05/09/2018

Marie-Sophie, reine des Deux-Siciles - Sixième partie





François et Marie Sophie

La Rome pontificale, capitale de ce qui restait des Etats du Pape, serait désormais la résidence de François et de Marie Sophie, tant que dureraient ces Etats. 

Mais ils étaient considérés comme potentiellement dangereux car leurs sujets n’étaient pas tous résignés à accepter la défaite et l’occupation. Pour eux ils restaient leurs souverains légitimes. 

Elle ne s’était pas résignée à la défaite et « l’héroïne de Gaète » se préparait à la reconquête de son trône, alors que François semblait résigné à son sort, trouvant dans la religion le réconfort qu’il y avait toujours cherché. 

Ils s’étaient tout d’abord installés au palais du Quirinal où habitait également Marie-Thérèse avec ses enfants et sa suite. Cette dernière supportait difficilement la gloire de Marie Sophie.  Elle se permettait de s’attribuer à table la place d’honneur, ce que Marie Sophie refusait d’accepter. Il fallait donc dresser  deux tables, dans deux salles différentes. 

Marie Sophie avait repris des habitudes napolitaines de monter à cheval dans la campagne, seule ou accompagnée d’une escorte de beaux officiers, au grand scandale de la société romaine.

Les souverains subirent alors une attaque violente, destinée à les discréditer aux yeux de l’opinion publique et à ternir l’auréole de gloire de la souveraine.

Une des photos montage du scandale

Et c’est en s’appuyant sur cette odeur de scandale pour la bonne société romaine, que furent diffusés des photos de Marie Sophie nue, dans des positions érotiques. Tout ceci n’était bien entendu qu’un montage photographique destiné à ruiner la réputation de la reine. Le scandale en Europe fut énorme. Les auteurs de ce montage furent attrapés, jugés puis plus tard libérés. Mais ils n’étaient que les acteurs d’un plan qui les dépassait. On ne sut pas qui avait ordonné ce plan mais le parti piémontais de Rome fut soupçonné. En effet, le roi de Piémont ne se résignait pas à avoir Florence comme capitale. Il voulait Rome. 

François II agenouillé devant Pie IX
Le pape représentait le dernier symbole de l’ancienne Italie et Marie Sophie, avec sa gloire, soutenait cette représentation. Elle était dangereuse pour les partisans d’une Italie totalement unie. Tant que Napoléon III fut sur le trône de France en position dominante, il ne permit pas à Victor-Emmanuel de se saisir de la Ville Eternelle. La défaite de Sedan et la chute de l’empire, le 4 septembre 1870, lui ouvrirent ses portes. Le pape, Pie IX, était désormais prisonnier dans sa ville, à la suite d’une rapide campagne militaire et d’un referendum, aussi sujet à caution que celui qui avait permis d’annexer les états de Naples et de Sicile.

Attaquer Marie Sophie par de fausses photos, comme par de fausses rumeurs, faisait partie de ce plan qui constituait à ruiner sa réputation afin de l’empêcher de prendre la tête d’un mouvement de révolte dans ses anciens états, pour y installer la monarchie constitutionnelle et faire revivre ainsi un état indépendant de l’Italie du Sud. 


Palais Farnèse
François et Marie s’étaient installés au Palais Farnese, propriété de leur famille depuis 1731 La dernière des Farnèse, Élisabeth, épouse en 1714 le roi Philippe V d'Espagne, le petit-fils de Louis XIV, et c'est leur fils, Charles III, qui recueille  alors l'héritage de sa mère, le duché de Parme, dans lequel se trouve le palais et ses collections
Devenu roi de Naples en 1734 puis de Sicile en 1735, il abandonne le duché à son frère cadet, l'infant Philippe, mais conserve les trésors du palais Farnèse qui resteront dans la descendance des rois de Naples jusqu'au roi François II.
Ce dernier y fit faire des travaux importants de décoration.


Plafond peint du temps de François II
Enfilade du temps de François II

Ils y restèrent jusqu’à ce que la prise de Rome les chasse à nouveau.

Des complots matrimoniaux y furent fomentés. La soeur cadette de Marie Sophie, Mathilde, fut marié à Louis, comte de Trani, le 5 juin 1861. 

Mathilde, duchesse en Bavière,
Comtesse de Trani

Louis de Bourbon des Deux-Siciles
Comte de Trani
Une soeur de François, Marie Immaculée, fut mariée à l’archiduc Charles Salvator de Habsbourg-Toscane, le 19 septembre 1861. 


Marie-Immaculée de Bourbon des Deux-Siciles
Archiduchesse Charles d'Autriche-Toscane
Charles Salvador, archiduc d'Autriche-Toscane
Une autre soeur Marie Annonciade fut mariée à l’archiduc Charles-Louis, frère de François-Joseph, le 16 octobre 1862. Ces derniers furent les parents de l’archiduc François-Ferdinand, assassiné à Sarajevo en 1914. Ils sont les ancêtres des Habsbourg actuels. 

Marie Annonciade de Bourbon des Deux-Siciles
Archiduchesse Charles-Louis d'Autriche
Charles-Louis, archiduc d'Autriche
Le mariage de Mathilde fut encore plus catastrophique que celui de Marie Sophie. Louis la trompa immédiatement. Débauché, ivrogne et peu intelligent il se suicida en 1886.
Mathilde de son côté prit un amant, le grand ami de sa soeur Marie Sophie, l’ancien ambassadeur d’Espagne à Naples, Bermudez de Castro. Elle vivait à Rome, près de sa soeur. 

Salvador Bermudez de Castro
Marquis de Lerma

Toutes les deux, se ressemblant beaucoup, parcouraient la campagne à cheval ou les rues de Rome à pied, se faisant souvent passer l’une pour l’autre. 

Mais « l’héroïne de Gaète »  ne pouvait se contenter d’une vie aussi simple. 

Dès 1861, Marie Sophie fut en contact avec tous ceux qui considéraient les Savoie comme des ennemis. Parmi eux, il y avait des brigands célèbres qu’elle rencontra à Rome, sous les yeux tolérants de la police pontificale. Mais il y eut aussi des jeunes gens, venus de toute l’Europe, séduits par une croisade de la légitimité à la tête de laquelle se trouverait l’ex-reine. On peut citer les noms d’Emile de Christen, Alfred de Trazégnies, Henri de Cathelineau, Karl de Kalckreuth. 

