12/04/2019

Marie Walewska - Cinquième partie

Dans la vie de Napoléon, la rencontre avec Marie semblait un intermède. Lorsqu’il entre à Varsovie le 18 décembre, l’empereur arrivait de Prusse. Le 14 octobre 1806, il avait défait à Iéna et Auerstadt les armées prussiennes. Le 26 octobre, il était entré dans Postdam, où devant son tombeau il rend hommage à Frédéric II: « S’il était encore vivant, nous ne serions pas là aujourd’hui. » Le lendemain, il entre dans Berlin. 

Entrée de Napoléon dans Berlin par Charles Meynier


C’est là qu’il signera le 21 novembre le décret instaurant le blocus continental contre le Royaume-Uni. Pendant tout ce mois qu’il y passera, il recevra les nouvelles des victoires de ses généraux et de ses maréchaux, Ney, Davout, Soult, Bernadotte, Murat. Le prince de Hohenlohe, Blücher, alors lieutenant-général, le duc de Brunswick, le duc de Saxe-Weimarsont contrains à la réddition. L’armée impériale passe la Vistule et dix ans après le troisième partage de la Pologne, les Français sont donc accueillis en libérateurs du joug prussien.
Ce fut alors pour Napoléon, dans une atmosphère de fête qui dura un mois, la rencontre avec Marie Walewska.
Mais si les Prussiens étaient défaits, les Russes ne l’étaient pas. Il fallait continuer la guerre. Le 8 février 1807 eut lieu la bataille d’Eylau, une des plus meurtrières de l’histoire de la Grande Armée. Les Russes sont définitivement vaincus à Friedland, le 14 juin 1807.


Bataille de Friedland par Edouard Detaille (1891)
Le traité de Tilsit, entre la France, la Russie et la Prusse, est signé les 7 et 9 juillet 1807. Napoléon est de retour à Paris le 27 juillet. C’est la fin de la Quatrième Coalition.

Entrevue de Tilsit

Mais entre-temps, en Prussse Orientale entre les mois d’avril et de juin 1807, Napoléon réside au château de Finckenstein, propriété des Dohna-Schlobitten, aujourd’hui Kamieniec en Pologne. Il y signe le traité du même nom, le 4 mai 1807, avec la Perse, qui comme l’Empire Ottoman souhaitait se détacher de l’influence anglaise et de la menace russe.


Mirza-Mohammed-Reza-Qazvini reçu par Napoléon à Finckenstein par FrançoisMulard.
Mais le séjour à Finckenstein ne fut pas que diplomatique. A l’issue de la bataille d’Eylau, Napoléon avait écrit à Marie: « La bataille a duré deux jours et nous sommes restés maîtres du terrain. Mon coeur est avec toi; s’il dépendait de lui, tu serais citoyenne d’un pays libre. Souffres-tu comme moi de notre éloignement ? J’ai le droit de la croire; c’est si vrai que je désire que tu retournes à Varsovie ou à ton château ; tu es trop loin de moi. Aime-moi, ma douce marie, et aie foi en ton N. »


Bataille d’Eylau par Antoine Jean Gros
Il lui écrit encore le 17 mars : « J’ai reçu vos deux charmantes lettres ; les sentiments qu’elles expriment sont ceux que vous m’inspirez ; je n’ai été un jour sans désirer vous le dire. Je voudrais vous voir. Cela dépend de vous…Ne doutez jamais, Marie, de mes sentiments, vous seriez injuste, c’est un défaut qui vous irait mal. Mille baisers sur vos mains, et un seul sur votre charmante bouche. » A la lecture de cette lettre on comprend que les sentiments de Marieont changé. Elle est amoureuse de Napoléon. Et en avril 1807, Marie prend la décision de rejoindre l’empereur à Finckenstein. Quitter ainsi Varsovie pour le rejoindre, même si c’était dans le plus grand secret, était un acte de bravoure, c’était brûler ses derniers vaisseaux et défier la société aristocratique polonaise et ses conventions. Marie a prévenu son mari de la situation en lui faisant remarquer qu’il avait fait partie du complot pour le jeter dans les bras de Napoléon. Grand seigneur, le comte Walewski s’incline. Désormais, s’ils restent mariés devant la loi, ils vivront séparés.
Le paradoxe est que Marie se mettant au ban de la société n’en continua pas moins à être admirée, voire enviée. Elle est la maîtresse de l’homme le plus puissant d’Europe et chacun cherche à travers elle, bien en vain, le moyen d’obtenir les faveurs du grand homme.

Château de Finckenstein
Le château de Finckenstein est une superbe demeure du XVIIIe siècle, bâti dans l’esprit baroque entre 1716 et 1720 par le général-comte Albrecht Konrad Finck von Finckenstein, au milieu de près de 9000 hectares. En 1782, il passa par mariage dans la famille des comtes Dohna-Schlobitten, qui en furent propriétaires jusqu’en 1945, date à laquelle les Russes l’incendièrent.

Château de Finckenstein
Napoléon fut impressionné par la beauté du lieu. Marie y arrive après un voyage épuisant, conduite par son frère Benedict, désormais colonel de l’armée impériale. Varsovie n’est distante que de 150 kilomètres mais le dégel avait commencé et les routes étaient embourbées. Elle est supposée y être incognito. Il semble que Napoléon n’ait pas vous que ses troupes connaissent la présence d’une femme à ses côtés. Il est aussi possible, et peut-être plus probable, qu’il n’ait pas voulu que l’impératrice Joséphine ait vent de sa liaison beaucoup plus sérieuse que les à-côtés qu’il s’était offert jusque-là. Joséphine et Marie seront les deux seules femme que Napoléon ait aimées. A travers Marie-Louise, ce sont les Habsbourg-Lorraine qu’il aima.

Château de Finckenstein aujourd'hui
La comtesse Potocka, toujours aussi mauvais langue raconta que Marie passait son temps dans la tristesse et la solitude. Elle y resta six semaines. Mais elle ni seule, ni triste, avec Napoléon à ses côtés. Napoléon lui a fait aménager un petit appartement à côté du sien et le couple mène l’existence heureuse de deux amoureux. Ils prennent leur petit-déjeuner au lit, prennent leur repas ensemble devant le feu de cheminée. Ils sont seuls au monde. Dans sa biographie de Marie Walewska, Christine Sutherland décrit ainsi sa chambre : « La chambre de Marie avait un joli lit à baldaquin avec de rideaux de damas rouge, un tapis épais et un grand poêle en porcelaine construit dans le mur. En face du lit une cheminée ; sa lueur joyeuse éclairait l’ensemble plutôt sombre. Le feu était entretenu par l’Empereur lui-même dont la chambre touchait celle de Marie. A côté, un petit salon, d’où une porte dérobée menait au cabinet de Napoléon. »

Probablement la chambre de Marie Walewska

Dans le film « Marie Walewska », interprétée par Greta Garbo, on peut voir les pièces originales car Clarence Brown, le réalisateur, avait filmé in situ en 1937.


De son côté Constant, le valet de chambre de Napoléon, raconte ce qu’il a vu : « Deux mois après, l’empereur, de son quartier-général de Finkenstein, écrivit à madame V…, qui s’empressa d’accourir auprès de lui. Sa Majesté lui fit préparer un appartement qui communiquait avec le sien. Madame V… s’y établit et ne quitta plus le palais de Finkenstein, laissant à Varsovie son vieil époux qui, blessé dans son honneur et dans ses affections, ne voulut jamais revoir la femme qui l’avait abandonné. Madame V… demeura trois semaines avec l’empereur, jusqu’à son départ, et retourna ensuite dans sa famille. Pendant tout ce temps, elle ne cessa de témoigner à Sa Majesté la tendresse la plus vive, comme aussi la plus désintéressée. L’empereur, de son côté, paraissait parfaitement comprendre tout ce qu’avait d’intéressant cette femme angélique, dont le caractère plein de douceur et d’abnégation m’a laissé un souvenir qui ne s’effacera jamais. Ils prenaient tous leurs repas ensemble; je les servais seul; ainsi j’étais à même de jouir de leur conversation toujours aimable, vive, empressée de la part de l’empereur, toujours tendre, passionnée, mélancolique de la part de madame V… Lorsque Sa Majesté n’était point auprès d’elle, madame V… passait tout son temps à lire, ou bien à regarder, à travers les jalousies de la chambre de l’empereur, les parades et les évolutions qu’il faisait exécuter dans la cour d’honneur du château, et que souvent il commandait en personne. Voilà quelle était sa vie, comme son humeur, toujours égale, toujours uniforme. Son caractère charmait l’empereur, et la lui faisait chérir tous les jours davantage.
A lire Constant, on est loin désormais d’Iphigénie sacrifiée pour sauver sa patrie, même si Marie conserve l’espoir d’obtenir ce qu’elle désir le plus, une Pologne libre.

Mais après trois semaines Marie dut quitter Finckenstein. Elle avait pu constater l’énergie de l’homme qu’elle aimait, qui durant le printemps 1807 n’écrivit pas moins de trois cents lettres sur tous les sujets concernant la guerre comme la vie civile. Les promesses de l’Empereurne sont pas toutefois tenues à la hauteur des espérances de Marie et de ses compatriotes. Ce n’est pas le Royaume de Pologne qui est rétabli dans son ancienne splendeur.
Lors de son séjour à Varsovie, Napoléon avait organisé l’état polonais en créant un comité gouvernemental, composé de sept personnalités de la haute aristocratie polonaise, auquel il avait adjoint cinq départements, Justice, Intérieur, Trésor, Guerre et Police. Il établit aussi la conscription.

Constitution du Grand-duché de Varsovie


Par le traité de Tilsit, legrand-duché, et non le royaume, se voit attribuer essentiellement les territoires pris par la Prusse à la Pologne lors des partages de 1793 et 1795 (provinces de Nouvelle-Prusse Orientale, de Nouvelle-Silésie et de Prusse -Méridionale) alors que la partie est de la Nouvelle-Prusse-Orientale : Bialystok, Bielsk Podalski et le nord de la Polésie sont concédés à la Russie. La Prusse conserve la plus grande partie de ses acquis de 1772 sauf les régions de Bydgoszcz, Chelmno et Grudziadz qui reviennent au duché. D’autre part, Danztig (Gdańsk), prise en mai 1807, redevient une ville libre théoriquement sous la protection conjointe de la Prusse et de la Saxe, en réalité protectorat français, avec des garnisons française et polonaise.
Le grand-duché de Varsovie a une superficie de 101 500 km² et est divisé en six départements. La couronne ducale est attribuée à Frédéric-Auguste Ier roi de Saxe, allié de Napoléon, membre d’une dynastie royale dont des membres ont occupé le trône de Pologne de 1709 à 1762, lui-même ayant refusé en 1791 d’être roi élu de Pologne.


