29/04/2025

Marie-Louise, la mal-aimée


Marie-Louise
Archiduchesse d’Autriche


 

Marie-Louise en 1795

Le 12 décembre 1791, naquit à Vienne, au Palais de la Hofburg, Maria Ludovica Leopoldina Francisca Theresa Josepha Lucia de Habsbourg-Lorraine, archiduchesse d’Autriche, princesse royale de Bohême et de Hongrie.
Ce même jour à Paris, Maximilien de Robespierre, fait un discours enflammé au Club des Jacobins, hostile à la guerre. Depuis deux mois, Louis XVI est roi constitutionnel. Il est désormais roi des Français mais son épouse, Marie-Antoinette, grand-tante du bébé, n’est plus reine de France.


Marie-Antoinette en 1791
Gravure  de Louis-Charles Ruotte


Marie-Louise, nous l’appellerons ainsi, car c’est celui qu’elle garde devant l’Histoire, sa famille toutefois l’appelant Louise, naquit donc sous le signe de la paix. Mais le 20 avril 1792, la France ayant déclaré la guerre à l’Autriche, pendant vingt-trois ans Marie-Louise ne connut que la guerre.
La généalogie de la jeune archiduchesse est simple.


François II en 1792
par Johann Baptist von Lampi l'Ancien


Son père, François de Habsbourg-Lorraine (1768-1835), à sa naissance n’est qu’archiduc d’Autriche, prince royal de Bohême et de Hongrie, mais le 5 juillet 1792, il est élu empereur du Saint Empire Romain Germanique, désormais François II, roi de Bohême, de Hongrie, de Croatie, de Galicie, de Jérusalem etc…sa titulaire complète serait fastidieuse à rappeler. Il succédait à son père Léopold II qui fut une grande partie de sa vie Grand-duc de Toscane et pour moins de deux ans empereur. Neveu de Joseph II, il partageait ses idées libérales, qu’il mit en pratique par la promulgation d’un code pénal et 1803 et un code civil en 1811. Les guerres auxquelles il eut à faire face, puis la politique ultra conservatrice de son chancelier, le prince Metternich, effacèrent tout idée de libéralisme politique, voire civil. Et c’est l’aspect quasi-despotique de son règne que l’histoire a retenue. Il conserva toutefois l’amour de son peuple jusque’à sa mort en 1835.



 

Marie-Thérèse de Bourbon de Naples
par Elisabeth Vigée-Lebrun en 1790


Sa mère est Marie-Thérèse de Bourbon de Naples (1772-1807), princesse royale de Sicile, devenue archiduchesse d’Autriche, par son mariage le 15 septembre 1790, avec son double cousin germain. Marie-Louise est la fille aînée du couple.



 Léopold II en 1790
par Josef Kiss


Marie-Louise de Bourbon d’Espagne
par Josef Grassi en 1789
 

Les grands-parents paternels de la petite archiduchesse sont donc, Léopold II (1747-1792), archiduc d’Autriche, grand-duc de Toscane et empereur romain germanique et Marie-Louise de Bourbon (1745-1792), princesse de Naples et de Sicile, infante d’Espagne.


Ferdinand IV de Naples et Marie-Caroline de Habsbourg-Loraine
par Angelika Kauffman en 1783

Ses grands-parents maternels sont Ferdinand IV de Bourbon (1751-1825) roi de Naples et de Sicile, puis Ferdinand Ier des Deux-Siciles, en 1816; et Marie-Caroline de Habsbourg-Lorraine (1752-1814), archiduchesse d’Autriche. Sœur de Marie-Antoinette, elle laisse dans l’histoire, outre sa haine de la Révolution française et de Napoléon Bonaparte, le souvenir d’une souveraine autoritaire, ballotée par les guerres napoléoniennes, aux mœurs légères, épouse malheureuse d’un souverain faible et laid.
Par le double cousinage de ses parents, Marie-Louise n’a donc que quatre arrière-grands-parents au lieu de huit. François I Etienne de Lorraine (1708-1765), empereur romain germanique, Marie-Thérèse de Habsbourg (1717-1780), archiduchesse d’Autriche, reine de Bohême et de Hongrie, Charles III de Bourbon (1716-1788) duc de Parme puis roi de Naples et d’Espagne et Marie-Amélie Wettin (1724-1760) princesse royale de Saxe et de Pologne.



François Ier et sa famille en 1808 par  Josef Kreutzinger



L’archiduchesse Marie-Louise est l’aînée d’un fratrie de douze enfants, dont Ferdinand (1793-1875) futur empereur,  Marie-Léopoldine (1797-1826) future impératrice du Brésil, Marie-Clémentine (1798-1881) future princesse de Salerne, Caroline (1801-1832) future reine de Saxe, François-Charles (1802-1878), père de François-Joseph, Marie-Anne (1804-1858) future abbesse du Couvent des Dames Nobles du palais royal de Prague.

Sa mère, dont sa correspondance avec sa propre mère, la reine Marie-Caroline, révèle une épouse et une mère tendre mais distante, portant une affection constante à sa famille, meurt le 13 avril 1807. Toutes ces maternités, tous ces voyages à suivre son mari, l’avaient épuisée.
Comme tous les enfants impériaux, Marie-Louise reçut une maison, composée d’une aja ( gouvernante ou grande-maîtresse) qui a la haute autorité sur la vie de l’enfant, tant au physique qu’au moral ou au développement intellectuel. Successivement, elle eut la comtesse Maria-Anna de Wrbna, née comtesse Auersperg, puis en 1794, la comtesse Josepha de Chanclos et en 1799 la comtesse Colloredo-Walsee (1766-1845). Ce dernier choix est surprenant car née Victorine Folliot de Crenneville, d’origine française de petite noblesse, de nature intrigante, elle accéda par mariage à l’aristocratie la plus haute en Autriche. Mais le choix fut bon. Non seulement elle remplit ses devoirs mais elle sut être une confidente et amie intime de l’archiduchesse. “Ma chère Colloredo,  ma petite maman Colloredo” dit d’elle Marie-Louise. Et encore ; “ je voudrais être ta fille, car tu est une si bonne mère que je voudrais t’appeler maman, car je voudrais être comme  ta fille Victoire.”