Général-comte de Cathelineau
Il y eut aussi Bermudez de Castro, qui se rendant rapidement compte que si la troupe comportait quelques héros de bonne famille, elle était essentiellement composée de bandits, sans honneur, avertit François qu’il ne s’agissait que de « misérables scélérats, pas plus catholiques que légitimistes attachés à sa cause ».

Cette troupe finit par être composée de trente mille hommes s’opposant aux cent vingt mille de l’armée piémontaise. Mais plus qu’une croisade pour la défense des droits des souverains napolitains, il s’agissait d’une sorte de jacquerie sur fonds de rapine et de violence. 

Dès le début de 1862, Marie Sophie réalisa avec qui elle s’alliait et prit ses distances. L’affaire des photos truquées contribua à une certaine mélancolie que sa vie au contact de la population romaine, jugée comme fantasque par l’aristocratie et la cour pontificale, ne soigna pas. A peine 20 ans, mariée sans amour, ayant perdu son trône, elle ne savait quoi faire de sa vie.

Un remède semblait s’imposer, comme pour sa soeur Elisabeth. Seul un voyage à Possenhofen, le « Possi » de son enfance, pourrait lui faire oublier la tristesse de sa situation.

Mais Il semble que le voyage à Possi ait eu un motif moins avouable. Au mois d’avril 1862, elle réalisa qu’elle était enceinte, non de son mari, car elle n’avait jamais eu de rapport avec lui, mais de son amant, Félix Emmanuel de Lavaysse, officier de la garde pontificale, qui avait été désigné comme le chevalier d’honneur de la reine, par le pape Pie IX.  Il fut son seul et unique amour. Sa soeur Mathilde avait été sa complice et sa confidente. 

Annuaire des zouaves pontificaux
En juin 1862, elle débarqua en Bavière et avoua tout à sa famille. Ils furent moins scandalisés qu’on ne pourrait l’imaginer. Son père lui dit même : « Ce sont des choses qui arrivent. »  Le conseil de famille auquel assistaient tous ses frères et sa soeur l’impératrice décida que l’essentiel était de garder l’affaire secrète. Le roi Maximilien, leur cousin, consentit à fermer les yeux à la condition que Marie Sophie jure de plus jamais revoir Félix Emmanuel de Lavaysse, ce qu’elle fit. Elle n’avait pas d’autre choix.

Zouaves pontificaux
François fut avisé que la santé de sa femme nécessitait un grand repos et que pour ce faire, elle entrerait momentanément au Couvent de Sainte Ursule, accompagnée de sa belle-soeur Henriette Mendel, baronne de Wallersee, pour laquelle son frère Louis avait renoncé à ses droits dynastiques.  Félix Emmanuel de Lavaysse tenta de la rejoindre mais il fut informé que s’il pénétrait sur le territoire de la Bavière, il serait arrêté. Il enfreint cet ordre mais ne réussit pas à voir Marie Sophie.  Le 24 novembre 1862, elle donnait naissance à une fille prénommée, Daisy. Le conseil de famille décida de lui enlever l’enfant immédiatement.

Daisy fut confiée à son père qui la reconnut.  Félix Emmanuel de Lavaysse avait contracté la tuberculose et mourut à Cannes en 1868 Sa fille Daisy mourut peu après de la même maladie. 

Ne pouvant rester cloîtrée définitivement, Marie Sophie accepta le conseil de sa famille de retourner auprès de son mari. Elle posa comme condition de lui révéler la vérité. François, tombant des nues, lui aurait répondu : « Je t’attends. »

Il est possible qu’il ait enfin reconnu ses torts et ses manques à son devoir conjugal. 

Il n’y a pas de certitude que Daisy de Lavaysse ait bien été la fille de Marie Sophie. Il n’y a que des présomptions. Il est dit aussi qu’elle assista à ses obsèques, à la grande surprise de beaucoup et sans véritable autre raison que d’avoir été sa mère. 

Il est tout-à-fait possible que cette histoire d’enfant illégitime, mainte fois rapportée, n’ait été qu’une calomnie de plus. Marie Sophie des Deux-Siciles ne laissait personne indifférent surtout pas le nouveau roi d’Italie et son gouvernement.

Certains vont même jusqu’à dire que Daisy avait eu une soeur jumelle, prénommée Viola, qui aurait été déclarée comme leur fille par son oncle Louis et Henriette. Mais les dates ne concordent pas car l’enfant du couple, connu sous le nom de Marie de Wallersee, baronne Larisch, est née en 1858. Elle sera une des héroïnes de la tragédie de Mayerling. 

L’empire d’Autriche ayant reculé en Italie devant le Risorgimento et ayant du abandonner sa domination, reculait à nouveau et cette fois-ci devant la Prusse. L’unité italienne faite, il fallait l’unité allemande. 

Pour le couple royal ce fut un coup de plus à subir. Leur famille était dans une spirale de défaites et de drames, même si le couronnement de Budapest en 1867, après le drame de l’exécution de Maximilien au Mexique, apporta un peu de baume. Les Hongrois vouaient à Elisabeth une admiration, voire un culte, qu’aurait aimé avoir Marie Sophie de la part de ses sujets napolitains. Mais il n’y avait entre les soeurs aucune ombre de jalousie et Marie Sophie se réjouit de la nouvelle gloire de sa soeur, qu’elle partagea lors de son séjour à Budapest dans l’été qui suivit. 

François décida enfin de faire faire l’opération qui lui permettrait de devenir enfin le mari de sa femme. Il était amoureux d’elle depuis le premier jour, il avait pour elle une admiration immense mais il avait été incapable jusque là de l’honorer. En avril 1869, il put enfin annoncer que la reine était enceinte, à sa grande joie et à celle de leurs derniers fidèles. Le 24 décembre, Marie Sophie mit au monde une petite fille prénommée Marie Christine, comme la mère de François. Ils auraient préféré un garçon pour satisfaire aux besoins de la loi salique mais, elle à vingt-huit ans, et lui à trente et un, étaient heureux.

La comtesse Festetics, dame d’honneur de l’impératrice Elisabeth a écrit à propos de l’admiration que vouait François à sa femme : « Son roi est devant elle, comme devant moi le porteur de la gare. »

Malheureusement l’enfant mourut le 28 mars 1870. Ces quelques mois de bonheur, les seuls dans toute leur vie, n’avaient été qu’une illusion. Marie Sophie, impressionnante de douleur, quitta Rome pour Vienne le 25 mai. François la suivit quelques jours après pour s’installer sur les bords du lac de Sternberg. 

Rome cessa d’être capitale pontificale le 20 septembre 1870, par l’entrée des troupes piémontaises. Victor-Emmanuel avait enfin la capitale dont il avait rêvé.