Grand-duché de Varsovie de 1809 à 1814
En 1809, lors de la guerre de la Cinquième Coalition, l’Autriche sort de sa neutralité et attaque en Bavière et en Pologne. Jozef Poniatowski remporte la bataille de Raszyn (avril 1809) mais préfère ensuite évacuer Varsovie Les Autrichiens attaquent ensuite vers l’ouest. Violemment critiqué, Poniatowski se rachète en réussissant à prendre Lwow ; Varsovie est libérée en juin, Cracovie est prise le 15 juillet. La politique incertaine de la Russie, en principe alliée de la France mais qui hésite à attaquer les Autrichiens, permet aux Polonais d’étendre leur territoire national. Le traité de Schönbrunn, signé le 14 octobre 1809, attribue au duché la partie de la Galicie située à l’ouest du San, ainsi que Cracovie, Sandomierz et Lublin tandis que Lwow reste à l’Autriche et que la Russie obtient Tarnopol.

La superficie du duché passe à 155 000 km². Sa population est désormais de 4 300 000 habitants.

En 1812, les forces armées polonaises sont totalement sous le pouvoir de Napoléon, par l’intermédiaire du prince Poniatowski ministre de la guerre du duché, futur maréchal de France. Plus de 100 000 Polonais sont engagés contre les Russes. Ils espèrent alors que le duché redeviendra royaume et que les territoires lituaniens libérés par Napoléon lui seront réunis permettant la reconstitution de l’Union Pologne-Lituanie. Mais Napoléon n’est lié par aucune promesse.
Le duc, Frédéric-Auguste Ier, abandonne le pouvoir au Conseil des ministres et à la Diète du duché qui proclame, sans effet, la restauration du royaume de Pologne ainsi que la réunification avec le grand-duché de Lituanie. L’échec de la campagne de Russie oblige à revenir aux statuts du duché.

Frédéric-Auguste Ier, roi de Saxe, duc de Varsovie


À partir de mars 1813, le duché est occupé par les Russes. Le 14 mars 1813, Varsovie devient le siège d’un Conseil suprême provisoire créé par le tsar Alexandre pour le duché de Varsovie, dans lequel siègent seulement deux Polonais.
Le tsar, ayant l’intention de conserver des territoires précédemment prussiens ou autrichiens, est amené à composer avec tous les dirigeants polonais. Un rôle essentiel est alors joué par le prince Adam Czartoryski, partisan de l’alliance russe, mais le tsar obtient aussi l’appui d’hommes qui ont soutenu Napoléon.

Le retour de Napoléon de l’île d’Elbe oblige cependant le tsar à promettre des restitutions importantes à la Prusse.
Lors du Congrès de Vienne en 1815, le territoire du duché est divisé en trois parties : le royaume de Pologne( ou « royaume du Congrès »), attribué au tsar qui porte le titre de roi de Pologne– 128 000 km² (il conserve les acquis du traité de Schönbrunn, sauf Cracovie)  – le grand-duché de Posen ( Posnanie) , restitué au roi de Prusse (il deviendra une simple province prussienne en 1849 ) – 28 951 km²  – la ville libre de Cracovie (ou république de Cracovie) ancienne capitale royale de la Pologne, placée sous la protection des trois puissances (elle sera annexée par l’Autriche en 1846– 1 164 km². ( Sources Wikipédia)
C’en était fini des espoirs de la Pologne et de Marie. Mais malgré cela Marie n’en voulut pas à Napoléon, car il est probable que la patriote avait cédé la place à la femme amoureuse.

Château de Finckenstein  en 1866
Les hostilités avec la Russie reprenant, Napoléon est obligé de quitter Finckenstein, Marie l’ayant précédé de quelques semaines.


Marie et Napoléon, imagerie populaire
Ne voulant pas rester à Varsovie, où elle était le centre de toutes les attentions et de tous les commérages, ni à Walewice, chez son mari avec laquelle elle a rompu, elle se réfugia à Kiernozia, dans la maison de son enfance. C’est à qu’elle apprit la victoire de Friedland. Mais la vie n’y est pas aussi simple qu’elle le souhaiterait car sa mère l’entoure d’attentions qui rappellent à la jeune femme sa situation adultère. Pour Eva Łączyńska, être la maîtresse de l’empereur vaut largement d’être la femme du comte Walewski, même si celui-ci n’est pas à négliger au cas où les choses tourneraient mal mais en attendant, il y a plus à gagner. Son fils Benedict a commencé à recueillir les fruits de son ralliement à Napoléon.
Marie passe par des moments de découragement et de doutes. Napoléon ne va-t-il pas l’oublier comme il a oublié ses promesses envers la Pologne. Elle aurait aimé le rejoindre à Dresde mais aucun ordre ne vint, pis encore Napoléon refusa qu’elle vienne. Il reste malgré tout amoureux dans sa correspondance : « Ma joie serait entière si tu étais ici, mais je t’ai dans mon coeur. L’Assomption est ta fête et mon anniversaire de naissance : c’est une double raison pour que nos âmes soient à l’unisson ce jour-là. Au revoir, ma douce amie, tu viendras me rejoindre. Ce sera bientôt, quand les affaires me laisseront la liberté de t’appeler. Crois à mon inaltérable affection. » Puis «  Marie, ma si chère Marie, ne doutez jamais de moi quoiqu’on vous dise…Votre présence me manque autant que la mienne peut vous manquer, mais la pensée que vous viendrez bientôt à Paris me fait goûter à quelque réconfort. »
Elle reçoit un bracelet en diamants et une miniature de Napoléon qu’elle portera épinglée à ses robes, signe évident de son amour qu’elle ne cache plus désormais. Les nouvelles reçues de Paris sont rassurantes, le projet de divorce entre Napoléon et Joséphine prend corps au désespoir de cette dernière et à la contrariété de Napoléon qui l’aime toujours. Mais le souci d’établir une dynastie passe avant tout. Son frère Louis a épousé lafille de Joséphine, Hortense, mariage malheureux s’il en fut, mais leur fils, Napoléon-Charles, peut être l’héritier du trône. Hélas pour Joséphine, il meurt.
Marie est au courant de tout mais ne se berce pas d’illusion sur son avenir en tant que femme de Napoléon. Catholique, même si son divorce, voire l’annulation de son mariage, pourrait facilement être obtenue, elle se refuse à cette solution. Au contraire, elle écrit « Sa Majesté aurait tort de divorcer. Ce qui a été noué sur la terre ne peut être dénoué que dans le ciel. »


Marie semble aussi avoir appris les incartades de Napoléon qui s’offre des moments de liberté conjugale avec les dames de la cour. Il semble que cela ne l’ait pas dérangée, ni suscité de jalousie de sa part. Son amour est au-delà et elle sait que celui de Napoléon l’est également.
Et ce d’autant qu’il la presse de le rejoindre : « Tu dois venir à Paris aussitôt que je m’y trouverai…Oui ma douce Marie, j’ai besoin de toi, J’ai besoin de retrouver les doux moments que nous avons connus à Finckenstein, ces moments de bonheur dont toi seul possèdes le secret… »

Il lui fait savoir que tout sera organisé pour qu’elle s’y sent à l’aise. Mais les obstacles sont là. Le divorce n’a pas été encore prononcé, la famille de l’Empereur est trop présente. Mais Marie cède enfin à sa demande. Elle se met enfin en route. Elle s’arrête à Dresde où elle est reçue par le roi. Sans être un voyage triomphal, c’est un voyage très confortable dans les pays sur lesquels règne son amant. Début février, elle arrive à Paris où elle est accueillie par son frère Benedict et par Duroc qui la mène à la demeure achetée pour elle, un hôtel particulier au 2 rue de la Houssaye.

Plan de l'Hôtel au 2 rue de La Houssaye
Le lendemain, Napoléon vint l’y retrouver. Il voudrait qu’elle soit officiellement présentée à la cour. Elle refuse. Elle n’est ni Madame de Montespan, ni Madame de Pompadour. Elle souhaite la discrétion et elle l’obtient. Elle se lie avec la princesse Borghèse, Pauline Bonaparte, qui est venue la trouver pour lui offrir son amitié queMarie a acceptée.
Elle sort peu, mais un soir, elle va à l’opéra avec Duroc, dissimulée au fond de la loge. En face d’elle dans la loge impériale se trouve Joséphine. Marie veut partir mais Duroc l’en empêche. Le lendemain, Napoléon lui rapporte que Joséphine lui a dit avoir «  été charmée d’apercevoir dans une loge la présence de la gracieuse Mme Walewska. » Les deux femmes, les seules à avoir été aimées par Napoléon, plus tard se lieront d’amitié.
En mars 1808, l’Empereur quitte Paris pour Bayonne afin d’y voir plus clair dans l’affaire d’Espagne qui semble plus difficile que prévue. Il demande à Marie de rester à Paris. Elle refuse et repart pour la Pologne. Les amants espèrent cette séparation de courte durée. Elle sera de seize mois. Marie est tantôt à Varsovie où elle est l’objet de la curiosité obséquieuse de la haute société, tantôt à Kiernozia, où elle est l’objet des l’indiscrétion de sa mère. Seules les lettres de son amant lui apportent du réconfort.
En plus des problèmes espagnols, Napoléon voit se dresser contre lui la Cinquième Coalition, formée en 1809 par le Royaume-Uni. L’Autriche, jusque là alliée de la France, rejoint les Anglais. Et ce furent les deux victoires d’Essling ou d’Aspern ( 20-22 mai 1809) et de Wagram (5-6 juillet 1809). L’archiduc Charles avait gagné sur le terrain lors de la première bataille, mais il ne sut pas exploiter son avantage. A Wagram, la victoire est complète.

La bataille de Wagram par Horace Vernet
Les maréchaux Davout, Masséna, Bernadotte, les généraux Oudinot, Marmont, Bessières, Mc Donald, tous ceux qui font la gloire de l’empire sont aux côtés de Napoléon. Aux côtés de l’archiduc Charles, on compte le prince Frédéric-de Hohenzollern-Hechingen, le prince de Rosenberg-Orsini, le prince Jean-Joseph Ier de Liechtenstein. Les pertes autrichiennes furent de 41 250 hommes, dont 23 750 tués ou blessés, 10 000 disparus et 7 500 capturés, alors que les pertes françaises se chiffrèrent à 37 500 hommes, dont 27 500 tués ou blessés et 10 000 disparus ou capturés. Une bataille somme toute peu meurtrière. L’archiduc Charles demanda un armistice. La Cinquième Coalition se termina par le traité de Schönbrunn signé le 14 octobre 1809.