La comtesse Colloredo en 1800

Marie-Louise a aussi une femme de chambre, deux femmes de la garde-robe, une chambrière, un fourrier en charge de l’intendance, quatre laquais, une blanchisseuse une femme en extra et un homme de peine.
Victoire de Poutet (1789-1887), fille du premier mariage de la comtesse Colloredo, devint aussi son amie intime.  Elle lui donne tout ce qu'elle a ; elle la prie sans cesse de demander ce qui lui fait plaisir. “Ne te gène pas, lui écrit-elle, ne pense pas que tu pourrais me priver d'une chose ou l'autre. J'aimerais t’envoyer tout ce que j'ai et je suis sûre que tu ferais de même pour moi.”
C’est une des caractéristiques de Marie-Louise. elle a besoin d’amitié, d’affection. En échange, elle donne tout ce qu’elle a, avec joie, mais sans jamais oublier qui elle est, une archiduchesse d’Autriche.
Marie-Louise est une enfant primesautière, câline, débordante de vitalité, à la grande joie de son père qui l’appelle Luiserl et n’hésite pas à la pousser dans une brouette, organiser des parties de colin-maillard avec ses frères et sœurs, ou les enfants des domestiques.
Son éducation est soignée avec une abondance de leçons. Elle doit savoir parler les langues de l’Empire, mais elle étudie aussi l’anglais, l’espagnol et le français. Quant à l’italien, elle est la langue maternelle de son père qu’il avait apprise dans son enfance à Florence.
Toutes ces langues devaient lui permettre de pouvoir converser aisément avec celui qui serait son mari, choisi dans le cercle limité des familles royales européennes, sans encore savoir qui serait l’élu. Il y a un peu de turc et un peu de latin pour parfaire son éducation.
Bien entendu les arts en font partie intégrante. Elle prend des leçons de piano avec Léopold Kozeluch (1747-1818) compositeur viennois d’origine tchèque, à l’œuvre prolifique, aujourd’hui un peu oublié, Maître de chapelle de la Chambre et compositeur de la Cour impériale d’Autriche, successeur de Salieri. Il fut celui qui permit de remplacer le clavecin par le piano-forte. Elle joue aussi de la harpe.





Léopold Kozeluch en 1797

Elle suit des cours complets d’histoire ancienne et contemporaine, de géographie, de législation.
C’est donc une excellent éducation que reçut la jeune archiduchesse. Le reproche que l’on put y faire est de ne pas lui avoir enseigné au-delà des faits, l’histoire des idées reliant entre  elles les toutes ses lectures.
Bien entendu toutes ses lecture sont surveillées. Comme elle est une gentille petite fille, à l’intelligence normale, elle se plie volontiers à cette éducation qui sans avoir été parfaite, fut excellente.
Elle passe son temps entre la Hofburg, Schönbrunn et Laxenburg. Elle a, comme les petites filles de son milieu, ses poulets, ses oies, ses tourterelles, ses lapins, son chien Tisbé. Marie-Louise est une enfant heureuse, comme le sont également ses frères et sœurs. La jeune archiduchesse se promène dans les rues de  Vienne avec son père, et joue avec les enfants des domestiques. On la vit danser avec le fils d’une cuisinière le jours de l’anniversaire de son père. Avec son amie Victoire de Poutet, l’été, elle passe son temps à gambader sous les charmilles de Schönbrunn ou Laxenburg.  Elle est d’une nature simple.



Parc de Laxenburg


Schönbrunn


Elle adore son père qu’elle appelle “mon bon papa”. Elle lui écrit : “ Je voudrais aller vers vous, cher papa, et que ma bouche vous dise ce que ma plume ne sait exprimer. Je voudrais vous dire combien je vous aime et vous vénère.”
Quant à sa mère, elle dit d’elle “ Si elle voulait seulement m’embrasser, mais je n’ose espérer cette faveur.” Elle ne paraît pas aux grandes soirées de la Cour, ni aux grands dîners familiaux, à l’époque aucun enfant n’était admis à table des grands. Mais elle se sent entourée d’affection.
Le 10 décembre 1803, elle fait sa première communion à laquelle assistent ses parents, sa gouvernante, ses amies, sa maison.

Elle apprend très tôt les malheurs dont sa famille a été accablée à cause de la Révolution française et de l’aventurier Bonaparte. Sa grand-mère, la reine de naples, chassée par les Français lui raconte les supplices subis par sa chère sœur, Marie-Antoinette. Elle sait combien son père, sa famille, son pays ont eu à souffrir de la France et de son nouvel empereur.  Avec ses frères, le jeu habituel est de faire manœuvrer des petits soldats en cire : le plus laid, le plus noir, le plus farouche, ils le baptisent Bonaparte, ils le criblent de piqûres d'épingles et le chargent de malédictions.



Caricature de Napoléon


Quand Madame de Colloredo lui fait lire “Le Plutarque de la Jeunesse”, elle écrit : “C’est la vie des hommes illustres depuis Homère jusqu'à Bonaparte. Ce nom ternit son ouvrage et j'aurais mieux aimé qu'il eût terminé par François II, qui a aussi fait des actions remarquables en rétablissant le Theresianum, etc., tandis que l'autre n'a commis que des injustices en ôtant à quelques-uns leurs pays... Maman (c'est ici Mme de Colloredo) m'a raconté une drôle de chose à présent : que M. Bonaparte étant en Egypte s'est sauvé, quand toute l'armée a été ruinée, avec seulement deux, trois personnes, et qu'il s’est fait Turc, c'est-à-dire qu'il leur a dit : moi je suis un musulman, je reconnais pour prophète le grand Mahomet, et puis, en revenant en France, il a fait le catholique, alors seulement il a été élevé à la dignité de consul.”  Elle l’appelle le Corsicain.

