18/05/2018

Marie reine des Deux-Sicile - Deuxième partie


Marie-Sophie, jeune reine des Deux-Siciles

“Mais il est beau !” s’exclama Marie Sophie en découvrant le portrait de son futur époux, dans une miniature, entourée de diamants et de pierres précieuses, présentée par le comte Ludolf, ami personnel du roi Ferdinand II des Deux-Siciles et envoyépour procéder aux préliminaires du mariage.



François de Bourbon des Deux-Siciles
Les tractations n’avaient pas été simples. Et ce d’autant moins qu’elles devaient se faire avec le roi de Bavière, l’oncle de la future fiancée, Maximilien II, qui avait à coeur les intérêts de sa cousine et de son royaume. 



Maximilien, roi de Bavière

Le premier problème à affronter était d’ordre médical. Le comte Ludolf dut expliquer que si le duc de Calabre été affligé d’un phimosis, cela pouvait s’opérer. Le roi de Bavière, qui avait eu des rumeurs sur la virilité du prince, fut rassuré, Ludovica aussi. On avait craint pire que cela. Mais le comte Ludolf avait eu aussi vent d’un problème concernant Marie Sophie. Elle ne serait pas encore nubile, à 17 ans. Ludovica dut en convenir mais écarta l’argument en disant que sa nubilité ne saurait tarder grâce aux traitements d’eaux chaudes salées qu’elle subissait. L’échange était crû mais nécessaire car toute union princière avait pour but la descendance. Alors il fallait être certain qu’aucun obstacle ne se dresserait. On tomba d’accord, il n’y avait rien de grave d’un côté comme de l’autre.

Le deuxième problème que souleva le roi de Bavière était la religiosité du prince. Toutes les cours d’Europe savaient que François avait reçu une éducation quasi monastique et qu’il était chaste, pire encore puceau. Son confesseur dormait d’ailleurs dans sa chambre pour y veiller. On était loin de l’esprit Bourbon et napolitain. Un prince pieux ne pouvait déplaire à la catholique Bavière, mais tout avait des limites. La réponse de l’émissaire fut sans appel. La religiosité du prince, héritée de sa mère la future bienheureuse, Marie-Christine de Savoie, contrebalancerait la foi plutôt chancelante de la jeune duchesse. Marie Sophie, en bon fille du duc Max, et comme sa soeur Elisabeth, n’était pas confite en dévotion. L’argument porta.


Marie-Christine de Savoie, mère de François II
Le troisième problème, aux yeux de Maximilien II, était que le futur roi avait été refusé comme prétendant par les cours de Turin et de Bruxelles. La réponse fut satisfaisante. La princesse Marie-Clotilde de Savoie ne pouvait convenir à Ferdinand II car disait-il “ Nous avons déjà trop de parents à Turin.” La princesse Charlotte de Belgique, future impératrice du Mexique, avait été refusée par le roi des Belges, Léopold Ier, son père, car il préférait une alliance autrichienne à une alliance napolitaine. L’argument porta une fois de plus.

Enfin, dernier problème, la dot ! Max et Ludiovica avaient huit enfants à marier et donc à doter. Ils n’étaient pas riches et ne pouvaient donc offrir que vingt cinq mille ducats à leur fille Marie Sophie. Comparé aux douze millions du roi Ferdinand, cela était peu. Mais la cour de Naples se montra généreuse et offrit trente six mille ducats en plus pour doter la fiancée.  

La Résidence à Munich
Il n’y avait donc plus de problèmes. Le roi de Bavière donna son consentement, à la grande satisfaction de l’envoyé napolitain et surtout de la duchesse Ludovica. 

On pouvait procéder à la cérémonie des fiançailles. Elle eut lieu le 22 décembre 1858. Et c’est à cette occasion que Marie Sophie put enfin contempler le visage de son fiancé, qu’elle trouva beau. 


Chapelle Palatine
Le mariage fut célébré le 8 janvier 1859, dans la chapelle du palais royal de Munich. Le prince Léopold de Bavière (1821-1912), frère du roi, représentait François. Il sera, plus tard régent de Bavière pour ses neveux, Louis II et Othon Ier. Marie Sophie, vêtue de brocart et de velours blanc, avec un voile en dentelle retenu par un diadème en diamants, fut menée à l’autel par son frère Louis, son père n’ayant pas jugé bon d’être présent. 

Le 13 janvier, la nouvelle duchesse de Calabre quittait Munich pour Vienne où le protocole l’obligeait à s’arrêter. Mais plus encore que le protocole, ce fut pour le plaisir de voir sa soeur. Elles furent ensemble quelques jours, partageant les derniers moments d’insouciance de la nouvelle princesse napolitaine. Elisabeth dira plus tard de ces journées joyeuses : “ Il semblait que le destin, conscient du triste avenir de Marie, avait voulu lui offrir quelques journées de gaité insouciante. Je savais bien que ma pauvre soeur devait s’attendre à une belle-mère comme la mienne. Et c’est pour cela que j’avais décidé de la faire jouir le plus possible de ces vacances viennoises…”



L’impératrice Elisabeth en 1859
Le 30 janvier 1859, Marie Sophie quittait Vienne pour Trieste. Et contrairement aux usages Elisabeth l’accompagnait pour la remise de sa soeur aux représentants de la cour de Naples, qui eut lieu le 2 février au palais du gouverneur, selon un antique cérémonial. Dans une salle du palais était symbolisée la frontière entre la Bavière et les Deux-Siciles. Marie Sophie, princesse bavaroise, entourée de sa cour allemande, entra dans le salon par une porte et ressortit par l’autre, princesse napolitaine, entourée de sa nouvelle cour.



La frégate « Fulminante »



La Frégate "Tancredi"
Le roi Ferdinand II avait envoyé deux frégates, la “Fulminante” et la “Tancredi” pour chercher sa nouvelle belle-fille. Elle embarqua sur la “Fulminante” à bord de laquelle Sissi l’avait accompagnée.



Ferdinand II vers 1850

Ferdinand II, bien que malade, avait tenu à aller à Bari pour accueillir en personne Marie Sophie. Trois cents kilomètres n’étaient pas une petite distance à l’époque. Le roi des Deux-Siciles était un personnage étrange. Monté sur le trône en 1830, à 20 ans, il essaya dans un premier temps de réorganiser l’état, il réintégra dans l’armée ceux des officiers qui avaient servi sous Murat. Il sut se faire aimer du peuple à défaut des intellectuels libéraux. Lors des révolutions de 1848, il n’hésita pas à faire bombarder Palerme, ce qui lui valut le surnom de “Re Bomba”. Après un intermède libéral, en 1849, il reprit une politique absolutiste voire répressive. La réputation du Royaume des Deux-Siciles, à travers l’Europe, était loin d’être flatteuse. 
Le roi parlait volontiers le napolitain. Familier avec tous, il aimait la grivoiserie et les plaisanteries graveleuses. 
Son premier mariage avec Marie-Christine de Savoie ne fut pas une réussite. Il disait d’elle : “ la reine est une belle femme, mais froide, si froide…” Il est vrai qu’elle était belle mais il est vrai aussi que l’éducation de Marie Christine ne l’avait pas préparée à un époux qui aimait les macaroni et les oignons crus. Elle disait de lui : “ Je pensais avoir épousé un roi. En fait j’ai épousé un manant.” 
Marie-Christine mourut le 31 janvier 1836, à l’âge de 23 ans. Si on lui découvrit des vertus religieuses ensuite, elle a été béatifiée en 2014, elle ne fut pas vraiment aimée de son vivant car  trop religieuse, trop loin de l’exubérance de ses sujets napolitains. Elle mourut en donnant naissance à François. 