L'archiduc Charles à la bataille d'Essling
Constant raconte dans ses Mémoire la venue de Marie à Vienne, après cette longue séparation.
« Après la bataille de Wagram, en 1809, l'empereur alla demeurer au palais de Schœnbrunn. Il fit venir aussitôt madame V..., pour laquelle on avait loué et meublé une maison charmante dans l'un des faubourgs de Vienne, à peu de distance de Schœnbrunn. J'allais mystérieusement la chercher tous les soirs dans une voiture fermée, sans armoiries, avec un seul domestique sans livrée. Je l'amenais ainsi au palais par une porte dérobée, et je l'introduisais chez l'empereur. Le chemin, quoique fort court, n'était pas sans danger, surtout dans les temps de pluie, à cause des ornières et des trous qu'on rencontrait à chaque pas. Aussi l'empereur me disait-il presque tous les jours: «Prenez bien garde ce soir, Constant, il a plu aujourd'hui, le chemin doit être mauvais. Êtes-vous sûr de votre cocher? La voiture est-elle en bon état?» et autres questions de même genre, qui toutes témoignaient l'attachement sincère et vrai qu'il portait à madame V... L'empereur n'avait pas tort, au reste, de m'engager à prendre garde, car un soir que nous étions partis de chez madame V... un peu plus tard que de coutume, le cocher nous versa. En voulant éviter une ornière, il avait jeté la voiture dans le débord du chemin. J'étais à droite de madame V...; la voiture tomba sur le côté droit, de sorte que seul j'eus à souffrir de la chute, et que madame V..., en tombant sur moi, ne se fit aucun mal. Je fus content de l'avoir garantie. Je le lui dis, et elle m'en témoigna sa reconnaissance avec une grâce qui n'appartenait qu'à elle. Le mal que j'avais ressenti fut bientôt dissipé. Je me mis à en rire le premier, et madame V... ensuite, qui raconta notre accident à Sa Majesté aussitôt que nous fûmes arrivés. »
Schönbrunn
A Schönbrunn, Napoléon s’était installé dans les appartements de l’Empereur François, il dormait dans ce qui avait été la chambre de Marie-Thérèse et de François-Etienne, celle-même où son fils,  le roi de Rome, duc de Reichstadt,  mourra plus de vingt après. 

Schönbrunn, salon dit de Napoléon
Le couple retrouve son intimité de Finckenstein parfois dans la maison louée pour elle à Mödling, mais souvent au château dans un appartement aménagé spécialement où ils dorment ensemble. C’est à Schönbrunn, que fut conçu leur fils, Alexandre, qui deviendra le comte Colonna-Walewski. Au mois d’août Marie lui avait confié être enceinte. Napoléon en conçut une joie immense. Outre son amour pour Marie, il y avait la preuve qu’il n’était pas stérile. Le 15 décembre 1809, le divorce du couple impérial fut prononcé. Involontairement de sa part, la grossesse de Marie avait décidé l’Empereur à hâter le divorce.

Divorce de Napoléon et Joséphine par Henri-Frédéric Schopin
On pensa alors que Napoléon allait épouser Marie, qu’il qualifiait déjà de « son épouse polonaise ». Mais il n’en fut rien car comme il le déclara à son frère Lucien : « Vous riez de me voir amoureux ; oui je le suis en effet, mais toujours subordonnément à ma politique qui veut que j’épouse une princesse, quoique je préfèrerais bien couronner ma maîtresse. »

«  Je n'essaierai pas de raconter tous les soins, tous les égards dont l'empereur l’entoura. » écrivit Constant. Napoléon est heureux et il le montre. 

La question du lieu de l’accouchement est épineuse. Il conviendrait qu’elle accouche à Varsovie, dans un ultime sursaut pour sauver les apparence, qui de toutes façons ne trompent plus personne. Mais tous les deux souhaitent qu’elle accouche à Paris. Elle n’a pas envie de le quitter et lui non plus. Mais Varsovie l’emporte. Avant de quitter Vienne, pressentant que rien ne serait plus comme avant, Marie remet à Napoléon une bague avec une boucle de ses cheveux et une inscription :
« Quand tu cesseras de m’aimer, n’oublie pas que je t’aime. »
Napoléon arrive à Paris le 26 novembre 1809. Il expédie son divorce avec Joséphine. Marie n’est en rien responsable de sa décision. Nul ne peut lui reprocher d’avoir été l’instrument de la séparation entre les époux. Jamais elle ne lui a demandé de quitter Joséphine pour elle. Joséphine le savait comme elle savait que Napoléon désirait une union plus prestigieuse. Elle ne lui en a jamais vraiment voulu.

De Schönbrunn Napoléon avait envoyé demandé au tsar, Alexandre 1er, de lui accorder la main de sa soeur cadette, la grande-duchesse Anna. Bien que tenté de céder, le tsar dût s’incliner devant le refus absolu de sa mère, née Sophie-Dorothée de Wurtemberg, qui avait été avec la comtesse du Nord lors de son voyage en France en 1782. Il ne deviendrait pas le beau-frère de Napoléon malgré le gage que celui-ci lui donnait de ne pas faire renaître la Pologne, contrairement à ce qu’il avait promis à Marie. 

Qu’à cela ne tienne, Napoléon reçoit une offre encore plus brillante de la part de Metternich : une archiduchesse d’Autriche, la fille aînée de l’empereur François, Marie-Louise. La demande  en  mariage est faite officiellement le le 7 mars 1810. Il est célébré par procuration en Autriche le 11 mars 1810,  consommé le 27 mars et célébré officiellement en France le 2 avril. 

Dès février, les tractations du mariage étaient connues en Europe et c’est à Kiernozia que Marie apprend la nouvelle. Il n’y a pas de relation de la manière dont elle l’accepta. Mais on peut la supposer résignée et malgré tout amoureuse. Comme celui de la Pologne, le sort de Marie est scellé. Son pays ne renaîtra pas et elle n’épousera pas le père de son enfant. Elle n’avait jamais d’ailleurs songé à devenir impératrice des Français. 

Les sentiments de Napoléon ne sont pas à son honneur. Il abandonne Joséphine, à laquelle il devait malgré tout beaucoup. Il a des maîtresses en plus de Marie « son épouse polonaise ». Alors il peut le faire, il ne l’épouse pas, malgré l’amour qu’il lui déclare. Il épouse Marie-Louise « un ventre » séculaire, dont il tombe amoureux. 

Alexandre Florian Joseph nait à Walowice le 4 mai 1810. Il est reconnu avec élégance par Athanase Walewski, qui évite ainsi d’entraîner sa femme dans le scandale d’avoir officiellement un enfant adultérin, fût-il fils d’empereur. Il portera donc le nom de Colonna Walewski.
Le 21 février 1810, avait écrit à Marie : « Chère et honorée femme, Walewice m’est de plus en plus à charge, mon âge et mon état de santé m’interdisent toute activité. J’y suis donc venu pour la dernière fois afin de signer l’acte par lequel mon fils aîné en devienne propriétaire. Je vous conseille de vous entendre avec lui, afin de régler les formalités liées à la naissance l’enfant que vous attendez. Elle seront facilitées si ce Walewski naît à Walewice. Tel est aussi l’avis de mon fils aîné et je vous en informe. Je le fais conscient de remplir mon devoir et en priant Dieu qu’il vous protège. » Le fils aîné est certainement Jean-Joseph comte Colonna-Walewsk née en 1765 de sa première union avec Marie Madeleine Eva Tyzenhauzow.   Il a donc 45 ans à l’époque. 

Acte de naissance d'Alexandre Florian Joseph Walewski
Le comte Walewski avait peut-être attendu la nouvelle du remariage de Napoléon avec l’archiduchesse Marie-Louise pour offrir son nom à l’enfant. Peut-être avait-il aussi espéré que Marie devienne impératrice ? Mais devant la réalité, il sut se montrer gentilhomme.

Napoléon apprend la naissance de son fils alors qu’il est en voyage en Belgique. Il envoie immédiatement vingt mille francs en or pour Alexandre, des dentelles de Bruges et une édition ancienne des oeuvres de Corneille pour Marie, le tout accompagné d’un billet affectueux. Mais Marie-Louise, dont Napoléon a raconté plus tard  : « Elle aimait bien au reste, avec ses seins ou de quelques manières, tenter d’éveiller mes sens », occupe ses pensées et répond parfaitement à ses attentes sexuelles. 

Mais il n’en oublie pas Marie pour autant : « Si votre santé est bien rétablie, je désire que vous veniez sur la fin de l’automne à Paris où je désire vous voir. Ne doutez jamais de l’intérêt que je vous porte et des sentiments que vous me connaissaient » Il  charge Théodore, le frère de Marie d’aller la chercher. Homme désintéressé, il restera un ami fidèle pour sa soeur et plus tard un oncle aimant et attentif pour le neveu qui vient de naître. 

Marie Walewska
En novembre, ils quittent Walowice, en grand équipage. Marie emmène avec elle, ses deux enfants, les deux nièces de son mari et une nuée de domestiques. Ils remplissent trois voitures à eux tous. 
Le vieux mari reste à Walovice bien évidemment, peut-être un peu dépité de voir la belle jeune femme qu’il s’était choisi pour la fin de ses jours, lui échapper pour toujours. 
Marie trouve une installation préparée pour elle. Elle ne s’installera pas à Paris mais à Boulogne, au 7 rue de Montmorency dans un bel hôtel particulier, entre cour et jardin, de deux étages sur rez-de-chaussée. Sa chambre est au premier meublée d’acajou : lit, toilette, secrétaire, bureau. Elle comporte en outre quatre fauteuil, deux bergères, une méridienne. Mais elle a conservé son hôtel de la rue de la Houssaye., dont elle est propriétaire alors que la maison de Boulogne est louée et le loyer, comme l’ensemble des dépenses, est réglé par la cassette personnelle de l’empereur. 