Le couple vécut désormais souvent chacun de son côté.  François fut de plus en plus religieux et Marie Sophie de plus en plus mondaine.

Marie-Sophie après Gaète
Du vivant de François, elle avait élu domicile à Paris, 15 rue Boissy d’Anglas, entre le début des Champs-Elysées et la rue du Faubourg Saint-Honoré, dans un hôtel meublé dit Hôtel Vouillemont. 


La rue Boissy d'Anglas à Paris VIIIe
à l'époque de Marie-Sophie
Marie Sophie y reçut Paul Bourget, l'ambassadeur Camille Barrère et Pierre Louÿs.

Celui-ci devint par la suite un des hauts de l’intelligentsia parisienne où se croisaient Luigi Pirandello, Jacques Maritain, Jean Cocteau, Max Jacob, Robert Desnos, Léon-Paul Fargue, Francis Picabia, Fortunat Strowski, Félix Youssoupoff, Maurice Rostand, Maurice Sachs, Stanislas Fumet. C’est aujourd’hui un hôtel de luxe de la chaine Sofitel

Elle s’agrégea dès lors à la haute société internationale. Sa personnalité, sa beauté, son statut d’héroïne, ses relations familiales ont fait d’elle une des reines de ce monde oisif et richissime. Elle même n’était pas riche et ne vivait que des subsides que les Rothschild lui versaient. Mais elle était de toutes les chasses et de tous les évènements mondains de l’Europe. Elle était devenue l’amie des frères Baltazzi, riches banquiers ottomans, d’origine vénitienne, parfaitement alliés et au pinacle de la société. Ils étaient les oncles de Marie Vetsera, la maîtresse de l’archiduc Rodolphe. Et c’est la reine des Deux-Siciles qui, lors de la saison à Londres, présenta les frères Baltazzi et leur soeur, Hélène baronne Vetsera, à l’impératrice d’Autriche. Leurs qualités équestres et leur immense fortune étaient de bonne recommandation.


Alexandre Baltazzi (1850-1914)
Hélène Baltazzi, baronne Vetsera (1847-1925)
Installée ensuite près de Paris, à Neuilly 126 Boulevard Maillot, aujourd’hui Boulevard Maurice Barrès, elle tenait une cour informelle, un temps fréquentée par les anarchistes qui succédaient aux bandits du sud de l’Italie dans le désir de s’attaquer aux Savoie. Cela lui valut le surnom injustifié de « Reine des Anarchistes » car si elle était reine, elle n’était pas anarchiste et pensait se servir d’eux dans sa vengeance contre les Savoie. Elle n’avait toujours pas renoncé à l’idée de retrouver le trône des Deux-Siciles.

Boulevard de Maillot à Neuilly
tel que l'a connu Marie-Sophie
Marie Sophie fut soupçonné d’avoir pris part à la révolte des ouvriers de Milan contre l’autorité royale  le 7 mai 1898. Elle aurait financé, avec l’argent des Rothschild, un char d’assaut pour aider les rebelles. La révolte fut réprimée dans le sang par le général Baca Beccaris.

La révolte de Milan le 7 mai 1898

Elle fut soupçonnée aussi d’avoir été du complot qui a permis d’assassiner le roi d’Italie Humbert Ier, le 29 juillet 1900. Mais il semble que l’assassinat ait été le fait de l’assassin seul, Gaetano Bresci, anarchiste qui voulait venger les ouvriers de Milan.

Un rapport de police datant du 23 février 1901 fait explicitement état des rapports que Marie Sophie entretenait avec les anarchistes, parmi eux un certain Errico Malatesta (1853-1932) une des grandes figures de l’anarchie, ayant opéré partout dans le monde. 


Errico Malatesta (1853-1932)
Le gouvernement français n’ignorait rien des accointances de l’ex-reine de Naples avec ces individus et ne manquait pas d’en faire part à l’ambassadeur d’Italie, le comte Tornielli. Mais s’il est certain qu’elle les recevait, rien ne prouve qu’elle ait partagé leurs idées, loin de là, ni même aidé à leurs entreprises. Elle ne devait pas oublier que sa soeur, l’impératrice Elisabeth, était morte sous le coup de poignard d’un anarchiste italien. 

La mort de ses soeurs, Hélène, princesse de Tours et Taxis le 16 mai 1890, Sophie duchesse d’Alençon le  4 mai 1897 dans l’incendie du Bazar de la Charité, Elisabeth impératrice d’Autriche assassinée le 10 septembre 1898 ont probablement plus endeuillé sa vie que celle de François mort le 27 décembre 1894 à Arco dans le Trentin, alors possession autrichienne.

Seule lui restait Mathilde, comtesse de Trani. 

Durant la première guerre mondiale, bien que sa nièce, Elisabeth fille de son frère Charle-Théodore, duc en Banvière, et de Marie Josèphe, infante du Portugal ait été reine des Belges, elle choisit le camp austro-allemand, peut-être guidée par sa haine des Savoie, alliés de la France et de l’Angleterre. De nouveau les rumeurs l’accusèrent de sabotage et d’espionnage contre l’Italie, accréditant son espoir que la défaite lui permettrait de retrouver son royaume de Naples. 


Elisabeth, duchesse en Bavière(1876-1965)
Reine des Belges
Mais les choses avaient bien changé, car à Naples elle n’aurait pas été un grand personnage, en dehors de la gloire de Gaète. N’ayant pas eu de fils susceptible de lui succéder, François II eut comme héritier dynastique, son demi-frère, Alphonse, comte de Caserte. Ce dernier avait épousé sa cousine, Marie-Antoinette de Bourbon des Deux-Siciles. Et c’est elle qui aurait été reine de Naples. Marie-Sophie le savait. 


François II avec son frère, le comte de Caserte et son neveu le duc de Calabre, ses héritiers

Le comte et la comtesse de Caserte et leurs enfants
Quand elle apprit peu avant sa mort que sa petite-nièce la princesse Marie-Josée de Belgique, encore très jeune, était fiancée à l’héritier du trône d’Italie, elle en fut meurtrie et tenta de s’opposer à ces fiançailles. Une alliance avec les Savoie lui semblait être une trahison familiale

Marie-José, princesse de Belgique
Reine d'Italie
Ruinée, elle n’avait même pas de quoi acheter un journal  disait-elle, elle mourut à Munich le 19 janvier 1925. Elle put voir Mussolini prendre le pouvoir et Hitler faire son premier coup d’état.

Mathilde mourut peu de temps après, le 18 juin 1925.