Marie-Thérèse d’Autriche, 
reine des Deux-Siciles
Ferdinand se remaria l’année suivante, le 27 février 1837, avec Marie-Thérèse de Habsbourg-Teschen, archiduchesse d’Autriche. Elle était la fille de l’archiduc Charles-Louis, frère de l’empereur François, et héros de la bataille d’Aspern, et de Henriette de Nassau-Weilburg. Marie-Thérèse était l’arrière petite-fille de la Grande Marie-Thérèse, comme son mari, elle par Léopold II et lui par Marie-Caroline. 

On disait de Ferdinand II “ fidèle à sa femme, tendre avec ses enfants, modeste et affectueux à la maison”. Cette vision idyllique et patriarcale de l’homme ne correspond pas au souvenir laissé par le souverain. 

De Marie-Thérèse, il n’existe aucun souvenir flatteur, car si elle aimait son mari et ses enfants, son intérieur et une vie retirée, elle n’en était pas moins partisane de l’absolutisme et influençait son mari dans ce sens. Ses mots étaient : “Châtiez, Ferdinand,  Châtiez…”

Pour le couple, constitution égalait révolution.

Elle n’était pas la reine qu’attendait les peuples des Deux-Siciles. On la décrivait ainsi “ Elle ressemblait plus à une ouvrière qu’à une reine. Yeux durs et clairs, le front couronné de deux bandeaux de cheveux noirs, tirés vers la nuque. Privée de grâce, buche grande et sévère, vêtue avec une simplicité excessive..”

Quand elle n’était pas admise au Conseil, on la surprenait à écouter, oreille contre la porte. 

Ferdinand et Marie-Thérèse s’entendaient bien. Ils eurent douze enfants dont huit survivants : 

Louis, comte de Trani (1838-1886) qui épousa Mathilde duchesse en bavière, une autre soeur de Marie et d’Elisabeth. Sa mort reste mystérieuse.

Louis comte de Trani
Alphonse, comte de Caserte (1841-1934). Il épousa sa cousine Marie-Antoinette de Bourbon des Deux-Siciles (1851-1958). Ils sont les ancêtres des deux branches actuelles prétendant au trône des Deux-Siciles.

Alphonse comte de Caserte
Marie-Annonciade (1843-1871) épousa l’archiduc Charles-Louis (1833-1896), frère de l’empereur François-Joseph. Ils sont les parents de l’archiduc François-Ferdinand, assassiné à Sarajevo, et les grands-parents de l’empereur Charles.

Marie Annonciade princesse des Deux-Siciles
archiduchesse Charles-Louis d'Autriche
Marie-Immaculée (1844-1899). Elle épousa l’archiduc Charles-Salvator d’Autriche-Toscane(1839-1892). Un de leurs fils, François-Salvador épousa l’archiduchesse Marie-Valérie, fille de François-Joseph et d’Elisabeth.

Marie Immaculée princesse des Deux-Siciles
archiduchesse Charles Salvator d'Autriche
Gaétan, comte de Girgenti (1846-1871). Il épousa en 1868 Isabelle de Bourbon d’Espagne (1851-1831), princesse des Asturies. Il se suicida en 1871.

Comte de Girgenti ( Agrigente)


Maria-Pia (1849-1882). Elle épousa le duc Robert de Parme (1848-1907).  Ils sont les ancêtres de l’infante Alice, princesse de Bourbon-Parme qui vient de disparaître. 


Maria-Pia princesse des Deux-Siciles
 duchesse de Parme
Pascal, comte de Bari (1852-1904). Il fit un mariage morganatique avec Blanche de Marconnay.

Pascal comte de Bari
Marie-Louise (1855-1874). Elle épousa Henri de Bourbon-Parme, comte de Bardi, frère du duc de Parme, Robert.


Marie Louise princesse des Deux-Siciles 
comtesse de Bardi
Si Marie-Thérèse ne fut pas une bonne souveraine, elle fut une bonne mère.

Ferdinand II et sa famille
C’était la fratrie dans laquelle entrait Marie-Sophie. La plupart étaient plus jeunes qu’elle. 

Le voyage de Caserte à Bari dura dix-neuf jours, qui furent pour Ferdinand II dix-neuf jours de souffrance. Sur le parcours à Avellino, le cortège rencontra la neige, rare en Italie du sud, le roi dit à son épouse, en napolitain : “Neh, Tetella, vi che bella surpresa t’aggio cumbinata ! Non te pare de sta a Vienna, co tutta sta neve ?” “Neh, Tetella ( il la surnommait ainsi) quelle belle surprise je t’ai préparée. Ne te semble-t-il pas d’être à Vienne avec toute cette neige ?”

Tout au long du voyage, il distribua des cadeaux, 35 000 pains, 230 vêtements pour hommes, 109  robes, 540 chemises, 60 lits, il dota 400 jeunes filles, et distribua de l’argent sans compter. 

Arrivé à Bari, son état avait empiré au point qu’il ne put aller sur le port accueillir sa belle-fille. 


Royaume des Deux-Siciles

Le royaume des Deux-Siciles vers lequel cinglait Marie Sophie avait été créé en 1816 par  le roi Ferdinand Ier de Bourbon (1751-1825), en unifiant deux royaumes, Naples et Sicile, avec la bénédiction du Congrès de Vienne. Ferdinand Ier était le grand-père de Ferdinand II. Il avait épousé en 1768, l’archiduchesse Marie-Caroline, fille de Marie-Thérèse et soeur chérie de Marie-Antoinette. Par sa mère, Marie-Amalie de Saxe (1724-1760), reine d’Espagne, il était aussi le cousin germain de Louis XVI. Dans sa nombreuse descendance, outre son fils François Ier (1777-1830) figurait Marie-Amélie (1782-1866) épouse de Louis-Philippe, roi des Français. 

Le royaume des Deux-Siciles, tout au long de son existence fut loin d’être un havre de paix. 

Entre insurrections, révolutions, occupations les souverains passèrent d’une conception libérale avec l’octroi s’un semblant de constitution à une conception autoritaire de monarchie absolue, sous laquelle il se trouvait en 1859.

Mais avec ses 111 900 kilomètres carrés (un cinquième de la France), sa population de 9 millions d’habitants, il était loin d’être un pays arriéré. Une agriculture florissante, une industrie naissante et déjà importante, un système bancaire, une marine, la seconde en Europe, une capitale, Naples une des villes les plus peuplées et prospère dans toute l’Europe, avec une vie culturelle importante étaient des atouts, une autre ville, Palerme aux atouts nombreux, autant d’éléments que la volonté de développement économique, et donc d’indépendance, une constante de ses souverains, allait employer.  


Théâtre San Carlo à Naples

En 1860, au moment de l’annexion, les finances publiques du royaume représentaient 66% des finances publiques de la péninsule, quand le grand-duché de Toscane représentait 13% et le royaume de Sardaigne,  4%. 

L’image donnée en Europe du royaume des Deux-Siciles, avant l’annexion, n’était en rien celle donnée aujourd’hui par le Mezzogiorno italien, auquel il correspond, géographiquement. On peut sans risque de se tromper dire que l’annexion italienne a été une catastrophe économique pour le royaume, et ses habitants. 

Marie Sophie arriva le 11 février 1859 pour se marier dans l’auguste Maison de Bourbon et régner sur un état qui comptait dans le concert des nations de l’Europe.  La salve de canons qui accueillit l’entrée du navire dans le port de Bari a du faire chaud au coeur de la jeune princesse bavaroise qui se mariait pour devenir reine. 


