07/02/2019

Marie Walewska - Troisième partie



La rencontre

Napoléon en 1806
« Tous attendaient avec une expression de joie, de triomphe, de noble orgueil cette arrivée tant désirée. J’étais apparemment plus tourmentée que les autres de cette fièvre d’impatience puisque je formai le projet irréfléchi , et j’engageais une de mes cousines, de m’accompagner pour aller au-devant de lui, ne fût-ce que pour l’entrevoir. Cette imprudence décida de mon sort et me priva de mon repos tout en croyant faire l’action la plus méritoire. »
Marie raconte ainsi sa première entrevue avec l’empereur :
« Vêtue simplement d’un chapeau noir à voile de la même couleur nous montâmes précipitamment avec mystère dans une calèche attelée de quatre bons chevaux au moment où les courriers venaient d’annoncer que Sa Majesté n’était plus qu’à une poste de Bronie. Incapable de raisonner, de réfléchir, je m’abandonnai à cet enthousiasme, à cette exaltation délirante universelle, alors persuadée que tout polonais, toute polonaise ne saurait trop faire paraître d’empressement à l’arrivée de celui que nous considérions comme le sauveur de la patrie…Descendues de voiture nous nous plaçâmes de manière à bien voir dans la direction que nous présumions la plus convenable. Mais seules femmes sans un homme pour nous protéger nous fûmes tellement enveloppées par la foule avide comme nous de l’apercevoir qu’il nous fut impossible de la forcer. Pressées, moulues, nous étouffions. Désespérée de la situation dangereuse où je me trouvais et craignant de manquer le triomphe…je jetais des cris de détresse…et un moment après je distinguais un militaire français de haut grade…j’élevais mes mains vers lui et m’écriais d’une voix suppliante en français : Ah Monsieur, tirez-nous d’ici et faite que je puisse l’entrevoir un instant, un seul instant ! Il nous dégagea en souriant, me tenant par la main il me conduisit à la portière de la voiture de l’empereur auquel il dit en me présentant : Sire, voyez celle qui a traversé les dangers de la foule pour vous ! Napoléon ôta son chapeau, se pencha vers moi, je ne sais ce qu’il me dit alors car j’étais trop pressée de lui exprimer ce dont j’étais pénétrée : Soyez le bienvenu, mille fois le bienvenu sur notre terre! Rien de ce que nous ferons nous rendra d’une manière assez énergique, ni les sentiments d’admiration que nous portons à votre personne ni le plaisir que nous avons à vous voir fouler le sol de cette patrie qui vous attend pour se relever. »




Général Duroc, duc de Frioul
Maréchal du Palais
Marie était transportée, voire délirante. Elle continue son récit « Napoléon me regardait attentivement, il prit un bouquet qui était dans la voiture et me le présentant dit : Gardez le comme garant de mes bonnes intentions, nous nous reverrons à Varsovie, je l’espère et je réclamerai un merci de votre belle bouche. »
Marie pensait rêver, incapable de croire qu’elle avait vraiment vu l’empereur et qu’il lui avait donné un bouquet.
Certains historiens mettent en doute cette première rencontre. Mais pourquoi ne pas croire le récit qu’en a fait l’intéressée elle-même ?
Si, selon son récit, Marie Walewska ne se vante auprès de personne de son escapade, il n’en est pas de même pour la cousine qui l’accompagnait. Aussi Marie eut-elle la surprise de recevoir un message d’un personnage important lui demandant de le recevoir. Il vint à midi et l’aborda en disant : « Madame, je viens vous demander pourquoi vous nous privez de l’avantage de faire admirer à notre auguste maître des plus belles fleurs de notre sol… aussi viens-je vous supplier de ne plus nous tenir rigueur et d’accepter l’invitation d’un bal chez moi. Je présume que vous n’avez plus besoin d’être présentée. Nous savons tout. » L’émissaire lui reprocha sa modestie car l’empereur après un dîner donné par le comte Stanislas Potocki, où il put admirer les plus belles femmes de Varsovie, s’étonna devant le général Duroc de ne pas y avoir vue « cette délicieuse inconnue de la poste de Blonie. »
Il semble qu’à la demande de Napoléon, on se soit mis à la recherche de l’inconnue. Le général Duroc et le prince Poniatowski finirent par découvrir qui elle était, grâce à l’indiscrétion de la cousine.
L’émissaire ajouta : « Allons, Madame, j’espère que vous serez des nôtres maintenant, que vous ne priverez plus de votre présence le Héros, en nous permettant de jouir de vos succès. » Marie hésite à accepter car si elle a rencontré l’Empereur, incognito, ce n’était pas pour se faire remarquer mais pour être la première à lui offrir l’hommage de Varsovie. « Je laisse à d’autres mérites l’honneur de lui plaire et de l’occuper » L’émissaire insista en lui demandant de déployer tous ses moyens de séduction « Faites la Circé , je vous en conjure. Sous la bannière du patriotisme nous vous suivrons tous, et qui sait, peut-être le ciel se servira—t-il de vous pour réaliser et accélérer le but vers lequel tendent tous nos désirs, toutes nos espérances. Vous mettrez peut-être aussi un jour au nom des heureuses chances de votre vie l’occasion qu’il vous donne d’être utile à la patrie, d’influencer son rétablissement. » Paroles de courtisan qui veut plaire au maître ou paroles de patriote qui veut par tous les moyens servir sa patrie ? Toujours est-il qu’il connaissait bien les sentiments de Marie « Ah Mon Dieu, tant de bonheur ne m’est pas réservé. » dit-elle. Pour elle le bonheur n’était pas de rencontrer ou de séduire Napoléon, le bonheur était de faire quelque chose d’utile à sa patrie.

Prince Joseph Poniatowski par Josef Grassi
D’autres, principaux représentants et hommes d’état, vinrent la trouver ensuite pour la convaincre. Elle fut mise au pied du mur et se vit dans l’obligation d’assister au bal donné par le prince Poniatowskien l’honneur de l’empereur. Et ce d’autant que lecomte Walewski, flatté de voir sa femme ainsi sollicitée, lui demanda d’accepter et exigea de ne pas épargner la dépense pour sa toilette. Il devait bien se douter que si l’empereur des Français souhaitait voir sa femme, ce n’était pas uniquement pour le plaisir de la conversation.