Demeure de Marie Walewska au 7 rue de Montmorency à Boulogne
Boulogne est près de Saint-Cloud, une des résidences favorites de l’empereur. Il rend visite à Marie à un rythme dont nous ignorons tout. Il la reçoit parfois aux Tuileries. Même si cela n’est plus la passion du début, les deux amants éprouvent une grande tendresse l’un pour l’autre. Et Marie devient une vraie parisienne. Il n’est plus question pour elle de rester recluse. Elle sort dans la société impériale, elle va aux bals donnés par la princesse Borghèse. Elle voit aussi la reine Hortense, séparée de son marie, Louis Bonaparte, roi de Hollande, qui, comme elle met un enfant naturel au monde. Le pères est Charles de Flahaut et l’enfant sera le futur duc de Morny. 
Pauline Bonaparte, princesse Borghèse
Marie accepte les présents qui lui sont faits par l’empereur, elle ne jette plus à terre les diamants, elle trouve naturel le train de vie somptueux qui lui est fait. Mais cette vie n’est pas que fêtes, il y a aussi les contraintes imposées par Napoléon. Il lui impose la discrétion de leur relation. Personne ne doit savoir et pourtant tout le monde sait. Lorsque Marie séjourne à Varsovie, l’ambassadeur de France « regarda comme son devoir de la traiter en fac-similé d’impératrice. Elle eut le pas sur toutes ces dames. Aux dîners d’apparat elle fut toujours servie la première, occupa la place d’honneur et reçut tous les hommages et les marques de respect ! Ce qui choqua visiblement les douairières et donna de l’humeur à leurs maris…Elle s’était prodigieusement formée pendant son séjour en France, elle avait pris un aplomb modeste, difficile à soutenir dans la position équivoque où elle se trouvait. Ayant à ménager Marie Louise, fort jalouse, dit-on, Madame Walewska sut au milieu de Paris faire douter des rapports secrets qu’elle avait conservés avec l’empereur. » ( Mémoires de la comtesse Potocka) 

Marie doit aussi supporter d’être présentée à l’impératrice. On peut aisément imaginer le peu de plaisir qu’elle prit à cette cérémonie. Mais Napoléon tenait à l’étiquette et si elle devait assister aux soirées de la cour, elle devait avoir été présentée. Comme les aristocrates de son époque, elle voyage en grand train, emportant avec une fois cent cinquante robes. Elle fréquente les stations thermales à la mode. 

Elle fait l’admiration de ceux qui l’approchent tant par sa beauté que par son maintien et sa gentillesse. Les Polonais de passage ou en exil trouvent toujours du secours chez elle. La comtesse Potocka, qui n’a besoin d’aucun secours, voit aussi « Madame Walewska une des créatures les plus attachantes de son époque. »

Peut-on dire qu’elle est devenue la coqueluche de Paris ? On se presse chez Gérard pour voir le portrait qu’il a fait d’elle. 

Au milieu de ce tourbillon mondain, elle s’occupe de ses enfants. Mais la fête impériale va bientôt s’achever. Le tsar a décidé de reprendre les hostilités. Marie et les Polonais de Paris sentent bien le danger que cela représente pour leur patrie. Kosciusko, le héros de l’indépendance, toujours vivant est reçu par Marie. Il l’étreint et prenant l’écharpe aux couleurs de la Pologne qu’elle porte au bras, il l’embrasse le morceau d’étoffer et l’envoie en Pologne. 

Elle évite de parler politique avec Napoléon. Elle sent combien il est ombrageux et elle ne va pas ajouter de l’indiscrétion à ses soucis.

En avril 1812, la « Grande Armée » est prête à entrer en campagne. Malgré ses soucis Napoléon songe à Marie, à assurer son avenir et celui de son enfant, Alexandre, qui lui ressemble. Le 5 mai 1812, il constitue un majorat en sa faveur, avec l’attribution du titre de comte de l’Empire. 


Armes d’Alexandre Florian Joseph Colonna Walewski, Comte de l’Empire
Le titre et le majorat sont transmissibles héréditairement en premier à l’héritier mâle et à défaut à ses filles.  « transmissible à la descendance directe et légitime, naturelle ou adoptive ». Marie en sera usufruitière jusqu’à la majorité de son fils, puis elle recevra une rente annuelle de cinquante mille francs. 

Cette donation comporte d’immenses domaines dans le royaume de Naples qui rapportent à eux seuls la somme annuelle de 170 000 francs. 

Marie Walewska par Gérard en 1812
Marie n’est toujours pas divorcée du comte Walewski et les affaires de ce dernier vont mal. Il est couvert de dettes et Marie craint que cette situation ne vienne obérer la fortune de son fils, officiellement le fils du comte. Il s’agit donc de divorcer. La demande en divorce est introduite par marie le 18 juillet 1812, au motif qu’elle a été contrainte par sa famille à l’épouser - le même motif serait valable en cas de demande d’annulation - le comte Walewski ne faisant aucun opposition, le divorce est prononcé le 24 août. Dans le règlement du divorce, elle obtient la moitié des biens de ce dernier, à la condition de constituer un majorat en faveur de leur fils commun. Elle s’engage à élever les deux enfants, ce qui ne dut pas lui être difficile au vu de son amour maternel. 

L’inquiétude pour Napoléon est présente dans son esprit. Elle est tenue au courant de la campagne de Russie. Elle est toujours en Pologne lors de  l’incendie de Moscou. Napoléon, rentrant en France, s’arrête à Varsovie. Marie est à Walewice. Certains prétendent qu’ils se sont vus alors. Mais rien n’est moins sûr. Conscient du danger, Napoléon lui ordonne de quitter la Pologne et de rentrer à Paris, ce qu’elle fait en janvier 1813. Elle y trouve une atmosphère d’exubérance mondaine. Paris ne réalise pas la gravité de la situation et Napoléon ne veut surtout pas d’affolement. Marie paraît à la cour de l’impératrice Marie-Louise, sans doute sur l’ordre de l’empereur mais elle reçoit la plus surprenante des invitations. L’impératrice douairière Joséphine l’invite à venir la voir en compagnie de son fils à La Malmaison. Même si Marie ne fut pour rien dans le divorce impérial, on peut imaginer que Joséphine n’avait aucun plaisir à entendre parler d’elle. Marie hésitait et la reine Hortense sut la convaincre d’accepter. Elle y reviendra. Selon un témoin de l’époque, la première dame de l’impératrice, « L’Impératrice témoignait beaucoup d’amitié à madame Walewska. Devant tout le monde, elle vantait ses qualités exceptionnelles et affirmait que cette bonne personne n’était pour rien dans ses malheurs. Elle lui faisait des cadeaux et comblait son fils de joujoux. Et se montrait frappée de sa ressemblance avec l’Empereur. » ( Mémoires de Mademoiselle d’Arvaillon) Il est difficile de dire si Napoléon fut contrarié ou non du rapprochement entre les deux seules femmes qu’il ait vraiment aimées.

Joséphine à La Malmaison en 1812
Pris par d’autres soucis, pris par le désir de ne pas déplaire à son épouse, une Habsbourg-Lorraine, la mère de son fils, l’héritier du trône, l’empereur délaisse Marie. Elle a vingt-sept ans. Elle est dans tout l’éclat de sa beauté, elle est une femme épanouie mais elle est probablement frustrée de ne voir son amant que rapidement et entre deux de ses soucis. Elle a des admirateurs qui l’entourent et lui font savoir son admiration. Mais elle n’en a cure car elle est fidèle. 



Mais le 2 mai 1813, elle reçoit une lettre d’un nouvel admirateur : « Ma profonde gratitude ne vous est pas seulement due pour m’avoir reçu avec tant de grâce charmante, pour m’avoir consacré votre temps ; le sentiment que vous m’inspirez me fait votre obligé plus encore. Ne le partageriez vous jamais qu’il m’aurait donné des heures d’un ineffable douceur, auxquelles il me semble interdite demander davantage…J’attendrai. » C’est ainsi que Philippe d’Ornano, général, comte d’Empire et parent de l’empereur - sa mère Isabelle Bonaparte était la cousine germaine de Charles-Marie Bonaparte, père de Napoléon - se déclarait. 

11/03/2019

Marie Walewska - Quatrième partie


Armes du duché de Varsovie
Marie se laissa impressionner pas les discours déterminés de ce hauts personnages, incarnant la Pologne. «  La dignité de leur contenance, l’expression de ces âmes de feu, dévouées à la cause sacrée, à l’amour de la Patrie, passa dans la mienne. »

Mais elle n’abdiqua pas sa volonté facilement car elle comprenait que l’amour de la patrie allait lui faire abandonner ses devoirs d’épouse et de mère. Elle savait ce que l’empereur attendait d’elle et c’est son mari qui par son insistance allait être l’instrument de ce geste exceptionnel. Il lui reprocha de ne plus avoir l’enthousiasme patriotique qu’il lui avait connu et pour lequel il avait accepté de venir à Varsovie, d’avoir été maussade au bal, de fermer sa porte à ceux que lui, justement, veut attirer, de le faire passer pour un époux jaloux cachant sa femmes aux yeux du monde. « J’entends donc, j’exige, Madame, formellement que votre présentation ait lieu, que vous recherchiez et répondiez à l’empressement de toutes celles qui composent la haute société. Vous ne pouvez qu’y gagner en perdant cette timidité, en acquérant l’usage du grand monde qui vous manque. » Et il lui ordonna d’aller chez la comtesse de Vauban prendre les conseils nécessaire sur sa parure et sur l’étiquette. Elle répondit en murmurant « Que votre volonté soit faite » Celle de son mari ou celle de Dieu ?

Jamais mari ne fut aussi complaisant sans réaliser les conséquences de sa complaisance. En effet, le comte Walewski ne voyait dans cette introduction de sa femme dans le cercle impérial qu’un moyen d’asseoir sa propre position dans l’aristocratie polonaise et peut-être jouer un rôle important dans les évènements qui se préparaient. Il n’imaginait pas les conséquences de son arrivisme.
Lacomtesse de Vauban était le pur produit de l’Ancien Régime qui au moment de la Révolution avait émigré en Russie, où elle avait su se faire une place dans une société qu’elle avait charmée par son esprit et ses grandes manières. Elle tenait le salon du Prince Poniatowski. Etre distingué par elle était un brevet d’élégance. Et c’est ce que Marie vint chercher. Elle fut reçue avec amitié et chaleur. Marie qui savait désormais qu’elle ne pouvait échapper prit auprès d’elle les conseils qui l’aideraient à vaincre sa timidité et à paraître, ce qu’elle était au fond d’elle-même, une grande dame. La protection de la comtesse était le gage d’un succès assuré.

La comtesse de Vauban par Carmontelle
La comtesse de Vauban, née Henriette de Puget-Barbentane, amie de la comtesse Tyszkiewicz, soeur de Poniatowski, était la maîtresse du prince depuis 1793. Ils s’étaient rencontrés à Bruxelles. Il avait dix ans de moins qu’elle. Voici comment elle était décrite : grande, mince, élégante, au visage pâle, au sourire moqueur. Intelligente, mais surtout calculatrice, elle sait retenir l’attention des hommes par son apparence fragile et l’évocation habile des difficultés de son existence. Leur liaison dura jusqu’à la mort du prince.