Le monde dans lequel elle était née n’existait plus. Les soeurs de Bavière étaient désormais des figures de légende.

Le Gaulois fit paraître en première page l’annonce de sa mort, sous le titre « Mort de la reine de Naples » :
« Une dépêche expédiée de Munich à 3h 45 nous apprend laconiquement la mort de S.M. la reine Marie des Deux-Siciles.
Reine ! Elle ne l’était plus de puis soixante quatre ans, car elle fut avec le roi François II son époux, l’une des premières victimes des révolutions qui, depuis, renversèrent tant de trônes en Europe…Se souvient-on de la prise de Naples par Garibaldi, du siège de Gaète, en 1860, où la reine Marie allait elle-même ramasser les blessés, les soignant dans les hôpitaux, puis telle que l’a immortalisée l’image, en bottes éperonnées, avec la grande cape, la toque à longue plume posée sur les nattes de ses cheveux serrés, apportant à tous, depuis le roi jusqu’à ses plus humbles sujets, le réconfort de sa sublime bravoure et de son ardent patriotisme napolitain ?
En février 1861, la frégate française, La Mouette accostait en rade de Gaëte pour emmener les souverains qui partaient avec tous les honneurs de la guerre jusqu’au port de Terracine dans les Etats pontificaux. Le vicaire du Christ, Pie IX, seul, leur offrit une hospitalité digne d’eux, et les Majestés exilées demeurèrent à Rome, habitant le Palais Farnèse, propriété de la Maison de Bourbon-Siciles, jusqu’à l’entrée des troupes de Victor-Emmanuel qui, pour la deuxième fois les chassait. Le Roi François II et la Reine Marie vinrent alors à Paris,  séjournèrent bien des années à l’hôtel Vouillemont et ce provisoire dura jusqu’à la mort du Roi de Naples en 1894.
Nous avons connu la Reine dans sa villa du boulevard Maillot, où elle vivait entourée de serviteurs napolitains, avec la nostalgie de son palais de marbre en face de la baie inoubliable. Cette Reine, venue au monde sous le ciel gris de la Bavière, ayant passé an à peine sur le trône des Deux-Siciles, ne se consola jamais d’avoir dû quitter les sujets qu’elle aimait avec passion et dont elle gardait un souvenir idéalisé par le recul des années…
Soeur de l’Impératrice Elisabeth d’Autriche, de Mme la duchesse d’Alençon, mortes si tragiquement, l’une assassinée, l’autre brulée à l’incendie du Bazar de la Charité, de la comtesse de Trani, de la princesse de Thurn et Taxis, la Reine Marie comptait aussi trois frères, et parmi eux le duc Charles-Théodore, le fameux oculiste, était son grand préféré. C’est, du reste, chez la Duchesse Charles-Théodore qu’elle vient de s’éteindre, dans le palais de Munich où une fraternelle hospitalité adoucissait les infortunes de cette reine du temps passé.
Elle avait vendu sa villa de Neuilly il y a deux ans, quittant la France, qu’elle aimait tenta avec un profond désespoir; et même ces derniers mois, elle ne cessait d’écrire à ses fidèles son ardent désir de revenir à Paris une dernière fois.
En dépit de sa fortune amoindrie par la guerre et les fluctuations du mark, la charitable souveraine demeurait à quatre-vingts ans ce qu’elle avait été à dix-neuf ans à Gaète. Elle ne pouvait passer à côté d’une infortune sans la secourir. 
Au début de 1915, la Reine de Naples partit pour Genève, puis se rendit à Munich, où son but passionné était de venir au secours des prisonniers français et russes. Elle rassurait les famille angoissées en leur faisant donner des nouvelles et usait de son prestige pour obtenir des faveurs que l’on n’osait jamais lui refuser.
Que de bien fait en silence…et aux nôtres!
Avant de nous quitter pour toujours, Sa Majesté daigna nous convient dans sa résidence de Neuilly. Ses yeux étaient empreints de cette mélancolie que les récents évènements rendaient plus poignants encore. A ce moment précis, on ouvrit la porte du salon  et une gracieuse jeune femme vêtue de blanc entrain; ce fut une vision éblouissante. La Reine Elisabeth de Belgique, suivie du Duc de Brabant, venait surprendre la tante dont elle fut toujours la nièce chérie. Et la mélancolie coutumière de l’auguste souverain fit place à un sourire d’indéfinissable tendresse.



Le duc de Brabant
Léopold III de Belgique
Les habitués du Bois de Boulogne d’avant la guerre y rencontraient tous les matins une grande et respectable dame à la fine silhouette, aux modes d’autrefois, se promenant avec ses chiens. On se demandait d’abord : « Qui est-ce ? » « La Reine de Naples ! » Puis on saluait bien bas.
Nous aussi, nous saluons avec un respect ému pour la dernière fois celle qui aima si sincèrement Paris et la France. » ( Le Gaulois - 20 janvier 1925)

Marie Sophie de Wittelsbach, duchesse en Bavière, reine des Deux-Siciles, est immortalisé dans une oeuvre majeure de la littérature française. « Je ne connais pas ce Monsieur Proust, aurait-elle dit quand on lui a rapporté le texte cité en tête de l’article après la mort de l’auteur, mais lui doit me connaître : j’aurais agi ainsi qu’il me décrit dans son livre, il me semble. » 

Marie-Sophie entourée de son mari et de ses beaux-frères
A l'époque du Royaume des Deux-Siciles

09/08/2018

Marie, reine des Deux-Siciles, cinquième partie




Naples en 1860 - Porte Capuane
L’été 1860 voit la ville de Naples dans une situation de tension permanente. François demande un miracle à San Gennaro, le patron de la ville, qui reste sourd. Tout le monde a peur du lendemain, pour des raisons différentes. Les uns espèrent que Garibaldi sera enfin battue par les troupes royales, les autres attendent son arrivée pour mettre fin au règne des Bourbons. Les puissance européennes regardent la situation avec la plus grande attention. L’empire d’Autriche ne voudrait pas voir changer plus l’ordre établi au Congrès de Vienne, déjà bien bousculé. Après avoir perdu la Lombardie, François-Joseph ne voudrait pas perdre la Vénétie, le Trentin et Trieste. Une victoire de Garibaldi pourrait donner de nouvelles ailes à Victor-Emmanuel. Napoléon III satisfait de la première partie du programme ne tient pas à une Italie totalement unifiée, dont la puissance pourrait contrarier la sienne. Victoria, ou du moins son Premier Ministre, Lord Palmerston, encourage Garibaldi dans son expédition car une Italie unifiée qui lui devrait son unité ne pourrait qu’être un bon allié sur le Continent, et accroîtrait son influence en Méditerranée. Victor-Emmanuel, ou plutôt Cavour, attend. Son ambassadeur à Paris écrit à son Premier Ministre : “Il vaut mieux attendre. Laissons arriver Garibaldi à Naples sans nous immiscer. Laissons cuire les macaroni…” Ce à quoi Cavour répond : “ Les macaroni ne sont pas encore cuits mais les orages sont déjà devant nous sur la table et nous sommes bien décidés à les manger.” 