Résidence du Prince Poniatowski à Varsovie

Marie choisit une simple robe de satin blanc avec un châle de gaze et un diadème de feuillage. Dans la crainte de manquer Napoléon, le comte Walewskipressait sa femme de finir sa toilette et de monter en voiture. Dès son arrivée Marie fait sensation mais elle cherche à se fondre dans la foule élégante, en vain. Le prince Poniatowski lui murmure : « On vous attendue impatiemment. On vous a vue arriver avec joie. On est content de vous avoir retrouvée. On s’est fait répéter votre nom jusqu’à l’apprendre par coeur…Et on m’a donné l’ordre de vous engager à danser ». La réponse de Marie fuse : « Je ne danse pas, je n’ai nulle envie de danser. » « C’est un ordre, Madame, auquel vous ne pouvez vous soustraire. » « Un ordre ! L’ordre de danser mais je ne suis pas une pirouette à faire tourner à volonté » dit-elle en riant. Et devant les reproche du prince Poniatowski lui faisant voir que l’empereur la regardait. « Il a beau nous observer, je ne quitterai pas ma place. Allez lui dire que je veux pas danser. » « Mais vous plaisantez, Madame, certainement mon intention n’est pas de me compromettre». Le couple attirait tous les regards et il est probable que chacun savait ce dont il s’agissait. Le prince la quitta et rendit compte de l’échec de sa mission au Maréchal Duroc.


Napoléon à l'époque de la rencontre par Gerhard von Kügelgen
Napoléon alors fit le tour des dames pour se les faire présenter. A chacune, il adressait un compliment. Marie tremblait de le voir arriver près d’elle. Au moment fatidique, elle s’entendit dire : « Le blanc sur le blanc ne va pas, Madame » et puis tout bas « Ce n’est pas l’accueil auquel j’avais le droit de m’attendre. » Et il passa non sans l’avoir observée attentivement. A dix-huit ans et demie, troublée, Marie était dans la la grâce de sa fraîcheur.
Le départ de l’empereur libéra l’atmosphère qui, d’un coup, fut plus joyeuse. Marie la timide fut soulagée du malaise voire du sentiment de honte qui s’était emparée d’elle.
Il semble que Napoléon ait adressé à biens des invités des questions malencontreuses que chacun se répétait à l’envie. Tous voulaient savoir ce qu’il avait dit à la comtesse Walewska.Ce fut de ses voisines qu’ils apprirent la remarque désobligeante, mais ne purent toutefois répéter la fin de la phrase dite à voix basse. Sur le chemin du retour, son mari lui posa également la question en lui annonçant qu’il avait accepté une invitation à un dîner auquel serait également présent l’empereur. Il lui recommanda d’être mieux parée à cette occasion. Elle s’étonna de la naïveté du comtequi ne semblait pas réaliser le but poursuivi par Napoléon. Elle fut tentées de lui ouvrir les yeux. Et elle avait bien raison car à peine dans son appartement, sa femme de chambre lui remit un billet que le prince Poniatowski avait été chargé par l’empereur de lui remettre, écrit et signé de sa main : « Je n’ai vu que vous. Je n’ai admiré que vous. Une réponse bien prompte pour calmer l’impatiente ardeur
C’était direct et sans ambages. Elle ordonna à sa femme de chambre de dire qu’il n’y avait pas de réponse. Mais le messager ne se tenait pas pour battu. Il suivit la femme de chambre et à travers la porte, il lui demanda de changea d’avis, pendant une demie-heure, mais elle tint bon. Et le prince Poniatowski repartit sans autre réponse.

Stanislas Malachowski

Le lendemain, Marie eut à nouveau à montrer sa détermination. Elle reçut un deuxième billet dans les mêmes termes que le premier. Elle les mit tous les deux dans une enveloppe et les renvoya à l’expéditeur. Mais ses épreuves n’étaient pas finies. Napoléon n’était pas habitué à ce qu’on lui résiste. Le comte Walewski vint la prévenir que le Maréchal Duroc et d’autres grands personnages, en fait les membres de la Commission de gouvernement, chargée d’administrer la Pologne, avec probablement parmi eux Stanilas Malachowski, son président, l’attendaient au salon. Elle refusa de descendre prétextant une migraine. Son mari était furieux. Elle était «indignée, courroucée, humiliée» que Napoléon ait pris son élan de patriotisme à Bronie pour une avance amoureuse.

Mais c’était mal connaître Napoléon et ses émissaires que le comte Walewski introduisit lui-même dans les appartements de Marie. « Le porteur du billet était là devant moi lançant des regards foudroyants. » Il s’agissait du prince Poniatowski.
Il n’est pas inutile de rappeler ici qui il était. Né en 1763, il commença sa carrière dans l’armée autrichienne où il devient colonel et aide de camp de l’empereur. En 1789, il quitte l’armée autrichienne pour rejoindre son oncle le dernier roi de Pologne. Il intègre l’armée polonaise en tant que major-général. Stanislas II Auguste lui confie le commandement de l’armée polonaise d’Ukraine lors de la Guerre russo-polonaise de 1792. après la capitulation de Stanislas II, il quitte l’armée suivi des meilleurs officiers. En 1794, il rejoint l’Insurrection de Kościuszko et se bat comme simple soldat pour l’indépendance de la Pologne, mais il reçoit tout de même le commandement d’une division. Après l’échec de l’insurrection, il se retire dans ses terres, jusqu’en 1806 où il est nommé gouverneur de Varsovie par Frédéric-Guillaume III de Prusse.
À l’arrivée de Napoléon, et avec la formation du gouvernement provisoire du Grand duché de Varsovie, le prince Poniatowski se rallie à l’Empire, pensant que cela est la seule chance pour la Pologne de retrouver son indépendance et son territoire. Il est fait ministre de la Guerre du grand-duché et généralissime. Il défend les frontières contre les Autrichiens et les repousse en 1809, lors de la bataille de Raszyn.