« Timide, grave mais affectueuse par nature, je m’abandonnai au charme d’une amitié sans gêne, qui faisait tous les frais, toutes avances pour gagner mon coeur et ma confiance bien avant que j’eusse pu soupçonner un motif étranger à la sympathie que je supposais et le véritable lien de notre relation. » La comtesse de Vaubanétait du complot et en habituée de Versailles n’ignorait rien du jeu subtil de l’ascension sociale et des intérêts bien compris. Elle était la personne qu’il fallait pour séduire l’innocente Marie qui n’avait jamais eu à faire avec des roués.
Madame de Vaubanlui fit une scène quand elle apprit le retour des billets que Marieavait reçus de l’empereur: « Non, vous n’agirez pas ainsi, vous réaliserez l’espoir que l’on fonde sur vous. Croyez-vous que l’on ait pu rendre vos lettres à celui qui les a écrites ? Qui l’oserait ? Ma chère vous nous perdez ! » lui dit-elle, les fameuses lettres à la main. Elle lui en remis une autre en disant « Tenez, lisez cette autre lettre d’abord. C’est toute une nation qui élève sa voix vers vous car elle est tracée par ses représentants. »


Napoléonlui écrivait « Madame ! Les petites causes produisent souvent de grands effets ! Les femmes en tous temps ont eu une grande influence sur la politique du monde. L’histoire des temps les plus reculés comme celle des temps modernes nous certifie cette vérité ! Tant que les passions domineront les hommes, vous serez, Mesdames, une des puissances les plus formidable.
Homme, vous auriez abandonné votre vie à la digne et juste cause de la patrie ! Femme vous ne pouvez la servir à corps défendant, votre nature s’y oppose mais aussi en revanche il y a d’autres sacrifices que vous pouvez bien faire et que vous devez vous imposer, quand même ils vous seraient pénibles.

Esther devant Assuérus par Grenier


Croyez-vous qu’Esther s’est donnée à Assuérus par un sentiments d’amour ? L’effroi qu’il lui inspirait jusqu’à tomber en défaillance devant son regard n’était-il pas la preuve que la tendresse n’avait aucune part dans cette union ? Elle s’est sacrifiée pour sauver sa nation et elle a eu la gloire de la sauver. Puissions nous vous en dire autant pour votre gloire et notre bonheur.
N’êtes-vous donc pas fille, mère, soeur, épouse de zélés polonais ? qui tous forment avec nous le faisceau national dont la force ne peut qu’ajouter par le nombre et l’union des membres qui la composent. mais sachez, Madame, ce qu’un homme célèbre, un saint et un prieur ecclésiastique, Fénelon, en un mot a dit : Les hommes qui ont toute l’autorité en public ne peuvent par leurs délibérations établir aucun lien affectif si les femmes ne les aident à l’exécuter.
Ecoutez cette voix, réunie à la notre, Madame, pour jouir du bonheur de vingt millions d’hommes ! »


Cette étrange lettre qui contenait plus de menace que d’amour suivait le second billet reçu par Marieoù il avait écrit « Vous ai-je déplu, Madame, J’avais cependant les droits d’espérer le contraire. Me suis-je trompé ? Votre empressement s’est ralenti tandis que le mien augmentait. Vous m’ôtez le repos ! Oh donnez un peu de joie, de bonheur à un pauvre coeur tout prêt à vous adorer. Une réponse est-elle si difficile à obtenir ? Vous m’en devez deux. »
La seconde lettre est celle d’un homme amoureux, la troisième est celle d’un chef d’état qui n’entend pas qu’on lui résiste et, sans vraiment menacer, fait comprendre où vont les intérêts de la destinataire. La comparaison avec Esther est habile car Marie ne devait rien ignorer de son histoire à laquelle sont associés les mots piété, foi et patriotisme. Napoléon emploie lui aussi le chantage au patriotisme pour arriver à ses fins.
Marie passa la nuit à se demander que faire. «  Qu’ai-je à craindre ? Je ne l’aime pas » finit-elle par conclure et accepta enfin d’aller au dîner. Elle avait réprimé son élan pour le comte Souvorov au nom de l’amour de sa patrie. « Je me croyais très forte de la force que j’avais déployée alors. Mais ! …J’oubliais! …que je l’avais invoquée du ciel et que je n’avais plus le temps de le faire maintenant, car aucun moment ne m’appartenait plus. Le torrent, le bruit, une activité continuelle d’une multitude attachée à tous mes pas ne me faisait plus un seul loisir pour la réflexion. »
Son arrivée tant attendue fit sensation et soulagea ceux qui avaient fomenté le complot de la livrer à l’empereurpour le bien de la Pologne. L’empereur arriva enfin et la gratifia au moment de la présentation d’un « Je croyais Madame indisposée, Est-elle tout-à-fait remise ? » La sécheresse du ton étonna l’entourage et ravit la comtesse Walewska qui espérait avoir suffisamment déplu à Napoléon et calmé ainsi ses ardeurs.

Salle à manger d'un château en Pologne
Mais à table, elle fut placée presqu’en face de lui. Il sut parler avec chaleur des héros de l’histoire de la Pologne, tout en l’observant. Duroc son voisin de table l’entretint dans les intérêts de Napoléon. Il chercha à savoir pour après s’être jetée à la tête de l’empereur, elle battait froid. Il accusa le comte Walewski de jalousie conjugale, ce qu’elle contredit. Elle justifia sa présence à Bronie par l’espoir qu’elle mettait en Napoléon, sauveur de sa patrie. Ce dernier, tout en animant la conversation générale, donnait des ordre à Duroc, en langage des signes pour diriger sa conversation avec Marie. 
Le maréchal lui posa la question de savoir ce qu’elle avait fait du bouquet reçu. « Il m’est trop précieux pour risquer d’en voir une seule feuille détachée et perdue, c’est un héritage que je conserve pour mon fils. » répondit-elle. Duroc alla plus loin dans une allusion à un présent plus précieux encore qui pourrait lui être fait. Elle répliqua, indignée, ayant saisi l’allusion à un bijou, qu’elle n’aimait que les fleurs. Duroc lui répondit « Nous allons cueillir des lauriers sur votre sol natal pour vous les offrir. » « Ah si c’était ! Ah! monsieur le maréchal, une patrie c’est là le bouquet que nous ambitionnons tous. »
Après le repas, Napoléon s’approcha d’elle. « Il avait dans le regard quand il voulait le rendre pénétrant un trait de feu qu’on ne pouvait soutenir sans baisser les siens. C’est l’impression qu’il produisit sur moi, alors prenant ma main et la pressant avec force me dit tout bas : non, non, avec des yeux si doux, si tendres, avec cette expression de bonté on se laisse fléchir, on ne se plait pas à torturer…ou l’on est la plus coquette, la plus cruelle des femmes. » Et il partit.

Napoléon 18 mois avant la rencontre avec Marie Walewska
par Andrea Appiani
Elle fut alors l’objet de toutes les conversation et personne ne se priva de lui faire voir comme elle avait été remarquée par le grand homme : « Il n’a vu que vous ! Il vous jetait des flammes. C’était visible, vous seule pouvez transmettre les voeux de toue une nation, influence ses destinées et vous pourriez hésiter ? » Une fois de plus suivit le chantage au patriotisme. On peut se demander si seul le patriotisme inspirait les conseils de ces bonnes âmes polonaises. N’y avait-il pas aussi quelqu’intérêt courtisan à satisfaire les désirs de l’empereur, et en tirer un avantage personnel ?
Marie, comprenant leurs arguments, commençait à faiblir. Elle commençait à réaliser tout l’avantage que la Pologne pourrait tirer de son influence sur Napoléon. Et peut-être avait-elle été séduite par l’homme qu’elle avait approché et lui avait déclarer sa flamme. Elle reçut un nouveau billet transmis par le maréchal Duroc qui lui dit « Pourriez-vous Madame, refuser la demande de celui qui n’a jamais encore essuyé de refus ? Ah sa gloire est environnée de tristesse ! et il dépend de vous de la remplacer par des instants de bonheur ».
Elle se devait d’être bonne polonaise. Et elle devait répondre à la nouvelle lettre que lui écrivait Napoléon. « Il n’y a que vous seule qui puissiez lever ces obstacles qui nous séparent…Ah ! Venez, venez, tous vos désirs seront remplis. Votre patrie me sera plus chère quand vous aurez pitié de mon pauvre coeur – Signé Napoléon » Elle ne pouvait avoir le front de refuser, insista cette fois Madame de Vauban. En clair, on ne refuse rien au vainqueur, au grand homme du moment, qui a en mains les destinées non seulement de la Pologne mais de l’Europe. Marie fondit en larmes. Elle ne voulait pas être une Montespan ou une Pompadour. Mais la comtesse de Vauban, qui avait vécu à Versailles et qui aurait certainement volontiers été de ces « femmes méprisables », ainsi que les qualifia Marie, ne l’entendit pas ainsi. Pour elle, c’étaient « des femmes célèbres qui ont contribuer à brillanter (sic) d’un éclat bien durable ces siècles qui font encore l’admiration du monde entier. »
Elle trouva Mariebien sévère dans son jugement. « Ce sont d’ignobles principes d’éducation provinciale dont vous connaîtrez plus tard la déraison. » Toute l’immoralité de Versaillesétait dans ces mots. La seule morale qui comptait était la satisfaction des désirs du roi. « Ne savez-vous pas que tout souverain en croyant ne donner que son coeur a souvent déposé sa couronne aux pieds de la beauté qui savait l’enflammer. Tout empereur qu’il soit, c’est un homme et rien de plus »
Mariese rendit enfin : « Et bien ! Faites de moi ce que vous voulez…Disposez de moi, faites arranger la consommation du sacrifice auquel vous m’avez tous condamnée, mais n’exigez pas que je trace un seul mot que je dise une seule parole à ce sujet » Une fois Madame de Vauban sortie, Marie, enfin seule, pensa qu’elle pouvait obtenir de Napoléon, en acceptant une entrevue secrète, estime, amitié, confiance. Oserait-il exiger autre chose « d’une femme qui veut rester pure et n’a pas d’amour à lui donner…mais beaucoup d’admiration, d’enthousiasme, d’amitié. » Elle se berçait d’illusions. Cela rendait peut-être l’heure moins pénible mais elle fut rappelée à la réalité par ceux qui la poussait dans le lit de Napoléon. « « Ce soir on vous remettra à votre destination pour remplir une mission bien importante de laquelle dépend le salut de votre patrie, ne l’oubliez pas. » 