Cavour (1810-1861)

Et pour ne pas être en retard au festin, le Piémont envoie une escadre dans la baie de Naples, où se trouvent déjà les flottes française, anglaise et espagnole. Le double jeu de Cavour est simple. Il fait contacter Liborio Romano, le ministre de l’intérieur, et le général Nunziante, avec lesquels il compte traiter directement car il ne veut pas devoir Naples à Garibaldi. Il écrivit à l’amiral de la flotte piémontaise : “Le but de la mission ( envoi de la flotte dans la baie de Naples ) est de se mettre à la disposition de la princesse de Syracuse (née princesse de Marie Victoire de Savoie-Carignan, dont le mari Léopold de Bourbon-Siciles, oncle de François II, avait piètre opinion de son neveu à qui il avait conseillé plus de libéralisme, et le rapprochement avec le Piémont)… 


Léopold de Bourbon-Siciles (1813-1860)

L’objectif réel est de coopérer en vue de la réussite d'un plan qui doit faire prévaloir à Naples le principe national sans l'intervention de Garibaldi. Les principaux acteurs devront en être être le ministre de l'Intérieur, M. Liborio Romano, et le général Nunziante…”( 30 juillet 1860)

Général Nunziante (1815-1881)
Nunziante, officier général dans l’armée royale des Deux-Siciles, avait choisi le parti de l’unité italienne. 

Le 12 août Cavour résume la situation : “La crise est proche. Naples en état de siège…Garibaldi cherche à avancer en Calabre, nous cherchons à fomenter la révolution. L’Autriche menace…L’Angleterre pousse Garibaldi…Napoléon III est irrité des résultats incertains de sa politique. Comment sortir de tant de difficultés ? Soit François tombe sous l’action de Garibaldi et alors, en avant à tous coûts ! Soit François bat Garibaldi et alors nous devrons accueillir au mieux les conseils de la diplomatie.”

La situation de l’armée napolitaine est incertaine, quoiqu’encore loyale du moins dans la troupe. En ville, le plus grand magasin d’estampes vendit, du 1er au 15 août, six mille portraits de Garibaldi, quatre mille de Victor-Emmanuel, deux cents de François et cent cinquante de Marie Sophie. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes quant au revirement des Napolitains. 

Une rue à Naples à l’époque
Dans cette situation explosive, la reine continue son bain et ses cavalcades quotidiens. Rien ne serait définitivement perdu si, toutefois, il y avait à la tête de l’état un homme capable de prendre ses responsabilités. Or François ne gagne dans ces journées que le surnom ironique de “Francesco Dio-ti-benedicta” - « François, que Dieu te bénisse ». Et pourtant son armée, du moins ses soldats, réclament leur roi, encore prêts à se battre pour lui. 

Le roi avait décidé de quitter sa capitale pour se réfugier à Gaète, un peu plus au nord. Il pensait alors qu’avec la forteresse de Capoue, il avait une base arrière solide. Un seul échec de Garibaldi pouvait encore lui permettre de garder son trône. Il pensait aussi éviter un bain de sang à Naples. Certains lui avenir conseillé de fuir à Vienne ou à Madrid, d’autres à Rome près du Saint-Père. Il choisit de rester dans on pays.

Le 4 septembre, il annonça son intention, sans demander à quiconque de le suivre, à l’exception de l’armée, composé de quarante mille hommes et quatre mille cavaliers, et de la marine. Les mouvements de troupe commencèrent aussitôt au lieu de se porter à la rencontre des Mille de Garibaldi et des les battre, comme cela aurait pu être fait facilement. 

François et Marie Sophie en 1860
Le 5 septembre, dans l’après-midi, en voiture découverte, François et Marie Sophie parcoururent la ville. Aucun cri contre eux ne fut entendu, au contraire une foule silencieusement respectueuse saluait leur passage.

La nuit du 5 au 6 fut leur dernière passée au palais royal qui était désert. Il n’y avait plus de courtisans, juste quelques serviteurs. 

Le 6 au matin les voitures chargées des objets et des documents que les souverains souhaitaient emporter avec eux quittèrent le palais. Mais ils abandonnaient la vaisselle d’or, la garde-robe de Marie-Sophie. Le roi ne retira pas ses avoirs personnels de la banque, soit cinquante millions de francs-or, qui furent ensuite saisis par Garibaldi et le gouvernement piémontais. L’argent avait été déposé à la Banque d’Angleterre par Ferdinand II mais François l’avait fait rentrer à Naples, en un geste patriotique. François préférait emporter des reliques et des peintures religieuses. 

A quatre heures de l’après-midi, les ministres se présentèrent au palais. François les salua et les remercia un à un. A Liborio Romano, il fit une discrète allusion à son double jeu, dont il avait eu connaissance, tout en lui recommandant de veiller à l’ordre public.

Liborio Romano télégraphia, immédiatement après cette cérémonie, à Garibaldi : “Naples attend avec la plus grande impatience votre arrivée pour saluer le rédempteur de l’Italie et remettre entre vos mains le pouvoir de l’état et son destin propre.”

A cinq heures de l’après-midi, le roi en tenue militaire et la reine en tenue de voyage, toujours aussi belle, quittèrent le palais. Elle ne semblait pas émue et dit “Nous reviendrons bientôt”. Ils partirent à pied vers le port. 

Le Port de Naples

A six heures précises, ils prirent pied à bord du “Messagero”, une petite unité contenant une vingtaine de passagers. Le roi avait donné l’ordre à la marine de le suivre, seul le navire “Partenope" obéit. Les autres restèrent dans la baie, leurs officiers ayant eu l’assurance qu’ils seraient intégrés dans la marine sarde.  Un autre navire suivit le petit cortège royal, il battait pavillon espagnol. L’ambassadeur d’Espagnol Bermudez de Castro, fidèle à sa parole, accompagnait ses amis qu’il avait promis de suivre. 