 Bataille de Raszyn en 1809
À la tête de ce ministère, il réorganise une nouvelle armée polonaise qui se distingue par la suite dans toutes les futures batailles napoléoniennes.
Il était donc déjà à l’époque de Marie un personnage considérable en Pologne, de par son nom, sa fortune et sa position, en passe de le devenir dans toute l’Europe. On ne peut qu’admirer la comtesse Walewska d’avoir su lui résister. Mais il était dit qu’il influerait sur sa destinée par la constance de son insistance. Il ne fut pas seul, car le comte Walewski insistait aussi pour que Marie acceptât d’être présentée à la Cour impériale et qu’elle s’initiât aux arcanes de son étiquette.


Marie Walewska ( Greta Garbo) et Napoléon ( Charles Boyer)
Un personnage, dont le nom n’est pas cité, « un père de famille respectable » lui dit enfin d’un ton sévère : « Tout doit céder, Madame, en vue de considérations si hautes ! si majeure! pour toute une nation ! Nous espérons donc que votre mal ( la migraine supposée, prétexte invoqué par elle ) passera d’ici au dîner projeté, duquel vous ne pouvez vous dispenser sans paraître mauvaise polonaise. » 




08/01/2019

Marie Walewska - Deuxième partie


Le mariage

Les paroles prononcées par Eva Łączyńska ne relevaient pas du voeu pieux. A peine sa fille rentrée à la maison, qu’elle s’occupa de réaliser son projet de marier sa fille au plus vite avec un homme riche et influent. Il ne semble pas qu’il lui ait été difficile de le trouver. 


Château de Walewice

Suivons Maria, qui sera désormais Marie, dans ses confidences: « Quelques jours après mon retour sous le toit natal, un samedi qui se trouvait être la veille de la Pentecôte, elle me signifia l’ordre de me préparer une toilette soignée pour le lendemain car, disait-elle, nous irons entendre la messe à l’église paroissiale de Walewice et comme le comte de Walewski, seigneur du lieu a l’habitude d’inviter ses voisins à dîner au château, je présume que nous serons obligées d’y aller et je désire que vous paraissiez avec avantage. » (Fonds Marie Walewska )

Salle-à-manger de Walewice

Marie n'a vu dans cette proposition qu'une occasion de bien s'habiller et de s'amuser. Le comte Walewski avait 70 ans et était veuf depuis 15 ans, à cette période. Il avait de plus un petit-fils âgé de plus de 9 ans que Maria, raconte-t-elle toujours. Il avait la réputation de vivre retiré dans sa campagne. Sortant de son couvent, elle ne pouvait imaginer ce que sa mère tramait.

A peine au salon, « Les premiers préludes d’échanges passés, ma mère apercevant un piano dans le salon s’empressant de l’ouvrir pour produire ce qu’elle appelait mes talents. J’eus beau résister, il fallut se soumettre de bonne grâce et faire entendre mon répertoire de danses nationales qui bien mal joué sur un piano désaccordé n’en fut pas moins applaudi à grand bruit. » (Fonds Marie Walewska ) Mais Eva Łączyńska ne pouvait se contenter de ce premier effet «  Je suis fâchée de ne pas en savoir autant dit encore ma mère, à mon grand chagrin, vous l’auriez vue danser et c’est son triomphe, c’est là où elle excelle. »

« Et bien Madame, il ne tient qu’à vous de me procurer ce plaisir. Voulez-vous accepter un bal chez moi, je m’empresserai de vous l’offrir. Je le veux bien, répondit ma mère enchantée. C’est à des seigneurs riches comme vous l’êtes, Mr le comte, à donner des réunions aux pauvres voisins comme nous et faciliter aux mères la possibilité de produire leurs filles afin de les établir » Cette scène n’est pas sans rappeler « Orgueil et Préjugés » de Jane Austen, où Madame Bennett ayant cinq filles à marier, emploie un stratagème pour obtenir un bal de Me Bingley, qu’elle pressent comme un mari souhaitable pour sa fille aînée.  

Chargées de « cornet de bonbons, de nougat, de bouquets » elles quittèrent le château. Sur le chemin de retour la mère ne perdit pas de temps pour placer ses jalons. 

Façade de Walewice

« - Ma chère Marie, me dit ma mère, pendant que nous traversions la grande cour ainsi que les belles avenues du château, si vous pouviez régner ici, cela ne serait pas si mal. J’aurais une vieillesse heureuse et tranquille.

- Comment cela ma mère ( car je ne la comprenais pas
- Oh mon enfant, vois-tu, Mr W ( ainsi dans le texte) est vieux, cela est vrai mais aussi il est riche. En vous épousant, il serait tenu pas les usages du pays à vous faire de grands avantages, étant veuf et vous fille. Son caractère est bon, doux, vous en feriez tout ce que vous voudriez. Et ce beau château, ce parc, ce magnifique mobilier nous donneraient un grand bien-être. Vous pourriez aider vos frères, vos soeurs et me faire couler une vieillesse heureuse. »

Dans un premier temps Maria est incrédule, voire interdite. Eva Łączyńska insista : 
«  - Si vous vouliez mettre un peu de complaisance, de bienveillance, je suis plus que certaine que la semaine prochaine après le bal, il ne demanderait pas mieux que vous donner le titre de comtesse de W. et son beau château. 
  • Ah ! Que Dieu m’en préserve ! fut la réponse qui m’échappa.
  • A peine l’eus-je lancée qu’un vigoureux soufflet m’en fit repentir. Habituée à craindre et honorer ma mère, je ne répliquais plus. Mes larmes m’inondèrent tandis qu’elle continuait à m’accabler de reproches. »

S’il est vrai que les jeunes filles savaient que leur mari serait choisi par la famille, elles ne s’attendaient pas à épouser un vieux barbon. Le mariage était une loterie. Certaines tiraient le bon lot, d’autres pas. Marie avait conscience que la situation financière de sa famille n’en faisait pas un grand parti, malgré sa beauté, son instruction et son intelligence. Pas de dot et une situation mondaine écornée ! Sa mère lui reprocha alors d’être une charge pesante pour la famille, d’oublier qu’elle lui devait son éducation et qu’il valait mieux épouser un homme âgé mais riche que de vivoter. Mais les soixante-dix ans du comte Walewski était une idée à laquelle la jeune fille de quinze ans et demie ne pouvait se résigner. De plus, elle pensait que lui-même n’aurait pas cette idée ridicule.