Armes de Marie Sophie de Wittelsbach, duchesse en Bavière
 reine des Deux-Siciles



06/05/2018

Marie, reine des Deux-Siciles - Première partie


La reine des Deux Siciles
“Vous n’avez pas l’air bien, mon cher cousin, dit-elle à Mr de Charlus, Appuyez-vous sur mon bras. Soyez sûr qu’il vous soutiendra toujours. Il est assez solide pour cela.” Puis levant fièrement les yeux devant elle : “Vous savez qu’autrefois à Gaète, il a déjà tenu en respect la canaille. Il saura vous servir de rempart.” Et c’est ainsi, emmenant à son bras le baron, et sans s’être laissé présenter Morel, que sortit la glorieuse soeur de l’impératrice Elisabeth.” ( Marcel Proust - La Prisonnière).

Marie Sophie Amélie de Wittelsbach, duchesse en Bavière et reine des Deux-Siciles venait de faire son entrée dans le monde la littérature française. Quand on lui a rapporté  ce texte, après la mort de l’auteur, la souveraine, âgée de 80 ans, aurait dit : « Je ne connais pas ce Monsieur Proust, mais lui doit me connaître : j’aurais agi ainsi qu’il me décrit dans son livre, il me semble. »

La dernière reine des Deux-Siciles était, en effet, bien connue de ses contemporains, non seulement pour avoir été la soeur de l’impériale Elisabeth mais aussi, et surtout, pour avoir eu une vie digne d’un héroïne de romans. 


Marie Sophie de Wittelsbach, duchesse en Bavière

Née le 5 octobre 1841, à Possenhofen, elle est la quatrième d’une fratrie de huit. Né en 1831, Louis est l’aîné, puis viennent Hélène en 1834, Elisabeth en 1837, Marie Sophie, Mathilde en 1843, Charles-Théodore en 1845, Sophie Charlotte en 1847 et Maximilien en 1849. 




Ludovica de Wittelsbach, princesse royale de Bavière

Leurs parents sont Maximilien de Wittelsbach, duc en Bavière, connu comme “le bon duc Max” et Ludovica de Wittelsbach, princesse royale de Bavière.

Maximilien de Wittelsbach, duc en Bavière

Ludovica avait été mariée à l’âge de 20 ans à son lointain cousin de la branche cadette. Et elle, dont le soeurs étaient Marie-Augusta, vice-reine d’Italie, princesse de Leuchtenberg et veuve du prince Eugène de Beauharnais, Caroline-Auguste, reine de Wurtemberg puis impératrice d’Autriche, Elisabeth, reine de Prusse, Amélie et Marie Léopoldine successivement reines de Saxe, et Sophie, archiduchesse d’Autriche, mère de l’empereur et le frère Louis, roi de Bavière, n’était que duchesse en Bavière. 

Elle avait coutume de dire : “Mes soeurs ont fait de brillants mariages mais malheureux. Le mien n’est que malheureux.”


Palais des ducs en Bavière à Munich
Il faut dire que le “bon duc Max” n’est là que pour lui faire des enfants, passant le reste de son temps, en voyage, plus intéressé par les chevaux, le jeu et les femmes, sauf la sienne. 

Cela dit, Ludovica n’est pas malheureuse. Mariée au “plus beau prince d’Europe”, artiste, intelligent, exubérant et sans doute plus intéressant que ses beaux-frères, elle se contente de son sort qui est de vivre l’hiver dans leur palais de Munich et l’été dans leur propriété de Possenhoffen, sur les bords du lac de Starnberg, “Possi”. Elle se consacre à ses enfants pour lesquels, elle commence tôt à élaborer une stratégie matrimoniale. Après tout n’est-elle pas au coeur d’un immense réseau royal, et il n’y a pas de raison que ses filles ne puissent en tirer avantage. 

Il ne semble pas vraiment utile de présenter plus Ludovica et Max, personnages dont les vies appartiennent à l’histoire, à la légende et à la romance.



Possenhoffen à l’époque 
La différence d’âge entre leurs enfants - 18 ans entre l’aîné et le dernier - fait que certains son plus proches entre eux que d’autres. 

Possenhoffen aujourd'hui

Elisabeth et Marie Sophie sont proches même si quatre ans les séparent. Proches surtout pas leur allure identique et par leur caractère indépendant, voire fantasque à l’image de leur père, dont elles seront toujours très proches. Max qui voulait qu’elle connaisse la vie n’hésitait pas à les emmener avec lui quand il rendait visite à ses maitresses. Il saura aussi leur inculquer des idées “révolutionnaires” quant aux rapports sociaux et à l’ennui de vie de cour. Plus un compagnon de jeux qu’un père il leur apprendra aussi à fumer. 


Elisabeth de Wittlesbach, duchesse en Bavière
"Sissi"
L’éducation qu’elles reçurent fut identique à celles de princesses de l’époque. Elles eurent simplement un peu plus de liberté et cette liberté se retrouvera dans leur esprit tout au long de leur vie.

Elles seront de même taille et pratiqueront le sport toute leur vie. Elisabeth est meilleure à cheval, Marie-Sophie à la nage et au tir. Elisabeth aime la poésie et se laisse volontiers aller à rêver, Marie-Sophie est plus terre-à-terre et n’a pas beaucoup de sympathie pour les intellectuels. Les deux soeurs seront les seules souveraines de la fratrie, avec chacune un histoire bien différente. Mais elles resteront proches l’une de l’autre tout au long de leur vie. 


Hélène de Wittelsbach, duchesse en Bavière
princesse de Tour et Taxis
Quand Hélène eut vingt ans, Ludovica commença sa grande manoeuvre matrimoniale. Le duc Max n’était pas riche, du moins pas aussi riche que ses cousins royaux. Il ne fut pas non plus Altesse Royale, avant 1845. Les jeunes duchesses en Bavière avaient donc quelques handicaps pour trouver un mari convenable, ce qui signifiait un prince, souverain de préférence. Mais elles avaient des atouts, leur formidable parenté, et surtout leur grande beauté. Elisabeth et Marie-Sophie étaient les plus belles mais Hélène, la sérieuse, avait aussi une beauté certaine. 

Hélène 19 ans - Elisabeth 15 ans en 1853
Le “plus beau parti d’Europe”, l’empereur d’Autriche, était leur cousin germain. Les Wittelsbach et les Habsbourg avaient pratiqué une politique matrimoniale conjointe depuis des siècles. Il était donc normal, comme cela se faisait dans toutes les famille à l’époque, à tous les niveaux de la société, que l’on tourne ses yeux vers le premier cercle. La duchesse Ludovica et l’archiduchesse Sophie, se mirent d’accord. Hélène était la parfaite épouse pour François-Joseph. Les deux soeurs organisèrent un complot. François-Joseph avait 24 ans, il était beau, Hélène en avait 20, elle était belle. Ils ne se connaissaient pas beaucoup car depuis l’âge de 18 ans, il était sur le trône, trône auquel il avait accédé, après les évènement dramatiques de 1848, et la fuite de la famille impériale de Vienne, trône qu’il devait aux renonciations de son oncle, l’empereur Ferdinand, de son père l’archiduc François-Charles et au complot dit “des Dames”, organisé par sa mère l’archiduchesse Sophie, sa double tante l’impératrice douairière Caroline-Augusta, et par l’impératrice consort, Marie-Anne, née princesse de Savoie. Pendant six ans, François-Joseph avait eu bien d’autres soucis que de fréquenter ses cousines bavaroises et il avait aussi été amoureux d’une autre de ses cousines, l’archiduchesse Elisabeth (1831-1903), fille du palatin de Hongrie. 