“Tous m’ont trahi” dit le roi, “ Les Napolitains n’ont pas voulu juger que j’avais raison. Pourtant j’ai conscience d’avoir toujours fait mon devoir. Mais il en restera plus aux Napolitains que leurs yeux pour pleurer.” Le roi avait raison, car dès ce jour-là, la ville perdit son statut de capitale et la richesse qui l’accompagnait pour ne devenir qu’une ville, grande certes, mais secondaire dans le nouveau royaume italien. De ville royale, elle devint un simple port. 

Le 7 au matin, le navire entrait dans le port de Gaète. 

De Naples à Gaète
Le même jour, Garibaldi entrait dans Naples. Pour les souverains, une bataille était perdue, mais pas la guerre.


Entrée de Garibaldi à Naples

Une rue de Naples le 7 septembre 1860
Gaète, à l’instar de Gênes, Venise, Pise, Amalfi ou Ancône, avait été une république maritime. En 1734, Charles III de Bourbon, roi de Naples, en fit la conquête. Elle était de ce fait un port important du royaume des Deux-Siciles, au XIXe siècle. En 1860, la ville comptait quinze mille habitants. En 1848, le pape Pie IX, après avoir fui Rome où Mazzini avait proclamé la république, s’y était réfugié à l’invitation de Ferdinand II. Elle fut pour près d’un an la capitale de la Chrétienté. C’était une ville relativement importante avec de nombreux édifices religieux et couvents. Au coeur de la  vieille ville s’élevait la forteresse. L’édifice datait dans sas base du Ve siècle, il avait été fortifié à nouveau, au XIIe siècle,  par l’empereur Frédéric II de Honhenstauffen, roi de Sicile, dans sa lutte contre la papauté. Charles Quint l’avis encore renforcé. D’une superficie d’environ 15 000 m2, elle abritait en ce mois de septembre 1860 François et Marie Sophie, entourés de leurs fidèles. 


Forteresse de Gaète
A ces fidèles, étaient venus s’adjoindre les élèves du Collège Militaire de Naples, décidés à défendre leur roi contre ceux qu’ils appelaient des “brigands”. Le roi s’était repris, décidé à défendre sa couronne, cette fois les armes à la main. Il semblait un autre homme. Il avait reçu des informations sur l’attitude des puissances européennes qui ne voyaient pas Garibaldi  et ses idées d’un bon oeil. Marie Sophie, encore plus déterminée, était à ses côtés, ayant abandonné ses somptueuses crinolines pour revêtir un costume qu’elle s’était fait faire, une amazone couverte par un grand manteau calabrais. L’image de le reine ainsi vêtue fera le tour du monde. 


La nouvelle Marie Sophie

La religion n’étant jamais loin de François, il avait reçu un magnifique drapeau, cadeau du Saint-Père bénit par lui-même, sur lequel figurait un portrait de sa mère. Il semblait en attendre des miracles.


François
Mais plus prosaïquement, le reste de son armée avait été réorganisé et les défenses de la ville avaient été renforcées. Mais François, une fois de plus, refusa de prendre la tête de l’armée, laissant le commandement au Maréchal Ritucci Lambertini di Santanastasia . Celui-ci, âgé de 66 ans, était un soldat honnête, mais sans grandes capacités militaires, même s’il avait fait une belle carrière. Il était fidèle aux Bourbons et déclara, quand plus tard il lui fut proposé de rejoindre l’armée de la nouvelle Italie : “Dans la vie on ne prête serment qu'une fois et j'ai prêté serment d'allégeance aux Bourbons de Naples!" 


Maréchal Ritucci
Une fois de plus, le roi commettait une grave erreur par manque de confiance en soi, alors qu’il était loin d’être lâche comme le prouvera son attitude à la bataille de Volturno, le 1er octobre 1860. Ce jour-là, Ritucci décida d’attaquer les troupes de Garibaldi qui s’approchaient de Gaète. Cette bataille est considérée comme la seule vraie bataille de Garibaldi contre les troupes royales. A celles-ci, 50 000 hommes bien armés et disposant de 42 pièces d’artillerie, il opposait 24 000 hommes et 24 canons. Garibaldi avait donc une armée inférieure en nombre. Certains chiffres toutefois donnent 28 000 hommes seulement pour François II. Il est possible que l’histoire racontée par les vainqueurs aient grossi le nombre des ennemis pour rendre la victoire plus importante encore. 


Bataille de San Martino al Fresco
François et ses deux frères, le comte de Trani, âgé de 20 ans et le comte de Caserte, âgé de 18 ans, étaient sur le champ de bataille en tête des troupes, au péril de leur vie. Le combat fut très dur et il y eut plus de 300 morts dans chaque camp, et 1328 blessés dans le camp de Garibaldi et 820 seulement dans l’armée royale. 

Si la victoire revint à Garibaldi, ce ne fut donc pas sans mal. Et il fut plusieurs fois sur le point de perdre. Au moment où la victoire aurait pu être en faveur de François II, quand ce dernier fit appel à la Garde pour l’assaut final, celle-ci fit défaut. Le roi et ses frères tentèrent  vainement de les encourager au combat. A 5 heures du soir Ritucci donna le signal de la retraite. François l’accepta au lieu de continuer à combattre. Rien n’était encore perdu. Rentré à Gaète, Marie Sophie lui exposa son erreur et il voulut alors ordonner la reprise du combat le lendemain. Ritucci ne suivit pas l’ordre du souverain. 

Le 3 octobre 1860, Victor-Emmanuel II (1820-1878) prit la tête de son armée et traversant les états pontificaux, sans même avoir déclaré la guerre, et entra sur le territoire napolitain. L’Espagne, la France, l’Autriche, la Prusse et la Russie étaient furieux contre lui. Seule l’Angleterre l’approuva et par l’intermédiaire de son ministre des Affaires étrangères, Lord Russell, envoya un télégrammes aux chancelleries étrangères : “ Le gouvernement de Sa Majesté Britannique est contraint de reconnaître que les Italiens sont les meilleurs juges de leurs intérêts propres. Après les évènements étonnants auxquels nous avons assisté, il est difficile de croire que le Pape et le Roi des Deux-Siciles possèdent encore le coeur de leurs peuples. Le gouvernement de SMB ne voit pas de bonne raison à la justification du blâme sévère de la France, l’Autriche, la Prusse et la Russie à l’encontre des actes du Roi de Sardaigne.”

Victor-Emmanuel II, roi de Sardaigne, puis d’Italie
Le roi de Sardaigne avait donc les mains libres pour continuer son avancée en direction  de  Naples où se trouvait Garibaldi. François II était incapable d’assumer la responsabilité d’un véritable combat contre les troupes piémontaises. Il fut vaincu une fois de plus le 19 octobre.

