à la fin de son petit-fils préféré. Franz veillé par sa mère, fut aussi entouré de l’affection de son oncle et de sa tante, l’archiduc François-Charles et son épouse. On peut imaginer que la reine de Bavière qui avait manifesté tant de sollicitude et d’inquiétude à son égard, était là aussi.


Dans la Crypte des Capucins à Vienne


La princesse Mélanie écrivit quelques jours après ce que lui avait rapporté son mari : “L’Empereur est très affecté de la perte du duc de Reichstadt. Lorsque je lui ai annoncé son décès, il m’a répondu  simplement : « Je regarde la mort du duc comme un  bonheur pour lui. Je ne sais si l’événement est heureux ou malheureux pour la chose publique ; quant à moi, je regretterai toujours la mort de mon petit-fils.” 



La Légende

“Maurice Dietrichstein offrit à Prokesch-Osten de choisir des livres dans la bibliothèque du duc de Reichstadt. Il choisit en premier lieu les « Mémoires de Napoléon, dictés à ses compagnons d’exil », « Le Mémorial de Sainte-Hélène », les souvenirs d’O’Meara et d’Antommarchi. C’étaient les mêmes volumes que les deux amis avaient parcourus et commentés bien des fois. En feuilletant ces livres, Prokesch-Osten retrouvait les pages discutés avec le duc de Reichstadt. Il rencontrait dans les entretiens de Napoléon avec son entourage les passages qui l’avaient autant ému que le fils de l’Empereur, ces maximes et conseils qui traçaient la ligne de conduite au chef de la dynastie napoléonienne. Il croyait voir devant lui le fils de Napoléon, ce beau jeune homme, grand et blond comme un Habsbourg. Mais lorsque le duc de Reichstadt  s’enflammait à la lecture des hauts faits et des traits de génie de son père ou qu’il jugeait sévèrement ses antagonistes, les traîtres de leur bienfaiteur, ses yeux étincelaient comme ceux de Napoléon. Combien de pages rappelaient à Prokesch-Osten le désespoir du Duc quand il disait : « Ai-je vraiment quelque valeur ?” Comte de Prokesch-Osten, Mes relations avec le duc de Reichstadt - Commentaires et notes de Jean de Bourgoing - Librairie Plon-1934).



Père et fils réunis


Le 12 octobre 1832, la reine Caroline remercie Sophie “pour le petit portrait de notre cher Reichstadt. Dietrichstein me l’avait déjà donné, ainsi qu’à Marie et comme elle a cédé le sien à Stéphanie, je lui ai donné à présent celui-ci. 

“J’ai été fort émue hier matin en voyant le tableau de la mort de Reichstadt par le peintre Goubaud. j’en suis extrêmement contente pour l’effet, pour l’expression du pauvre mourant, la figure de sa mère et pour la ressemblance de François et de Malfatti; le prêtre est le plus mal fait mais l’ensemble est beau et me transporta si vivement dans un temps de douleur qu’hier soir encore avant de me coucher j’en étais toute occupée. Je trouve qu’il a bien rendu le jour qui commence et en tournant le lit sans doute autrement qu’il était, la scène de douleur en est éclairée d’une manière si vraie…Quelles nouvelles avez-vous de Marie-Louise ? Se porte-t-elle bien ?” (Lettre du 19 janvier 1833 ) Goubaud (1780-1847), portraitiste de la cour impériale de France, originaire de Marseille, aujourd’hui oublié, avait déjà peint le roi de Rome à son berceau. 


On peut voir que le souvenir de Reichstadt était bien présent dans la famille de Sophie. Dix ans après sa mort, la famille impériale faisait célébrer des messes le 22 juillet.


Marie-Louise avait annoncé elle-même, dans une lettre du 23 juillet, le décès de son fils à sa grand-mère, Madame Mère : “Dans l’espoir d’adoucir l’amertume de la douloureuse nouvelle que je suis malheureusement dans le cas d’annoncer, je n’ai voulu céder à personne le soin pénible de vous en faire part. 

Dimanche 22, à cinq heures du matin, mon fils chéri, le duc de Reichstadt, a succombé à ses longues et cruelle souffrances. J’ai eu la consolation d’être auprès de lui, et celle de pouvoir le convaincre que rien n’a été négligé pour le conserver en vie…” 

La mère de Napoléon lui répondit : “ Malgré l’aveuglement politique qui m’a toujours privée de recevoir des nouvelles du cher enfant dont vous voulez bien m’annoncer la perte, je n’ai jamais cessé de lui conserver des entrailles de mère. Il était encore pour moi l’objet de quelque consolation…” Elle mourut le 2 février 1836 à Rome.




 La Gazette de Parme le 28 juillet 1832


Après la mort de Franz, Foresti écrivit à Dietrichstein, absent lors de la mort du duc, : “Il est triste vraiment de voir que les deux plus grands médecins de Vienne aient continué d’insister sur la présence d’une maladie qui n’existait pas et que d’un autre côté, ils aient nié celle dont les symptômes étaient si évidents.” Le duc de Reichstadt était mort de tuberculose, comme le confirme l’autopsie réalisée le lendemain.


Cela résume bien la vie de Napoléon François Bonaparte. On n’a jamais voulu voir ce qu’il était vraiment, le fils de Napoléon. On en a fait un prince autrichien, l’enfermant dans un rôle, dans lequel il n’a pas été malheureux, mais qui n’était pas le sien.



Aux Invalides aujourd’hui


Dans la nuit du 14 au 15 décembre 1940, son corps fut déposé près de celui de son père, dans la crypte des Invalides. Il reposait au milieu de ce peuple français qu’il avait aimé sans le connaître. Mais là aussi ce fut une tromperie car il servait d’excuse à Hitler pour amadouer le peuple français vaincu.


La légende s’est emparée de Franz, de son histoire, de sa vie. Mais quand on le veut français, il est autrichien et quand on le veut autrichien, il est français. Mais, aimant son père et son grand-père, il fut à la fois de France et d’Autriche. 



Un si beau jeune homme