Archiduchesse Elisabeth, princesse de Modène
duchesse de Teschen 

Elisabeth est veuve du prince Ferdinand de Modène, frère de la comtesse de Chambord et de la comtesse de Montizon. Son frère l’archiduc Etienne a pris position pour la Hongrie en 1848. Une union avec elle ne présente aucun avantage politique, c’est du moins ce que pense l’archiduchesse Sophie qui éloigne la jeune cousine de la cour en lui signifiant qu’elle doit se remarier, ce qu’elle fit avec l’archiduc Ferdinand-Charles d’Autriche-Teschen (1818-1874), pensant ainsi obéir aux ordres de l’empereur. Le couple sera l’ancêtre de l’infante Alice, princesse des Deux-Siciles, qui vient de disparaître, et de la famille royale d’Espagne, puisque leur fille Marie-Christine épousera Alphonse XII. Par la fille qu’elle eut de son premier mariage, l’archiduchesse Elisabeth est aussi l’ancêtre de l’actuelle famille royale de Bavière.
François-Joseph dut s’incliner devant la volonté de sa mère et renoncer à son amour pour sa cousine. Epouser Hélène, son autre cousine, ne lui posait aucun problème. Tout le monde connaît la suite. Quand il aperçut Elisabeth, qui ne devait pas être là, il en tomba amoureux au point de se déclarer “amoureux comme un sous-lieutenant et heureux comme un dieu.”

Cela ne fit pas l’affaire de l’archiduchesse Sophie, mais après tout une cousine en valait bien une autre, et pour Ludovica, Hélène ou Elisabeth, peu importait car une de ses filles devenait impératrice d’Autriche.

Marie Sophie n’avait que quatorze ans et cela changea sa vie. Avec le romantisme du mariage de sa soeur préférée, son accession au trône d’Autriche, elle vit désormais en “Sissi” le modèle de sa vie. Les lettres qu’elle recevait d’elle de Vienne confortaient son idée de la vie qu’elle souhaitait. 



François de Bourbon
Prince héritier 
des Deux Siciles

Et quand elle a fut en âge de se marier, il ne fut question que de se trouver un mari selon son goût, c’est-à-dire un roi ou un prince héritier. Il n’y en avait pas beaucoup de célibataires à l’époque. Il n’y en avait qu’un, François de Bourbon, prince héritier du Royaume des Deux-Siciles. Ludovica toutefois chercha à s’informer auprès de sa soeur Sophie : « Marie pense que vous avez les informations les plus précises et les plus certaines relativement à ce jeune homme et elle a besoin d’être rassurée à ce propos…car l’idée d’appartenir à un homme qui ne la connaît passé qu’elle ne connaît pas la rend terriblement anxieuse…Qu’il ne soit pas joli garçon, elle le sait déjà. » La grande piété de François était aussi source d’inquiétude pour Ludovica, qui, à la différence de sa soeur, ne versait pas dans une grande religiosité. Mais quels qu’aient été ses doutes, le parti était trop brillant pour hésiter longtemps. 

Les tractations avec la cour de Naples furent longues. Mais Marie Sophie commença à rêver d’un prince qu’elle ne connaissait pas et dont elle n’avait pas encore vu le portrait. Mais elle l’imagina, avec l’aide de sa mère, beau et sympathique.

Quand elle demanda à son père ce qu’il en pensait, l’autorisation au mariage, devant être donnée par le roi de Bavière, son cousin, il lui répondit par télégramme envoyé de Monte-Carlo : “ Je te le déconseille. C’est un imbécile. » 


Le duc Max et sa famille, Marie Sophie est l’avant-dernière à droite

02/02/2018

Eve Hanska, Madame Honoré de Balzac - Troisième et dernière partie





Balzac idéalisé 
par Allen St-John en 1899
Eve finit par accepter qu’il vint enfin à Wierzchownia. Après avoir emprunté 4000 francs à son éditeur, Balzac se mit en route le 5 septembre 1847. Le général Bibikoff lui avait souhaité bienvenue à Honoré, mais le faisait étroitement surveiller. Le voyage commence en chemin de fer de la Gare du Nord à Cologne et prit deux jours. Ensuite ce fut Hamm en Westphalie, où il prit la diligence pour Hanovre. De Hanovre à Gleiwitz en Silésie, ce fut le train à nouveau par Berlin et Breslau. 


Voyage de Paris à Wierzchownia
A nouveau la diligence jusqu’à Cracovie, où il arriva le 9 septembre. Le 11, toujours en diligence, il est à Brody en Galicie. Dans l’après-midi, il est à la frontière austro-russe à Radziwilloff. Ses bagages sont soigneusement fouillés. Dans la nuit il repart dans une voiture nommée une kibitka, selon lui, “ cette voiture de bois et d’osier, traînée avec une vélocité de locomotive, vous traduit dans tous les os, les moindres aspérités du chemin avec une fidélité cruelle.”


Kitbika 
lithographie au musée de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg
 Il s’arrête pour dormir à Jitomir et Annapol, soit encore deux jours complets de voyage. Et enfin c’est Berditcheff où il arrive le 13 septembre, soit huit jours après son départ. Il lui reste encore environ soixante kilomètres avant d’arrivée à Wierzchownia. Et voici comme se présente la palais de sa dame :

“Ce charmant château rose construit au XVIIIe siècle par l’architecte italien Blerio, avec ses deux pavillons , son bâtiment central à colonnade surmontée d’un fronton avec une frise sculptée, le tout portant curieusement l’influence du style anglais “Adam”. A l’intérieur après un vestibule à colonnes, on entrait dans une grande salle de bal, d’une hauteur de deux étages, elle aussi très style “Adam” avec ses hauts reliefs de stuc blanc rappelant le wedgewood…grande et majestueuse salle empire.” (Mémoires du R.P. Alex Rezwuski)


Salon de Wierzchownia
Et dans sa lettre à sa soeur Laure Surveille, Balzac décrit ainsi son installation : “ un délicieux petit appartement composé d’un salon, un cabinet et une chambre à coucher; le cabinet est en stuc rose avec une cheminée, des tapis superbes et des meubles commodes, les croisées sont toutes en glace sans tain, en sorte que je vois le paysage de tous côtés. Ceci te fait imaginer ce que c’est que ce Louvre de Wierzchownia où il y a cinq ou six appartement de ce genre à donner. “


Aile de Balzac à Wierzchownia
Après un repos de quelques jours, il se rend à Kiev pour être présenté au général Bibikoff et faire viser son permis de séjour. Il fait la connaissance de Pauline Ricnic, la plus jeune soeur de Madame Hanska, et de ses filles, la comtesse Marie Keller et sa soeur Alexandrine.



Bureau de Balzac à Wierzchownia

A Wierzchownia, il échafaude des projets pour les domaines Hanski, faire faire des traverses de chemin de fer mais y renonce en raison de l’impossibilité de les transporter. Il rêve devant les richesses d’une certaine classe russe, et il est vrai qu’elles sont immenses. 

Il veut avancer le projet de mariage mais Eve plus réaliste sait quelles sont les difficultés. Il lui faut un ukase de l’empereur pour pouvoir se marier avec un étranger et conserver ses biens. Il repart donc le 31 janvier 1848 par - 21°, car il doit trouver l’argent pour répondre aux appels de fond de la ligne des Chemins de fer du Nord, malheureusement souscrites. Il gagne Cracovie où là il peut prendre le train direct pour Paris par la ligne inaugurée en octobre 1847. 

Arrivé à Paris, le 15 février 1848, il voit peu de jours après Alexandrine Moniusko, la soeur dont Eve  se méfie. Elle lui raconte les potins parisiens sur eux dont la phrase “ l’auteur est venu plumer la veuve”, ce qui a du faire plaisir à Eveline. 