Le 21 octobre 1860, par referendum, la population du Royaume des Deux-Siciles votait en faveur de l’annexion à “l’Italie du roi Victor-Emmanuel et à de ses descendants légitimes”, par 1 034 258 “OUI” contre 10 327 “NON”. On a du mal à croire à la véracité de ces chiffres. Mais la nouvelle réalité était là. Le 26 octobre Garibaldi rencontrait Victor Emmanuel qu’il qualifia du titre de “Roi d’Italie”. 

François et Marie réfugiés alors dans la forteresse de Gaète tentèrent un ultime combat qui valut à la reine des Deux-Siciles de devenir “L’héroïne de Gaète” et forcer ainsi l’admiration de l’Europe toute entière.


Les nouvelles armes des Savoie, rois d'Italie

La Résistance de Gaète


Gaète à l’époque

Le règne très bref du dernier roi des Deux-Siciles n’aurait laissé qu’un souvenir amer s’il n’y avait eu la résistance héroïque des dernières troupes royales menée par la reine elle-même.


Gaète aujourd’hui

Marie Sophie trouva sur ce petit éperon rocheux son heure de gloire et sauva l’honneur de son mari.

Elle avait avec ses dix-neuf ans la tête remplie de rêves et d’actions romantiques. Ces quelques mois lui donnèrent enfin l’occasion de les vivre. Sa soeur l’impératrice d’Autriche traînait déjà sa neurasthénie un peu partout en Europe mais son mari était à la tête d’un empire encore formidable. 


Elisabeth d’Autriche en 1860

Marie Sophie n’était presque plus rien, et son mari François encore moins. Mais ils allaient lutter avec l’énergie du désespoir pour continuer à exister. Leur couple, si désassorti, trouva aussi une raison d’être dans la défense de leurs droits souverains. Elle s’était mariée pour être reine des Deux-Siciles et elle comptait bien le rester.



Marie Sophie en tenue de combat

Dans la citadelle de Gaète s’élevant à 167 mètres au-dessus du niveau de la mer, vivaient environ douze mille hommes de troupe, neuf cents officiers et trois mille civils, les habitants du lieu. Ils disposaient de cinq cents bouches à feu, dont seuls trois cents étaient réellement efficientes. Il y avait aussi plus de mille chevaux qui allaient rapidement se révéler un problème de plus.


L’artillerie bourbonienne 

Les assiégeants, sous le commandement du général Cialdini (1811-1892), étaient plus de quinze mille hommes avec à leur tête, huit cents officiers, avec seulement cent soixante canons, mais plus modernes et donc plus efficaces que ceux des assiégés. 


Général Cialdini

Les tentatives de la diplomatie française pour mettre fin à la crise, inspirées par l’impératrice Eugénie, furent vaines.  Cavour essaya d’acheter François II en lui faisant offrir autant d’argent qu’il le désirait pour capituler sans combattre. François et Marie Sophie étaient à court d’argent, leurs avoirs étant restés à Naples, saisis par Garibaldi, mais pas d’honneur. 

La reine douairière Marie-Thérèse, qui avec ses enfants était déjà à Gaète quand ils arrivèrent, quitta la première la citadelle, avant que le piège ne se referme. Elle fut accompagnée par tout le corps diplomatique encore présent auprès des souverains. Seuls restèrent, l’ambassadeur d’Espagne, Bermudez de Castro, toujours fidèle, et l’attaché militaire de Bavière, la patrie d’origine de la reine.

Marie Sophie fut présente partout. Sur tous les postes, même les plus avancés, elle allait visiter la troupe. François l’accompagnait certes, mais c’était d’elle que les soldats tenaient leur esprit de résistance. Elle avait revêtu une tenue qui restera célèbre. 

François et Marie Sophie visitant une défense

Début novembre 1860, les bombardement s’intensifièrent au point que la résidence royale était devenue peu sûre. Les souverains s’installèrent alors dans une simple casemate dans la batterie Saint Ferdinand, qui en comportait que trois pièces. Et c’est là que probablement ils vécurent leurs seuls moments de vrai couple. 


François visitant une défense

Napoléon III essaya encore de les aider en offrant à la reine de quitter la citadelle. Tout fut en vain. Ils préféraient se voir ensevelis sous les ruines de Gaète que se rendre et perdre ainsi les restes de leur dignité.

L’amiral français Le Barbier de Tinan était avec son escadre en face de la ville et empêchait son blocus maritime.


Amiral Le Barbier de Tinan à l'époque du siège

Mais de jour en jour les conditions d’hygiène se faisaient pire, provocant une épidémie de typhus qui causa plus de morts que les bombardements, morts que l’on ne savait où enterrer car le cimetière était hors des murs. 

La reine toujours sur les remparts n’hésitait pas à pointer les canons contre les troupes ennemis.

François, des son côté, espérait toujours de l’aide de la part des souverains d’Europe qu’il pensait être du côté de la légitimité. Il adressa un message plein de dignité aux populations de son royaume :

« Trahis, dépouillés de tout, nous réussirons ensemble à surmonter notre disgrâce car les occupations ne sont pas éternelles…Quand je vois mes sujets tant aimés être la proie des maux de l’anarchie et de la domination étrangère, mon coeur de napolitain bat d’indignation…Moi, je suis napolitain, né au milieu de vous, je n’ai respiré d’autre air, je n’ai vu d’autres pays, je ne connais qu’un seul sol, celui de ma patrie. Toutes mes affections sont dans ce royaume, vos coutumes sont mes coutumes, votre langue est ma langue…J’ai  empêché mes généraux de détruire Palerme. J’ai préféré abandonner Naples, ma maison, ma capitale bien aimée pour ne pas l’exposer aux horreurs d’un bombardement…De bonne foi, j’ai cru que le roi de Piémont qui se disait mon frère et ami, qui protestait contre les agissements de Garibaldi, qui négociait avec moi une alliance conforme aux intérêts vrais de l’Italie, ne violerait pas toutes les lois pour envahir mes états en pleine paix, sans raison et sans déclaration de guerre…Ce ne sont pas mes sujets qui ont combattu contre moi, ce ne sont pas des discordes internes qui m’arrachent mon royaume; je suis victime de la plus injuste des invasions étrangères… Naples et Palerme sont gouvernées par des préfets venus de Turin… »

Ces paroles furent vaines car le destin du Royaume des Deux-Siciles avait été scellé, non par le peuple lui-même, comme le faisait remarquer le roi, mais une puissance étrangère avide de dominer toute la péninsule.