Elle lui doit toutefois des changements dans sa vie d’enfant, dont elle n’a peut-être pas été fâchée. Fin novembre 1805, l’impératrice, ses enfants, ses dames d’honneur, leurs gouvernantes s’entassent dans des berlines et quittent Vienne. Marie-Louise a quatorze ans. Il faut fuir Vienne devant l’envahisseur. Commence alors pour elle, la vie dans des auberges envahies de punaises, des logements qu’elle n’aurait pas imaginés ou des châteaux comme chez les Esterházy,. C’est somme toute une distraction dans sa vie de petite archiduchesse sage, confinée dans des palais et soumise à la routine. Bonaparte, c’est aussi l’aventure, une aventure entre le confinement moite des voitures et le froid des auberges. Elle durera trois mois.




Une cour d’auberge à la fin XVIIIe


En 1805, la gouvernante et son mari, ne sont plus en cour à Vienne. Le comte Colloredo-Walsee, ministre d'Etat, de Conférence et de Cabinet, chef de la Chancellerie de l'Empire et de la Cour, grand maître de la cour de l’Empereur, porte la responsabilité aux yeux de son maître des défaites subies par l’Autriche.
Veuve en 1806, Victorine de Colloredo se remarie en 1816 avec Charles-Eugène de Lorraine (1751-1825), prince de Lambesc, un lointain cousin de la famille impériale.

Les années 1805 et 1806 sont difficiles pour l’empereur François. Le 13 novembre 1805, Napoléon recevait les clés de Vienne. Après la bataille d’Austerlitz, le 2 décembre 1805, et l’occupation de Vienne par Napoléon, ses armes et celles de ses alliés, François II du Saint Empire abdique la dignité impériale allemande pour devenir empereur d’Autriche, le 6 août 1806. Le 13 mai 1809, Napoléon occupera Vienne à nouveau.
Après Austerlitz, elle avait écrit à son père : “Il me parait impossible que ces tristes nouvelles soient vraies; il me semble que je rêve; je ne puis croire qu’une semblable calamité nosu arrive, mais il le faut cependant. Je ne veux pas encore croire que Dieu ne nous accorde la victoire sur ce Napoléon abhorré et l’achève.”

L’empereur François, toutefois, reste populaire auprès de ses populations et aussi au sein de sa famille. Nul ne songe à lui reprocher la politique désastreuse qui a mené l’Autriche à être vaincue, ses enfants encore moins que les autres. Les victoires successives de l’empereur des Français désespèrent la jeune Marie-Louise, les quelques victoires des armées alliées la remplissent de joie.
Après Essling ( 22 mai 1809) , elle écrit : “Que Dieu conserve cet excellent père qui s'est aussi exposé plusieurs fois, ce qui m'a fait frémir quand je l'ai entendu raconter”. Quelques jours après : “Il me semble que notre famille n'est pas faite pour avoir des jours heureux et pourtant il les méritait tant.”



L’archiduc Charles, frère de l’empereur, à la bataille d’Aspern-Essling
par Johann Peter Krafft


Elle écrit à sa grande amie, Victoire de Poulet, fille de la comtesse Colloredo, toujours après Essling, Aspern pour les Autrichiens,  : “Le 22 matin, Napoléon, à la tête de sa cavalerie, fit une nouvelle attaque et nous repoussa encore, mais, à ce moment, l'archiduc Charles harangua les grenadiers, prit le drapeau en main, après être descendu de cheval, et les mena ainsi contre les Français qui prirent la fuite et abandonnèrent Napoléon qui leur cria qu'il les ferait brûler avec le pont et tua de sa propre main deux généraux... C'est la première fois que Napoléon a été battu en personne... Qu'il faut remercier Dieu de cette victoire, c'est ce qui a été mon premier mouvement ; il ne faut pourtant pas s'enorgueillir de cette victoire et j'avoue que je suis déjà si accoutumée à de grands chagrins que je n'ose pas encore espérer trop de bien.”
Après la bataille de Raab (14 juin 1809) : “Priez bien Dieu de nous accorder plus de bonheur, mon père le mérite !” Plus tard : “Je voudrais que l'Insurrection et l'armée de mon oncle Jean délivrassent Vienne ; j'en aurais une extrême joie : ce serait un emplâtre pour toutes les afflictions que mon papa a souffertes et son âme y trouverait sa plus douce récompense.”
Marie-Louise vibre avec le peuple de Vienne  et l’empire d’Autriche toute entier, tout au long des conflits l'opposant à la France.
La lecture de ses lettres montre combien la jeune archiduchesse se tient au courant de la situation militaire de son pays.

Ses rapports avec sa mère, s’ils étaient bons, n’étaient pas très affectueux. C’est sa gouvernante, Madame de Colloredo qui est sa “maman”, l’Impératrice n’est que sa “mère”.

La comtesse Colloredo partie, l’impératrice prend en main l’éducation de sa fille, la soumettant à une discipline sévère. A chaque fois qu'elle écrit, elle doit lui demander permission et les réponses à ses lettres sont d’abord lues par sa mère. Les lectures sont surveillées de bien plus près et on ne tolère plus de ces livres français qui instruisaient en amusant et par qui, tout de même, un peu de la fatigue de retenir des dates se trouvait allégé par des anecdotes et quelques idées générales ; les leçons ne sont plus distraites par d'aimables remarques ; la journée, réglée avec minutie, comporte des heures longues de silencieux travail à l'aiguille, de broderie et de tricot, des heures pour chaque professeur d’histoire ou de littérature, des heures de dessin et d'enluminure, des heures de piano. Point de compagne pour les récréations solitaires, nulle amie. Mais à tout, Marie-Louise se soumet sans se plaindre même si probablement elle regrette les affectueuses leçons de la comtesse Colloredo.
Il lui est constituée une nouvelle maison avec comme Grande-Maîtresse la comtesse Lazansky et comme Grand-Maître le comte Edling. L’archiduchesse a 16 ans, elle n’est plus une enfant.
Mais sa mère meurt en couches le 13 avril 1807.  Marie-Louise en est affectée mais sans plus. Car son père adoré lui reste et durant son deuil se fait encore plus présent auprès d’elle. Elle l’accompagne même dans ses voyages en Hongrie et en Croatie.