Un article avait paru dans le “Revue de Paris” qui donnait le ton de ce que pensait la société du mariage envisagé : “…Madame Eve  Hanska, née Rzewuska, veuve d’un parvenu millionnaire, descend d’une noble et ancienne famille patricienne de la Pologne, famille déchue, comme le sont beaucoup d’autres en ce pays et qui n’a plus d’autres splendeurs que celle de se souvenirs. Monsieur de Balzac, en épousant cette femme aimable et bien née, ne fait peut-être pas un mariage aussi opulent qu’on pourrait le supposer, car une grande partie des millions de M. Hanski sont revenus à sa fille unique la comtesse Georges Mniszech…Quant aux Rzexuski, à peu près ruinés, ils sont presque tous mésalliés, et dernièrement, ayant, pour se relever, demandé au collège héraldique de Saint-Petersbourg le titre de comte, on le leur a refusé, faute de preuves justifiant cette prétention.” Cela n’a pas du tout plu à Balzac, à la fois parce que c’était faux quant à la situation sociale, financière et nobiliaire des Hanski et des Rzewuski mais aussi parce qu’il voyait ses projets étalés au grand jour. Il ne pensait pas qu’il était peut-être à l’origine de la propagation de la nouvelle, car tout à son amour, il était moins que discret.

La révolution qui éclata le 22 février 1848 rendit cet article dérisoire et sans effet. En peu de temps les Orléans sont déchus du trône, ce qui n’a pas du déplaire au légitimiste qu’avait toujours été Balzac. Mais la révolution ne faisait pas du tout son affaire car son libraire éditeur fait faillite, les actions qui lui restent de la Compagnie des Chemins de fer du Nord voient à nouveau leur cours s’effondrer. Il continue à voir Alexandrine “divinement mise” et “toujours la femme du monde la plus heureuse d’être ici”. Elle ne semble pas troublée par ls événements parisiens. 

Il songe à se présenter aux élections qui s’annoncent. La révolution doit rentrer dans le rang et le général Cavaignac s’en occupe. La vie a malgré tout continué avec ses hauts et ses bas pour Balzac, toujours à cours d’argent. Il lui faut retourner en Ukraine pour essayer d’obtenir enfin ce qu’il souhaite le plus, la main de Madame Hanska. 

La préparation de son départ, comme l’année précédente, n’est pas simple. Il lui faut obtenir toutes autorisations en écrivant au comte Ouvaroff qui lui-même écrit au comte Orloff, ministre de la police, beau-fils d’Adam Rzewuski, avec ces moments “ Un écrivain français très connu, M. de Balzac, est venu année dernière en Russie où il a séjourner assez lo,nguement. Le général Bibikoff, auquel je l’avais à sa prière, recommandé a été fort satisfait de sa tenue et très gracieux envers lui car les opinions de Balzac sont beaucoup plus littéraires que politiques et il ne s’est jamais mêlé d’affaires.”

Le comte Orloff écrit au tsar “ … Selon les informations que possède la troisième section de la Chancellerie personnelle de Votre Majesté Impériale, de Balzac s’est rendu de Paris à Saint-Petersbourg en 1843, et après avoir visité les curiosités de la capitale, est bientôt reparti ; il était recommandé à beaucoup de personnalités de la haute-société, s’est conduit en honnête homme et n’a été remarqué dans aucune affaire répréhensible. Puis en 1847, de Balzac est venu de l’étranger dans les provinces de Volhynie et de Kiev rendre visite à un propriétaire du pays le comte Mniszech, et pendant son séjour dans ces provinces n’a pas attiréé sur soi d’attention défavorable. Considérant la conduite irréprochable de de Balzac lors de son dernier séjour en Russie…me soumettant  à ce sujet à la Haute décision de Votre Majesté Impériale, je suis heureux de présenter avec cela les lettres originales de  de Balzac …”

La demande de visa est donc approuvée par l’empereur lui-même avec la mention “Oui, mais avec une stricte surveillance.” Ouvaroff écrit donc à Honoré le 26 août 1846 : “Venez, Monsieur, partager la sécurité profonde dont nous jouissons…”

Encore un emprunt, malgré les 10 000 Francs reçus de Georges Mniszech  et Balzac est prêt à partir. Il prend le train à la Gare du Nord le 19 septembre, “On va maintenant de Paris à Cracovie en 60 heures et à Cracovie on s’embarque immédiatement pour Lemberg ( L’vov) et idem à Lemberg pour Brody ( soit la frontière)”. A Lemberg, il descend à l’Hotel George, qui bien que transformé en 1900, existe toujours.


Hotel George à L’vov tel que Balzac l'a connu
Le 27 il franchit la frontière, retardé par les visites qu’il fait en chemin, puis s’arrête au château de Wisniowiec, chez le frère de Georges, André, qui l’accompagne ensuite à Wierzchownia où ils arrivent le 2 octobre 1848. Il y restera un an et demie. Mais les soucis de Paris le poursuivent. La maison revient 350 000 francs et encore, il n’y a pas l’argenterie, il n’y a pas les voitures, il n’y a pas les chevaux. Les dettes s’accumulent encore. Il n’est pas élu à l’Académie française, au siège de Châteaubriand, c’est le duc de Noaillles qui obtint 25 voix sur 31 et Balzac 4, mais pas n’importe lesquelles, Victor Hugo et Lamartine. Autre élection quelques jours après, il n’obtint que deux voix, celles de Hugo et de Vigny.

A quoi passe-t-il son temps dans le beau château de Wierzchownia ? Le valet de chambre qui lui avait été affecté a raconté : “ Je me rappelle combien de fois en rentrant d’une promenade dans le parc ou dans les forêts - la première chose que je devais servir dans on cabinet travail en haut était une tasse de bouillon bien chaud…Et le soir il écrivait…il écrivait des heures entières…Je me rappelle que chaque nuit, vers les deux heures, lorsqu’il avait fini d’écrire dans sa chambre d’en haut, Madame la comtesse me donnait l’ordre de lui porter une tasse de café brûlant…Je les trouvais assis toujours au coin de la cheminée et ils parlaient, et ils parlaient jusqu’au matin…On voit bien qu’il est très intelligent…il n’y a qu’un homme très savant pour être délicat à ce point avec les pauvres gens et les serviteurs.”



Aile de Balzac en 2010

Il écrit peut-être beaucoup mais durant toute cette période il ne produit rien. Il a d’ailleurs fini la Comédie Humaine, mais après sa mort Eve  fera publier en 1855 quelques oeuvres  dont “Le député d’Arcis”, “Les Paysans" et “Les Petits-Bourgeois”. 

Aujourd’hui, les trois pièces occupées par Balzac au premier étage du château de Wierzchownia lors de ses différents séjours sont aménagées en musée. On peut y voir sa table de travail, des portraits. On peut aussi visiter le bâtiment où furent célébrées le mariage à à Berditcheff. En Ukraine, leur histoire d’amour, dans laquelle Balzac a joué le plus romantique de ses personnages, n’a pas été oubliée, et fascine encore.



Cafetière de Balzac
Musée Balzac
Au milieu de ces félicités domestiques, il leur faut malgré tout régler l’épineux problème du mariage. Evelin Hanska ne possède en propre qu’un domaine de mille serfs, Pawlowka, et d’un revenu de 20 000 Francs. Pour se marier avec un étranger, elle doit vendre tout ce qu’elle possède, sauf si le tsar lui donne lui autorisation de garder ses biens, par ukase. Elle écrit donc au tsar par l’intermédiaire de Bibikoff montrant l’insignifiance de sa fortune personnelle, l’essentiel de la fortune Hanski appartenant à sa fille. Le tsar refuse l’autorisation. Elle peut se marier mais ne peut en aucun cas conserver sa propriété. 