Mais la magie d’un bal lui fit oublier ces préoccupations. Les bouquets, les guirlandes de fleurs, une robe en gaze lui permirent d’oublier comment et pourquoi ce bal était organisé. Et le jour du bal arriva. Eva Łączyńska insista avant le départ sur l’espoir qu’elle mettait en sa fille. C’était un grand bal avec de nombreux invités que le comte Walewski recevait, en tenue de chambellan du roi Stanislas Poniatowski. Il attendait Mare avec une impatience qu’il ne dissimula pas . « J’attendais impatiemment la reine de mon bal. » Marie était éblouie et embarrassée à la fois. Tant de monde, tant de compliments lui tournaient la tête.


Escalier de Walewice

Le comte Walewski ouvrit le bal avec Eva Łączyńska  et Marie eut pour cavalier un jeune homme «  de l’extérieur le plus distingué » qu’elle avait remarqué en arrivant mais dont elle n’avait pas compris le nom lors de sa présentation. Elle dans avec lui plusieurs polonaises de suite, séduite par l’esprit, l’aisance et l’allure du jeune homme dont le nom que le comte Walewski introduisit ainsi « Voici un oiseau de passage que j’arrêtai au vol pour vous présenter un partner ( sic) digne de vous : Comte Souvorov !…Je ne saurais rendre le bouleversement intérieur que je ressentis au retentissement de ce noms connu pour avoir figuré parmi les ennemis les plus acharnés de notre patrie. »


Arkady Souvorov, cousin de l’amoureux de Marie

En effet, probablement l’oncle du jeune homme, le comte Alexandre Souvorov (1730-1800) comte de Rymnik, prince d'Italie, comte du Saint-Empire romain germanique, généralissime au service de l'Empire russe, était un des militaires russes les plus honnis en Pologne. Il fut chargé par Catherine II d’écraser l’insurrection fomentée par Tadeusz Kościuszko. Il est le responsable du massacre de Praga, où rappelons-le,  le 4 novembre 1794 par le massacre de Praga, dont il a été parlé plus haut.


Salle de bal d'un château polonais

« En un mot, c’était un russe  ! Et mon coeur se soulevait contre cette origine. Je la voyais teinte du sang de mes compatriotes, oppressant ma terre natale. » » dit-elle en parlant du beau jeune homme. Et c’est avec horreur qu’elle regardait désormais celui qui lui avant plu portant un nom qui lui était odieux.  Le comte Souvorov de son côté avait été séduit et charmé par Marie et il prit son embarras pour de la timidité, normale chez une jeune fille bien élevée. 

A la fin du bal quand le comte Walewski la complimentait sur sa conquête, aimable mais sans doute un peu hypocrite, et qu’il lui vantait l’immense fortune du jeune homme, elle répliqua : « Il la doit sans doute aux confiscations de victimes nobles et dignes que son père a dépouillées . Fi! L’horreur, ne m’en parlez pas. » Toujours conciliant le comte Walewski lui vanta les mérites du jeune homme qui contrevenait à son père avait les meilleurs sentiments envers les Polonais. 
« - Ne le repoussez donc pas, Mademoiselle Marie, son admiration doit au moins lui valoir un bon accueil. 
Ah ! Monsieur, un Russe ne doit jamais s’attendre à un bon accueil de ma part. » 

Pour comprendre cette horreur des Russes, il faut se souvenir qu’ils avaient tué et son père et précipité sa famille dans la gêne. 

Marie Walewska par Lefèvre
Propriété de la famille Walewski

Le comte Walewski eut alors un jeu subtil. Il avança ses pions en disant : 

«- Si je me mettais sur les rangs avec lui, Mademoiselle Marie, hein, que diriez-vous ? Me donneriez-vous la préférence ?

- Laissons ce propos, Monsieur le comte.
- Non, non, je veux vous mettre au pied du mur et voir jusqu’où peut aller votre patriotisme…Si vous n’aviez d’autre chance qu’un vieillard compatriote et un jeune et aimable russe, lequel de nous…
- Certainement à mon compatriote, si je n’avais pas d’autre porte de sortie. »

Et elle n’avait pas d’autre porte de sortie. Souvorov, probablement intrigué par le long aparté entre Walewski et Marie, et surtout par sa froideur soudaine, tenta à nouveau de séduire la jeune fille.

Elle déclara « Je restais muette, froide et sèche, sans plus poser mes yeux sur les siens. J’avais peur de son regard. Il me paraissait porter le privilège de la fascination. Je l’avais éprouvé » 

Au moment où sa mère et elle montaient en voiture, Souvorov s’approcha et lui dit : «  Je serais trop malheureux si cette délicieuse soirée à laquelle j’avais si loin de m’attendre ici ne devait me laisser que des souvenirs ! Je n’eu ni le temps, ni la force de répondre, dégageant ma main qu’il pressait sur son coeur, je m’élançais dans la voiture avec l’élan de la crainte échappant au danger. »

Vue d'ensemble du château
Elle continue dans son récit « J’eus beau vouloir repousser l’image que j’entourais de toutes les haines de mon patriotisme, elle revenait sans cesse armée de tout son prestige de séduction, de ce regard que j’avais fixé à peine et qui me poursuivait avec toutes ces expressions d’amour, toutes ces promesses de bonheur et ferait palpiter mon coeur ! Inutilement en cherchais-je d’autres, je fus effrayé de n’y avoir vu personne, remarqué personne que lui seul ! Tout s’effaça jusqu’au souvenir de la fête, de la danse, du plaisir, tout excepté lui!. »

Aveu à peine en demie-teinte qu’elle n’avait pas été insensible au charme du beau russe au nom honni !