Les choses vont, hélas, bientôt changer. François Ier d’Autriche n’est pas un veuf inconsolable. Il est poussé au mariage par son entourage et se laisse d’autant plus faire qu’il a du tempérament et l’empereur à Vienne ne saurait rester célibataire. Sa droiture morale et son respect pour son peuple l'empêchent de prendre une maîtresse. Cependant, vaincu par la France et isolé en Europe, il redoute l'humiliation d'un refus des autres maisons souveraines alliées de gré ou de force à Napoléon. Il demande donc la main de Maria-Ludovica, cette jeune cousine de 20 ans sa cadette, orpheline de père, maladive, exilée et sans dot et qui, ayant dépassé l'âge de 20 ans, peut craindre de rester célibataire mais qui lui plaît beaucoup. Il l'a effectivement rencontrée au cours de la visite qu'il a rendue à sa tante l’archiduchesse Marie-Béatrix, après le décès de l'archiduc Ferdinand.



Maria-Ludovica d’Autriche-Este
par Johann-Baptist von Lampi l'Ancien


 
Le 6 janvier 1808, il épouse donc sa cousine germaine, Maria-Ludovica de Habsbourg-Lorraine-Este. Née à Monza, le 14 décembre 1787, elle est le neuvième enfant de l’archiduc Ferdinand, l'un des derniers nés de Marie-Thérèse, et de Maria-Beatrix d'Este-Modène, dernière descendante à la fois de la maison d'Este par son père et de la maison Cibo-Malaspina par sa mère. Elle n’appartient pas au premier cercle Habsbourg, le duché de son père étant considéré comme modeste et sans grande importance. Elle est orpheline, sans dot, maladive. Mais cela n’arrête pas l’empereur amoureux de cette jeune fille, réfugiée en Autriche après la perte par son père des Etats de Modène. Jeune, jolie, intelligente, voire intrigante, la jeune archiduchesse se rendit compte rapidement de l’attrait qu’elle exerçait sur François. Sa santé ne lui permet pas d’avoir d’enfants, elle adopte ceux de son mari.

Elle se fait rapidement une amie de Marie-Louise, qu’elle envisage de marier à son frère aîné François. Marie-Louise est avide d’affection et celle prodiguée par sa belle-mère vient à point. Elles n’ont que quatre ans de différence mais elle l’appelle “sa chère Maman”.
Violemment anti-française, la nouvelle impératrice acquiert rapidement une grande influence sur son mari, sans aller toutefois jusqu’à le faire dévier de son objectif politique, la temporisation, faute de mieux. En secret, malgré tout, on prépare tout pour la revanche, mais, en même temps, pour détourner l'attention des agents français, la Cour se rajeunit et se met en fête. Pour la première fois, Marie-Louise, à qui est faite une vie plus gaie et plus libre, profite de ses leçons de danse et ne manque pas une valse, une écossaise ou un quadrille.



On valse à Vienne en 1810
 
La direction d'éducation est changée ; si l’on continue les leçons d'histoire, si l'archiduchesse doit se perfectionner en italien et apprendre le hongrois, c'est aux arts d'agrément que le plus de temps est consacré ; et Marie-Louise, fort éprise de musique, y devient assez forte pour être au piano la maîtresse de sa belle-mère et de sa petite sœur Léopoldine. Elle compose des valses.

De même pour le dessin où bientôt elle va, de son chef, aborder la peinture à l'huile. Dans cette intimité établie entre la belle-fille et la belle-mère, il est impossible que, par son intelligence, son charme, sa qualité même et son rang de famille, l’impératrice ne prenne point l'avantage, n'établisse point sur la jeune archiduchesse la domination de ses idées et, dans la mesure où l'autre s'y prête, ne lui fasse partager ses rêves.
Maria-Ludovica est amoureuse de son mari, l’empereur et l’homme. Il n’en est pas fâché, bien au contraire, son veuvage lui ayant imposé l’abstinence. Cet amour aussi sentimental que charnel lui pèse parfois car il se dit à Vienne que la nouvelle impératrice est insatiable.



L’empereur François Ier peut-être vers 1810

La fièvre patriotique qui s’empare de la famille impériale, à commencer par Marie-Louise,  reçoit une douche froide. Napoléon quitte Paris le 13 mars 1809. Les différentes batailles de la campagne, dont celle d’Eckmühl le 21 avril 1809, menées par l’archiduc Charles, le frère de l’empereur, semblent donner un avantage à l’Autriche. Aussi écrit-elle à son père : “Nous avons appris avec joie que Napoléon était présent à la grande bataille qu'il a perdue. Puisse-t-il aussi perdre la tête ! On fait ici beaucoup de prophéties sur sa fin prochaine et l'on dit que c'est à lui que s'applique l'Apocalypse. On affirme qu’il doit mourir celle année, à Cologne, dans une auberge appelée A l’Écrevisse rouge. Je n'attache pas grande importance à toutes ces prédictions, mais comme je serais heureuse de les voir se réaliser !”