Affiche du film
Marie eut l’impression d’être une machine dont on pouvait faire tout ce que l’on voulait. Elle n’était plus qu’un automate, une marionnette dans les mains de plus puissants qu’elle, à commencer par son mari. Elle attendit effrayée que s’accomplisse son sacrifice. Entre dix et onze heures du soir, on vint la chercher, on la mit en voiture, on l’accompagna, on la fit entrer dans une maison inconnue, on l’assit sanglotante sur un fauteuil et quand elle essuya ses larmes, elle vit Napoléon à ses pieds, lui disant: « Vous me haïssez, je vous inspire de l’effroi, vous en aimez un autre plus heureux que moi. »
Tremblante, sanglotante, elle lui répondit « Non, ce n’est pas cela. j’ai honte de vous. J’ai honte de moi-même. »Napoléon ne la comprenait pas, il la pensait amoureuse d’un autre, voire de son vieux mari dont il se demanda comment cela était possible. A cette évocation Marie revint à la réalité de vie, la fidélité. Elle ne pouvait pas trahir les liens sacrés du mariage. C’était un péché impardonnable à ses yeux. Napoléon lui reprocha à nouveau de la haïr et lui répondit qu’au contraire, elle l’admirait, elle l’aimait comme le seul espoir de la Pologne. L’empereur fut soulagé de savoir qu’elle ne le haïssait pas.
Napoléon sut alors se montrer compréhensif et s’intéressa à elle, à son éducation, à son milieu. Il l’apprivoisait doucement car il n’avait pas renoncé à conquérir son coeur.
Quand il fut temps de partir, il lui dit : « Et bien, ma douce et plaintive colombe, sèche tes larmes, va te reposer et ne crains plus l’aigle. Il n’a d’autres forces auprès de toi que celles d’un amour passionné, mais d’un amour qui veut ton coeur avant tout. Tu finiras par l’aimer, car il sera tout pour toi ! Tout, entends le bien. »

En la raccompagnant il lui demanda de lui promettre de revenir et elle promit. Selon son récit Marie n’a donc pas cédé à l’empereur le premier soir, mais il est possible qu’elle ait été séduite par l’empereur qui lui promettait tant pour sauver son pays, mais aussi par l’homme. « Son regard avait quelque chose d’étonnant; c’était un regard fixe et profond, nullement l’air inspiré et poétique. Ce regard prenait une douceur infinie, quand il parlait à une femme. » ( Stendhal, Vie de Napoléon)

Comtesse Potocka par Elisabeth Vigée-Lebrun en 1791
La comtesse Potocka, née Anna Tyszkiewicz dans ses mémoires raconte « combien l’impression qu’on ressentait en l’apercevant pour la première fois était profonde et inattendue ».
Non seulement il était le maître mais, sans n’avoir hérité aucune couronne, il était l’homme qui s’était fait par son intelligence et une personnalité unique. Marie Walewska n’a pas du échapper à l’attraction que Napoléon exerçait sur tous.

Mais le grand homme manquait souvent de finesse. Le lendemain il lui fit porter un écrin avec un bouquet en diamants magnifiques. Marie en fut offensée, jeta l’écrin et son contenu à terre. Elle demanda que le présent lui soit retourné. « Que ces bijoux me sont odieux » dit-elle. Une lettre accompagnait l’écrin. « Marie, ma douce Marie ! Ma première pensée est pour toi, mon premier désir de te voir ! Tu viendras, tu l’as promis, sinon l’aigle volerait vers toi. » Et il lui demande de porter de ce bijou au dîner et convient d’un langage muet. Quand Napoléon mettra la main sur le coeur, cela voudra dire qu’il est tout occupé d’elle, malgré la foule qui l’entoure, et elle lui répondra en touchant ce bouquet en diamants.
Mais Marie Walewska ne l’entend pas ainsi. Même si elle a conscience qu’elle est poussée par tous au sacrifice de son honneur pour sauver son pays, et même si au bout du compte, le sacrifice ne sera pas si odieux, elle ne veut pas sembler être achetée. Elle n’est pas du genre à triompher d’être la maîtresse du prince. Le soir, Napoléon fut furieux de voir que Marie ne portait pas le bijou. Elle lui fit malgré tout le signe convenu et il s’apaisa. Duroc, le messager impérial, tenta de lui faire la leçon mais elle resta ferme. «  Je n’accepterai aucun cadeau de ce genre…dites lui bien que ce ne sont pas des récompenses personnelles qui peuvent contenter mon dévouement et ma vive admiration ! » Duroc lui dit combien il trouve l’empereur changé pour elle et lui demande de l’aider à apaiser son tourment, de l’aider à supporter les difficultés de sa position. C’était un langage qu’elle pouvait entendre. Et elle accepta une seconde visite tardive.

Palais Royal de Varsovie
Napoléon lui reprocha de ne pas l’aimer et il se lança dans une diatribe sur l’inconstance de la nation polonaise, comme celle qu’elle montrait, en vraie polonaise qu’elle était. Elle s’est jetée à sa tête à Bronie, puis elle disparait et depuis se montre indifférente à ses sentiments. L’empereur ne peut pas la comprendre, pas plus qu’il ne peut comprendre la Pologne au caractère si inconstant qu’il ne lui semble pas digne d’être aidée. La violence de son discours, la violence de ses sentiments firent un tel effet sur Marie qu’elle s’évanouit.

Ruines du Palais Royal en 1945
Pudiquement Marie avoue : « Tirons un voile sur cette scène que je voudrais effacer au prix de mon sang de l’histoire de ma vie…Celui qui voyait l’univers à ses pieds était là aux miens. »

Salon au Palais Royal de Varsovie
Il est probable que c’est à ce moment là qu’elle est devenue sa maîtresse. Si elle y a consenti physiquement, elle n’était pas libre de refuser cet « holocauste pour vingt millions d’hommes. »
Le paradoxe de Marie Walewska tient dans ce qu’elle a considéré sa relation avec Napoléon, commencée sous des auspices si difficiles, indigne de la femme de devoir et d’honneur qu’elle était mais qu’elle ne l’en a pas moins aimé. Le remords qu’elle a éprouvé à commettre l’adultère sont effacés par la confiance qu’elle porte en lui, le sauveur de sa patrie, mais probablement aussi par l’amour qu’elle commence à éprouver. Certes il est empereur, mais il est aussi bel homme, il n’a pas quarante ans et peut satisfaire les désirs d’une femme. Elle n’a connu qu’un vieux mari, après avoir été amoureuse du comte Souvorov. Il est probable que sa vie de femme n’a été que frustration jusque là. Napoléon saura faire d’elle une femme à part entière.
Lacomtesse Potocka, dont la mère est née princesse Poniatowska, parente de tout ce qui compte en Pologne dont le dernier roi, et du prince Joseph Poniatowski dont il a été question plus haut, raconte les choses différemment.
Selon elle, Napoléon arriva à Varsovie subrepticement « à quatre heures du matin sur un mauvais cheval qu’il s’était fait donner au dernier relais » ( Mémoires de la comtesse Pootocka, publiées à Paris en 1897 – Librairie Plan – par Stanislas Stryienski).
Ce récit assez peu vraisemblable entache les autres récits qu’elle fit de Marie Walewska et de sa rencontre avec Napoléon. La comtesse Potocka était-elle mal informée, ce dont peut douter ? Etait-elle jalouse de Marie Walewska, dont la gloire dépasse celle de toutes les grandes dames polonaises de son époque ? Il est difficile de répondre. Une chose est certaine, elle fut mauvaise langue.
Napoléon s’était fait précédé de Murat et de Davout. Parti de Poznan le 9 décembre 1806, il arrive à Varsovie le 18 décembre à minuit, après un voyage difficile, mais certainement pas avec une allure de d’Artagnan sur son bidet jaune.
Elle raconte que la rencontre entre Marie Walewska a eu lieu au bal donné par le prince de Bénévent, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, ministre des Affaires étrangères, ancien évêque d’Autun.
« …Napoléon était venu s’asseoir entre cette future favorite et moi ; après avoir causé quelques minutes, il me demanda qui était son autre voisine. Dès que je l’eu nommée, il se tourna de son côté de l’air du monde le mieux informé.



Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord par Pierre Paul Prud'hon en 1809

Nous sûmes depuis que M. de Talleyrand avait étendu ses attentions jusqu’au point de ménager cette première entrevue et d’aplanir les difficultés préliminaires. Napoléon ayant manifesté le désir de compter une Polonaise au nombre de ses conquêtes, elle fut choisie telle qu’il la fallait – délicieuse de figure et nulle d’esprit. »
La lecture de ce texte laisse songeur. En effet on ne voit pas l’empereur venir s’asseoir en toute simplicité entre deux dames, lui qui avait instauré un protocole stricte à la gloire de Sa Majesté. Cette partie du récit est invraisemblable. Ensuite, tout le monde s’est accordée à reconnaitre une véritable intelligence à Marie Walewska. Jolie, elle était loin d’être idiote.


La-comtesse de Rémusat-par-Guillaume-Descamps

Madame de Rémusat, dans ses Mémoires raconte que ce fut Muratqui organisa la rencontre : «  Lors de la première entrée en Pologne, Murat qui l’avait précédé à Varsovie, reçut l’ordre chercher pour l’Empereur, qui allait arriver, une femme jeune et jolie, et de la prendre de préférence dans la noblesse. Il s’acquitta adroitement de cette commission, et détermina à cet acte de complaisance une jeune et noble Polonaise, mariée à un vieux mari »
Il y a dans ces deux récits, non seulement des inexactitudes, mais aussi un esprit de jalousie de la part de femmes qui auraient peut-être aimé être à la place de Marie.
Savary, duc de Rovigo, futur Ministre de la Police, à l’époque général participant à la campagne de Pologne, était à l’époque à Varsovie, fait, des ses Mémoires, un autre récit de cette rencontre : « L’Empereur, comme les officiers paya tribut à la beauté des femmes polonaises. Il ne put résister aux charmes de l’une d’elles; il l’aima tendrement et fut payé d’un noble retour. Elle reçut l’hommage d’une conquête qui comblait tous les désirs et la fierté de son coeur, et c’est la nommer que de dire qu’aucun danger n’effraya sa tendresse, lorsqu’au temps de revers, il ne lui restait plus qu’elle comme amie. »
Entre les Mémoires de deux femmes, sujettes à caution, et les Mémoires d’un homme, qui présentent un intérêt réel pour l’historien, on ne peut que donner plus de crédit à ce dernier. Savary ne s’étend pas sur les circonstance de la rencontre mais sur la beauté et la valeur de celle-ci pourNapoléoncomme pour Marie.
Lacomtesse Potocka admit toutefois que « le temps, qui prête une couleur à tout, dont à cette liaison si légèrement contractée une peine de constance et de désintéressement qui effaça en partie l’irrégularité du début et finit par ranger Madame Walewska au nombre des personnes intéressantes de son époque. Délicieusement jolie, elle réalisait les figures de Greuze; ses yeux, sa bouche, ses dents étaient admirables. Son rire était si frais, son regard si doux, l’ensemble de sa figure si séduisant qu’on ne pensait jamais à ce qui pouvait manquer à la régularité de ses traits. » Mais la comtesse, d’une naissance plus haute que Marie, ne peut s’empêcher de continuer à médire en affirmant que « si Napoléon fut le dernier de ses amants, on prétendait qu’il avait pas été le premier. »