Balzac est malade. La maladie du coeur qui s’était déclenchée l’année précédente revient; il a du mal à monter l’escalier qui mène à son appartement dans l’aile gauche du château. Il attrape un rhume. Puis début 1850, en janvier à Kiev où ils se sont tous rendus, il est à nouveau malade. 

En février, Eve  Hanska franchit enfin le pas. Elle donne à sa fille sa terre de  Pawlowka. Elle peut enfin l’épouser et devenir Madame Honoré de Balzac. Le mariage est célébré à Berditcheff le 2/14 mars 1850. “Sont témoins le comte Gustave Olizar, ancien maréchal de la noblesse du gouvernement de Kiev, le comte Georges Mniszech, le chanoine Joseph Bialoblocki et plusieurs autres personnes qui y ont assisté.” ( extrait de l’acte de mariage)

Selon André Maurois, "C'était la charité, autant que l'amour ou la gloire, qui a finalement fait pencher la balance."

Balzac triomphant annonce son mariage à tout le monde, avec des accents de vanité. “ Je deviens le mari de la petite nièce de Marie Leczinska…je deviens le beau-frère d’un aide de camp de l’empereur…neveu de la comtesse Rosalie Rzewuska, dame d’honneur de S.M. l’impératrice…” Honoré est aussi devenu le “père chéri” d’Anna comme elle le qualifie.

Immédiatement après le mariage, ils tombèrent malades tous les deux. Elle eut un fort accès de goutte, et lui fut de nouveau sujet à ses problèmes cardiaques. Mais Paris les attendait ou plutôt Honoré voulait enfin parader aux bars d’Eve  dans la société parisienne. 

Monsieur et Madame Honoré de Balzac quittent Wierzchownia le 24 avril 1850, dans une grosse berline achetée à Francfort. Ils ont bien l’intention de revenir l’année suivante car ils laissent Anna et Georges en Ukraine, mais Eve ne reverra plus sa propriété. Le voyage de retour comble les rêves les plus ambitieux de Balzac. Ils vont de château en château, achètent des antiques au passage, sont reçus par les autorités locales. Balzac se préoccupe auprès de sa mère de l’état de la maison qui doit être prête pour accueillir sa femme. Il lui écrit de Dresde, “j’espère être rue Fortunée le 20 ou au plus tard le 21, je t’en prie donc instamment, fais que tout sois prêt pour le 19 et qua nous trouvions à déjeuner ou à dîner, quand bien même les provisions seraient perdues car j’ignore à quelle heure nous arriverons l’un de ces trois jours là.”


Hôtel de Balzac rue Fortunée
Ils arrivèrent dans une maison ainsi décrite par divers témoignages : à l’extérieur une porte cochère monumentale, un jardin sablé sans gazon ni fleurs, quelques arbres, pauvreté d’aspect, manque de proportion, architecture bizarre, à l’intérieur, une antichambre très vaste avec une seule porte donnant sur le salon à trois petites fenêtres donc très sombre encombré de beaux objets, suivi d’une salle-à-manger sans intérêt, quatre chambres au premier étage et probablement des combles pour le personnel. Cela ne corresponde en rien au palais dont rêvait Balzac pour y loger son amour. Cela sent le triste et le renfermé. Tous les témoignages concordent. 


Hôtel de Balzac 
Cour - Jardin
Mais à peine arrivé la santé d’Honoré se détériore encore. Son ami, le Dr Nacquart, est impressionné par l’altération de ses traits. Les confrères appelas en renfort prescrivent la saignée. Ils continuent malgré à recevoir des visites. L’une d’entre elles est celle que fait Caroline Rzewuska, autrefois Sobanka, maintenant Chircowicz. C’est la première fois qu’ils se rencontrent. Elle est enchantée de lui et de la demeure. Elle fait savoir à Anna qui s’en réjouit. Ils ne reçoivent pas que la famille. Le romancier et poète, Auguste Vacquerie (1819-1895) est reçu et décrit ainsi sa visite : “ Puis nous passâmes tous dans le salon principal, nous vîmes Balzac assis ou plutôtt à demi couché dans un grand fauteuil placé près d’une fenêtre; il était enveloppé d’une longue robe de chambre; sa tête reposait sur un oreiller, sou ses pieds s’étalait un cousin. Ah quelle lamentable métamorphose le temps la maladie avenir opéré en lui ! Tombée cette belle vitalité ; éteint cette vaillante exubérance qui rendait sa personne si originale si attractive. Le romancier n’était plus que l’ombre de lui-même”.

Il semble que Balzac ait attendu d’être marié et rentré chez lui pour relâcher toutes les énergies qui l’avenir soutenu tout au long de sa vie. Il avait atteint son but, épouser la femme aimée et qui de surcroit était riche. 

Victor Hugo fut le dernier des étrangers à la famille à le voir. Après l’avoir rencontré, il déclara “Messieurs l’Europe va perdre un grand esprit.”.

Eve  était présente à ses côtés tout au long de sa maladie, ne le quittant que pour aller se reposer. Il mourut le 18 août 1850.

Honoré de Balzac sur son lit de mort
                                          par  Emile Giraud
Devant sa tombe Victor Hugo déclara le jour des obsèques : “L’homme qui vient de descendre dans cette tombe était de ceux auxquels la douleur publique fait cortège…Le nom de Balzac se mêlera à la trace lumineuse que notre époque laissera dans l’avenir. Monsieur de Balzac faisait partie de cette puissante génération des écrivains du XIXe siècle qui est venue après Napoléon de même que l’illustre pléiade du 17e siècle est venue après Richelieu…M. de Balzac était un des premiers parmi les plus grands, un des plus hauts parmi les meilleurs…Tous ses livres ne forment qu'un livre, livre vivant, lumineux, profond, où l'on voit aller et venir, et marcher et se mouvoir, avec je ne sais quoi d'effaré et de terrible mêlé au réel, toute notre civilisation contemporaine, livre merveilleux que le poète a intitulé Comédie et qu'il aurait pu intituler Histoire (...) À son insu, qu'il le veuille ou non, qu'il y consente ou non, l'auteur de cette œuvre immense et étrange est de la forte race des écrivains révolutionnaires.”

Tout ce que la France comptait de gloires était présent. 

Barbey d’Aurevilly ajoutera parmi les hommages : “ Cette mort est une véritable catastrophe intellectuelle à laquelle il n’y a rien à comparer que la mort de Lord Byron.”

Le chagrin d’Eve  était partagé par Anna et Georges. Elle a accepté la succession d’Honoré de Balzac sans hésiter un instant, une succession qui ne se compose que de dettes et qu’elle a toutes acquittées. En 1849, elle avait déjà acquitté pour 263 400 francs dettes, à sa mort elle acquitta encore 83 500 francs de passif. Elle prit avec elle la mère de Balzac à qui elle assura, outre un toit, une rente viagère. Elle exécuta tous ses legs, y compris celui de la célèbre canne de Balzac léguée au Dr Nacquart. Elle prit sur elle de faire achever “Les Paysans” qui parurent en 1855. Avec l’aide d’Armand Dutacq (1810-1856), fondateur du siècle, exécuteur testamentaire de Balzac, elle sut donner à l’oeuvre de son mari l’envol posthume qui en fait un des auteurs les plus connus et les plus vendus aujourd’hui. Eve se vit récompenser de ses efforts pour la droits d’auteur, importants, qu’elle put toucher par la suite. 