Au lieu des triomphes escomptés, c'est encore la fuite. Le 5 mai, Napoléon est à Ems, quand l'Impératrice se décide à quitter Vienne qui veut se défendre. Elle emmène avec elle Marie-Louise, amie, compagne, garde-malade ; car la défaite plus encore que la souffrance a brisé ses nerfs fragiles et, sur les roules défoncées, sous la pluie qui tombe sans arrêt, seule presque avec sa belle-fille, elle s'accroche à elle en criant, à chaque cahot de la voilure. On arrive enfin à Buda où les professeurs rejoignent et où, bientôt, les bonnes nouvelles arrivent, attestées de façon qu’on n'en puisse douter. Mais en réalité, c’est la fuite à nouveau.
Dans cette fuite Marie-Louise reste encore une adolescente. Ses frères et sœurs les ont rejointes et ce sont des parties de campagne, des goûters, des illuminations, des soirées à jouer aux cartes ou bien à faire de la musique. Peu à peu, toute la famille se groupe à Buda, et c’est une vie d'intimité qui semble très douce après toutes les épreuves qu'on vient de traverser. Avec les oncles, dont plusieurs tout jeunes — l'archiduc Antoine a trente ans, Jean vingt-sept, Rainier vingt-six, Louis vingt-cinq, Rodolphe vingt et un — ce sont de petits bals, de la musique à deux pianos et à quatre mains, d'agréables leçons de peinture où Marie-Louise s'essaie tantôt à un paysage, tantôt à un portrait. Pour le dessein qu'elle poursuit, l'Impératrice n'a pas manqué d'appeler à Bude son frère François, le nouveau duc de Modène sans territoire, et de le mêler naturellement à cette existence bien plus libre qu’à Vienne et où les occasions se présentent à chaque instant. En effet, ce François est agréable chanteur et Marie-Louise se plaît à l'accompagner au clavecin; Une idylle semble s’ébaucher entre les jeunes gens. En le nommant gouverneur de Galicie, l’empereur éloigne ce prétendant de sa fille, qui, en tant qu’aînée peut prétendre à mieux qu’un obscur cousin.

Le 5 juillet 1809, c’est la bataille de Wagram, victoire en demie-teinte pour Napoléon, mais décisive pour le futur de l’Autriche. Les portes de Vienne lui ont été ouvertes à nouveau. Il s’est installé à Schönbrunn, et en a fait son quartier général.


Salon Napoléon à Schönbrunn

Il y restera de mai à octobre 1809. Le 14 octobre 1809, il y signe le traité qui porte le nom du château. L'Autriche doit reconnaître les conquêtes de Napoléon  sur les autres nations, accepter Joseph Bonaparte comme roi d’Espagne. Elle doit également rejoindre le blocus continental contre l’Angleterre. Le Tyrol et Salzbourg sont cédés à l’allié de Napoléon, le roi de Bavière. Le royaume de Galicie est cédé au duché de Varsovie. Trieste et la Dalmatie sont cédées à la France. L’Autriche doit verser en plus une lourde indemnité à la France, quatre-vingt-cinq millions de francs, et son armée doit être réduite à 150 000 hommes. Elle a perdu 300 00 kms2, trois millions de sujets et l’accès à la mer.
Pour François Ier c’est la déroute totale. Mais cette situation ne diminue en rien l’amour, voire la vénération, que Marie-Louise porte à son père. “Je vous assure, écrit-elle le 24 décembre, que, si j'étais une simple particulière, je me ferais gloire d'être une Autrichienne, car c’est sûrement le peuple qui, par son attachement inviolable à son souverain, mérite sur cet article le premier rang dans les peuples d'Europe. En lisant vos descriptions, je me sentis attristée en pensant que je ne pouvais partager le bonheur des Viennois et être en même temps qu'eux aux pieds du meilleur des pères. J'ai déjà fait tant de sacrifices que si celui-ci peut contribuer au bonheur de ses sujets, je le fait volontiers.”

Le 10 janvier, elle écrit  à Victoire de Poulet : “Je vois Kozeluch (son professeur de piano) parler de la séparation de Napoléon avec son épouse ; je crois même qu'il me nomme pour celle qui la remplacera, mais dans cela il se trompe, car Napoléon a trop peur d'un refus et trop envie de nous faire encore du mal pour faire une pareille demande, et papa est trop bon pour me contraindre sur un point d'une telle importance”. Le même jour, elle écrit à à Mme de Colloredo : “ Buda est comme Vienne et l'on ne parle que du divorce de Napoléon. Je laisse parler tout le monde et ne m'en inquiète pas du tout. Je plains seulement la pauvre princesse qu'il choisira, car je suis sûre que ce ne sera pas moi qui deviendrai la victime de la politique.


Divorce de Napoléon et Joséphine le 16 décembre 1809
par Frédéric Henri Schopin


Le 22-23 janvier, elle lui écrit encore: “ Depuis le divorce de Napoléon, j'ouvre chaque gazette de Francfort dans l'idée d'y trouver la nomination de la nouvelle épouse et j’avoue que ce retard me cause des inquiétudes involontaires. Je remets mon sort entre les mains de la divine Providence. Elle seule sait ce qui peut nous rendre heureux. Mais, si le malheur voulait, je suis prête à sacrifier mon bonheur particulier au bien de l'Etat, persuadée que l'on ne trouve la vraie félicité que dans l'accomplissement de ses devoirs, même au préjudice de ses inclinations. Je ne veux plus y penser, mais ma résolution est prise, quoique ce serait un douloureux et bien pénible sacrifice. Priez pour que cela ne soit pas.”

Comment décrire celle qui va bientôt être sacrifiée sur l’autel de la politique ?
Nature sensible et généreuse, elle est une gentille fille, blonde, très fraîche, avec de belles couleurs, une peau rose et blanche, des yeux d'un bleu de faïence claire, le nez droit, une légère lippe, caractéristique de sa famille, le front haut et large. Elle est bien charpentée avec de fines attaches. Elle mesure1,67 mètre. Sans être très intelligente, mais suffisamment pour avoir bien appris ce qui lui a été enseigné et en tirer le meilleur, elle devrait faire une excellente épouse. Elle aime être aimée.
 