Or là aussi, il y a mensonge car dans le petit monde de l’aristocratie polonaise, il n’a jamais été dit que Marie ait eu des amants. Sa vie à Walowice dans une campagne reculée ne le lui aurait pas permis et sa présence à Varsovie faisait d’elle un objet d’attention et donc de surveillance. Elle s’était mariée à un homme bien plus âgée qu’elle mais sa conscience religieuse et le sens du devoir l’empêchaient de le tromper, si elle en avait eu envie.
Elle continue dans l’approximation en prétendant que le prince héritier de Bavière, Louis de Wittelsbach, dont le père avait été fait roi par Napoléon, présent à Varsovie, « baisait respectueusement la main de Napoléon toutes les fois qu’il pouvait s’en emparer; mais il avait l’audace d’être amoureux de madame Walewska ! Napoléon ne s’inquiétait nullement de cette rivalité. On dit même qu’il s’en amusait. Le prince horriblement disgracié par la nature était, de plus, sourd et bègue. »

Le prince royal de Bavière en 1807 par Angelika Kauffmann
Or selon ses portraits le futur Louis Ier de Bavière ne semble pas avoir été laid et il était certainement un prince intelligent qui, en helléniste accompli, a contribué de façon extraordinaire à l’enrichissement des collections royales. Lui prêter une telle servilité ne donne pas beaucoup de crédit à la comtesse Potocka.
Constant, le valet de chambre de Napoléon, dans ses Mémoires publiées à Paris en 1830, raconte ainsi les premières rencontres de Marie et Napoléon :


Louis Constant Wayry, premier valet de chambre de Napoléon
« Dans une de ces réunions, l’empereur remarqua une jeune Polonaise, madame V…, âgée de vingt-deux ans, et nouvellement mariée à un vieux noble, d’humeur sévère, de mœurs extrêmement rigides, plus amoureux de ses titres que de sa femme, qu’il aimait pourtant beaucoup, mais dont, en revanche, il était plus respecté qu’aimé. L’empereur vit cette dame avec plaisir, et se sentit entraîné vers elle au premier coup d’œil. Elle était blonde, elle avait les yeux bleus et la peau d’une blancheur éblouissante; elle n’était pas grande, mais parfaitement bien faite et d’une tournure charmante. L’empereur s’étant approché d’elle, entama aussitôt une conversation qu’elle soutint avec beaucoup de grâce et d’esprit, laissant voir qu’elle avait reçu une brillante éducation. Une teinte légère de mélancolie répandue sur toute sa personne la rendait plus séduisante encore. Sa Majesté crut voir en elle une femme sacrifiée, malheureuse en ménage, et l’intérêt que cette idée lui inspira le rendit plus amoureux, plus passionné que jamais il ne l’avait été pour aucune femme. Elle dut s’en apercevoir.
Le lendemain du bal, l’empereur me parut dans une agitation inaccoutumée. Il se levait, marchait, s’asseyait et se relevait de nouveau; je croyais ne pouvoir jamais venir à bout de sa toilette ce jour-là. Aussitôt après son déjeuner, il donna mission à un grand personnage que je ne nommerai pas, d’aller de sa part faire une visite à madame V…, et lui présenter ses hommages et ses vœux. Elle refusa fièrement des propositions trop brusques peut-être, ou que peut-être aussi la coquetterie naturelle à toutes les femmes lui recommandait de repousser. Le héros lui avait plu; l’idée d’un amant tout resplendissant de puissance et de gloire fermentait sans doute avec violence dans sa tête, mais jamais elle n’avait eu l’idée de se livrer ainsi sans combat. Le grand personnage revint tout confus et bien étonné de ne pas avoir réussi dans sa négociation. Le jour d’après, au lever de l’empereur, je le trouvai encore préoccupé. Il ne me dit pas un mot, quoiqu’il eût assez l’habitude de me parler. Il avait écrit plusieurs fois la veille à madame V…, qui ne lui avait pas répondu.

Son amour-propre était vivement piqué d’une résistance à laquelle on ne l’avait pas habitué. Enfin il écrivit tant de lettres et si tendres, si touchantes, que madame V… céda. Elle consentit à venir voir l’empereur le soir entre dix et onze heures. Le grand personnage dont j’ai parlé reçut l’ordre d’aller la prendre en voiture dans un endroit désigné. L’empereur, en l’attendant, se promenait à grands pas, et témoignait autant d’émotion que d’impatience; à chaque instant il me demandait l’heure. Madame V… arriva enfin, mais dans quel état! pâle, muette et les yeux baignés de larmes. Aussitôt qu’elle parut, je l’introduisis dans la chambre de l’empereur ; elle pouvait à peine se soutenir et s’appuyait en tremblant sur mon bras. Quand je l’eus fait entrer, je me retirai avec le personnage qui l’avait amenée.
Pendant son tête-à-tête avec l’empereur, madame V… pleurait et sanglotait tellement, que, malgré la distance, je l’entendais gémir de manière à me fendre le cœur. Il est probable que dans ce premier entretien, l’empereur ne put rien obtenir d’elle. Vers deux heures du matin, Sa Majesté m’appela. J’accourus et je vis sortir madame V…, le mouchoir sur les yeux et pleurant encore à chaudes larmes. Elle fut reconduite chez elle par le même personnage. Je crus bien qu’elle ne reviendrait pas.
Deux ou trois jours après néanmoins, à peu près à la même heure que la première fois, madame V… revint au palais; elle paraissait plus tranquille. La plus vive émotion se peignait encore sur son charmant visage; mais ses yeux au moins étaient secs et ses joues moins pâles. Elle se retira le matin d’assez bonne heure, et continua ses visites jusqu’au moment du départ de l’empereur. »

Une grande partie de ce récit corrobore donc celui de Marie.

Celle-ci, si elle avait encore des remords de conscience, n’en eût pas moins une véritable histoire d’amour avecNapoléon. Son récit les montre dans une intimité charmante. Le destin de la Pologne n’était jamais éloigné de leurs esprits. Napoléon était amoureux et le lui disait. Marie dans on récit n’avoue pas son amour mais sa vie parlera pour elle. Mais Napoléon ne pourrait rester longtemps à Varsovie.
« Marie! Je pars demain ! De grandes responsabilités pèsent sur moi, je suis rappelé pour repousser les orages prêts à éclater sur mes peuples. Me priveras-tu pour toujours du charme de ta présence ? Ne suis-je rien pour toi ?
Je fondis en larmes et j’allais m’écrier ! Vous partez ! Sans avoir rien fait pour nous ! C’est là le sentiment qui m’oppressait et qui faisait bruit dans tout mon moi. Je ne proférerai cependant que les mots : Que vais-je devenir, grand Dieu – Tu viendras à Paris, ma bonne Marie, je te donne Duroc pour tuteur, il veillera à tes intérêts, tu t’adresseras à lui dans tous les cas, tes désirs seront remplis, à moins que tu n’exige l’impossible. »

Pour Marie, la seule chose qu’elle demande est la liberté pour son pays. Elle lui redit la confiance qu’elle a en lui et qu’elle attendra dans la retraite de sa campagne qu’il fasse ce qu’il lui promis.
« Je sais que ton coeur n’est pas à moi, tu ne m’aimes pas, Marie ! je le sais car tu es franche, sans art, et, c’est par cela même que tu me charmes, mais tu es bonne, douce, ton coeur est si noble, si pur ! Pourrais-tu me priver de quelques instants de félicité passés chaque jour auprès de toi ? Ah Marie, je n’en puis avoir que par toi…Ces paroles furent exprimées avec un sourire si amer, si triste qu’il m’inspira un sentiment étrange pour le souverain du monde ! La pitié me jette dans ses bras et je promis tout ce qu’il voulut »

Marie, dans ses écrits, n’arrive pas à avouer qu’elle aime Napoléon.

07/02/2019

Marie Walewska - Troisième partie



La rencontre

Napoléon en 1806
« Tous attendaient avec une expression de joie, de triomphe, de noble orgueil cette arrivée tant désirée. J’étais apparemment plus tourmentée que les autres de cette fièvre d’impatience puisque je formai le projet irréfléchi , et j’engageais une de mes cousines, de m’accompagner pour aller au-devant de lui, ne fût-ce que pour l’entrevoir. Cette imprudence décida de mon sort et me priva de mon repos tout en croyant faire l’action la plus méritoire. »
Marie raconte ainsi sa première entrevue avec l’empereur :
« Vêtue simplement d’un chapeau noir à voile de la même couleur nous montâmes précipitamment avec mystère dans une calèche attelée de quatre bons chevaux au moment où les courriers venaient d’annoncer que Sa Majesté n’était plus qu’à une poste de Bronie. Incapable de raisonner, de réfléchir, je m’abandonnai à cet enthousiasme, à cette exaltation délirante universelle, alors persuadée que tout polonais, toute polonaise ne saurait trop faire paraître d’empressement à l’arrivée de celui que nous considérions comme le sauveur de la patrie…Descendues de voiture nous nous plaçâmes de manière à bien voir dans la direction que nous présumions la plus convenable. Mais seules femmes sans un homme pour nous protéger nous fûmes tellement enveloppées par la foule avide comme nous de l’apercevoir qu’il nous fut impossible de la forcer. Pressées, moulues, nous étouffions. Désespérée de la situation dangereuse où je me trouvais et craignant de manquer le triomphe…je jetais des cris de détresse…et un moment après je distinguais un militaire français de haut grade…j’élevais mes mains vers lui et m’écriais d’une voix suppliante en français : Ah Monsieur, tirez-nous d’ici et faite que je puisse l’entrevoir un instant, un seul instant ! Il nous dégagea en souriant, me tenant par la main il me conduisit à la portière de la voiture de l’empereur auquel il dit en me présentant : Sire, voyez celle qui a traversé les dangers de la foule pour vous ! Napoléon ôta son chapeau, se pencha vers moi, je ne sais ce qu’il me dit alors car j’étais trop pressée de lui exprimer ce dont j’étais pénétrée : Soyez le bienvenu, mille fois le bienvenu sur notre terre! Rien de ce que nous ferons nous rendra d’une manière assez énergique, ni les sentiments d’admiration que nous portons à votre personne ni le plaisir que nous avons à vous voir fouler le sol de cette patrie qui vous attend pour se relever. »