De retour à la maison est plus que troublée par cette rencontre inattendue, Marie se tourna vers la prière : « Mon Dieu, mon Père ne permet pas que je donne mon coeur et mes affections à un ennemi de ma patrie et de ma religion. » Elle cherche aussi des réponse à ses doutes dans la lecture de « L’imitation de Jésus-Christ. »

Des voisins de campagne vinrent en visite le lendemain et n’épargnèrent pas Marie en lui posant des questions sur ses intentions, sur ses résolutions car chacun supposait qu’elle ne pouvait refuser un tel parti, mais elle ne semblait pas changer d’avis.Pour elle un russe reste l’ennemi, aussi beau garçon et riche soit-il. Mais ce n’est pas sans un pincement au coeur qu’elle le dit. Le comte Walewski et le comte Souvorov vinrent aussi en visite. Marie était sur des épines car le jeune homme se montrait non seulement charmant mas attentif à l’histoire de la Pologne, à ses vicissitudes, à ses hommes célèbres. Lors d’une promenade dans le parc, il arriva ce que la jeune fille redoutait le plus. Il se déclara en lui disant : « Seriez-vous assez insensible, assez cruelle pour me refuser ? » Tremblante de la tête aux pieds, car elle savait sa réponse définitive, elle lui dit que « le soin de lui faire trouver le bonheur ne m’était pas réservé, que de trop grandes distances nous séparaient pour pouvoir nous rapprocher. » Souvorov insista et Marie en s’éloignant lui dit « Jamais, jamais! » Elle se réfugia dans sa chambre pour pleurer et prier. Sa mère l’y trouva sans un état effrayant et lui recommanda de dormir. Mais après une nuit agitée, elle était dans les mêmes dispositions. Son coeur était partagé entre l’amour qu’elle éprouvait pour Souvorov et ses devoirs envers sa patrie. Le comte Walewski vint aux nouvelles dès huit heures du matin et surtout en messager du jeune homme qui offrait sa fortune à Marie, lui promettait d’acheter une propriété en Pologne afin de ne pas la séparer des siens. Sa mère monta lui transmettre la demande en mariage. Elle lui dit le bien qu’elle pensait de Souvorov mais elle lui dit aussi qu’elle préfèrerait qu’elle épousât le comte Walewski mais qu’elle comprenait très bien que Marie lui préférât le jeune et beau Souvorov. Elle lui dit aussi que si elle ne l’acceptait pas, Walewski la demanderait en mariage et qu’elle souhaitait qu’il soit écouté. Eva Łączyńska allait droit au but. c’était l’un ou l’autre. Marie était libre de choisir mais elle devait choisir et pas question de refuser et l’un et l’autre. Marie, en fille obéissante finit par céder et elle choisit d’épouser Walewski, « Le bonheur n’est plus fait pour moi. J’y ai renoncé de mon plein gré. J’ai pris la raison pour guide etc elle se trouve en opposition avec mon coeur. »

Eva Łączyńska fût satisfaite de son consentement qui comblait ses espérances, sa fille mariée au gentilhomme le plus riche de la région, polonais de surcroît. Peu importait son âge, Marie allait régner sur le domaine de Walewice.



La jeune fille ouvrit enfin la lettre de Souvorov que sa mère lui avait apportée qui se terminait ainsi « Dictez des lois, je m’y soumettrai aveuglément. Patrie, fortune, avenir contre ton cour, ta main est un échange bien doux. » 
Le coeur brisé par son choix, Marie fut entre la vie et la mort pendant trois semaines. Quand elle revint à elle, elle trouva sa mère et le comte Walewski à son chevet. Ils avaient fait tout ce qu’il pouvait pour la soigner en appelant les meilleurs médecins de Varsovie. Mais la vue du comte raviva sa peine et elle mit trois mois à se remettre. Elle demanda des nouvelle de Souvorov. Il était reparti à Saint-Petersbourg dès le lendemain de son refus. 
« Je revins à la vie mais à regret. Je m’étonnais qu’un rayon de bonheur à peine entrevu, échappé aussitôt, ait vu décolorer et flétri mon existence, briser mon coeur si profondément. »
Le comte Walewski, en grand seigneur, lui offrit de reprendre sa parole et de la laisser libre d’épouser qui elle voulait. Mais ayant renoncé au bonheur d’aimer et d’être aimée, par son sentiment patriotique exacerbé, Marie refusa. Elle allait épouser le veux comte et se consacrer à celui qui ne souhaitait qu’être son ami. Souvorov ne reparut plus dans sa vie.

Armes des Colonna-Walewski

Le 17 juin 1804, Marie Łączyńska devint comtesse Walewska. Et c’est sous ce nom qu’elle passera à la postérité. 

« On me para (sic), on me conduisit à l’autel, on souleva ma main pour la placer entre celles de celui qui en obtenait l’acquisition. Je ne sais ni ce que je faisais, ni ce que je pensais, ni même ce qui se passait autour de moi alors. »

Eglise Sainte-Margaret à Kiernozia
où fut célébré le mariage
La tristesse et l’apathie de la mariée faisaient contraste avec le bonheur de son mari et de sa mère.


Intérieur de l'église
Ils partirent en voyage de noces, dans un classique tour d’Italie. A Rome, ils furent reçus dans l’aristocratie, le comte étant allié des Colonna. Son nom était en fait Colonna-Walewski. La relation famille entre les Walewski et les princes Colonna est loin d’être certaine. Pour Marie, il semble qu’ils étaient reçus en cousins. Mais dans ouvrage sur la descendance de Napoléon et Marie Walewski, il est dit que le nom Colonna attaché à Walewski prend racine dans l’histoire de la Pologne. Selon le comte Walewski, chef de la branche française, « Cette famille prétend, que le mot « kolumna » polonais aurait été attribué  en complément du patronyme d’un Walewski, par le roi polonais de l’époque, en remerciement de sa tenue irréprochable et ferme au combat, comme une colonne, contre des troupes ottomanes au XIVème siècle. » ( Communication personnelle faite à l’auteur). Les armes des Walewski sont décrites ainsi : « Coupé au 1. D’or à l’’aigle à deux têtes naissante de sable,, le vol étendu couronné d’or : au 2. D’azur à la colonne d’argent sommée d’une couronne d’or. » ( extrait du N° 635 des « Chercheurs et Curieux » de Juillet août 2005.)

Parente des Colonna ou non, la nouvelle comtesse entre dans une famille importante et fortunée de la grande noblesse polonaise, ordre auquel elle-même appartient mais au niveau de la petite noblesse. 