La canne aux turquoises de Balzac
C’est par lui qu’elle est entrée dans l’Histoire de la Littérature française, qu’elle a acquis sa notoriété et elle le savait. 

Cela ne l’empêchait pas d’écrire, de façon réaliste  qu’elle avait ruiné sa santé en s’occupant de son mari durant sa maladie, comme elle avait ruiné sa fortune en acceptant de payer les dettes de la succession avec tous les embarras afférents. 

Eve  de Balzac se retira du monde pour quelques temps. Mais en 1851, le monde se rappela à elle par les soucis de la succession de son mari doublés de ceux créés par son mariage. Le tsar ne lui avait pas interdit d’épouser Honoré de Balzac, il lui avait simplement fait savoir que si elle le faisait elle perdait tous se biens en Russie et c’est pour cela qu’elle avait donné sa propriété à Anna, moyennant le versement d’une rente viagère qu’elle n’avait en réalité pas touchée. 


Anna Hanska par Jean Gigoux en 1857
Mais Anna et son mari reçurent un avis de Kiev qu’ils risquaient la confiscation de leurs biens, en raison de cette rente viagère. Il est difficile de comprendre pourquoi mais le risque  était bien réel et Eve  écrivit au comte Orloff, le beau-fils de son frère Adam, alors ministre de la police du Tsar, pour se justifier. Elle s’est mariée avec un étranger, et si le Tsar le lui avait interdit, elle eût obéi. Elle a satisfait à sa demande ne plus être propriétaire en Russie. Et aujourd’hui tout est remis en cause. Les biens des Mniszech ne furent pas confisqués car ils prirent la précaution d’en vendre la plus grande partie dont Pawlowka qui leur avait été donné et ils s’apprêtaient à quitter la Russie. Dans la Russie impériale l’empereur pouvait tout, y compris commettre des injustices. Eve s’était conformée à sa demande et il trouvait, ou son administration policière trouvait en core à redire. Balzac n’avait-il pas écrit : “J’appelle la Russie une autocratie soutenue par l’alcool.”



Comte Georges Mniszech 
par Jean Gigoux
Mais aussi la vie lui rappela qu’elle était, selon Barbey d’Aurevilly, une beauté imposante et noble, un peu massive, un peu charnue, mais, qui même dans sa stature, conservait un charme très vif, épicé d'un charmant accent étranger et d'une touche de sensualité saisissante.

Madame de Balzac se laissa aller un soir et céda au poète Champfleury (Jules François Felix Fleury-Husson 1820 -1889), l’ami de son mari auquel elle avait demandé de l’aide pour classer ses papiers. Un soir, où il déclara avoir mal à la tête, elle offrit de le masser pour calmer sa névralgie et devint sa maîtresse. Elle avait quinze de plus que lui et même si leur relation ne dura pas longtemps, cela lui fit du bien de se voir encore désirée et satisfaite, neuf mois après la mort d’Honoré. Elle lui écrit : “…Je veux d’ailleurs, mon chéri que tu te donnes quelque chose qui te fasse plaisir en souvenir de ce dernier 18 juin où nous sommes parvenus à dérober quelque heures aux troubles et aux angoisses de la vie dans une intimité si pleine, si entière, si chastement amoureuse…pendant quelques heures tu a tout fait oublier à la pauvre Eve, douleurs, souci, passé, avenir…”

Champfleury

Son grand souci et son grand désir était de voir les Mniszech bientôt à Paris, ce quI ne l’empêche pas de fréquenter le monde littéraire parisien, dans lequel Champfleury joue un rôle certain. Elle voit les Hugo. Elle fréquente beaucoup les Surville, le beau-frère et la soeur de Balzac. Elle mène chez eux sa soeur Caroline qui s’est installée à Paris


Photo d'Eve de Balzac

Peu après la mort de Balzac, elle avait fait la connaissance du peintre Jean Gigoux (1805-1894) à qui elle commande un portrait d’Anna. Mais la passion des voyages reprend “Les Saltimbanques” mais sans Bilboquet, cette fois, Le Havre, la Belgique, la Hollande, à nouveau l’Italie. Elle avait rompu avec Champfleury. 

A leur retour, elle retrouve Jean Gigoux qui devient le portraitiste de la famille.. Il peint Eveline, Anna, Georges. Le portrait d’Anna est exposé au Salon de Paris en 1853.

Jean Gigoux par Léon Bonnat musée des beaux-arts et d'archéologie de Besançon.

En octobre 1852, les Mniszech repartent pour la Russie afin de débrouiller leurs affaires. Ils résident à Wierzchownia. La guerre de Crimée qui avait commencé fin 1853  risquait de les bloqués en Russie et souhaitant regagner la France, pour laquelle ils n’avaient pas de visa, il passèrent quelques mois en Allemagne et en Belgique. L’obtention des passeports même pour l’Allemagne n’est pas une mince affaire et il leur faut intervenir auprès de princes et ministres pour obtenir enfin l’autorisation de quitter la Russie. Une longue correspondance s’établit alors la mère et la fille, qui outre les détails de leur vie à Paris ou en Ukraine, révèle que Jean Gigoux fait désormais partie du cercle de famille. Anna engage sa mère à demander à “son cher ami” de l’accompagner dans sa visite à Berlin. Le couple y arrive en août 1854. 

Auparavant Eve  avait eu à se défendre contre les Surville, son beau-frère et sa belle-soeur, qui voulaient après la mort de leur mère survenue le 1er avril 1854 la voir régler ses dettes. Elle n’avait aucune raison de le faire et le leur signifia; ce fut la rupture entre eux. 

Puis ce fut l’installation définitive des Mniszech en France. Pour accueillir son monde mais aussi parce qu’elle a passé une grande partie de sa vie à la campagne, Eve, qui souffre d’atre à l’étroit dans le jardin de la rue Fortunée, décide d’acheter le château de Beauregard, à Villeneuve Saint-Georges, dans le sud-est de Paris. La propriété avait appartenu aux Colbert, puis avait été vendue et revendue; l’ancien château avait été démoli et reconstruit. On y avait une belle vue sur la Seine. Jean Gigoux y dispose d’un atelier car désormais Eve  et lui vivent maritalement. Elle se disait ruinée mais achetait un château près de Paris.


Château de Beauregard

La château fut pillé par les Prussiens en 1870 mais Eve  le conserva jusqu’en 1882. Il existe toujours, amputé de son parc et ne donne aucune idée de la vie qu’Eve et sa famille ont pu y mener. 

Les Rzewuski avaient adopté Paris et beaucoup d’entre eux y vivaient. Eve  et Caroline, Madame Jules Lacroix, y vivaient en permanence, Henri et Adam y faisaient de fréquents séjours, ainsi que leurs neveux et nièces  parmi eux la très belle comtesse Keller. C’était le Paris du Second Empire à la vie si facile pour qui avait de l’argent et les Rzewuski n’en manquaient pas, les Mniszech non plus. C’était le temps des crinolines et ces dames, jeunes ou moins jeunes, faisaient assaut de toilettes.