L’archiduchesse Marie-Louise, image même de la Viennoise idéalisée, dans peu de mois, va devenir impératrice des Français, passant d’une vie de cour familiale et simple aux fastes prétentieux et aux intrigues de la cour impériale de France.




Marie-Louise à l’âge de 18 ans
par le baron Gérard




 

















30/10/2023

Louis-Victor, Luzy-Wuzy, un archiduc hors du commun


Louis-Victor, Luzy-Wuzy,

 un archiduc d’Autriche hors du commun 





Louis-Victor de Habsbourg-Lorraine en 1850


Le plus jeune frère de l'empereur François-Joseph Ier est né à Vienne le 15 mai 1842.

Parle de lui est aller à l’encontre de toutes les idées sur la famille impériale d’Autriche, dont bienséance et mariage constituaient les deux piliers. Après la mort de leur unique fille, Marie-Anne, en 1840 à l’âge de 4 ans, l’archiduc François-Charles et l’archiduchesse Sophie désiraient avoir une autre fille. Le 15 mai 1842, Sophie donna naissance à un garçon, prénommé Louis Victor Joseph Antoine. La mort de sa fille avait été un chagrin immense pour Sophie. La mort de sa mère le 13 novembre 1841 l’avait laissée désemparée. La naissance du petit archiduc n’a pas laissé de trace particulière, le journal de sa mère ne commençant qu’en 1843.  





L'archiduchesse Sophie d’Autriche en 1849


 



L’archiduc François-Charles en 1850


Avec déjà trois garçons, l’avenir de la dynastie était assuré. L’archiduchesse Sophie allait pouvoir considérer le nouveau-né comme le sien, sans devoir particulier envers la Maison d’Autriche et, de fait, allait pouvoir le gâter, sans tenir compte des impératifs d’une éducation stricte. Bubi, c’était son surnom, bien plus jeune que ses frères, allait en profiter, voire en abuser. Il était charmant et amusant. Les jeux, les bals et les travestissements d’enfants étaient de règle à la Cour et dans la famille impériale. Et il n’était pas rare de voir le jeune garçon déguisé en fille, au grand amusement de sa mère. Il est difficile de dire s’il était intelligent au vu de ses succès scolaires, quasi inexistants. Il n’aimait pas étudier.  



L’archiduc Maximilien en 1853


Son frère Maximilien n’aimait pas non plus les heures d’étude, mais il se révéla intelligent par la suite et sut conquérir la popularité dans son entourage. François-Joseph, toujours flatté dans orgueil dynastique, qui le rendait distant, aimait étudier mais ne brilla jamais. Quant à Charles-Louis, il était entre les deux. Il ne fut ni reconnu pour son intelligence, ni passa pour un paresseux. « Il ne deviendra jamais intéressant » disait de lui sa mère. 




L’archiduc Charles-Louis en 1848


Maximilien et Bubi étaient indisciplinés, voire rebelles, tout autant qu’on puisse l’être dans la famille impériale, mais hélas superficiels. François-Joseph et Charles-Louis, plus sérieux, étaient de bons garçons obéissants. François-Joseph, Maximilien et Charles-Louis, les trois premiers se glissèrent dans le moule de la bienséance, pas le  dernier. 



L’empereur François-Joseph en 1851



Tous les quatre avaient une fâcheuse tendance à se moquer de leur entourage, y compris de leurs professeurs. Sophie aimait ses enfants mais ne se leurrait pas sur leurs qualités et encore moins sur leurs défauts. 


Bubi n’était donc pas sans lui poser de problèmes mais elle ne refusa jamais son amour maternel. En 1850, il avait alors huit ans, il écrivait : « Ma bien chère Maman, Je me porte bien. j’espère que vous êtes bien arrivé ( sic) à Olmütz. Je me réjouis de vous voir bientôt. Je vous baise les mains. Vôtre très obéissant fils, Louis. » 



Lettre du 20 avril 1850



Plus tard, il lui écrira ce poème « Très chère Maman ! / Je ne voudrais ce beau jour / que vous parler de mon amour. /Mais puisque cet amour m’inspire / Bien plus que je ne puis vous dire, / Ou veux que ce soit en français, / Ce qui me rend presque niais; / Sachez du moins, ma chère Mère, / Que voulait-on me laisser faire, / C’est-à-dire parler du cœur, / Je vous dirai tout mon bonheur / Que me cause ce jour de fête. / En deux mots donc je vous souhaite: / Que Dieu vous protège, /Et me permette d’embrasser / Pendant mille ans pur comme l’onde, / Ce que j’ai de plus cher au  monde. »




Poème datant probablement de 1851


Louis-Victor et sa mère ont échangé des centaines, voir des milliers de lettres, conservées aux Archives de la Cour et de la Famille Impériale à Vienne. Ce poème montre l’amour que le fils portait à la mère. Et la lecture du Journal de la mère montre combien il était présent dans sa vie. 


Après les facéties de l’enfance, vinrent les désordres de l’adolescence. Sophie avait beaucoup de mal à diriger sa vie et n’hésitait pas à l’éloigner d’elle quand il exagérait. Cet exil affectif était difficilement vécu par Louis-Victor et il revenait repentant. Sa mère avait beau parler de lui avec ses précepteurs, personne n’arrivait à lui inculquer éducation et discipline. Son charme et son savoir-faire lui gagnaient les cœurs, mais pas tous car les dames d’honneur de sa mère se plaignaient de ses mauvaises plaisanteries et de son goût pour papotage et les ragots. 

Lors de la révolution de 1848 à Vienne, il s'enfuit à Innsbruck avec la famille impériale en mars 1848 et puis à Olmütz après le déclenchement de l'insurrection d’octobre . Le 2 décembre 1848, son frère aîné montait sur le trône. 