De retour à Walewice, le couple mena la vie qu’il s’était choisie, lui heureux d’être au bras d’une aussi jeune belle femme qu’il présenta à tout le monde, elle résignée « languissante, triste, apathique, puisant ma résignation dans la prière et mes exercices religieux. »

Enfin Marie revint à la vie grâce à la maternité. « Il me semble que j’avais quitté la vie pour moi et que c’était mon fils qui la recommençait. »

Le 13 juin 1805 naquit Antoine Basile Rodolphe Colonna-Walewski. Elle doublement attachée à son enfant tout d’abord en tant que mère et ensuite en tant que polonaise. Son fils aurait pu être russe si elle avait épousé Souvorov, mais il était polonais et elle en tirait de la fierté. Ses sentiments patriotiques s’étaient assoupies dans la léthargie de son mariage. Son fils les réveilla. 

Napoléon en 1806 par Franz Gherard von Kügelgen
En 1806, Napoléon, empereur depuis près de deux ans, est le centre d’attention des polonais qui mettent beaucoup d’espoir. Marie écrit : « Nous étions à l’époque où le vainqueur de l’Europe donnait des lois au monde comme aux souverains ! Disposait des états à sa volonté - élevant de nouvelles dynasties, rabaissant les anciennes ! Quel temps ! Plus propice pour nos espérance ! Aussi la fermentation était-elle générale ! Revendiquer nos droits, notre indépendance nationale, secouer un joug honteux, oppressif et illégitimes où nous tenaient les trois puissances réunies ! Il était le sauveur universel qui, filtrant depuis la haute classe jusqu’au peuple, faisait mousser les esprits…La France devint la patrie adoptive des proscrits, ainsi que de tous les nobles et dignes fils de la mère commune. » 


Alexandre Ier de Russie
par George Dawe
Les Polonais sont certains que Napoléon va leur venir en aide. Le 2 décembre 1805, à Austerlitz, n’avait-il pas battu à plate couture les troupes du tsar Alexandre Ier et de l’empereur d’Autriche,  François ? 

François de Habsbourg-Lorraine
Dernier empereur romain germanique
Premier empereur d'Autriche 
L’empereur des Français y avait révélé son génie militaire. Tous les espoirs sont donc permis aux Polonais. Beaucoup d’entre eux se mettent au service de la France. En 1806, à Iena, ce sont les Prussiens, troisième puissance occupante de la Pologne, qui sont vaincus par Napoléon.

Napoléon Ier passant en revue la Garde Impériale à Iéna
Par Horace Vernet
Marie Walewska, «  pénétrée d’une exaltation patriotique qui m’a occupée uniquement et ranimait ma vie » ne va pas tarder à rencontrer l’homme et le destin qui firent d’elle probablement la polonaise la plus connue de toute l’histoire.

« Napoléon, cet homme au bras de fer qui n’avait qu’à vouloir pour conquérir le monde - alors - après avoir humilié l’Autriche, anéanti la Prusse, agrandi la Bavière, la Westphalie, la Saxe et allait enfin s’occuper des destinées de la Pologne. Son arrivée attendue ardemment dans la capitale nous paraissait la fin de tous nos maux » 

Le couple Walewski s’était installé à Varsovie en septembre 1806, louant un hôtel particulier digne de leur fortune. Marie fit son entrée dans le grand monde, dans lequel, au mécontentement de son mari, elle ne se sentait pas à l’aise. Mais le grand événement en préparation, souhaité et attendu par toutes les classes sociales, était l’arrivée de Napoléon. 
Miniature de Marie Walewska
Par Marie-Victoire Jaquotot




12/12/2018

Marie Walewska


Première Partie
Une enfance studieuse dans un pays déchiré

Marie Walewska par Isabey
Un prénom et un nom qui prêtent immédiatement à rêver. Marie Walewska fut l’héroïne d’une grande histoire d’amour liée à une des plus grandes épopées de l’Histoire de France et à un des plus plus grands noms, Napoléon Ier.
Mais sa vie débuta simplement dans une famille de la noblesse polonaise. Maria Łączyńska naquit le 7 décembre 1786 à Grodno près de Kiernozia, le domaine familial, à une cinquantaine de kilomètres de Varsovie, dans une famille ancienne et respectée, les Łączyński mais dans une Pologne déchirée. 

Armes Łączyński

Comme il est difficile de séparer Marie de l’histoire de son pays, il convient de dire la situation de la Pologne à sa naissance. 

Le Royaume de Pologne dont la création date de 960 par l’accession au titre de prince de Pologne de Mieszko Ier. C’est donc une nation qui peut revendiquer une histoire aussi ancienne que celle de la France royale mais qui ne fut pas aussi unitaire. 

Plusieurs dynasties se succédèrent après les Piast, dynastie de Mieszko Ier, et les Przemysl, (960-1370)  ce furent les Capétiens d’Anjou-Sicile, avec Louis également roi de Bohême, dont la fille Hedwige, élue reine de Pologne en 1384, épousa Ladislas II Jagellon, Grand-duc de Lituanie.



Gisant de la reine Hedwige à Cracovie

Elle est devenue la patronne de la nation polonaise et a été canonisée par Jean-Paul II le 8 juin 1997
Le couple n’ayant pas d’enfants pour succéder au Royaume de Pologne, à la mort d’Hedwige en 1399, Ladislas conserva le trône de Pologne et y installa sa dynastie. Les Jagellon régnèrent jusqu’au décès de Sigismond II Auguste en 1572. Les souverains Jagellon étaient à la fois Grand-duc de Lituanie et roi de Pologne, les deux états restant séparés, jusqu’en 1569, par l’Union de Lublin ils furent unis sous le nom de République des Deux-Nations, la "Rzeczpospolita" . 

La Pologne en 1600
« Notre État est une république sous la présidence du roi », fut-il déclaré. La République comprenait principalement quatre nations : Lituaniens, Polonais, Ukrainiens et Biélorusses, appelés ensemble, Ruthènes. En 1569, la population de République comprend 11,5 millions d'individus, pouvant être répartis à peu près en  Polonais : 4,5 millions - Lituaniens : 0,75 millions - Ukrainiens : 3,5 millions - Biélorusses : 1,5 millions - Prussiens : 0,75 millions - Livoniens : 0,5 million. Il ne s’agissait donc pas, contrairement à ce qu’indique son nom, une union purement polono-lituanienne. C’est de cette période que date l’élection du souverain, choisi dans la Szlachta, la grande noblesse polonaise.