Eve de Balzac par Jean Gigoux
Les Mniszech avaient acquis en 1872 la propriété contigüe à celle d’Eveline. Le terrain d’environ 320 mètres carrés avait coûté plus de 90 000 francs. La maison qu’ils y firent bâtir  devait coûter environ 150 000 francs. L’ensemble devait englober la “Folie Beaujon” de Balzac, jugée trop petite par tous. C’était un ensemble de style Renaissance, englobant  l’ancienne chapelle de Saint-Nicolas de Beaujon, qui était sur le terrain, construit à la croisée de trois rues, la rue Berryer, la rue du Faubourg Saint-Honoré et la rue Balzac ( le nom du grand homme fut donnée à la rue Fortunée immédiatement après sa mort ). Mais l’ensemble ne fut pas achevé car la santé de Georges Mniszech s’était détériorée. Le 25 janvier 1875, il avait eu une attaque cérébrale et finit par perdre complètement la raison. Il mourut chez lui le 17 novembre 1881. Les dettes s’étaient accumulées. Anna y avait contribué par des dépenses totalement inconsidérées. Elle n’avait jamais eu le sens de l’argent. Elle acheta à crédit en 1880 chez le joaillier Boucheron pour un million de francs de diamants, soit près de deux millions et demi d’euros. Ne pouvant pas les payer, elle les mit en gage pour cent mille francs mais le joaillier les récupéra, Eve  se portant caution pour cent cinquante mille francs de dommages et intérêts. 

Devant cet état de choses, elle se décida à vendre, moyennant le prix de cinq cent mille francs, tout l’ensemble immobilier à la baronne Adèle de Rothschild, se réservant le droit d’y habiter jusqu’à sa mort. Acte fut passé le 6 janvier 1882, elle mourut le 11 avril suivant. Les obsèques furent célébrées à Saint-Philippe-du-Roule, voisin, en présence du prince Czartoryski,  du comte Branicki, de la princesse Dzialyska, du prince Sapieha, du prince et de la princesse Radziwill, pour la colonie polonaise, portant les plus grands noms de la Pologne et tous ses parents.  Nulle part, il n’est dit de quoi elle était morte. 



Le Figaro
Il est dit simplement qu’elle était ruinée et que sa fille Anna l’était aussi. La liquidation de la succession se fit rapidement par suite de diverses ventes aux enchères dont la première eut le 17 avril 1882. L’hôtel de Madame de Balzac fut aussi vendu aux enchères car la vente à l’amiable consentie à la baronne n’avait pas eu le temps d’être exécutée et Boucheron qui n’avait toujours pas été payé le fit mettre en vente. La baronne Salomon de Rothschild s’en porta acquéreur pour 370 000 Francs, le 9 novembre 1882, avec l’hôtel d’Anna. Tout fut rasé pour faire place à l’Hôtel Salomon de Rothschild. 

Eve dans les meubles de Balzac par Jean Gigoux

Il semble qu’il y ait eu une véritable curée après la mort d’Eveline, la maison fut pillée, des caisses de livres et de document disparurent. Heureusement que Le vicomte Charles de Spoelberch de Lovenjoul ( 1836-1907), un aristocrate belge, grand bibliophile, grand collectionneur, et qui avait déjà acquis un certain nombre de documents et manuscrits a pu en sauver d’autres du désastre en se portant acquéreur entre autres de “César Birotteau”, du “Lys dans la vallée”, des “Illusions perdues”, soit en manuscrits soit en épreuves corrigées de la main de Balzac. En 1887, il put acheter “Le père Goriot”. Le fonds Lovenjoul, légué à l’Institut de France en 1905, comprend 90% des documents que nous avons de Balzac ou sur Balzac. Il collectionnait aussi les oeuvres, documents de Théophile Gautier, de Georges Sand, Alfred de Musset, Mérimée, Sainte -Beuve, Nerval entre autres. C’est dire l’importance du legs qu’il fit. Aujourd’hui,a près qu’il ait eu classés tous les documents de Balzac, ceux-ci sont répertoriés selon cette classification. 

Le vicomte Charles de Spoelberch de Lovenjoul (1836-1907)
On ne parle pas non plus de ce que fit Jean Gigoux qui avait vécu près de trente ans auprès d’Eveline. Il mourut cinq années après elle. 

Anna se retira dans un couvent chez les Soeurs de la Croix, rue de Vaugirard à Paris. Elle survécut trente-trois ans à sa mère, dans une vie digne. Elle ne sortit de son silence qu’une fois, quand Octave Mirbeau en 1907 voulait faire paraître un ouvrage sur la mort de Balzac, dans lequel il alléguait qu’Eve  était la maitresse de Jean Gigoux et que pendant que Balzac se mourait, elle était dans les bras de son amant. Anna protesta vigoureusement et eut gain de cause. Il lui restait quelques objets précieux et portraits relatifs à Eve et Honoré de Balzac à un de ses neveux Joseph de Chamiec. 

Un témoignage la montre à la fin de sa vie : 

“Voici ce que m'écrit la supérieure du couvent de Vaugirard où résident encore les témoins de la vie de la comtesse Mniszech : « Sa parfaite éducation, sa constante amabilité, son sourire accueillant la rendaient d’un commerce agréable qu'augmentait encore sa culture étendue,reçue de divers précepteurs jusqu'à son mariage, et même au-delà. Elle possédait sept langues, me dit-on. Très pieuse elle arrivait de bonne heure à la chapelle, y demeurait tant que se succédaient les messes dans une impressionnante immobilité, vraiment prise par l'action du sacrifice. Nos soeurs n'ont que des éloges à son sujet. L'une d’elles me dit ne l'avoir jamais entendue prononcer le moindre mot au désavantage de qui que ce fût ; elle était toute bienveillance et charité. Lui fournir l'occasion de faire plaisir, c'était lui procurer à elle-même une vraie joie. Quand vinrent les infirmités qui la rendirent impotente durant quatre ou cinq ans, elle ne perdit rien de son égalité d'âme et de son amabilité. La soeur qui fut longtemps son infirmière demeure édifiée de son inaltérable patience ; jamais un geste, un mot d'impatience ; tout était toujours très bien ou très bon, ne réclamant rien, n'exprimant aucune préférence, se montrant reconnaissante de tout.” ( Corbes H. Les dernières années d'Anna Hanska, comtesse Mniszech et ses séjours en Bretagne. In: Annales de Bretagne.)

Les finances de la fin de la vie d’Eve  Hanska semblent avoir été compliquées du fait des désordres financiers de sa fille et de son gendre. Que restait-il réellement des millions de Monsieur Hanski, des milliers d’hectares possédés en Ukraine ? Qu’étaient les dettes d’Honoré de Balzac, dont les chiffres varient de 100 000 à 200 000 francs ? Difficile à dire.

Le véritable trésor laissé fut cette relation unique qui dura de 1833 à 1850, soit dix-sept ans, dont la plupart les vit loin l’un de l’autre.

Les opinions sur Eve Rzewuska, veuve Hanski et veuve Balzac, divergent. Elle fut probablement l’inspiratrice du caractère de bien des héroïnes balzaciennes comme Modeste Mignon, Ursule Mirouet, Adelina Houlot, Eugenie Grandet et Mme de Mortsauf. 

Parmi ses détracteurs on compte Henri Bordeaux et Octave Mirbeau. Parmi ses admirateurs plus nombreux, on compte Barbey d’Aurevilly, Robert Billy et Lovenjoul, dont l’opinion est peut-être la plus importante car il a eu en mains tous les documents existant permettant d’éclairé cette relation particulière, ce grand amour, né de l’ennui d’une après-midi en Ukraine et d’un besoin d’amour et d’admiration réciproques.

Certes la fortune d’Eve comptait pour Balzac, certes la gloire d’Honoré comptait pour Madame Hanska quand ils se sont rencontrés et une admiration réciproque tout au long de leur vie. Mais cela ne suffit pas à expliquer leur relation qui fut probablement un grand amour inédit.  

La plupart des citations viennent de l’ouvrage de Roger Pierrot - Eve de Balzac - Editions Stock 1999, ouvrage de référence pour ceux qui souhaitent en savoir plus sur la vie tumultueuse d’Eve de Balzac née comtesse Rzewuska.


La belle Eve Hanska au début de leur amour