Le jour de Noël 1860 fut un des plus terribles du siège. Plus de cent cinquante bombes tombèrent sur la ville causant des morts parmi les civils. 

Le 1er janvier 1861 François et Marie Sophie présidèrent la cérémonie du baise-main, recevant ainsi l’hommage des derniers courtisans restés avec eux. 

Cavour insista auprès de Napoléon III pour qu’il retire l’escadre qui fournissait à la citadelle une ouverture sur la mer. Ce dernier, sous la pression de la Prusse, de l’Autriche et de la Russie, toutefois toutes championnes de la monarchie légitime et absolue, finit par céder. L’Amiral de Tinan, la mort dans l’âme, retira ses navires. Il apporta à la reine une lettre de l’impératrice Eugénie lui disant que la frégate « La Mouette »  resterait à proximité, pour aider les souverains s’il se décidaient à quitter Gaète. 

Napoléon III écrivit à François, en déplorant le retrait de sa flotte, laissant ainsi la mer libre à ses ennemis : « Votre Majesté sait bien que les rois qui partent retrouvent difficilement leur trône sans un rayon de gloire militaire ne dore pas leur aventure et leur chute. » 

A peine les eaux libres, l’amiral Persano occupa le golfe aves ses frégates. Gaète était désormais isolée du monde. 

Amiral Persano (1806-1883)

Le 21 janvier fut célébrée la messe à la mémoire de Louis XVI. Le 22, comme dans un défi lancé à l’escadre piémontaise, sous le feu de ses canons, soldats et marins napolitains défilèrent musique en tête, en criant : « Vive le roi ! Vive la reine! » Les souverains étaient au milieu d’eux. Ils se mirent à danser et à boire à la victoire sur le port. Quand une bombe tirée par les Piémontais tomba dans l’eau éclaboussant Marie Sophie, elle s’écria : « Courage les enfants. C’est le baptême de la victoire. »

Le bombardement continua sans arrêt jusqu’à la fin janvier, au rythme de cinq cents bombes par jour.

Bombardement de Gaète par la flotte piémontaise de l’amiral Persano

Certains dans la citadelle trahirent les leurs et livrèrent au général Cialdini les plans de défense. Le 5 février, sachant où étaient les dépôts de munitions, ils les bombardèrent. L’explosion fut immense. Plus de deux cents soldats et une centaine de civils perdirent la vie. 


Explosion du dépôt de munitions

Les bombardements continuèrent plusieurs jours puis le général Cialdini offrit une trêve de quatre jours pour permettre de sortir les vivants des décombres. L’amiral Persano était opposé à cette trêve humanitaire disant «  si l’on veut prendre en compte le mot humanité, on ne fait pas la guerre. » Mais Cialdini, malgré tout, envoya des secours et permit l’évacuation des blessés. L’amiral comte Persano, devenu ministre de la marine italienne en 1862, puis commandant de la flotte italienne, fut jugé pour incapacité pour la défaite de la bataille navale de Lissa opposant la marine italienne à la marine autrichienne.

Le 9 février les bombardements reprirent. Tout s’effondrait autour des souverains. 

Le 10 au soir, l’impératrice Eugénie fit à nouveau parvenir une lettre à Marie Sophie la mettant devant la réalité et lui conseillant d’accepter le  destin et de renoncer à une résistance sans espoir.

Ruines d’une batterie


Vue générale des ruines de la forteresse

Le commandant de Gaète, le général Ritucci, convoque le conseil de défense, auquel participent 31 officiers supérieurs et le 11 février 1861, le roi François II, afin d'épargner ses troupes, donne mandat au gouverneur de la place-forte de négocier la reddition de la forteresse de Gaète. Une poignée d'officiers siciliens, composée du général Antonelli, du brigadier Pasca et du lieutenant-colonel Delli Franci, se rendent à Mola di Gaeta par la mer pour négocier la reddition pendant deux jours




Conseil de Guerre

François prononça alors pour la première fois le mot « capitulation ». Il lui apparaissait désormais comme monstrueux de continuer à sacrifier tant de vies. Ses généraux partagèrent son point de vue. 

Durant les premières tractations entre les deux camps, les bombardement continuèrent. Le 13 février un autre dépôt de munitions vola en éclats. 

Explosion d’un autre dépôt de munition sous les yeux du général Cialdini

Le général Cialdini et les émissaires de François y assistèrent depuis le quartier général piémontais. Tous étaient émus aux larmes.
Avant la reddition vue du côté piémontais

Deux heures après la capitulation était signée.

Les conditions en furent honorables. La garnison recevrait les honneurs militaires, les officiers seraient autorisés à garder leurs armes personnelles ainsi que leurs chevaux, les soldats recevraient deux mois de solde, leurs veuves et leurs orphelins recevraient une pension. François refusa toute compensation financière. Sa seule demande fut que la capitulation ne soit effective qu’après son départ de Gaète. Il était difficile d’être plus digne.

A 7 heures du matin le 14 février 1861, François II et Marie Sophie de Bourbon des Deux-Siciles quittèrent la casemate devenue leur demeure, suivis par les frères du roi, les comtes de Trani et de Caserte, puis les ministres, les généraux, les diplomates et les domestiques. Le roi était en tenue militaire simple, sans décoration, la reine était en tenue de voyage. Ils étaient pâles et pour la première fois des larmes brillaient dans leurs yeux. 



Départ de Gaète

Il leur fallut longtemps pour rejoindre le port où les attendait la frégate « La Mouette ». La foule rompit le cordon militaire qui la séparait des souverains, pour baiser leurs mains. Tous pleuraient. François était livide et Marie Sophie pleurait et souriait à la fois.

L’émotion fut à son comble quand retentit pour la dernière fois l’hymne des Bourbons de Naples. 

A leur arrivée à bord, le drapeau des Bourbons fut hissé au grand mât à côté du drapeau français. 

François et Marie Sophie sur le quai

Quand le bateau dépassa la pointe de Gaète pour la haute mer, il fut salué par vingt et un coups de canon, pendant le drapeau des Savoie était hissé sur la citadelle de Gaète. 
François et Marie-Sophie avaient sauvé l’honneur de leur dynastie en se battant jusqu’au bout pour leur droit et celui de leur peuple. Désormais, l’antique royaume de Naples et de Sicile ne serait plus qu’une province italienne.


La nouvelle Italie ( en rouge) après  la capitulation de Gaète