Le premier souverain élu fut Henri, duc d’Anjou. Mais il ne le resta pas longtemps, deux ans, car il fut appelé, sous le nom de Henri III, à succéder à son frère, Charles IX, sur le trône de France.

Parmi les souverains suivants, les plus connus furent Jean III Sobieski, le sauveur de Vienne, Stanislas Ier Leszczynski, père de la reine de France, Marie et Frédéric-Auguste III, duc de Saxe.


Jean III Sobieski par Jan Tricius

Stanislas II Poniatowski (1732-1798) fut le dernier roi de Pologne. Elu en 1764, grâce à Catherine II de Russie qui envoya troupe et argent pour soutenir la candidature de son amant, il ne sut pas établir l’équilibre politique qui aurait permis de sauver son royaume, en ayant pris parti pour la Russie. Enlevé, déchu, rétabli, le souverain fut incapable d’imposer les réformes nécessaires et fut incapable de résister aux appétits de ses voisins.

L'Autriche, la Russie et la Prusse décident d'intervenir militairement, en échange de concessions territoriales — une décision prise sans consulter ni le roi ni aucun des partis polonais - pour rétablir l’ordre en Pologne.

En fait de rétablissement d’ordre il s’en suivit trois  partages successifs.

Le premier le 5 août 1772, la Russie, la Prusse et l'Autriche signent un traité, ratifié par la Diète polonaise, qui ampute la Pologne-Lituanie du tiers de sa population et de 30 % de son territoire. La Russie reçoit les territoires biélorusses à l'est de la ligne formée par la Dvina et le Dniepr. Sont entre autres comprises les villes de Polotsk (ancienne capitale de la principauté), de Vitebsk, d'Orcha, de Moguilev et de Gomel. La Prusse obtient la riche région de la Prusse royale, peuplée d'Allemands à 90 %, avec la partie nord de la Grande-Pologne (Wielkopolska), peuplée de Polonais. L’Autriche obtient la Petite-Pologne (Malopolska), le Sud du bassin de la Vistule et l'Ouest de la Podolie.


Stanislas II Auguste Poniatowski, roi de Pologne grand-duc de Lituanie

Le deuxième partage de la Pologne-Lituanie est le résultat de la demande d'aide faite à la Russie le 24 avril 1792, par les grands magnats polonais, les Branicki, Rzewuski, Kossakowski, menés par le comte Stanislas Potocki, pour retourner à l'ancien ordre polonais qui leur assurait des privilèges, notamment celui de juridiction sur leurs paysans, abolissant ainsi la nouvelle constitution trop libérale à leurs yeux. 

Comte Stanislas Potocki (1755-1821)

Le 4 mai 1792, La Russie accepte et envoie des troupes, de même que la Prusse. Un accord entre ces deux pays aboutit au deuxième partage, ratifié par la diète polonaise. L'Autriche ne peut y participer, étant en guerre avec son ancien alliée, la France. La Russie reçoit l'essentiel de la Biélorussie lituanienne (la voïvodie de Minsk et partiellement la voïvodie de Navahroudak et celle de Brest-Litovsk) et l'Ouest de l'Ukraine. La Prusse obtient notamment les villes de Dantzig et Thorn, ainsi que le reste de la Grande-Pologne et une partie de la Mazovie.

Deuxième partage de la Pologne

Si ce partage ne semble pas poser problème à une partie de l’aristocratie, il n’en est pas de même pour la petite noblesse, la bourgeoisie et le peuple polonais en général. La révolte gronde et en 1794, Tadeusz Kościuszko conduit un soulèvement national. Tadeusz Kościuszko fut un héros des guerre d’indépendance des Etats-Unis et le héros des guerres contre les ennemis directs de son pays. 

Kościuszko par Kazimierz Wojniakowski

S’il réussit dans un premier temps à chasser les Russes de Vilnius et de Varsovie, l’aide apportée aux Russes par la Prusse et l’Autriche mit fin à l’insurrection brisé le 4 novembre 1794 par le massacre de Praga. Du côté russe il y eut 580 morts et 960 blessés. Du côté polonais on compta 6000 morts et blessés, 10 000prisonniers et entre 7000 et 20000 civils massacrés.

Massacre de la population de Praga par Aleksander Orłowski, 1810
Il est aujourd’hui un héros national en Pologne et en Lituanie.
La Russie, la Prusse et l'Autriche achèvent le démembrement du reste de la Pologne-Lituanie le 3 janvier 1795.
Le Congrès de Vienne en 1814 mit fin à l’espoir que Napoléon Ier avait suscité en créant le Grand-duché de Varsovie en 1807.
Catherine II meurt l'année suivant le partage. L'empereur romain germanique et le roi de Prusse sont désormais alliés contre la France révolutionnaire. Les légions polonaises naîtront d'ailleurs d'un ralliement de militaires derrière la France napoléonienne, ennemie de tous les pays qui ont pris part aux partages.
Malgré la fondation du duché de Varsovie par Napoléon, en 1807, le partage de la Pologne-Lituanie est confirmé après la chute de l'empereur par le Congrès de Vienne (1814-1815). La partie administrée par la Russie est agrandie.
La Pologne et la Lituanie ne retrouveront leur indépendance qu'à l'issue de la Première Guerre mondiale, et seront alors deux états séparés, alors qu'elles étaient unies depuis 1385.
Maria Łączyńska née en 1786, soit après le premier partage de la Pologne, a huit ans lors du soulèvement de Tadeusz Kościuszko et vécut le démembrement de son pays, à l’instar de son monde, comme une blessure personnelle. Ces évènements marqueront sa vie et seront les instruments de son destin. 


Marie  Łączyńska enfant



La famille des Łączyński, noble sans être une famille de magnats, est ancienne et a compté dans l’histoire de la Pologne. On trouve des  Łączyński occupant des fonctions importantes à différentes période de l’histoire de la Pologne. Au début du XVIe siècle Samuel Łączyński est un compagnon du roi Sigismond Ier. Lors d’un duel à  l’épée et à la hache, il tranche la tête de son adversaire. Et il reçut les félicitations du monarque. A la fin du XVIe siècle Jérôme Łączyński, plus sociable, est un juriste reconnu. 