L’accession au trône de François-Joseph

Le tableau ne reflète pas la vérité car il n’a jamais été couronné empereur d’Autriche


En 1853, au moment du mariage de François-Joseph, il a 11 ans. Sa belle-sœur Élisabeth en a 16. Les deux commencent par bien s’entendre, puis rapidement les choses se gâtent. Il n’a pas douze ans quand dans une lettre à sa mère il écrit que « l’impératrice n’en fait qu’à sa guise. » Il n’a pas tort mais il n’est pas certain que sa mère ait apprécié cette critique. Élisabeth s’est rapidement rendu compte que Louis-Victor la dessert et, s’il continua à admirer sa beauté, ce à quoi elle pouvait être sensible, il ne leur était plus possible d’être amis. 



L’impératrice Elisabeth en 1856


Entré dans l’armée pour suivre la tradition, et non par goût, Louis-Victor fut nommé général d’infanterie, puis eut un régiment à son nom. Devant son peu d’enthousiasme pour la chose militaire mis à part son attrait pour les jeunes soldats, François-Joseph mit fin à sa présence dans l'armée et l’envoya le représenter à Salzbourg, où il retrouva sa tante, l’impératrice-mère Caroline-Augusta, appelée Charlotte par sa famille. La veuve de François Ier y résidait souvent. 



L’impératrice Caroline-Augusta


Son séjour à Salzbourg n’arrangea rien car il y fit de grande dépenses, au désespoir de sa mère qui le lui reprocha. Ces reproches le touchèrent. « Il ne m’est pas possible de compter encore une fois chaque denier, et n’écris plus jamais ainsi à ton fils isolé. » écrit-il à sa mère le 28 novembre 1861.


Le 5 juillet 1862, après un séjour à Munich il écrivit à Sophie qui manifestait ses inquiétudes : « Je ne souhaite qu’une chose ardemment, c’est être auprès de toi pour discuter de tout cela verbalement, ce que je suis trop intelligent pour ne pas faire par courrier, et je peux jurer que tu serais plus satisfaite de moi que jamais et que tu ne m’écrirais plus des accusations aussi profondément blessantes. » 

Puis, « Je sais que cela a toujours été le plaisir des gens de parler à mon sujet, et Dieu merci, de ne dire que des choses qui ne sont pas vraies. Je suis las d’être toujours celui qui est puni… Je peux premièrement te certifier, qu’il ne me viendrait pas à l’esprit, je peux te le promettre, de fréquenter le moins du monde cette personne simplette, et deuxièmement je dois dire qu’Ischl, s’il n’y avait pas toutes mes connaissances, me plaît vraiment très peu. » On ignore de quelle personne il s’agit. 



Louis-Victor en 1860


Sans que rien ne soit jamais dit, et encore moins écrit, à ce sujet il est probable que les tendances sexuelles de son fils n’avaient pas échappé à Sophie. Elle n’était pas prude et pouvait fermer les yeux sur beaucoup de choses mais l’homosexualité était à l’époque, non seulement réprimée pénalement, en Autriche et ailleurs, mais aussi sujette à réprobation. Les recommandations qu’elle lui a fait dans son testament, rédigé en 1862, révèlent ses inquiétudes.« Je prie instamment Ludwig d’être pieux, sage, vrai, honnête, moralement pur et travailleur… » Le «moralement pur » laisse peu de doute sur la connaissance qu’elle avait de la vie dissolue de son fils.


François-Joseph et ses frères, après les chamailleries et les jalousies de leur enfance, s’entendaient bien et n’ont pas été choqués par la sexualité du dernier mais ils ne pouvaient accepter les scandales que son attitude suscitait. En riant François-Joseph aurait dit : « Il faudrait lui donner une ballerine comme adjudant, alors rien ne pourrait arriver ! »


En 1863, Louis-Victor accompagna son frère à Francfort et, en 1867, à une visite d'État à Paris. Cela lui permit de visiter de l’Exposition Universelle et probablement de jouir de la Fête Impériale. 



Louis-Victor et François-Joseph


Si en 1861, il y eut un premier exil à Salzbourg, en 1906, il y en eut un autre, et cette fois définitif. En 1904, Louis-Victor avait reçu une gifle de la part d’un officier auquel il avait fait des avances, dans un établissement de bains, le Zentral Bad. 



Zentral Bad


La vie de Louis-Victor était connue de tous, sa famille, la police, la Cour et le public. Il faut dire qu’il ne se cachait pas beaucoup.  Des nombreuses fois, il fut victime de chantage dont le comte Wimpffen, Grand-Maître de sa Cour, avait payé les sommes extorquées. Il se faisait détrousser par des rencontres de hasard et il fallait racheter les montres volées. On parlait alors dans le rapport de police « d’une rencontre désagréable ». En 1899, le comte Thun-Hohenstein,  son nouveau Grand-Maître, qui méprisait l’archiduc, refusa de continuer à payer. En réalité, personne ne se souciait de ses incartades, jusqu’à ce que soit révélée l’affaire de la gifle par des indiscrétions venant, dit-on, de l’entourage de l’archiduc François-Ferdinand. 


Louis-Victor avait ouvertement blâmé le mariage inégal de son oncle avec la comtesse Sophie Chotek. Et cela ne lui avait pas été pardonné. 



L'archiduc François-Ferdinand et la duchesse de Hohenberg


Parfois cynique, quelques fois spirituel mais souvent moqueur avec son entourage, il ne se fit pas que des amis.


Louis-Victor s’accordait des libertés sur ses choix de vie qu’il n’accordait pas aux autres. Il lui semblait plus grave d’épouser une femme en dehors des règles dynastiques que de se faire arrêter pour racolage ou que de se soumettre au chantage des rencontres de passage. 



Louis II de Bavière en 1874


Louis II de Bavière, son cousin, avait vécu sa sexualité dans le remords et la honte. Cela ne semble pas avoir été le cas de Louis-Victor.