Général Duroc, duc de Frioul
Maréchal du Palais
Marie était transportée, voire délirante. Elle continue son récit « Napoléon me regardait attentivement, il prit un bouquet qui était dans la voiture et me le présentant dit : Gardez le comme garant de mes bonnes intentions, nous nous reverrons à Varsovie, je l’espère et je réclamerai un merci de votre belle bouche. »
Marie pensait rêver, incapable de croire qu’elle avait vraiment vu l’empereur et qu’il lui avait donné un bouquet.
Certains historiens mettent en doute cette première rencontre. Mais pourquoi ne pas croire le récit qu’en a fait l’intéressée elle-même ?
Si, selon son récit, Marie Walewska ne se vante auprès de personne de son escapade, il n’en est pas de même pour la cousine qui l’accompagnait. Aussi Marie eut-elle la surprise de recevoir un message d’un personnage important lui demandant de le recevoir. Il vint à midi et l’aborda en disant : « Madame, je viens vous demander pourquoi vous nous privez de l’avantage de faire admirer à notre auguste maître des plus belles fleurs de notre sol… aussi viens-je vous supplier de ne plus nous tenir rigueur et d’accepter l’invitation d’un bal chez moi. Je présume que vous n’avez plus besoin d’être présentée. Nous savons tout. » L’émissaire lui reprocha sa modestie car l’empereur après un dîner donné par le comte Stanislas Potocki, où il put admirer les plus belles femmes de Varsovie, s’étonna devant le général Duroc de ne pas y avoir vue « cette délicieuse inconnue de la poste de Blonie. »
Il semble qu’à la demande de Napoléon, on se soit mis à la recherche de l’inconnue. Le général Duroc et le prince Poniatowski finirent par découvrir qui elle était, grâce à l’indiscrétion de la cousine.
L’émissaire ajouta : « Allons, Madame, j’espère que vous serez des nôtres maintenant, que vous ne priverez plus de votre présence le Héros, en nous permettant de jouir de vos succès. » Marie hésite à accepter car si elle a rencontré l’Empereur, incognito, ce n’était pas pour se faire remarquer mais pour être la première à lui offrir l’hommage de Varsovie. « Je laisse à d’autres mérites l’honneur de lui plaire et de l’occuper » L’émissaire insista en lui demandant de déployer tous ses moyens de séduction « Faites la Circé , je vous en conjure. Sous la bannière du patriotisme nous vous suivrons tous, et qui sait, peut-être le ciel se servira—t-il de vous pour réaliser et accélérer le but vers lequel tendent tous nos désirs, toutes nos espérances. Vous mettrez peut-être aussi un jour au nom des heureuses chances de votre vie l’occasion qu’il vous donne d’être utile à la patrie, d’influencer son rétablissement. » Paroles de courtisan qui veut plaire au maître ou paroles de patriote qui veut par tous les moyens servir sa patrie ? Toujours est-il qu’il connaissait bien les sentiments de Marie « Ah Mon Dieu, tant de bonheur ne m’est pas réservé. » dit-elle. Pour elle le bonheur n’était pas de rencontrer ou de séduire Napoléon, le bonheur était de faire quelque chose d’utile à sa patrie.

Prince Joseph Poniatowski par Josef Grassi
D’autres, principaux représentants et hommes d’état, vinrent la trouver ensuite pour la convaincre. Elle fut mise au pied du mur et se vit dans l’obligation d’assister au bal donné par le prince Poniatowskien l’honneur de l’empereur. Et ce d’autant que lecomte Walewski, flatté de voir sa femme ainsi sollicitée, lui demanda d’accepter et exigea de ne pas épargner la dépense pour sa toilette. Il devait bien se douter que si l’empereur des Français souhaitait voir sa femme, ce n’était pas uniquement pour le plaisir de la conversation.


Résidence du Prince Poniatowski à Varsovie

Marie choisit une simple robe de satin blanc avec un châle de gaze et un diadème de feuillage. Dans la crainte de manquer Napoléon, le comte Walewskipressait sa femme de finir sa toilette et de monter en voiture. Dès son arrivée Marie fait sensation mais elle cherche à se fondre dans la foule élégante, en vain. Le prince Poniatowski lui murmure : « On vous attendue impatiemment. On vous a vue arriver avec joie. On est content de vous avoir retrouvée. On s’est fait répéter votre nom jusqu’à l’apprendre par coeur…Et on m’a donné l’ordre de vous engager à danser ». La réponse de Marie fuse : « Je ne danse pas, je n’ai nulle envie de danser. » « C’est un ordre, Madame, auquel vous ne pouvez vous soustraire. » « Un ordre ! L’ordre de danser mais je ne suis pas une pirouette à faire tourner à volonté » dit-elle en riant. Et devant les reproche du prince Poniatowski lui faisant voir que l’empereur la regardait. « Il a beau nous observer, je ne quitterai pas ma place. Allez lui dire que je veux pas danser. » « Mais vous plaisantez, Madame, certainement mon intention n’est pas de me compromettre». Le couple attirait tous les regards et il est probable que chacun savait ce dont il s’agissait. Le prince la quitta et rendit compte de l’échec de sa mission au Maréchal Duroc.


Napoléon à l'époque de la rencontre par Gerhard von Kügelgen
Napoléon alors fit le tour des dames pour se les faire présenter. A chacune, il adressait un compliment. Marie tremblait de le voir arriver près d’elle. Au moment fatidique, elle s’entendit dire : « Le blanc sur le blanc ne va pas, Madame » et puis tout bas « Ce n’est pas l’accueil auquel j’avais le droit de m’attendre. » Et il passa non sans l’avoir observée attentivement. A dix-huit ans et demie, troublée, Marie était dans la la grâce de sa fraîcheur.
Le départ de l’empereur libéra l’atmosphère qui, d’un coup, fut plus joyeuse. Marie la timide fut soulagée du malaise voire du sentiment de honte qui s’était emparée d’elle.
Il semble que Napoléon ait adressé à biens des invités des questions malencontreuses que chacun se répétait à l’envie. Tous voulaient savoir ce qu’il avait dit à la comtesse Walewska.Ce fut de ses voisines qu’ils apprirent la remarque désobligeante, mais ne purent toutefois répéter la fin de la phrase dite à voix basse. Sur le chemin du retour, son mari lui posa également la question en lui annonçant qu’il avait accepté une invitation à un dîner auquel serait également présent l’empereur. Il lui recommanda d’être mieux parée à cette occasion. Elle s’étonna de la naïveté du comtequi ne semblait pas réaliser le but poursuivi par Napoléon. Elle fut tentées de lui ouvrir les yeux. Et elle avait bien raison car à peine dans son appartement, sa femme de chambre lui remit un billet que le prince Poniatowski avait été chargé par l’empereur de lui remettre, écrit et signé de sa main : « Je n’ai vu que vous. Je n’ai admiré que vous. Une réponse bien prompte pour calmer l’impatiente ardeur
C’était direct et sans ambages. Elle ordonna à sa femme de chambre de dire qu’il n’y avait pas de réponse. Mais le messager ne se tenait pas pour battu. Il suivit la femme de chambre et à travers la porte, il lui demanda de changea d’avis, pendant une demie-heure, mais elle tint bon. Et le prince Poniatowski repartit sans autre réponse.

Stanislas Malachowski

Le lendemain, Marie eut à nouveau à montrer sa détermination. Elle reçut un deuxième billet dans les mêmes termes que le premier. Elle les mit tous les deux dans une enveloppe et les renvoya à l’expéditeur. Mais ses épreuves n’étaient pas finies. Napoléon n’était pas habitué à ce qu’on lui résiste. Le comte Walewski vint la prévenir que le Maréchal Duroc et d’autres grands personnages, en fait les membres de la Commission de gouvernement, chargée d’administrer la Pologne, avec probablement parmi eux Stanilas Malachowski, son président, l’attendaient au salon. Elle refusa de descendre prétextant une migraine. Son mari était furieux. Elle était «indignée, courroucée, humiliée» que Napoléon ait pris son élan de patriotisme à Bronie pour une avance amoureuse.

Mais c’était mal connaître Napoléon et ses émissaires que le comte Walewski introduisit lui-même dans les appartements de Marie. « Le porteur du billet était là devant moi lançant des regards foudroyants. » Il s’agissait du prince Poniatowski.
Il n’est pas inutile de rappeler ici qui il était. Né en 1763, il commença sa carrière dans l’armée autrichienne où il devient colonel et aide de camp de l’empereur. En 1789, il quitte l’armée autrichienne pour rejoindre son oncle le dernier roi de Pologne. Il intègre l’armée polonaise en tant que major-général. Stanislas II Auguste lui confie le commandement de l’armée polonaise d’Ukraine lors de la Guerre russo-polonaise de 1792. après la capitulation de Stanislas II, il quitte l’armée suivi des meilleurs officiers. En 1794, il rejoint l’Insurrection de Kościuszko et se bat comme simple soldat pour l’indépendance de la Pologne, mais il reçoit tout de même le commandement d’une division. Après l’échec de l’insurrection, il se retire dans ses terres, jusqu’en 1806 où il est nommé gouverneur de Varsovie par Frédéric-Guillaume III de Prusse.
À l’arrivée de Napoléon, et avec la formation du gouvernement provisoire du Grand duché de Varsovie, le prince Poniatowski se rallie à l’Empire, pensant que cela est la seule chance pour la Pologne de retrouver son indépendance et son territoire. Il est fait ministre de la Guerre du grand-duché et généralissime. Il défend les frontières contre les Autrichiens et les repousse en 1809, lors de la bataille de Raszyn.

 Bataille de Raszyn en 1809
À la tête de ce ministère, il réorganise une nouvelle armée polonaise qui se distingue par la suite dans toutes les futures batailles napoléoniennes.
Il était donc déjà à l’époque de Marie un personnage considérable en Pologne, de par son nom, sa fortune et sa position, en passe de le devenir dans toute l’Europe. On ne peut qu’admirer la comtesse Walewska d’avoir su lui résister. Mais il était dit qu’il influerait sur sa destinée par la constance de son insistance. Il ne fut pas seul, car le comte Walewski insistait aussi pour que Marie acceptât d’être présentée à la Cour impériale et qu’elle s’initiât aux arcanes de son étiquette.


Marie Walewska ( Greta Garbo) et Napoléon ( Charles Boyer)
Un personnage, dont le nom n’est pas cité, « un père de famille respectable » lui dit enfin d’un ton sévère : « Tout doit céder, Madame, en vue de considérations si hautes ! si majeure! pour toute une nation ! Nous espérons donc que votre mal ( la migraine supposée, prétexte invoqué par elle ) passera d’ici au dîner projeté, duquel vous ne pouvez vous dispenser sans paraître mauvaise polonaise. »