Kiernozia, la propriété des  Łączyńsk i aujourd’hui 
Kiernozia en 1945 après le passage des troupes soviétiques

Au XVIIIe siècle, le père de Maria, Mathieu Łączyński a remis en état le domaine familial de Kiernozia et l’a fait prospérer. La maison dite château n’est en réalité qu’une grande demeure, comme il en existe tant dans la campagne polonaise mais la famille jouit d’une bonne aisance. Au second partage de la Pologne, Łączyński prend fait et cause pour l’insurrection. Il considère qu’en sa qualité de seigneur de sa province, - il était starost de Gostyń - descendant d’une famille de soldats intrépides et de fiers polonais, son devoir est de montrer l’exemple aux paysans et aux petits propriétaires fonciers.

A la bataille de Maciejowice, le 10 Octobre 1794, qui oppose les Polonais, commandés par   Tadeusz Kościuszko et les Russes commandés par  le général Souvorov, Mathieu Łączyński frappé d’une balle en plein coeur meurt. Il est enterré dans la crypte de la chapelle familiale à Kiernozia avec les honneurs militaires. Maria vécut alors son premier chagrin qui ancra dans son coeur la haine de l’occupant russe. 

Les terres de Kiernozia furent comprises dans la partie de la Pologne attribuée à la Russie.

La veuve de Mathieu Łączyński, Eva Zaborowska, la mère de Maria, bien qu’issue d’une famille riche, se trouve confrontée à la gestion d’un domaine, ce dont elle n’a aucune idée. Elle est à la tête d’une famille de sept enfants Maria, Benedict Joseph, Jérôme, Théodore, Honorata, Catherine et Ursule-Thérèse. 

Elle est rapidement dépassée par cette gestion et laisse les bâtiments du domaine se dégrader. les récoltes sont mauvaises, les fermiers ne paient plus leurs loyers. La famille désormais pauvre court à la ruine.

Elle engage pour s’occuper de ses enfants un professeur, qui l’aidera aussi à régler certains des problèmes du domaine, Nicolas Chopin, dont le fils Frédéric fut le compositeur que nous connaissons tous. Français, originaire de Lorraine, Nicolas Chopin, fils d’un charron viticulteur, fut remarqué par l’intendant d’un grand seigneur de la suite de Stanislas Leszczynski, roi de Pologne devenu duc de Lorraine. En 1787, à l’âge de 16 ans, Nicolas Chopin suivit son protecteur, Adam Weydlich.  Il était brillant et excellent musicien. Il s’intégra rapidement à son nouveau pays et y fit une véritable ascension sociale dans la bourgeoisie intellectuelle de Pologne. Après avoir été précepteur dans la famille de Maria et chez la comtesse Skarbek où il rencontra sa femme, issue de la petite noblesse, il devint professeur de français au lycée à Varsovie, puis à l’école élémentaire des officiers et ingénieurs de l’artillerie. Il était unanimement respecté par la société polonaise à laquelle il s’était agrégé au point de se considérer lui-même comme polonais.


Nicolas Chopin (1771-1844)

Son entrée en 1795 dans la famille Łączyński fut une chance pour tous. Il eut à enseigner le français et la  musique aux enfants. Grâce à lui Maria parlera un français parfait. Mais il s’occupa aussi de remettre de l’ordre dans les finances de la famille. Il passa six ans avec eux. 

Malgré l’aide de Nicolas Chopin, et en dépit de ses conseils, elle continua un train de vie dispendieux bien au-dessus de ses capacités financières. Elle envoya son fils aîné à Paris, son fils Théodore dans le meilleur établissement de Varsovie. Sa fille Maria, ainsi qu’une de ses sœurs, fut placée à Notre-Dame de l’Assomption à Varsovie. Maria y fut une élève studieuse, bien adaptée à la vie quasi monacale menée par les élèves. Foi ardente, élans romantiques font partie de la personnalité qu’elle se forge au cours de ces années. Son frère Benedict, devenu officier dans l’Armée française, lui apprend à connaître le nouveau Premier Consul de la France, Napoléon Bonaparte. Issu de la Révolution française, s’attaquant aux vieux royaumes européens, ne serait-il pas celui qui un jour pourrait libérer la Pologne du joug russe ? Maria veut le croire. Le sort de son pays la préoccupe et elle veut se consacrer à sa libération.

Son éducation est une réussite. Elle danse bien, elle est naturellement gracieuse et distinguée, elle est musicienne et elle est jolie. La mère supérieure de son couvent la décrit ainsi : « Marie est intelligente et studieuse, avec une douceur de caractère qui la fait aimer de tous ici. Elle est peut-être un peu trop introspective pour son bien; quoique timide et réservée de nature, elle a des sentiments violents, passionnés même, particulièrement en ce qui concerne la religion et le tragique état actuel de notre pays »

En effet, n’avait-elle pas dit pas un jour  : «  Que de fois dès ma plus tendre enfance n’ai-je pas pleuré amèrement en écoutant les récits des malheurs de notre infortuné pays ! L’usurpation étrangère, les horreurs exercées à Praga, l’humiliation d’une nation dont je faisais partie soulevaient tout mon être d’indignation. » (Mémoires - Fonds Marie Walewska - Fondation des archives historiques de l'Abbaye de Saint-Maurice )


Maria Walewska par Marie-Victoire Jaquotot en 1811
miniature

Quand à 17 ans, Maria retourne à Kiernozia, c’est une belle jeune femme, aux formes parfaites, aux yeux bleus magnifiques. Elle est ainsi décrite en 1810 : « Teint éblouissant de blancheur…yeux d’un bleu azur…sourire ravissant…qui fit voir deux rangs de perles éclatantes dans la plus gracieuse et la plus fraîche bouche du monde. » (Fonds Marie Walewska )


Sa mère lui déclare alors « Marie a embelli. Dieu veuille lui trouver un mari bientôt. ce serait une charge de moins » (Fonds Marie Walewska )