Il n’hésita pas à monter sur scène habillé en femme, probablement dans une comédie satyrique comme le laisse penser la photo. La famille en a peut-être ri jaune. Mais enfant, n’avait-il pas été incité à se travestir par sa mère qui en riait bien fort ? 




L’archiduc Louis-Victor en crinoline


L’aspect désordonné de sa personnalité fut compensé toutefois par une honnêteté certaine. Il avait refusé d’épouser sa cousine germaine, Sophie, sœur d’Élisabeth, au grand désespoir de leurs deux mères. Il avait rejeté l’offre de son frère Maximilien, l'empereur du Mexique, de faire de lui son successeur sur le trône mexicain, comme il avait refusé d’épouser Isabelle de Bragance, fille de l’empereur du Brésil, Pierre II, dont elle était l’héritière.


En fait, Louis-Victor se voulait libre de toute contrainte officielle et de tout lien matrimonial. Satisfait de sa position d’archiduc d’Autriche et de la pension généreuse qui l’accompagnait, il n’ambitionnait rien d’autre.



Son palais viennois sur le Ring


Son goût des arts était certain. En 1863, il fit construire un palais sur le Ring, au 1 place Schwarzenberg, terminé en 1869, dans un style néo-classique italianisant suivant les plans de Heinrich Ferstel. L’archiduc n’avait que 21 ans. Il le meubla avec beaucoup de goût et y organisa des fêtes somptueuses.  



Menu du 17 février 1868


Le couple impérial n’hésitait pas à paraître à ses dîners. 



 






Ecritoire à transformation -  XVIIIe 


Il accumula un grand nombre d’objets d’arts, dont des porcelaine de Meissen, tout au long de sa vie. Il aimait la photographie et n’hésitait pas se faire tirer le portrait.  





Avec un ami au bord de la mer en 1897


Il semble que sa connaissance de l’art ait été profonde, bien au-delà de l’aspect décoratif.


En 1900, le palais fut rénové et, dix ans plus tard, l'archiduc y a installé « l'Association Scientifique Militaire » qui l’occupe encore aujourd'hui sous le nom de «Association des officiers de Neustadt ».


A Salzbourg, également, il se fit bâtisseur. Dès 1866, François-Joseph lui avait attribué la propriété du château de Klessheim, situé à 4 kilomètres à l’ouest de Salzbourg. Vers 1880, il fit édifier une demeure, plus confortable pour l’hiver, dans le parc du château, « la Kavalierhaus ».  




Son château près de Salzbourg 

Schloss Kleßheim 







Kavalierhaus, l’annexe confortable 





La piscine de l’annexe


Bien qu’en exil, à Salzbourg Louis-Victor y fut beaucoup plus aimable et apprécié par la population qu’à Vienne où il était considéré comme un mondain oisif ne passant sa vie qu’entre bals, concerts, théâtre, opéra et scandales. 

Protecteur des arts et mécéne, il fut aussi généreux avec les nécessiteux. En 1869, François-Joseph l’avait nommé protecteur de la Croix-Rouge autrichienne.  



Louis-Victor en 1870


En 1885, il avait contribué à la construction de la Maison des Artistes à Salzbourg, Künstlerhaus, encore très active aujourd’hui. 



En 1887


Pour son soixantième anniversaire, en 1902, il inaugura un pont portant son nom sur la Salzach, la rivière qui traverse la ville de Salzbourg. Son anniversaire fut grandement célébré à Vienne et à Salzbourg.

 


 



Le pont Louis-Victor à Salzbourg



Louis-Victor en 1904


Jusqu’au scandale de 1904, avec la fameuse gifle révélée seulement deux ans plus tard, les relations entre les frères avaient été bonnes. En mai 1896, Louis-Victor avait soutenu son frère Charles-Louis mourant des suites d’une typhoïde contractée pour avoir bu de l’eau du Jourdain lors d’un pèlerinage en Terre Sainte. 

A Salzbourg, sans avoir le droit de revenir à Vienne, il ne revêtit plus l’habit militaire, se contentant de tenues civiles. Il avait une maison composée d’aides de camp, d’un chambellan, d’un secrétaire et d’un valet personnel, avec probablement en plus tout le personnel de cuisine, jardin et écuries. Il n’était pas complètement coupé de sa famille puisque l’empereur vint le visiter une fois ainsi que, plus souvent, ses  nièces, Gisèle et Marie-Valérie.  




L’archiduchesse Marie-Valérie


Cette dernière l’assista dans ses derniers moments. Il allait aussi de temps en temps à Ischl. Il semble qu’il ait légué sa fortune à la veuve, Marie-Josèphe de Saxe, et aux archiducs Charles, futur empereur, et son frère, Maximilien, enfants de son neveu Otto, mort en 1906, après avoir mené une vie encore plus débridée que la sienne. Il lui arrivait de se promener nu dans les couloirs de l’Hôtel Sacher, au grand scandale des clients, dont la femme de l’ambassadeur d’Angleterre, lady Plunkett à laquelle il présenta ses hommages, n’ayant que son sabre pour vêtement.


L’écart de Louis-Victor de la vie de la Cour avait été expliqué comme une mésentente avec l’empereur, mais nul ne fut dupe.  



Vue du château de Kleissheim


En 1915, présentant des désordres mentaux, il fut interné dans son château de Klessheim. Il mourut, d’une pneumonie, le 18 janvier 1919, à l’âge de 77 ans, dernier survivant de la fratrie, sans avoir réalisé la chute de la monarchie deux mois plus tôt. Bubi, également surnommé Luzi-Wuzi (Loulou le fêtard ou le fainéant) n’eut donc pas droit aux funérailles impériales. 

Il repose loin de la Crypte des Capucins, au cimetière de Siezenheim, près de Salzbourg, toujours à part de sa famille. 


Sa sépulture 


Un bon petit diable   en 1844